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Fratelli tutti/Eglise Catholique
QUATRIÈME CHAPITREUN CUR OUVERT AU MONDESi laffirmation selon laquelle tous en tant quêtres humains nous sommes frères et surs nest pas seulement une abstraction mais devient réalité et se concrétise, cela nous met face à une série de défis qui nous bouleversent, nous obligent à envisager de nouvelles perspectives et à développer de nouvelles réactions.
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La limite des frontièresLorsque le prochain est une personne migrante, des défis complexes sentremêlent.[109] Certes, lidéal serait déviter les migrations inutiles et pour y arriver, il faudrait créer dans les pays dorigine la possibilité effective de vivre et de grandir dans la dignité, de sorte que sur place les conditions pour le développement intégral de chacun puissent se réunir. Mais quand des progrès notables dans ce sens manquent, il faut respecter le droit de tout être humain de trouver un lieu où il puisse non seulement répondre à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille, mais aussi se réaliser intégralement comme personne. Nos efforts vis-à-vis des personnes migrantes qui arrivent peuvent se résumer en quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. En effet, « il ne sagit pas dimposer den haut des programmes dassistance, mais daccomplir ensemble un chemin à travers ces quatre actions, pour construire des villes et des pays qui, tout en conservant leurs identités culturelles et religieuses respectives, soient ouvertes aux différences et sachent les valoriser sous le signe de la fraternité humaine ».[110]
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Cela implique des réponses indispensables, notamment face à ceux qui fuient de graves crises humanitaires. Par exemple : augmenter et simplifier loctroi des visas, adopter des programmes de parrainage privé et communautaire, ouvrir des couloirs humanitaires pour les réfugiés les plus vulnérables, offrir un logement approprié et décent, garantir la sécurité personnelle et laccès aux services essentiels, assurer une assistance consulaire appropriée, garantir leur droit davoir toujours des documents personnels didentité, un accès équitable à la justice, la possibilité douvrir des comptes bancaires et davoir ce qui est essentiel pour leur subsistance vitale, leur donner la liberté de mouvement et la possibilité de travailler, protéger les mineurs et leur assurer laccès régulier à léducation, envisager des programmes de garde provisoire ou daccueil, garantir la liberté religieuse, promouvoir linsertion sociale, favoriser le regroupement familial et préparer les communautés locales aux processus dintégration.[111]
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Il est important dappliquer aux migrants arrivés depuis quelque temps et intégrés à la société le concept de citoyenneté qui « se base sur légalité des droits et des devoirs à lombre de laquelle tous jouissent de la justice. Cest pourquoi il est nécessaire de sengager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à lusage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment disolement et de linfériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant ».[112]
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Au-delà des différentes actions indispensables, les États ne peuvent pas trouver tout seuls des solutions adéquates « car les conséquences des choix de chacun retombent inévitablement sur la Communauté internationale tout entière ». Par conséquent, « les réponses pourront être seulement le fruit dun travail commun »,[113] en élaborant une législation (gouvernance) globale pour les migrations. De toute façon, « il convient détablir des projets à moyen et à long terme qui aillent plus loin que la réponse durgence. Ceux-ci devraient dun côté aider effectivement lintégration des migrants dans les pays daccueil, et en même temps favoriser le développement des pays de provenance par des politiques solidaires, mais qui ne soumettent pas les aides à des stratégies et à des pratiques idéologiquement étrangères ou contraires aux cultures des peuples auxquels elles sadressent ».[114]
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Les dons réciproquesLarrivée de personnes différentes, provenant dun autre contexte de vie et de culture, devient un don, parce que « les histoires des migrants sont aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les communautés et les sociétés daccueil, ils représentent une opportunité denrichissement et de développement humain intégral de tous ».[115] Cest pourquoi « je demande en particulier aux jeunes de ne pas se laisser enrôler dans les réseaux de ceux qui veulent les opposer à dautres jeunes qui arrivent dans leurs pays, en les présentant comme des êtres dangereux et comme sils nétaient pas dotés de la même dignité inaliénable propre à chaque être humain ».[116]
