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Je voudrais faire mémoire de ces exilés cachés qui sont traités comme des corps étrangers dans la société.[76] De nombreuses personnes porteuses de handicap « sentent quelles existent sans appartenance et sans participation ». Il y en a encore beaucoup dautres « quon empêche davoir la pleine citoyenneté ». Lobjectif, ce nest pas seulement de prendre soin delles, mais quelles participent « activement à la communauté civile et ecclésiale. Cest un chemin exigeant mais aussi difficile, qui contribuera de plus en plus à former les consciences à reconnaître chaque individu comme une personne unique et irremplaçable ». Je pense aussi aux « personnes âgées, qui, notamment en raison de leur handicap, sont parfois perçues comme un fardeau ». Cependant, chacune dentre elles peut apporter « une contribution irremplaçable au bien commun à travers son parcours de vie original ». Je me permets dinsister : il faut avoir « le courage de donner la parole à ceux qui subissent la discrimination à cause de leur handicap, parce que, malheureusement dans certains pays, on peine aujourdhui encore à les reconnaître comme des personnes de dignité égale ».[77]
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Compréhensions inadéquates dun amour universelLamour qui sétend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons lamitié sociale dans chaque ville ou dans chaque pays. Lorsquelle est authentique, cette amitié sociale au sein dune communauté est la condition de la possibilité dune ouverture universelle vraie. Il ne sagit pas du faux universalisme de celui qui a constamment besoin de voyager parce quil ne supporte ni naime son propre peuple. Celui qui a du mépris pour son propre peuple établit dans la société des catégories, de première ou de deuxième classe, de personnes ayant plus ou moins de dignité et de droits. De cette façon, il nie quil y a de la place pour tout le monde.
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Je ne propose pas non plus un universalisme autoritaire et abstrait, conçu ou planifié par certains et présenté comme une aspiration prétendue pour homogénéiser, dominer et piller. Il existe un modèle de globalisation qui « soigneusement vise une uniformité unidimensionnelle et tente déliminer toutes les différences et toutes les traditions dans une recherche superficielle dunité. [...] Si une globalisation prétend [tout] aplanir [
], comme sil sagissait dune sphère, cette globalisation détruit la richesse ainsi que la particularité de chaque personne et de chaque peuple ».[78] Ce faux rêve universaliste finit par priver le monde de sa variété colorée, de sa beauté et en définitive de son humanité. En effet, « lavenir nest pas monochromatique, mais [
] est possible si nous avons le courage de le regarder dans la variété et dans la diversité de ce que chacun peut apporter. Comme notre famille humaine a besoin dapprendre à vivre ensemble dans lharmonie et dans la paix sans que nous ayons besoin dêtre tous pareils ! ».[79]
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Transcender un monde de partenairesRevenons maintenant à cette parabole du bon Samaritain qui a encore beaucoup à nous enseigner. Un homme blessé gisait sur le chemin. Les autorités qui lont croisé navaient pas fixé leur attention sur cet appel intérieur à devenir proches, mais sur leur fonction, sur leur position sociale, sur une profession fondamentale dans la société. Elles se sentaient importantes pour la société du moment et leur urgence était le rôle quelles devaient jouer. Lhomme blessé et abandonné sur la route était une gêne pour ce projet, une entrave, et par ailleurs il nassumait aucune fonction. Il nétait rien, il nappartenait pas à un groupe renommé, il navait aucun rôle dans la construction de lhistoire. Cependant, le généreux Samaritain a résisté à ces classifications étriquées, même sil nappartenait à aucune de ces catégories et était un simple étranger sans place spécifique dans la société. Ainsi, libre de tout titre et de toute charge, il a été en mesure dinterrompre son voyage, de changer de projet, dêtre disponible pour souvrir à la surprise de lhomme blessé qui avait besoin de lui.
