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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Il existe, en effet, un malentendu : « Peuple nest pas une catégorie logique, ni une catégorie mystique, si nous le comprenons dans le sens où tout ce que le peuple fait est bon, ou bien dans le sens où le peuple est une catégorie angélique. Il sagit dune catégorie mythique [
] Lorsque vous expliquez ce quest un peuple, vous utilisez des catégories logiques parce que vous devez lexpliquer : vraiment, cest nécessaire. Mais vous nexpliquez pas le sens dappartenance à un peuple. Le terme peuple a quelque chose de plus quon ne peut pas expliquer de manière logique. Faire partie dun peuple, cest faire partie dune identité commune faite de liens sociaux et culturels. Et cela nest pas quelque chose dautomatique, tout au contraire : cest un processus lent, difficile
vers un projet commun ».[132]
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Il y a des dirigeants populaires capables dinterpréter le sentiment dun peuple, sa dynamique culturelle et les grandes tendances dune société. La fonction quils exercent, en rassemblant et en dirigeant, peut servir de base pour un projet durable de transformation et de croissance qui implique aussi la capacité daccorder une place à dautres en vue du bien commun. Mais elle se mue en un populisme malsain lorsquelle devient lhabileté dun individu à captiver afin dinstrumentaliser politiquement la culture du peuple, grâce à quelque symbole idéologique, au service de son projet personnel et de son maintien au pouvoir. Parfois, on cherche à gagner en popularité en exacerbant les penchants les plus bas et égoïstes de certains secteurs de la population. Cela peut saggraver en devenant, sous des formes grossières ou subtiles, un asservissement des institutions et des lois.
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Les groupes populistes fermés défigurent le terme peuple, puisquen réalité ce dont il parle nest pas le vrai peuple. En effet, la catégorie de peuple est ouverte. Un peuple vivant, dynamique et ayant un avenir est ouvert de façon permanente à de nouvelles synthèses intégrant celui qui est différent. Il ne le fait pas en se reniant lui-même, mais en étant disposé au changement, à la remise en question, au développement, à lenrichissement par dautres ; et ainsi, il peut évoluer.
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Un autre signe de la dégradation du leadership populaire, cest limmédiateté. On répond à des exigences populaires afin de garantir des voix ou une approbation, mais sans progresser dans une tâche ardue et constante qui offre aux personnes les ressources pour leur développement, afin quelles puissent gagner leur vie par leur effort et leur créativité. Dans ce sens, jai clairement affirmé quest « loin de moi la proposition dun populisme irresponsable ».[133] Dune part, vaincre les inégalités suppose le développement économique, en exploitant les possibilités de chaque région et en assurant ainsi une équité durable.[134] Dautre part, « les plans dassistance qui font face à certaines urgences devraient être considérés seulement comme des réponses provisoires ».[135]
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La grande question, cest le travail. Ce qui est réellement populaire parce quil contribue au bien du peuple , cest dassurer à chacun la possibilité de faire germer les semences que Dieu a mises en lui, ses capacités, son sens dinitiative, ses forces. Cest la meilleure aide que lon puisse apporter à un pauvre, cest le meilleur chemin vers une existence digne. Cest pourquoi jinsiste sur le fait qu« aider les pauvres avec de largent doit toujours être une solution provisoire pour affronter des urgences. Le grand objectif devrait toujours être de leur permettre davoir une vie digne par le travail ».[136] Les mécanismes de production ont beau changer, la politique ne peut pas renoncer à lobjectif de faire en sorte que lorganisation dune société assure à chacun quelque moyen dapporter sa contribution et ses efforts. En effet, « il nexiste pas pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail ».[137] Dans une société réellement développée, le travail est une dimension inaliénable de la vie sociale, car il nest pas seulement un moyen de gagner sa vie, mais aussi une voie pour lépanouissement personnel, en vue détablir des relations saines, de se réaliser, de partager des dons, de se sentir coresponsable de lamélioration du monde et en définitive de vivre comme peuple.
