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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Le bonheur de reconnaître l’autre
Cela implique l’effort de reconnaître à l’autre le droit d’être lui-même et d’être différent. À partir de cette reconnaissance faite culture, l’élaboration d’un pacte social devient possible. Sans cette reconnaissance apparaissent des manières subtiles d’œuvrer pour que l’autre perde toute signification, qu’il devienne négligeable, qu’on ne lui reconnaisse aucune valeur dans la société. Derrière le rejet de certaines formes visibles de violence, se cache souvent une autre violence plus sournoise : celle de ceux qui méprisent toute personne différente, surtout quand ses revendications portent préjudice d’une manière ou d’une autre à leurs intérêts.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Quand un secteur de la société prétend profiter de tout ce qu’offre le monde, comme si les pauvres n’existaient pas, cela entraîne des conséquences à un moment ou à un autre. Ignorer l’existence et les droits des autres provoque, tôt ou tard, une certaine forme de violence, très souvent inattendue. Les rêves de liberté, d’égalité et de fraternité peuvent rester de pures formalités s’ils ne sont pas effectivement pour tous. Il ne s’agit donc pas seulement de rechercher la rencontre entre ceux qui détiennent diverses formes de pouvoir économique, politique ou universitaire. Une rencontre sociale réelle met véritablement en dialogue les grandes formes culturelles qui représentent la majeure partie de la population. Bien souvent, les bonnes intentions ne sont pas souscrites par les secteurs les plus pauvres, parce qu’elles se présentent sous un habillement culturel qui n’est pas le leur et avec lequel ils ne peuvent pas s’identifier. Par conséquent, un pacte social réaliste et inclusif doit être aussi un “pacte culturel” qui respecte et prenne en compte les diverses visions de l’univers, les diverses cultures et les divers modes de vie coexistant dans la société.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Par exemple, les peuples autochtones ne sont pas opposés au progrès, même s’ils ont une conception différente du progrès, souvent plus humaniste que celle de la culture moderne du monde développé. Ce n’est pas une culture orientée vers le bénéfice de ceux qui ont le pouvoir, de ceux qui ont besoin de créer une sorte de paradis éternel sur terre. L’intolérance et le mépris envers les cultures populaires indigènes est une véritable forme de violence propre aux élites dénuées de bonté qui vivent en jugeant les autres. Mais aucun changement authentique, profond et durable, n’est possible s’il ne se réalise à partir des diverses cultures, principalement celle des pauvres. Un pacte culturel suppose qu’on renonce à comprendre l’identité d’un endroit de manière monolithique et exige qu’on respecte la diversité en ouvrant à celle-ci des voies de promotion et d’intégration sociales.
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Ce pacte implique aussi qu’on accepte la possibilité de céder quelque chose pour le bien commun. Personne ne pourra détenir toute la vérité ni satisfaire la totalité de ses désirs, parce que cette prétention conduirait à vouloir détruire l’autre en niant ses droits. La recherche d’une fausse tolérance doit céder le pas au réalisme dialoguant de la part de ceux qui croient devoir être fidèles à leurs principes mais qui reconnaissent que l’autre aussi a le droit d’essayer d’être fidèle aux siens. Voilà la vraie reconnaissance de l’autre que seul l’amour rend possible et qui signifie se mettre à la place de l’autre pour découvrir ce qu’il y a d’authentique, ou au moins de compréhensible, dans ses motivations et intérêts !
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Retrouver la bienveillance
L’individualisme consumériste provoque beaucoup de violations. Les autres sont considérés comme de vrais obstacles à une douce tranquillité égoïste. On finit alors par les traiter comme des entraves et l’agressivité grandit. Cela s’accentue et atteint le paroxysme lors des crises, des catastrophes, dans les moments difficiles où l’esprit du “sauve qui peut” apparaît en pleine lumière. Il est cependant possible de choisir de cultiver la bienveillance. Certaines personnes le font et deviennent des étoiles dans l’obscurité.