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Quelle réaction une telle narration peut-elle provoquer aujourdhui, dans un monde où apparaissent et grandissent constamment des groupes sociaux qui saccrochent à une identité qui les sépare des autres ? Comment peut-elle toucher ceux qui ont tendance à sorganiser de manière à empêcher toute présence étrangère susceptible de perturber cette identité et cette organisation auto-protectrice et autoréférentielle ? Dans ce schéma, la possibilité de se faire prochain est exclue, sauf de celui par qui on est assuré dobtenir des avantages personnels. Ainsi le terme prochain perd tout son sens, et seul le mot partenaire, lassocié pour des intérêts déterminés, a du sens.[80]
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Liberté, égalité et fraternitéLa fraternité nest pas que le résultat des conditions de respect des libertés individuelles, ni même dune certaine équité observée. Bien quil sagisse de présupposés qui la rendent possible, ceux-ci ne suffisent pas pour quelle émerge comme un résultat immanquable. La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à légalité. Que se passe-t-il sans une fraternité cultivée consciemment, sans une volonté politique de fraternité, traduite en éducation à la fraternité, au dialogue, à la découverte de la réciprocité et de lenrichissement mutuel comme valeur ? Ce qui se passe, cest que la liberté saffaiblit, devenant ainsi davantage une condition de solitude, de pure indépendance pour appartenir à quelquun ou à quelque chose, ou simplement pour posséder et jouir. Cela népuise pas du tout la richesse de la liberté qui est avant tout ordonnée à lamour.
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On nobtient pas non plus légalité en définissant dans labstrait que tous les êtres humains sont égaux, mais elle est le résultat dune culture consciente et pédagogique de la fraternité. Ceux qui ne peuvent être que des partenaires créent des cercles fermés. Quel sens peut avoir dans ce schéma une personne qui nappartient pas au cercle des partenaires et arrive en rêvant dune vie meilleure pour elle-même et sa famille ?
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Lindividualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères. La simple somme des intérêts individuels nest pas capable de créer un monde meilleur pour toute lhumanité. Elle ne peut même pas nous préserver de tant de maux qui prennent de plus en plus une envergure mondiale. Mais lindividualisme radical est le virus le plus difficile à vaincre. Il nous trompe. Il nous fait croire que tout consiste à donner libre cours aux ambitions personnelles, comme si en accumulant les ambitions et les sécurités individuelles nous pouvions construire le bien commun.
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Amour universel qui promeut les personnesIl est quelque chose de fondamental et dessentiel à reconnaître pour progresser vers lamitié sociale et la fraternité universelle : réaliser combien vaut un être humain, combien vaut une personne, toujours et en toute circonstance. Si tous les hommes et femmes ont la même valeur, il faut dire clairement et fermement que « le seul fait dêtre né en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent dans une moindre dignité ».[81] Il sagit dun principe élémentaire de la vie sociale qui est souvent ignoré de différentes manières par ceux qui estiment quil napporte rien à leur vision du monde ni ne sert à leurs fins.
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Tout être humain a le droit de vivre dans la dignité et de se développer pleinement, et ce droit fondamental ne peut être nié par aucun pays. Il possède ce droit même sil nest pas très efficace, même sil est né ou a grandi avec des limites. Car cela ne porte pas atteinte à son immense dignité de personne humaine qui ne repose pas sur les circonstances mais sur la valeur de son être. Lorsque ce principe élémentaire nest pas préservé, il ny a davenir ni pour la fraternité ni pour la survie de lhumanité.
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Certaines sociétés acceptent en partie ce principe. Elles acceptent quil existe des possibilités pour tout le monde, mais en déduisent que tout dépend de chacun. Dans cette perspective partielle, il serait absurde de « sinvestir afin que ceux qui restent en arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la vie ».[82] Investir en faveur des personnes fragiles peut ne pas être rentable, cela peut impliquer moins defficacité. Cela requiert un État présent et actif ainsi que des institutions de la société civile qui, du fait quelles sont vraiment ordonnées dabord aux personnes et au bien commun, aillent au-delà de la liberté des mécanismes, axés sur lefficacité, de certains systèmes économiques, politiques ou idéologiques.
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Certains naissent dans des familles aisées, reçoivent une bonne éducation, grandissent en se nourrissant bien ou possèdent naturellement des capacités exceptionnelles. Ceux-là nauront sûrement pas besoin dun État actif et ne revendiqueront que la liberté. Mais évidemment, la même règle ne vaut pas pour une personne porteuse de handicap, pour quelquun qui est né dans une famille très pauvre, pour celui qui a bénéficié dune éducation de qualité inférieure et de ressources limitées en vue de soigner convenablement ses maladies. Si la société est régie principalement par les critères de liberté du marché et defficacité, il ny a pas de place pour eux et la fraternité est une expression romantique de plus.