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Valeurs et limites des visions libéralesLa catégorie de peuple, qui intègre une valorisation positive des liens communautaires et culturels, est généralement rejetée par les visions libérales individualistes où la société est considérée comme une simple somme dintérêts qui coexistent. Elles parlent de respect des libertés, mais sans la racine dune histoire commune. Dans certains contextes, il est fréquent de voir traiter de populistes tous ceux qui défendent les droits des plus faibles de la société. Pour ces visions, la catégorie de peuple est une mythification de quelque chose qui, en réalité, nexiste pas. Toutefois, il se crée ici une polarisation inutile, car ni lidée de peuple ni celle de prochain ne sont des catégories purement mythiques ou romantiques qui excluent ou méprisent lorganisation sociale, la science et les institutions de la société civile.[138]
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La charité réunit les deux dimensions mythique et institutionnelle puisquelle implique un processus efficace de transformation de lhistoire qui exige que tout soit intégré : notamment les institutions, le droit, la technique, lexpérience, les apports professionnels, lanalyse scientifique, les procédures administratives. En effet, « il ny a [
] de vie privée que protégée par un ordre public ; le foyer na dintimité quà labri dune légalité, dun état de tranquillité fondé sur la loi et sur la force et sous la condition dun bien-être minimum assuré par la division du travail, les échanges commerciaux, la justice sociale, la citoyenneté politique ».[139]
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La vraie charité est capable dintégrer tout cela dans son déploiement et doit se manifester dans la rencontre interpersonnelle ; elle est aussi capable datteindre un frère ou une sur éloignés, voire ignorés, à travers les différentes ressources que les institutions dune société organisée, libre et créative sont en mesure de créer. Si nous prenons ce cas, même le bon Samaritain a eu besoin de lexistence dune auberge qui lui a permis de résoudre ce que, tout seul, en ce moment-là, il nétait pas en mesure dassurer. Lamour du prochain est réaliste et ne dilapide rien qui soit nécessaire pour changer le cours de lhistoire en faveur des pauvres. Autrement, des idéologies de gauche ou des pensées sociales en viennent quelquefois à côtoyer des habitudes individualistes et des façons de faire inefficaces qui ne profitent quà une petite minorité. Dans le même temps, la multitude de ceux qui sont abandonnés reste à la merci du bon vouloir éventuel de quelques-uns. Cela révèle quil est nécessaire de promouvoir non seulement une mystique de la fraternité mais aussi une organisation mondiale plus efficace pour aider à résoudre les problèmes pressants des personnes abandonnées qui souffrent et meurent dans les pays pauvres. Vice-versa, cela implique quil ny a pas quune seule sortie possible, une méthodologie acceptable unique, une recette économique qui peut être appliquée uniformément pour tous, et cela suppose que même la science la plus rigoureuse peut proposer des voies différentes.
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Tout cela serait précaire si nous perdions la capacité de percevoir la nécessité dun changement dans les curs humains, dans les habitudes et dans les modes de vie. Cest ce qui se produit lorsque la propagande politique, les médias et les faiseurs dopinion publique persistent à encourager une culture individualiste et naïve face aux intérêts économiques effrénés et à lorganisation des sociétés au service de ceux qui ont déjà trop de pouvoir. Voilà pourquoi ma critique du paradigme technocratique nimplique pas que nous pourrions nous trouver en sécurité en essayant uniquement de contrôler ses travers. Car le plus grand danger ne réside pas dans les choses, dans les réalités matérielles, dans les organisations, mais dans la manière dont les personnes les utilisent. Le problème, cest la fragilité humaine, la tendance constante à légoïsme de la part de lhomme qui fait partie de ce que la tradition chrétienne appelle concupiscence : le penchant de lêtre humain à senfermer dans limmanence de son moi, de son groupe, de ses intérêts mesquins. Cette concupiscence nest pas un défaut de notre temps. Elle existe depuis que lhomme est homme et simplement se transforme, prend des formes différentes à chaque époque ; et, somme toute, elle utilise les instruments que le moment historique met à sa disposition. Mais il est possible de la dominer avec laide de Dieu.