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Saint Paul désignait un fruit de l’Esprit Saint par le terme grec jrestótes (Ga 5, 22) exprimant un état d’âme qui n’est pas âpre, rude, dur, mais bienveillant, suave, qui soutient et réconforte. La personne dotée de cette qualité aide les autres pour que leurs vies soient plus supportables, surtout quand elles ploient sous le poids des problèmes, des urgences et des angoisses. C’est une manière de traiter les autres qui se manifeste sous diverses formes telles que : la bienveillance dans le comportement, l’attention pour ne pas blesser par des paroles ou des gestes, l’effort d’alléger le poids aux autres. Cela implique qu’on dise « des mots d’encouragements qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent qui stimulent », au lieu de « paroles qui humilient, qui attristent, qui irritent, qui dénigrent ».[208]
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La bienveillance est une libération de la cruauté qui caractérise parfois les relations humaines, de l’anxiété qui nous empêche de penser aux autres, de l’empressement distrait qui ignore que les autres aussi ont le droit d’être heureux. Aujourd’hui, on n’a ni l’habitude ni assez de temps et d’énergies pour s’arrêter afin de bien traiter les autres, de dire “s’il te plait”, “pardon”, “merci”. Mais de temps en temps le miracle d’une personne aimable apparaît, qui laisse de côté ses anxiétés et ses urgences pour prêter attention, pour offrir un sourire, pour dire une parole qui stimule, pour rendre possible un espace d’écoute au milieu de tant d’indifférence. Cet effort, vécu chaque jour, est capable de créer une cohabitation saine qui l’emporte sur les incompréhensions et qui prévient les conflits. Cultiver la bienveillance n’est pas un détail mineur ni une attitude superficielle ou bourgeoise. Puisqu’elle suppose valorisation et respect, elle transfigure profondément le mode de vie, les relations sociales et la façon de débattre et de confronter les idées, lorsqu’elle devient culture dans une société. Elle facilite la recherche du consensus et ouvre des chemins là où l’exaspération détruit tout pont.
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SEPTIÈME CHAPITRE
DES PARCOURS POUR SE RETROUVER
En bien des endroits dans le monde, des parcours de paix qui conduisent à la cicatrisation des blessures sont nécessaires. Il faut des artisans de paix disposés à élaborer, avec intelligence et audace, des processus pour guérir et pour se retrouver.
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Repartir de la vérité
Se retrouver ne signifie pas retourner à un moment antérieur aux conflits. Nous avons tous changé avec le temps. La souffrance et les affrontements nous ont transformés. Par ailleurs, il n’y a plus de place pour les diplomaties vides, pour les faux-semblants, pour le double langage, pour les dissimulations, les bonnes manières qui cachent la réalité. Ceux qui se sont durement affrontés doivent dialoguer à partir de la vérité, claire et nue. Ils ont besoin d’apprendre à cultiver la mémoire pénitentielle, capable d’assumer le passé pour libérer l’avenir de ses insatisfactions, confusions et projections. Ce n’est qu’à partir de la vérité historique des faits qu’ils pourront faire l’effort, persévérant et prolongé, de se comprendre mutuellement et de tenter une nouvelle synthèse pour le bien de tous. La réalité, c’est que « le processus de paix est un engagement qui dure dans le temps. C’est un travail patient de recherche de la vérité et de la justice qui honore la mémoire des victimes et qui ouvre, pas à pas, à une espérance commune plus forte que la vengeance ».[209] Comme l’ont dit les évêques du Congo au sujet d’un conflit qui se répète, « des accords de paix sur le papier ne suffiront pas. Il faudra aller plus loin, en intégrant l’exigence de vérité sur les origines de cette crise récurrente. Le peuple a le droit de savoir ce qui s’est passé ».[210]
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En effet, « la vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Toutes les trois sont essentielles pour construire la paix et, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées. [...] La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais bien plutôt à la réconciliation et au pardon. La vérité, c’est dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus. […] Chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l’humanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes. […] La violence engendre la violence, la haine engendre plus de haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui paraît inéluctable ».[211]
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Architecture et artisanat de la paix
Le cheminement vers la paix n’implique pas l’homogénéisation de la société ; il nous permet par contre de travailler ensemble. Il peut unir un grand nombre de personnes en vue de recherches communes où tous sont gagnants. Face à un objectif commun déterminé, il est possible d’apporter diverses propositions techniques, différentes expériences et de travailler au bien commun. Il faut essayer de bien identifier les problèmes que traverse une société pour accepter qu’il existe diverses façons de voir les difficultés et de les résoudre. Le chemin vers une meilleure cohabitation implique toujours que soit reconnue la possibilité que l’autre fasse découvrir une perspective légitime, au moins en partie, quelque chose qui peut être pris en compte, même quand il s’est trompé ou a mal agi. En effet, « l’autre ne doit jamais être enfermé dans ce qu’il a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse qu’il porte en lui »,[212] promesse qui laisse toujours une lueur d’espérance.