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Dautre part, lorsquon accueille lautre de tout cur, on lui permet dêtre lui-même tout en lui offrant la possibilité dun nouveau développement. Les cultures différentes, qui ont développé leur richesse au cours des siècles, doivent être préservées afin que le monde ne soit pas appauvri. Il faut cependant les stimuler à faire jaillir quelque chose de nouveau dans la rencontre avec dautres réalités. On ne peut pas ignorer le risque de se retrouver victime dune sclérose culturelle. Voilà pourquoi « nous avons besoin de communiquer, de découvrir les richesses de chacun, de valoriser ce qui nous unit et de regarder les différences comme des possibilités de croissance dans le respect de tous. Un dialogue patient et confiant est nécessaire, en sorte que les personnes, les familles et les communautés puissent transmettre les valeurs de leur propre culture et accueillir le bien provenant de lexpérience des autres ».[117]
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Je reprends des exemples que jai donnés il y a quelque temps : la culture des latinos est « un ferment de valeurs et de possibilités qui peut faire beaucoup de bien aux États Unis. [
] Une forte immigration finit toujours par marquer et transformer la culture locale. En Argentine, la forte immigration italienne a marqué la culture de la société, et parmi les traits culturels de Buenos Aires la présence denviron deux cent mille Juifs prend un relief important. Les migrants, si on les aide à sintégrer, sont une bénédiction, une richesse et un don qui invitent une société à grandir ».[118]
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En élargissant le regard, le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons rappelé que « la relation entre Occident et Orient est une indiscutable et réciproque nécessité, qui ne peut pas être substituée ni non plus délaissée, afin que tous les deux puissent senrichir réciproquement de la civilisation de lautre, par léchange et le dialogue des cultures. LOccident pourrait trouver dans la civilisation de lOrient des remèdes pour certaines de ses maladies spirituelles et religieuses causées par la domination du matérialisme. Et lOrient pourrait trouver dans la civilisation de lOccident beaucoup déléments qui pourraient laider à se sauver de la faiblesse, de la division, du conflit et du déclin scientifique, technique et culturel. Il est important de prêter attention aux différences religieuses, culturelles et historiques qui sont une composante essentielle dans la formation de la personnalité, de la culture et de la civilisation orientale; et il est important de consolider les droits humains généraux et communs, pour contribuer à garantir une vie digne pour tous les hommes en Orient et en Occident, en évitant lusage de la politique de la double mesure ».[119]
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Léchange fécondLes apports mutuels entre les pays, en réalité, finissent par profiter à tous. Un pays qui progresse à partir de son substrat culturel original est un trésor pour lhumanité tout entière. Il faut développer cette conscience quaujourdhui ou bien nous nous sauvons tous ou bien personne ne se sauve. La pauvreté, la décadence, les souffrances, où que ce soit dans le monde, sont un terreau silencieux pour les problèmes qui finiront par affecter toute la planète. Si la disparition de certaines espèces nous préoccupe, nous devrions nous inquiéter du fait quil y a partout des personnes et des peuples qui nexploitent pas leur potentiel ni leur beauté, à cause de la pauvreté ou dautres limites structurelles, car cela finit par nous appauvrir tous.
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Si cela a toujours été vrai, aujourdhui ce lest plus que jamais, en raison de la réalité dun monde très connecté par la globalisation. Nous avons besoin dun ordre juridique, politique et économique mondial « susceptible daccroître et dorienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples ».[120] Cela profitera finalement à la planète entière parce que « laide au développement des pays pauvres » entraîne la « création de richesse pour tous ».[121] Du point de vue du développement intégral, cela suppose quil faut également accorder « aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes »[122] et quon sefforce « de favoriser laccès au marché international de la part des pays marqués par la pauvreté et le sous-développement ».[123]
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Une gratuité qui accueilleCependant, je ne voudrais pas limiter cette approche à un genre dutilitarisme. La gratuité existe. Cest la capacité de faire certaines choses uniquement parce quelles sont bonnes en elles-mêmes, sans attendre aucun résultat positif, sans attendre immédiatement quelque chose en retour. Cela permet daccueillir létranger même si, pour le moment, il napporte aucun bénéfice tangible. Mais certains pays souhaitent naccueillir que les chercheurs ou les investisseurs.