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Le travail déducation, le développement des habitudes solidaires, la capacité de penser la vie humaine plus intégralement et la profondeur spirituelle sont nécessaires pour assurer la qualité des relations humaines, de telle manière que ce soit la société elle-même qui réagisse face à ses inégalités, à ses déviations, aux abus des pouvoirs économiques, technologiques, politiques ou médiatiques. Certaines visions libérales ignorent ce facteur de la fragilité humaine et imaginent un monde obéissant à un ordre déterminé qui, à lui seul, pourrait garantir lavenir et la résolution de tous les problèmes.
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Le marché à lui seul ne résout pas tout, même si, une fois encore, lon veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral. Il sagit là dune pensée pauvre, répétitive, qui propose toujours les mêmes recettes face à tous les défis qui se présentent. Le néolibéralisme ne fait que se reproduire lui-même, en recourant aux notions magiques de ruissellement ou de retombées sans les nommer comme les seuls moyens de résoudre les problèmes sociaux. Il ne se rend pas compte que le prétendu ruissellement ne résorbe pas linégalité, quil est la source de nouvelles formes de violence qui menacent le tissu social. Dune part, une politique économique active visant à « promouvoir une économie qui favorise la diversité productive et la créativité entrepreneuriale »[140] simpose, pour quil soit possible daugmenter les emplois au lieu de les réduire. La spéculation financière, qui poursuit comme objectif principal le gain facile, continue de faire des ravages. Dautre part, « sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourdhui, cest cette confiance qui fait défaut »[141] . Le résultat final na pas correspondu aux prévisions et les recettes dogmatiques de la théorie économique dominante ont montré quelles nétaient pas infaillibles. La fragilité des systèmes mondiaux face aux pandémies a mis en évidence que tout ne se résout pas avec la liberté de marché et que, outre la réhabilitation dune politique saine qui ne soit pas soumise au diktat des finances, il faut « replacer au centre la dignité humaine et, sur ce pilier, doivent être construites les structures sociales alternatives dont nous avons besoin ».[142]
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Dans certaines visions économiques étriquées et monochromatiques, il ne semble pas y avoir de place, par exemple, pour les mouvements populaires rassemblant des chômeurs, des travailleurs précaires et informels ainsi que beaucoup dautres personnes qui nentrent pas facilement dans les grilles préétablies. En réalité, elles génèrent plusieurs formes déconomie populaire et de production communautaire. Il faut penser à la participation sociale, politique et économique de telle manière « quelle [inclue] les mouvements populaires et anime les structures de gouvernement locales, nationales et internationales, avec le torrent dénergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction dun avenir commun ». Et en même temps, il convient de travailler à ce que « ces mouvements, ces expériences de solidarité qui grandissent du bas, du sous-sol de la planète, confluent, soient davantage coordonnées, se rencontrent ».[143] Mais sans trahir leurs caractéristiques, parce que ce « sont des semeurs de changement, des promoteurs dun processus dans lequel convergent des millions de petites et grandes actions liées de façon créative, comme dans une poésie ».[144] En ce sens, les poètes sociaux sont ceux qui travaillent, qui proposent, qui promeuvent et qui libèrent à leur manière. Grâce à eux, un développement humain intégral sera possible, qui implique que soit dépassée « cette idée de politiques sociales conçues comme une politique vers les pauvres, mais jamais avec les pauvres, jamais des pauvres, et encore moins insérée dans un projet réunissant les peuples ».[145] Bien quils dérangent, bien que quelques penseurs ne sachent pas comment les classer, il faut avoir le courage de reconnaître que, sans eux, « la démocratie satrophie, devient un nominalisme, une formalité, perd de sa représentativité, se désincarne car elle laisse le peuple en dehors, dans sa lutte quotidienne pour la dignité, dans la construction de son destin ».[146]
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Le pouvoir internationalJe me permets de répéter que « la crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement dune nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de lactivité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il ny a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde ».[147] Pire, les réelles stratégies, développées ultérieurement dans le monde, semblent avoir visé plus dindividualisme, plus de désintégration, plus de liberté pour les vrais puissants qui trouvent toujours la manière de sen sortir indemnes.