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Comme l’ont enseigné les évêques sud-africains, la vraie réconciliation s’obtient de manière proactive, « en créant une nouvelle société fondée sur le service des autres plus que sur le désir de domination, une société fondée sur le partage avec les autres de ce que l’on possède plus que sur la lutte égoïste de chacun pour accumuler le plus de richesse possible ; une société dans laquelle la valeur d’être ensemble en tant qu’êtres humains prime incontestablement sur l’appartenance à tout autre groupe plus restreint, que ce soit la famille, la nation, la race ou la culture ».[213] Les évêques de la Corée du Sud ont signalé qu’une véritable paix « ne peut être obtenue que si nous luttons pour la justice à travers le dialogue, en recherchant la réconciliation et la croissance mutuelle ».[214]
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Le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre l’identité personnelle suppose qu’un sentiment fondamental d’appartenance demeure vivant en chacun. En effet, « notre société gagne quand chaque personne, chaque groupe social, se sent vraiment à la maison. Dans une famille, les parents, les grands-parents, les enfants sont de la maison ; personne n'est exclu. Si l’un d’eux a une difficulté, même grave, bien qu’il l'ait cherchée, les autres vont à son secours, le soutiennent ; sa douleur est partagée par tous. […] Dans les familles, tous contribuent au projet commun, tous travaillent pour le bien commun, mais sans annihiler chaque membre ; au contraire, ils le soutiennent, ils le promeuvent. Ils se querellent, mais il y a quelque chose qui ne change pas : ce lien familial. Les querelles de famille donnent lieu par la suite à des réconciliations. Les joies et les peines de chacun sont assumées par tous. Ça oui c’est être famille ! Si nous pouvions réussir à voir l'adversaire politique ou le voisin de maison du même œil que nos enfants, nos épouses, époux, nos pères ou nos mères, que ce serait bien ! Aimons-nous notre société ou bien continue-t-elle d’être quelque chose de lointain, quelque chose d’anonyme, qui ne nous implique pas, que nous ne portons en nous, qui ne nous engage pas ? ».[215]
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Bien souvent, il est fort nécessaire de négocier et par ce biais de développer des processus concrets pour la paix. Mais les processus efficaces d’une paix durable sont avant tout des transformations artisanales réalisées par les peuples, où chaque être humain peut être un ferment efficace par son mode de vie quotidien. Les grandes transformations ne sont pas produites dans des bureaux ou dans des cabinets. Par conséquent, « chacun joue un rôle fondamental, dans un unique projet innovant, pour écrire une nouvelle page de l’histoire, une page remplie d’espérance, remplie de paix, remplie de réconciliation ».[216] Il y a une “architecture” de la paix où interviennent les diverses institutions de la société, chacune selon sa compétence, mais il y a aussi un “artisanat” de la paix qui nous concerne tous. À partir de divers processus de paix réalisés en plusieurs endroits dans le monde, « nous avons appris que ces chemins de pacification, de primauté de la raison sur la vengeance, de délicate harmonie entre la politique et le droit, ne peuvent pas ignorer les cheminements des gens. On n’y arrive pas avec l’élaboration de cadres juridiques et d’arrangements institutionnels entre groupes politiques ou économiques de bonne volonté. […] De plus, il est toujours enrichissant d’introduire dans nos processus de paix l’expérience de secteurs qui, en de nombreuses occasions, ont été rendus invisibles, pour que ce soient précisément les communautés qui peignent elles-mêmes les processus de mémoire collective ».[217]
