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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Cela crée l’urgence de résoudre toutes les questions qui portent atteinte aux droits humains fondamentaux. Les hommes politiques sont appelés à « prendre soin de la fragilité, de la fragilité des peuples et des personnes. Prendre soin de la fragilité veut dire force et tendresse, lutte et fécondité, au milieu d’un modèle fonctionnaliste et privatisé qui conduit inexorablement à la “culture du déchet”. [… Cela] signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité ».[185] On crée ainsi, bien entendu, une activité intense, car « tout doit […] être fait pour sauvegarder le statut et la dignité de la personne humaine ».[186] Le dirigeant politique est un homme d’action, un constructeur porteur de grands objectifs, doté d’une vision large, réaliste et pragmatique, qui va même au-delà de son propre pays. Les préoccupations majeures d’un homme politique ne devraient pas être celles causées par une chute dans les sondages, mais par le fait de ne pas résoudre effectivement « le phénomène de l’exclusion sociale et économique, avec ses tristes conséquences de traites d’êtres humains, de commerce d’organes et de tissus humains, d’exploitation sexuelle d’enfants, de travail d’esclave – y compris la prostitution –, de trafic de drogues et d’armes, de terrorisme et de crime international organisé. L’ampleur de ces situations et le nombre de vies innocentes qu’elles sacrifient sont tels que nous devons éviter toute tentation de tomber dans un nominalisme de déclarations à effet tranquillisant sur les consciences. Nous devons veiller à ce que nos institutions soient réellement efficaces dans la lutte contre tous ces fléaux ».[187] On le fait en se servant intelligemment des moyens importants offerts par le progrès technologique.
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Nous sommes encore loin d’une mondialisation des droits humains les plus fondamentaux. C’est pourquoi la politique mondiale ne peut se passer de classer l’éradication efficace de la faim parmi ses objectifs primordiaux et impérieux. En effet, « lorsque la spéculation financière conditionne le prix des aliments, en les traitant comme une marchandise quelconque, des millions de personnes souffrent et meurent de faim. De l’autre côté, on jette des tonnes de nourriture. Cela est un véritable scandale. La faim est un crime. L’alimentation est un droit inaliénable ».[188] Souvent plongés dans des discussions sémantiques ou idéologiques, nous permettons qu’il y ait encore aujourd’hui des frères et des sœurs qui meurent de faim ou de soif, sans un toit ou sans accès aux soins de santé. Outre ces besoins élémentaires non satisfaits, la traite des personnes est une autre honte pour l’humanité, que la politique internationale ne devrait pas continuer à tolérer, au-delà des discours et des bonnes intentions. Ils constituent un minimum urgent.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Amour qui intègre et rassemble
La charité politique s’exprime aussi par l’ouverture à tous les hommes. Principalement, celui qui a la charge de gouverner est appelé à des renoncements permettant la rencontre ; et il recherche la convergence, au moins sur certaines questions. Il sait écouter le point de vue de l’autre, faisant en sorte que tout le monde ait de l’espace. Par des renoncements et de la patience, un gouvernant peut aider à créer ce magnifique polyèdre où tout le monde trouve une place. En cela, les négociations de nature économique ne fonctionnent pas. C’est quelque chose de plus ; il s’agit d’un échange de dons en faveur du bien commun. Cela semble une utopie naïve, mais nous ne pouvons pas renoncer à cet objectif très noble.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Alors que nous voyons toutes sortes d’intolérances fondamentalistes détériorer les relations entre les personnes, les groupes et les peuples, vivons et enseignons la valeur du respect, l’amour capable d’assumer toute différence, la priorité de la dignité de tout être humain sur ses idées, ses sentiments, ses pratiques, voire sur ses péchés, quels qu’ils soient ! Pendant que, dans la société actuelle, les fanatismes, les logiques de repli sur soi ainsi que la fragmentation sociale et culturelle prolifèrent, un bon responsable politique fait le premier pas pour que les différentes voix se fassent entendre. Certes, les différences créent des conflits, mais l’uniformité génère l’asphyxie et fait que nous nous étouffons culturellement. Ne nous résignons pas à vivre enfermés dans un fragment de la réalité !