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Je voudrais souligner que « donner à chacun ce qui lui revient, en suivant la définition classique de la justice, signifie quaucun individu ou groupe humain ne peut se considérer tout-puissant, autorisé à passer par-dessus la dignité et les droits des autres personnes physiques ou de leurs regroupements sociaux. La distribution de fait du pouvoir surtout politique, économique, de défense, technologique entre une pluralité de sujets ainsi que la création dun système juridique de régulation des prétentions et des intérêts, concrétise la limitation du pouvoir. Le panorama mondial aujourdhui nous présente, cependant, beaucoup de faux droits, et à la fois de grands secteurs démunis, victimes plutôt dun mauvais exercice du pouvoir ».[148]
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Le XXIe siècle « est le théâtre dun affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la maturation dinstitutions internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, et dotées de pouvoir pour sanctionner ».[149] Lorsquon parle de la possibilité dune forme dautorité mondiale régulée par le droit,[150] il ne faut pas nécessairement penser à une autorité personnelle. Toutefois, on devrait au moins inclure la création dorganisations mondiales plus efficaces, dotées dautorité pour assurer le bien commun mondial, léradication de la faim et de la misère ainsi quune réelle défense des droits humains fondamentaux.
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Dans ce sens, je rappelle quil faut une réforme « de lOrganisation des Nations Unies comme celle de larchitecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations ».[151] Sans doute cela suppose des limites juridiques précises pour éviter que cette autorité ne soit cooptée par quelques pays et en même temps pour empêcher des impositions culturelles ou la violation des libertés fondamentales des nations les plus faibles à cause de différences idéologiques. En effet, « la Communauté Internationale est une communauté juridique fondée sur la souveraineté de chaque État membre, sans liens de subordination qui nient ou limitent son indépendance ».[152] Mais « le travail des Nations Unies, à partir des postulats du Préambule et des premiers articles de sa Charte constitutionnelle, peut être considéré comme le développement et la promotion de la primauté du droit, étant entendu que la justice est une condition indispensable pour atteindre lidéal de la fraternité universelle. [
] Il faut assurer lincontestable état de droit et le recours inlassable à la négociation, aux bons offices et à larbitrage, comme proposé par la Charte des Nations Unies, vraie norme juridique fondamentale ».[153] Il est à éviter que cette Organisation soit délégitimée, parce que ses problèmes ou ses insuffisances peuvent être affrontés ou résolus dans la concertation.
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Il faut du courage et de la générosité pour établir librement certains objectifs communs et assurer le respect dans le monde entier de certaines normes fondamentales. Afin que cela soit réellement utile, on doit observer « lexigence de respecter les engagements souscrits pacta sunt servanda »,[154] de telle sorte quon évite « la tentation de recourir au droit de la force plutôt quà la force du droit ».[155] Cela exige une consolidation des « instruments normatifs pour la solution pacifique des controverses [qui] doivent être repensés de façon à renforcer leur portée et leur caractère obligatoire ».[156] Parmi ces instruments juridiques, les accords multilatéraux entre les États doivent avoir une place de choix, car ils garantissent, mieux que les accords bilatéraux, la sauvegarde dun bien commun réellement universel et la protection des États les plus faibles.
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Grâce à Dieu, beaucoup de regroupements et dorganisations de la société civile aident à pallier les faiblesses de la Communauté Internationale, son manque de coordination dans des situations complexes, son manque de vigilance en ce qui concerne les droits humains fondamentaux et les situations très critiques de certains groupes. Ainsi, le principe de subsidiarité devient une réalité concrète garantissant la participation et laction des communautés et des organisations de rang inférieur qui complètent laction de lÉtat. Très souvent, elles accomplissent des efforts admirables en pensant au bien commun ; et certains de leurs membres arrivent à réaliser des gestes vraiment héroïques qui révèlent la beauté dont notre humanité est encore capable.