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Il n’y a pas de point final à la construction de la paix sociale d’un pays. Celle-ci est plutôt « une tâche sans répit qui exige l’engagement de tous. Travail qui nous demande de ne pas relâcher l’effort de construire l’unité de la nation et, malgré les obstacles, les différences et les diverses approches sur la manière de parvenir à la cohabitation pacifique, de persévérer dans la lutte afin de favoriser la culture de la rencontre qui exige de mettre au centre de toute action, sociale et économique, la personne humaine, sa très haute dignité et le respect du bien commun. Que cet effort nous fasse fuir toute tentation de vengeance et de recherche d’intérêts uniquement particuliers et à court terme ».[218] Les manifestations publiques violentes, d’un côté ou de l’autre, n’aident pas à trouver d’issues. Surtout parce que, comme l’ont bien souligné les évêques de Colombie, lorsque sont encouragées « des mobilisations citoyennes, leurs origines et leurs objectifs n’apparaissent pas toujours clairement ; il y a des genres de manipulations politiques et on a observé des appropriations en faveur d’intérêts particuliers ».[219]
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Surtout avec les derniers
La recherche de l’amitié sociale n’implique pas seulement le rapprochement entre groupes sociaux éloignés après une période conflictuelle dans l’histoire, mais aussi la volonté de se retrouver avec les secteurs les plus appauvris et vulnérables. « La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais l’engagement inlassable – surtout de la part de nous autres qui exerçons une charge liée à une plus grande responsabilité – de reconnaître, de garantir et de reconstruire concrètement la dignité, bien des fois oubliée ou ignorée, de nos frères, pour qu’ils puissent se sentir les principaux protagonistes du destin de leur Nation ».[220]
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Souvent, les derniers de la société ont été offensés par des généralisations injustes. Si parfois les plus pauvres et les exclus réagissent par des actes qui paraissent antisociaux, il est important de comprendre que ces réactions sont très souvent liées à une histoire de mépris et de manque d’inclusion sociale. Comme l’ont enseigné les évêques latino-américains, « ce n’est que la proximité avec les pauvres qui fait de nous leurs amis, qui nous permet d’apprécier profondément leurs valeurs actuelles, leurs légitimes désirs et leur manière propre de vivre la foi. L’option pour les pauvres doit nous conduire à l’amitié avec les pauvres ».[221]
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Ceux qui cherchent à pacifier la société ne doivent pas oublier que l’iniquité et le manque de développement humain intégral ne permettent pas de promouvoir la paix. En effet, « sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand la société – locale, nationale ou mondiale – abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre ou d’intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité ».[222] S’il s’avère nécessaire de recommencer, ce sera toujours à partir des derniers.
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La valeur et le sens du pardon
Certains préfèrent ne pas parler de réconciliation parce qu’ils pensent que le conflit, la violence et les ruptures font partie du fonctionnement normal d’une société. De fait, au sein de tout groupe humain, il y a des luttes de pouvoir plus ou moins subtiles entre différents secteurs. D’autres soutiennent qu’accorder de la place au pardon, c’est renoncer à sa propre place pour laisser d’autres dominer la situation. C’est pourquoi ils considèrent qu’il vaut mieux préserver un jeu de pouvoir qui permette de préserver un équilibre des forces entre les différents groupes. D’autres croient que la réconciliation est l’affaire des faibles qui ne sont pas capables d’un dialogue de fond et qui choisissent donc de fuir les difficultés en dissimulant les injustices. Incapables d’affronter les problèmes, ils font l’option d’une paix apparente.