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Cest un fait qu « une liberté économique seulement déclamée, tandis que les conditions réelles empêchent beaucoup de pouvoir y accéder concrètement [
] devient un discours contradictoire ».[83] Des termes comme liberté, démocratie ou fraternité se vident de leurs sens. Car la réalité, cest que « tant que notre système économique et social produira encore une seule victime et tant quil y aura une seule personne mise à lécart, la fête de la fraternité universelle ne pourra pas avoir lieu ».[84] Une société humaine et fraternelle est capable de veiller de manière efficace et stable à ce que chacun soit accompagné au cours de sa vie, non seulement pour subvenir à ses besoins fondamentaux, mais aussi pour pouvoir donner le meilleur de lui-même, même si son rendement nest pas le meilleur, même sil est lent, même si son efficacité nest pas exceptionnelle.
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La personne humaine, dotée de droits inaliénables, est de par sa nature même ouverte aux liens. Lappel à se transcender dans la rencontre avec les autres se trouve à la racine même de son être. Cest pourquoi « il convient de faire attention pour ne pas tomber dans des équivoques qui peuvent naître dun malentendu sur le concept de droits humains et de leur abus paradoxal. Il y a en effet aujourdhui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels je suis tenté de dire individualistes , qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (monás), toujours plus insensible. [
] Si le droit de chacun nest pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences ».[85]
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Promouvoir le bien moralNous naurons de cesse de le dire, le désir et la recherche du bien dautrui et de lhumanité tout entière impliquent également la recherche dune maturation des personnes et des sociétés dans les différentes valeurs morales qui conduisent à un développement humain intégral. Dans le Nouveau Testament, un fruit du Saint-Esprit (cf. Ga 5, 22) est désigné par le terme grec agazosúne. Il indique lattachement au bien, la recherche du bien. Mieux encore, cest la quête de ce qui est excellent, du meilleur pour les autres : leur maturation, leur croissance dans une vie saine, la promotion des valeurs et pas seulement le bien-être matériel. Il y a une expression latine analogue : bene-volentia, qui indique le fait de vouloir le bien de lautre. Cest un désir fort du bien, un penchant vers tout ce qui est bon et excellent, qui pousse à remplir la vie des autres de choses belles, sublimes et édifiantes.
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À ce sujet, je viens encore souligner avec tristesse que « depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de léthique, de la bonté, de la foi, de lhonnêteté. Lheure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi. Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres intérêts ».[86] Revenons à la promotion du bien, pour nous-mêmes et pour lhumanité tout entière, et nous progresserons ainsi ensemble vers une croissance authentique et intégrale. Chaque société doit veiller à ce que les valeurs soient transmises, car, autrement, légoïsme, la violence, la corruption sous leurs différentes formes, lindifférence et, finalement, une vie fermée à toute transcendance et emmurée dans les intérêts individuels sont véhiculés.
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La valeur de la solidaritéJe voudrais mettre en exergue la solidarité qui « comme vertu morale et attitude sociale, fruit de la conversion personnelle, exige un engagement dune multiplicité de sujets qui ont une responsabilité de caractère éducatif et formateur. Ma première pensée va aux familles, appelées à une mission éducative première et incontournable. Elles constituent le premier lieu où se vivent et se transmettent les valeurs de lamour et de la fraternité, de la convivialité et du partage, de lattention et du soin de lautre. Elles sont aussi le milieu privilégié pour la transmission de la foi, en commençant par ces simples gestes de dévotion que les mères enseignent à leurs enfants. Pour ce qui concerne les éducateurs et les formateurs qui, à lécole ou dans les différents centres de socialisation infantile et juvénile, ont la tâche exigeante déduquer des enfants et des jeunes, ils sont appelés à être conscients que leur responsabilité regarde les dimensions morales, spirituelles et sociales de la personne. Les valeurs de la liberté, du respect réciproque et de la solidarité peuvent être transmises dès le plus jeune âge. [...] Les agents culturels et des moyens de communication sociale ont aussi une responsabilité dans le domaine de léducation et de la formation, spécialement dans la société contemporaine, où laccès aux instruments dinformation et de communication est toujours plus répandu ».[87]