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Celui qui ne vit pas la gratuité fraternelle fait de son existence un commerce anxieux ; il est toujours en train de mesurer ce quil donne et ce quil reçoit en échange. Dieu, en revanche, donne gratuitement au point daider même ceux qui ne sont pas fidèles, et « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45). Ce nest pas pour rien que Jésus recommande : « Pour toi, quand tu fais laumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète » (Mt 6, 3-4). Nous avons reçu la vie gratuitement, nous navons pas payé pour lavoir. Alors nous pouvons tous donner sans rien attendre en retour, faire du bien sans exiger autant de cette personne quon aide. Cest ce que Jésus disait à ses disciples : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8).
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La vraie qualité des différents pays du monde se mesure par cette capacité de penser non seulement comme pays mais aussi comme famille humaine, et cela se prouve particulièrement dans les moments critiques. Les nationalismes fondés sur le repli sur soi traduisent en définitive cette incapacité de gratuité, lerreur de croire quon peut se développer à côté de la ruine des autres et quen se fermant aux autres on est mieux protégé. Le migrant est vu comme un usurpateur qui noffre rien. Ainsi, on arrive à penser naïvement que les pauvres sont dangereux ou inutiles et que les puissants sont de généreux bienfaiteurs. Seule une culture sociale et politique, qui prend en compte laccueil gratuit, pourra avoir de lavenir.
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Local et universelIl convient de rappeler qu« entre la globalisation et la localisation se produit aussi une tension. Il faut prêter attention à la dimension globale pour ne pas tomber dans une mesquinerie quotidienne. En même temps, il ne faut pas perdre de vue ce qui est local, ce qui nous fait marcher les pieds sur terre. Lunion des deux empêche de tomber dans lun de ces deux extrêmes : lun, que les citoyens vivent dans un universalisme abstrait et globalisant. [
] Lautre, quils se transforment en un musée folklorique dermites renfermés, condamnés à répéter toujours les mêmes choses, incapables de se laisser interpeller par ce qui est différent, dapprécier la beauté que Dieu répand hors de leurs frontières ».[124] Il faut considérer ce qui est global, qui nous préserve de lesprit de clocher. Lorsque la maison nest plus un foyer, mais une prison, un cachot, ce qui est global nous sauve parce quil est comme la cause finale qui nous conduit vers la plénitude. En même temps, il faut avec soin prendre en compte ce qui est local, parce quil a quelque chose que ne possède pas ce qui est global : le fait dêtre la levure, denrichir, de mettre en marche les mécanismes de subsidiarité. Par conséquent, la fraternité universelle et lamitié sociale constituent partout deux pôles inséparables et coessentiels. Les séparer entraîne une déformation et une polarisation préjudiciables.
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La saveur localeLa solution ne réside pas dans une ouverture qui renonce à son trésor propre. Tout comme il nest pas de dialogue avec lautre sans une identité personnelle, de même il ny a douverture entre les peuples quà partir de lamour de sa terre, de son peuple, de ses traits culturels. Je ne rencontre pas lautre si je ne possède pas un substrat dans lequel je suis ancré et enraciné, car cest de là que je peux accueillir le don de lautre et lui offrir quelque chose dauthentique. Il nest possible daccueillir celui qui est différent et de recevoir son apport original que dans la mesure où je suis ancré dans mon peuple, avec sa culture. Chacun aime et prend soin de sa terre avec une attention particulière et se soucie de son pays, tout comme chacun doit aimer et prendre soin de sa maison pour quelle ne sécroule pas, car les voisins ne le feront pas. Le bien de lunivers exige également que chacun protège et aime sa propre terre. Autrement, les conséquences du désastre dun pays finiront par affecter la planète tout entière. Cela se fonde sur le sens positif du droit de propriété : je protège et je cultive quelque chose que je possède, de telle sorte que cela puisse être une contribution au bien de tous.
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En outre, il sagit dun présupposé pour des échanges sains et enrichissants. Larrière-plan de lexpérience de la vie dans un milieu et une culture déterminés est ce qui permet à quelquun de percevoir des aspects de la réalité, alors que ceux qui nont pas cette expérience sont incapables de les saisir avec la même facilité. Luniversel ne doit pas être lempire homogène, uniforme et standardisé dune forme culturelle dominante unique qui finalement fera perdre au polyèdre ses couleurs et aboutira à la lassitude. Cest la tentation exprimée dans le récit antique de la tour de Babel : la construction dune tour qui puisse atteindre le ciel nexprimait pas lunité entre les différents peuples à même de communiquer à partir de leur diversité. Cétait plutôt une tentative malavisée, née de lorgueil et de lambition, de créer une unité différente de celle voulue par Dieu dans son plan providentiel pour les nations (cf. Gn 11, 1-9).