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Une charité sociale et politiquePour beaucoup de personnes, la politique est aujourdhui un vilain mot et on ne peut pas ignorer quà la base de ce fait, il y a souvent les erreurs, la corruption, linefficacité de certains hommes politiques. À cela sajoutent les stratégies qui cherchent à affaiblir la politique, à la remplacer par léconomie ou la soumettre à quelque idéologie. Mais le monde peut-il fonctionner sans la politique ? Peut-il y avoir un chemin approprié vers la fraternité universelle et la paix sociale sans une bonne politique ?[157]
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La politique appropriéeJe me permets dinsister à nouveau sur le fait que « la politique ne doit pas se soumettre à léconomie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme defficacité de la technocratie ».[158] Même sil faut rejeter le mauvais usage du pouvoir, la corruption, la violation des lois et linefficacité, « on ne peut pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable de promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la crise actuelle ».[159] Tout au contraire, « nous avons besoin dune politique aux vues larges, qui suive une approche globale en intégrant dans un dialogue interdisciplinaire les divers aspects de la crise ».[160] Je pense à « une saine politique, capable de réformer les institutions, de les coordonner et de les doter de meilleures pratiques qui permettent de vaincre les pressions et les inerties vicieuses ».[161] On ne peut pas demander cela à léconomie, ni accepter quelle sempare du pouvoir réel de lÉtat.
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Face à tant de formes mesquines de politique et à courte vue, je rappelle que « la grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on uvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique dassumer ce devoir dans un projet de Nation »[162] et encore davantage dans un projet commun pour lhumanité présente et future. Penser à ceux qui viendront ne sert pas aux objectifs électoraux, mais cest ce quune justice authentique exige, parce que, comme lont enseigné les Évêques du Portugal, la terre « est un prêt que chaque génération reçoit et doit transmettre à la génération suivante ».[163]
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Sur le plan mondial, la société a de sérieux défauts structurels quon ne résout pas avec des rapiècements ou des solutions rapides, purement occasionnelles. Certaines choses sont à changer grâce à des révisions de fond et des transformations importantes. Seule une politique saine sera à même de les conduire, en engageant les secteurs les plus divers et les connaissances les plus variées. De cette manière, une économie intégrée dans un projet politique, social, culturel et populaire visant le bien commun peut « ouvrir le chemin à différentes opportunités qui nimpliquent pas darrêter la créativité de lhomme et son rêve de progrès, mais dorienter cette énergie vers des voies nouvelles ».[164]
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Lamour politiqueReconnaître chaque être humain comme un frère ou une sur et chercher une amitié sociale qui intègre tout le monde ne sont pas de simples utopies. Cela exige la décision et la capacité de trouver les voies efficaces qui les rendent réellement possibles. Tout engagement dans ce sens devient un exercice suprême de la charité. En effet, un individu peut aider une personne dans le besoin, mais lorsquil sassocie à dautres pour créer des processus sociaux de fraternité et de justice pour tous, il entre dans « le champ de la plus grande charité, la charité politique ».[165] Il sagit de progresser vers un ordre social et politique dont lâme sera la charité sociale.[166] Une fois de plus, jappelle à réhabiliter la politique qui « est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce quelle cherche le bien commun ».[167]
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Tous les engagements qui naissent de la doctrine sociale de lÉglise « sont imprégnés de lamour qui, selon lenseignement du Christ, est la synthèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36-40) ».[168] Cela suppose quon reconnaisse que « lamour, fait de petits gestes dattention mutuelle, est aussi civil et politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur ».[169] Voilà pourquoi lamour sexprime non seulement dans des relations dintimité et de proximité, mais aussi dans « des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques ».[170]
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Cette charité politique suppose quon ait développé un sentiment social qui dépasse toute mentalité individualiste : « La charité sociale nous fait aimer le bien commun et conduit à chercher effectivement le bien de toutes les personnes, considérées non seulement individuellement, mais aussi dans la dimension sociale qui les unit ».[171] Chacun nest pleinement une personne quen appartenant à un peuple, et en même temps, il ny a pas de vrai peuple sans le respect du visage de chaque personne. Peuple et personne sont des termes qui sappellent. Cependant, on prétend aujourdhui réduire les personnes aux individus, facilement dominés par des pouvoirs en quête dintérêts fallacieux. La bonne politique cherche des voies de construction de communautés aux différents niveaux de la vie sociale, afin de rééquilibrer et de réorienter la globalisation pour éviter ses effets de désagrégation.