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Le conflit inévitable
Le pardon et la réconciliation sont des thèmes fortement mis en exergue dans le christianisme et, de diverses manières, dans d’autres religions. Le risque, c’est de ne pas comprendre convenablement les convictions des croyants et de les présenter de telle sorte qu’elles finissent par alimenter le fatalisme, l’inertie ou l’injustice, ou alors l’intolérance et la violence.
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Jésus-Christ n’a jamais invité à fomenter la violence ou l’intolérance. Il condamnait ouvertement l’usage de la force pour s’imposer aux autres : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous » (Mt 20, 25-26). Par ailleurs, l’Évangile demande de pardonner « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22), et donne comme exemple le serviteur impitoyable qui, pardonné, n’a pas été capable, à son tour, de pardonner aux autres (cf. Mt 18, 23-35).
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Dans d’autres textes du Nouveau Testament, nous pouvons remarquer que, de fait, les communautés primitives, plongées dans un monde païen saturé de corruption et de dérives, avaient le sens de la patience, de la tolérance, de la compréhension. Certains textes sont très clairs à cet égard : on invite à reprendre les adversaires « avec douceur » (2 Tm 2, 25). On exhorte à « n’outrager personne, éviter les disputes, se montrer bienveillant, témoigner à tous les hommes une parfaite douceur. Car, nous aussi, nous étions naguère des insensés » (Tt 3, 2-3). Le livre des Actes des Apôtres affirme que les disciples, persécutés par certaines autorités, « avaient la faveur de tout le peuple » (2, 47 ; cf. 4, 21.23 ; 5, 13).
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Cependant, quand nous réfléchissons sur le pardon, la paix et la concorde sociale, nous nous trouvons face à une affirmation de Jésus-Christ qui nous surprend : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille » (Mt 10, 34-36). Il est important de situer cette affirmation dans le contexte du chapitre où elle se trouve. De toute évidence, le thème qui y est abordé est celui de la fidélité à un choix, sans honte, même si cela comporte des contrariétés, et même si des proches s’opposent au choix en question. Par conséquent, cette affirmation n’invite pas à rechercher les conflits, mais simplement à supporter le conflit inéluctable, pour que le respect humain ne conduise pas à s’écarter de la fidélité en vue d’une supposée paix familiale ou sociale. Saint Jean-Paul II a déclaré que l’Église « n’entend pas condamner tout conflit social sous quelque forme que ce soit : l’Église sait bien que les conflits d'intérêts entre divers groupes sociaux surgissent inévitablement dans l'histoire et que le chrétien doit souvent prendre position à leur sujet avec décision et cohérence ».[223]
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Les luttes légitimes et le pardon
Il ne s’agit pas de proposer un pardon en renonçant à ses droits devant un puissant corrompu, devant un criminel ou devant quelqu’un qui dégrade notre dignité. Nous sommes appelés à aimer tout le monde, sans exception. Mais aimer un oppresseur, ce n’est pas accepter qu’il continue d’asservir, ce n’est pas non plus lui faire penser que ce qu’il fait est admissible. Au contraire, l’aimer comme il faut, c’est œuvrer de différentes manières pour qu’il cesse d’opprimer, c’est lui retirer ce pouvoir qu’il ne sait pas utiliser et qui le défigure comme être humain. Pardonner ne veut pas dire lui permettre de continuer à piétiner sa propre dignité et celle de l’autre, ou laisser un criminel continuer à faire du mal. Celui qui subit une injustice doit défendre avec force ses droits et ceux de sa famille précisément parce qu’il doit préserver la dignité qui lui a été donnée, une dignité que Dieu aime. Si un malfaiteur m’a fait du tort, à moi ou à un être cher, personne ne m’interdit d’exiger justice et de veiller à ce que cette personne – ou toute autre – ne me nuise de nouveau ou ne fasse le même tort à d’autres. Il faut le faire, et le pardon non seulement n’annule pas cette nécessité, mais l’exige.