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Il y a une fausse ouverture à luniversel procédant de la superficialité vide de celui qui nest pas capable de pénétrer à fond les réalités de sa patrie, ou bien de celui qui nourrit un ressentiment quil na pas surmonté envers son peuple. Dans tous les cas, « il faut toujours élargir le regard pour reconnaître un bien plus grand qui sera bénéfique à tous. Mais il convient de le faire sans sévader, sans se déraciner. Il est nécessaire denfoncer ses racines dans la terre fertile et dans lhistoire de son propre lieu, qui est un don de Dieu. On travaille sur ce qui est petit, avec ce qui est proche, mais dans une perspective plus large. [
] Ce nest ni la sphère globale, qui annihile, ni la partialité isolée, qui rend stérile »,[125] cest le polyèdre où, en même temps que chacun est respecté dans sa valeur, « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ».[126]
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Lhorizon universelLes narcissismes, obsédés par le particularisme local, ne sont pas un amour sain de son peuple et de sa culture. Ils cachent un esprit étriqué qui, à cause dune certaine insécurité et par peur de lautre, préfère créer des remparts pour se protéger. Or il nest pas possible dêtre local de manière saine sans une ouverture sincère et avenante à luniversel, sans se laisser interpeler par ce qui se passe ailleurs, sans se laisser enrichir par dautres cultures ou sans se solidariser avec les drames des autres peuples. Ce particularisme local se recroqueville dune manière obsessive sur quelques idées, coutumes et sécurités, incapable dadmiration devant la multitude de possibilités et de beautés que le monde tout entier offre, et dépourvu dune solidarité authentique et généreuse. Ainsi, la vie locale nest plus authentiquement réceptive, elle ne se laisse plus compléter par lautre ; elle est par conséquent limitée quant à ses possibilités de développement, devient statique et dépérit. Car au fond toute culture saine est ouverte et accueillante par nature, de telle sorte qu« une culture sans valeurs universelles nest pas une vraie culture ».[127]
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Reconnaissons que moins une personne a une ouverture desprit et de cur, moins elle pourra interpréter la réalité environnante dans laquelle elle se trouve. Sans relation et sans contraste avec celui qui est différent, il est difficile de se comprendre de façon claire et complète soi-même ainsi que son propre pays, puisque les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine. En se regardant soi-même par rapport au point de référence de lautre, de celui qui est différent, chacun peut mieux reconnaître les particularités de sa personne et de sa culture : leurs richesses, leurs possibilités et leurs limites. Lexpérience qui se réalise à un endroit doit être développée en contraste et en syntonie avec les expériences des autres qui vivent dans des contextes culturels distincts.[128]
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En réalité, une ouverture saine ne porte jamais atteinte à lidentité. Car en senrichissant avec des éléments venus dailleurs, une culture vivante ne copie pas ou ne reçoit pas simplement mais intègre les nouveautés à sa façon. Cela donne naissance à une nouvelle synthèse qui profite finalement à tous, parce que la culture doù proviennent ces apports finit par être alimentée en retour. Cest pourquoi jai exhorté les peuples autochtones à prendre soin de leurs racines et de leurs cultures ancestrales, mais jai tenu à clarifier que « mon intention nest [
] pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage », puisque « la propre identité culturelle sapprofondit et senrichit dans le dialogue avec les différences, et le moyen authentique de la conserver nest pas un isolement qui appauvrit ».[129] Le monde croît et se remplit dune beauté nouvelle grâce à des synthèses successives qui se créent entre des cultures ouvertes, en dehors de toute imposition culturelle.
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Pour stimuler une saine relation entre lamour de la patrie et lintégration cordiale dans lhumanité vue dans sa totalité, il est bon de rappeler que la communauté mondiale nest pas le résultat de la somme des pays distincts, mais la communion même qui existe entre eux, linclusion mutuelle qui est antérieure à lapparition de tout groupe particulier. Chaque groupe humain sintègre dans ce réseau de communion universelle qui trouve là sa beauté. De ce fait, chaque personne qui naît dans un contexte déterminé sait quelle appartient à une famille plus grande sans laquelle il est impossible de se comprendre pleinement.