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Amour effectifGrâce à l « amour social »[172] , il est possible de progresser vers une civilisation de lamour à laquelle nous pouvons nous sentir tous appelés. La charité, par son dynamisme universel, peut construire un monde nouveau,[173] parce quelle nest pas un sentiment stérile mais la meilleure manière datteindre des chemins efficaces de développement pour tous. Lamour social est une « force capable de susciter de nouvelles voies pour affronter les problèmes du monde daujourdhui et pour renouveler profondément de lintérieur les structures, les organisations sociales, les normes juridiques ».[174]
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La charité est au cur de toute vie sociale saine et ouverte. Cependant, aujourdhui, « il nest pas rare quelle soit déclarée incapable dinterpréter et dorienter les responsabilités morales ».[175] Elle est bien plus quun sentimentalisme subjectif si elle est unie à lengagement envers la vérité, de sorte quelle ne soit pas « la proie des émotions et de lopinion contingente des êtres humains ».[176] Précisément, sa relation avec la vérité permet à la charité dêtre universelle et lui évite ainsi dêtre « reléguée dans un espace restreint et relationnellement appauvri ».[177] Autrement, « dans le dialogue entre les connaissances et leur mise en uvre, elle [sera] exclue des projets et des processus de construction dun développement humain denvergure universelle ».[178] Sans la vérité, lémotivité est privée de contenus relationnels et sociaux. Cest pourquoi louverture à la vérité protège la charité dune fausse foi dénuée de « souffle humain et universel ».[179]
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La charité a besoin de la lumière de la vérité que nous cherchons constamment et « cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi »,[180] sans relativisme. Cela suppose aussi le développement des sciences et leur contribution irremplaçable pour trouver les voies concrètes et les plus sûres en vue dobtenir les résultats espérés. En effet, lorsque le bien des autres est en jeu, les bonnes intentions ne suffisent pas, mais il faut effectivement accomplir ce dont ils ont besoin, ainsi que leurs nations, pour se réaliser.
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Lactivité de lamour politiqueIl y a un amour dit élicite qui consiste dans les actes procédant directement de la vertu de charité envers les personnes et les peuples. Il y a également un amour impéré : ces actes de charité qui poussent à créer des institutions plus saines, des réglementations plus justes, des structures plus solidaires.[181] Ainsi, « lengagement tendant à organiser et à structurer la société de façon à ce que le prochain nait pas à se trouver dans la misère est un acte de charité tout aussi indispensable ».[182] Cest de la charité que daccompagner une personne qui souffre, et cest également charité tout ce quon réalise, même sans être directement en contact avec cette personne, pour changer les conditions sociales qui sont à la base de sa souffrance. Si quelquun aide une personne âgée à traverser une rivière, et cest de la charité exquise, le dirigeant politique lui construit un pont, et cest aussi de la charité. Si quelquun aide les autres en leur donnant de la nourriture, lhomme politique crée pour lui un poste de travail et il exerce un genre très élevé de charité qui ennoblit son action politique.
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La sollicitude de lamourCette charité, cur de lesprit de la politique, est toujours un amour préférentiel pour les derniers qui anime secrètement toutes les actions en leur faveur.[183] Ce nest quavec un regard dont lhorizon est transformé par la charité, le conduisant à percevoir la dignité de lautre, que les pauvres sont découverts et valorisés dans leur immense dignité, respectés dans leur mode de vie et leur culture, et par conséquent vraiment intégrés dans la société. Ce regard est le cur de lesprit authentique de la politique. À partir de là, les voies qui souvrent sont différentes de celles dun pragmatisme sans âme. Par exemple, « on ne peut affronter le scandale de la pauvreté en promouvant des stratégies de contrôle qui ne font que tranquilliser et transformer les pauvres en des êtres apprivoisés et inoffensifs. Quil est triste de voir que, derrière de présumées uvres altruistes, on réduit lautre à la passivité » ![184] Il faut quil y ait différents modes dexpression et de participation sociale. Léducation est au service de cette voie pour que chaque être humain puisse être artisan de son destin. Le principe de subsidiarité révèle ici sa valeur, inséparable du principe de solidarité.
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