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L’essentiel, c’est de ne pas le faire pour nourrir une colère qui nuit à notre âme et à l’âme de notre peuple, ou par un besoin pathologique de détruire l’autre qui déclenche une course à la vengeance. Personne n’obtient la paix intérieure ni ne se réconcilie avec la vie de cette manière. La vérité, c’est qu’« aucune famille, aucun groupe de voisins ni aucune ethnie, encore moins aucun pays n’a d’avenir si le moteur qui unit, agrège et couvre les différences, [est] la vengeance et la haine. Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord et nous unir pour nous venger, pour perpétrer contre celui qui a été violent ce qu’il nous a fait, pour planifier des occasions de représailles sous des formes apparemment légales ».[224] On ne gagne rien ainsi, et, à la longue, on perd tout.
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Certes, « dépasser l’héritage amer d’injustices, d’hostilités et de défiance laissé par le conflit n’est pas une tâche facile. Cela ne peut être réalisé qu’en faisant vaincre le mal par le bien (100f. Rm 12, 21) et en cultivant les vertus qui promeuvent la réconciliation, la solidarité et la paix ».[225] De cette manière, à « celui qui la fait grandir en lui, la bonté donne une conscience tranquille, une joie profonde même au milieu des difficultés et des incompréhensions. Jusque dans les offenses subies, la bonté n’est pas faiblesse, mais vraie force capable de renoncer à la vengeance ».[226] Il faut également que je reconnaisse à mon niveau que le jugement sévère que je porte dans mon cœur contre mon frère et ma sœur, cette cicatrice jamais refermée, cette offense jamais pardonnée, cette rancœur qui ne peut que me nuire, que tout cela est un nouvel épisode de la guerre en moi, un feu dans mon cœur qu’il faut éteindre avant qu’il ne s’embrase.[227]
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La vraie victoire
Quand les conflits ne sont pas résolus mais plutôt dissimulés ou enterrés dans le passé, il y a des silences qui peuvent être synonymes de complicité avec des erreurs et des péchés graves. Mais la vraie réconciliation, loin de fuir le conflit, se réalise plutôt dans le conflit, en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente. La lutte entre divers secteurs, « si elle renonce aux actes d’hostilité et à la haine mutuelle, se change peu à peu en une légitime discussion d’intérêts, fondée sur la recherche de la justice ».[228]
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À plusieurs reprises, j’ai proposé « un principe indispensable pour construire l’amitié sociale : l’unité est supérieure au conflit. […] Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition ».[229] Nous le savons parfaitement, « chaque fois que, en tant que personnes et communautés, nous apprenons à viser plus haut que nous-mêmes et que nos intérêts particuliers, la compréhension et l’engagement réciproques se transforment […] en un domaine où les conflits, les tensions et aussi ceux qui auraient pu se considérer comme des adversaires par le passé, peuvent atteindre une unité multiforme qui engendre une nouvelle vie ».[230]
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La mémoire
On ne doit pas exiger une sorte de “pardon social” de la part de celui qui a beaucoup souffert injustement et cruellement. La réconciliation est un fait personnel, et personne ne peut l’imposer à l’ensemble d’une société, même si elle doit être promue. Dans le domaine strictement personnel, par une décision libre et généreuse, quelqu’un peut renoncer à exiger un châtiment (cf. Mt 5, 44-46), même si la société et sa justice le demandent légitimement. Mais il n’est pas possible de décréter une “réconciliation générale” en prétendant refermer par décret les blessures ou couvrir les injustices d’un manteau d’oubli. Qui peut s’arroger le droit de pardonner au nom des autres ? Il est émouvant de voir la capacité de pardon de certaines personnes qui ont su aller au-delà du mal subi, mais il est aussi humain de comprendre ceux qui ne peuvent pas le faire. Dans tous les cas, ce qui ne doit jamais être proposé, c’est l’oubli.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
La Shoa ne doit pas être oubliée. Elle est le « symbole du point où peut arriver la méchanceté de l’homme quand, fomentée par de fausses idéologies, il oublie la dignité fondamentale de chaque personne qui mérite un respect absolu quel que soit le peuple auquel elle appartient et la religion qu’elle professe ».[231] Pour la rappeler, je ne peux pas ne pas répéter cette prière : « Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie. Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! ».[232]
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