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En ces moments où tout semble se diluer et perdre consistance, il convient de recourir à la solidité[88] tirant sa source de la conscience que nous avons dêtre responsables de la fragilité des autres dans notre quête dun destin commun. La solidarité se manifeste concrètement dans le service qui peut prendre des formes très différentes de soccuper des autres. Servir, cest « en grande partie, prendre soin de la fragilité. Servir signifie prendre soin des membres fragiles de nos familles, de notre société, de notre peuple ». Dans cette tâche, chacun est capable de « laisser de côté, ses aspirations, ses envies, ses désirs de toute puissance, en voyant concrètement les plus fragiles. [...] Le service vise toujours le visage du frère, il touche sa chair, il sent sa proximité et même dans certains cas la souffre et cherche la promotion du frère. Voilà pourquoi, le service nest jamais idéologique, puisquil ne sert pas des idées, mais des personnes ».[89]
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En général, les laissés-pour-compte « pratiquent la solidarité si spéciale qui existe entre ceux qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oublié, ou tout au moins a très envie doublier. La solidarité est un mot qui ne plaît pas toujours ; je dirais que parfois, nous lavons transformé en un gros mot, on ne peut pas le prononcer ; mais cest un mot qui exprime beaucoup plus que certains gestes de générosité ponctuels. Cest penser et agir en termes de communauté, de priorité de la vie de tous sur lappropriation des biens de la part de certains. Cest également lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, de linégalité, du manque de travail, de terre et de logement, de la négation des droits sociaux et du travail. Cest faire face aux effets destructeurs de lEmpire de largent. [
] La solidarité, entendue dans son sens le plus profond, est une façon de faire lhistoire et cest ce que font les mouvements populaires ».[90]
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Lorsque nous parlons de protection de la maison commune quest la planète, nous nous référons à ce minimum de conscience universelle et de sens de sollicitude mutuelle qui peuvent encore subsister chez les personnes. En effet, si quelquun a de leau en quantité surabondante et malgré cela la préserve en pensant à lhumanité, cest quil a atteint un haut niveau moral qui lui permet de se transcender lui-même ainsi que son groupe dappartenance. Cela est merveilleusement humain ! Cette même attitude est nécessaire pour reconnaître les droits de tout être humain, même né ailleurs.
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Remettre laccent sur la fonction sociale de la propriétéLe monde existe pour tous, car nous tous, en tant quêtres humains, nous naissons sur cette terre avec la même dignité. Les différences de couleur, de religion, de capacités, de lieu de naissance, de lieu de résidence, et tant dautres différences, ne peuvent pas être priorisées ou utilisées pour justifier les privilèges de certains sur les droits de tous. Par conséquent, en tant que communauté, nous sommes appelés à veiller à ce que chaque personne vive dans la dignité et ait des opportunités appropriées pour son développement intégral.
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Au cours des premiers siècles de la foi chrétienne, plusieurs sages ont développé un sens universel dans leur réflexion sur le destin commun des biens créés.[91] Cela a amené à penser que si une personne ne dispose pas de ce qui est nécessaire pour vivre dignement, cest que quelquun dautre len prive. Saint Jean Chrysostome le résume en disant que « ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, cest les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs ».[92] Ou en dautres termes, comme la affirmé saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux ».[93]
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Je viens de nouveau faire miennes et proposer à tous quelques paroles de saint Jean-Paul II dont la force na peut-être pas été perçue : « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne ».[94] Dans ce sens, je rappelle que «la tradition chrétienne na jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée ».[95] Le principe de lusage commun des biens créés pour tous est le « premier principe de tout lordre éthico-social »[96] ; cest un droit naturel, originaire et prioritaire.[97] Tous les autres droits concernant les biens nécessaires à lépanouissement intégral des personnes, y compris celui de la propriété privée et tout autre droit « nen doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation »,[98] comme laffirmait saint Paul VI. Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés ; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société. Mais il arrive souvent que les droits secondaires se superposent aux droits prioritaires et originaires en les privant de toute portée pratique.
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Droits sans frontièresPersonne ne peut donc être exclu, peu importe où il est né, et encore moins en raison des privilèges dont jouissent les autres parce quils sont nés quelque part où existent plus de possibilités. Les limites et les frontières des États ne peuvent pas sopposer à ce que cela saccomplisse. Tout comme il est inacceptable quune personne ait moins de droits parce quelle est une femme, il est de même inacceptable que le lieu de naissance ou de résidence implique à lui seul quon ait moins de possibilités dune vie digne et de développement.