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Cette approche suppose en définitive quon accepte sans réserve quaucun peuple, tout comme aucune culture ou personne, ne peut tout obtenir de lui-même. Les autres sont constitutivement nécessaires pour la construction dune vie épanouie. La conscience davoir des limites ou de nêtre pas parfait, loin de constituer une menace, devient lélément-clé pour rêver et élaborer un projet commun. Car « lhomme est tout autant lêtre-frontière qui na pas de frontière ».[130]
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À partir de la région de chacunGrâce à léchange régional par lequel les pays les plus faibles souvrent au monde entier, luniversalité peut préserver les particularités. Une ouverture adéquate et authentique au monde suppose la capacité de souvrir au prochain, dans une famille des nations. Lintégration culturelle, économique et politique avec les peuples voisins devrait être accompagnée dun processus éducatif qui promeuve la valeur de lamour du prochain, premier exercice indispensable pour obtenir une intégration universelle saine.
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Dans certains quartiers populaires, où chacun ressent spontanément le devoir daccompagner et daider le voisin, survit encore lesprit de voisinage. Dans ces endroits qui préservent ces valeurs communautaires, on entretient des relations de proximité caractérisées par la gratuité, la solidarité et la réciprocité, à partir du sens dun nous de quartier.[131] Puisse cela se vivre également entre les pays voisins, afin quils soient capables de construire des relations cordiales de voisinage entre leurs peuples ! Mais les visions individualistes se manifestent dans les relations entre pays. Le danger de vivre en se méfiant les uns des autres, en considérant les autres comme de dangereux concurrents ou ennemis, en vient à affecter les relations entre les peuples dune même région. Peut-être avons-nous été éduqués dans cette peur et dans cette méfiance !
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Certaines nations puissantes et de grandes entreprises profitent de cet isolement et préfèrent négocier avec chaque pays séparément. En revanche, pour les pays petits ou pauvres souvre la possibilité de conclure avec leurs voisins des accords régionaux qui leur permettent de négocier en bloc et déviter de devenir des segments marginaux et dépendants des grandes puissances. Aujourdhui aucun État national isolé nest en mesure dassurer le bien commun de sa population.
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CINQUIÈME CHAPITRELA MEILLEURE POLITIQUEUne meilleure politique, mise au service du vrai bien commun, est nécessaire pour permettre le développement dune communauté mondiale, capable de réaliser la fraternité à partir des peuples et des nations qui vivent lamitié sociale. Au contraire, malheureusement, la politique prend souvent aujourdhui des formes qui entravent la marche vers un monde différent.
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Populismes et libéralismesLe mépris des faibles peut se cacher sous des formes populistes, qui les utilisent de façon démagogique à leurs fins, ou sous des formes libérales au service des intérêts économiques des puissants. Dans les deux cas, on perçoit des difficultés à penser un monde ouvert où il y ait de la place pour tout le monde, qui intègre les plus faibles et qui respecte les différentes cultures.
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Populaire ou populisteAu cours des dernières années, le terme populisme ou populiste a envahi les médias et le langage en général. Il perd ainsi la valeur quil pourrait avoir et devient lune des polarités de la société divisée, à telle enseigne quon prétend classer toutes les personnes, les groupes, les sociétés et les gouvernements à partir dune division binaire : populiste ou non populiste. Il nest plus possible quune personne exprime son opinion sur un thème sans quon essaye de la classer dans lun des deux camps, parfois pour la discréditer injustement ou pour lexalter à lexcès.
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La prétention détablir le populisme comme une grille de lecture de la réalité sociale a une autre faiblesse : elle ignore la légitimité de la notion de peuple. La tentative de faire disparaître du langage cette catégorie pourrait conduire à éliminer le terme même de démocratie cest-à-dire le gouvernement du peuple . Même si on ne veut pas affirmer que la société est plus que la simple somme des individus, on a besoin du vocable peuple. La réalité, cest quil y a des phénomènes sociaux qui structurent les majorités, quil existe des mégatendances et des prospections communautaires. On peut également penser aux objectifs communs, au-delà des différences, pour façonner un projet commun. Enfin, il est très difficile de projeter quelque chose de grand à long terme si cela ne devient pas un rêve collectif. Tout cela est exprimé par le substantif peuple et par ladjectif populaire. Sils nétaient pas pris en compte avec une critique solide de la démagogie , on laisserait de côté un aspect fondamental de la réalité sociale.
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