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Le développement ne doit pas être orienté vers laccumulation croissante au bénéfice de quelques-uns, mais doit assurer « les droits humains, personnels et sociaux, économiques et politiques, y compris les droits des nations et des peuples ».[99] Le droit de certains à la liberté dentreprise ou de marché ne peut se trouver au-dessus des droits des peuples et de la dignité des pauvres, pas plus quau-dessus du respect de lenvironnement, car « celui qui sapproprie quelque chose, cest seulement pour ladministrer pour le bien de tous ».[100]
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Certes, lactivité des entrepreneurs « est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous ».[101] Dieu nous promeut ; il attend de nous que nous exploitions les capacités quil nous a données et il a rempli lunivers de ressources. Dans ses desseins, « chaque homme est appelé à se développer »,[102] et cela comprend le développement des capacités économiques et technologiques daccroître les biens et daugmenter la richesse. Mais dans tous les cas, ces capacités des entrepreneurs, qui sont un don de Dieu, devraient être clairement ordonnées au développement des autres personnes et à la suppression de la misère, notamment par la création de sources de travail diversifiées. À côté du droit de propriété privée, il y a toujours le principe, plus important et prioritaire, de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et, par conséquent, le droit de tous à leur utilisation.[103]
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Les droits des peuplesLa conviction concernant la destination commune des biens de la terre doit sappliquer aujourdhui également aux pays, à leurs territoires et à leurs ressources. En considérant tout cela non seulement du point de vue de la légitimité de la propriété privée et des droits des citoyens dune nation déterminée, mais aussi à partir du principe premier de la destination commune des biens, nous pouvons alors affirmer que chaque pays est également celui de létranger, étant donné que les ressources dun territoire ne doivent pas être niées à une personne dans le besoin provenant dailleurs. En effet, comme lont enseigné les évêques des États-Unis, il existe des droits fondamentaux qui « précèdent toute société, car ils découlent de la dignité inhérente à chaque personne en tant que créature de Dieu ».[104]
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Cela suppose également une autre manière de comprendre les relations et les échanges entre les pays. Si toute personne a une dignité inaliénable, si chaque être humain est mon frère ou ma sur et si le monde appartient vraiment à tous, peu importe que quelquun soit né ici ou vive hors de son propre pays. Ma nation est également coresponsable de son développement, bien quelle puisse sacquitter de cette responsabilité de diverses manières : en laccueillant généreusement en cas de besoin urgent, en le soutenant dans son propre pays, en se gardant dutiliser ou de vider des pays entiers de leurs ressources naturelles par des systèmes corrompus qui entravent le développement digne des peuples. Ceci, qui vaut pour les nations, sapplique également aux différentes régions de chaque pays entre lesquelles il existe souvent de graves inégalités. Mais lincapacité à reconnaître une dignité humaine égale pour tous conduit parfois les régions les plus développées de certains pays à rêver de se libérer du fardeau des parties les plus pauvres pour augmenter davantage encore leur niveau de consommation.
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Nous parlons dun nouveau réseau dans les relations internationales, car il est impossible de résoudre les graves problèmes du monde en ne pensant quà des formes dentraide entre individus ou petits groupes. Souvenons-nous que « linégalité naffecte pas seulement les individus, mais aussi des pays entiers, et oblige à penser à une éthique des relations internationales ».[105] Et la justice exige que soient reconnus et respectés non seulement les droits individuels, mais aussi les droits sociaux et les droits des peuples.[106] Ce que nous disons implique que soit garanti « le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès »[107] qui est parfois gravement entravé par la pression exercée par la dette extérieure. Le service de la dette, dans bien des cas, non seulement ne favorise pas le développement mais le limite et le conditionne fortement. Restant ferme le principe selon lequel toute dette légitimement contractée est à payer, la manière dont de nombreux pays pauvres lhonorent envers les pays riches ne doit pas en arriver à compromettre leur survie et leur croissance.
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Il sagit, sans aucun doute, dune autre logique. Si lon nessaie pas dentrer dans cette logique, mes paroles auront lair de fantasmes. Mais si lon accepte le grand principe des droits qui découlent du seul fait de posséder la dignité humaine inaliénable, il est possible daccepter le défi de rêver et de penser à une autre humanité. On peut aspirer à une planète qui assure terre, toit et travail à tous. Cest le vrai chemin de la paix, et non la stratégie, dénuée de sens et à courte vue, de semer la peur ou la méfiance face aux menaces extérieures. En effet, une paix réelle et durable nest possible « quà partir dune éthique globale de solidarité et de coopération au service dun avenir façonné par linterdépendance et la coresponsabilité au sein de toute la famille humaine ».[108]
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