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Dans ce contexte, je voudrais rappeler que le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons demandé « aux artisans de la politique internationale et de l’économie mondiale, de s’engager sérieusement pour répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix ; d’intervenir, dès que possible, pour arrêter l’effusion de sang innocent ».[189] Et lorsqu’une politique donnée sème la haine ou la peur envers d’autres nations au nom du bien d’un pays, il faut s’alarmer, réagir à temps et changer immédiatement de cap.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Plus de fécondité que de succès
En même temps qu’il exerce inlassablement cette activité, tout homme politique est aussi un être humain. Il est appelé à vivre l’amour dans ses relations interpersonnelles quotidiennes. Il est une personne et il lui faut se rendre compte que « le monde moderne tend de plus en plus à rationaliser la satisfaction des besoins humains qui ont été étiquetés et répartis entre des services divers. De moins en moins on appelle un homme par son nom propre, de moins en moins il sera traité comme une personne, cet être unique au monde, qui a un cœur, ses souffrances à lui, ses problèmes, ses joies, et une famille qui n’est pas celle des autres. On connaîtra seulement ses maladies pour les soigner, ses manques d’argent pour y pourvoir, sa nécessité d’un toit pour le loger, ses besoins de détente de loisirs pour les organiser ». Mais « ce n’est pas perdre son temps que d’aimer le plus petit des hommes comme un frère, comme s’il était seul au monde ».[190]
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En politique il est aussi possible d’aimer avec tendresse. « Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se fait proche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles, aux mains. […] La tendresse est le chemin à suivre par les femmes et les hommes les plus forts et les plus courageux ».[191] Dans l’activité politique, « les plus petits, les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse. Ils ont le droit de prendre possession de notre âme, de notre cœur. Oui, ils sont nos frères et nous devons les traiter comme tels ».[192]
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Cela nous aide à reconnaître qu’il ne s’agit pas toujours d’obtenir de grands succès, qui parfois sont impossibles. Dans l’activité politique, il faut se rappeler qu’« au-delà de toute apparence, chaque être est infiniment sacré et mérite notre affection et notre dévouement. C’est pourquoi, si je réussis à aider une seule personne à vivre mieux, cela justifie déjà le don de ma vie. C’est beau d’être un peuple fidèle de Dieu. Et nous atteignons la plénitude quand nous brisons les murs, pour que notre cœur se remplisse de visages et de noms ! ».[193] Les grands objectifs rêvés dans les stratégies ne sont que partiellement atteints. Mais au-delà, celui qui aime et qui a cessé de comprendre la politique comme une simple recherche de pouvoir « est sûr qu’aucune de ses œuvres faites avec amour ne sera perdue, ni aucune de ses préoccupations sincères pour les autres, ni aucun de ses actes d’amour envers Dieu, ni aucune fatigue généreuse, ni aucune patience douloureuse. Tout cela envahit le monde, comme une force de vie ».[194]
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D’autre part, il y a une grande noblesse dans le fait d’être capable d’initier des processus dont les fruits seront recueillis par d’autres, en mettant son espérance dans les forces secrètes du bien qui est semé. La bonne politique unit l’amour, l’espérance, la confiance dans les réserves de bien qui se trouvent dans le cœur du peuple, en dépit de tout. C’est pourquoi « la vie politique authentique, qui se fonde sur le droit et sur un dialogue loyal entre les personnes, se renouvelle avec la conviction que chaque femme, chaque homme et chaque génération portent en eux une promesse qui peut libérer de nouvelles énergies relationnelles, intellectuelles, culturelles et spirituelles ».[195]
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Ainsi vue, la politique est plus noble que ce qui paraît, que le marketing, que les différentes formes de maquillage médiatique. Tout ce que ces choses arrivent à semer, c’est la division, l’inimitié et un scepticisme désolant, incapable de susciter un projet commun. En pensant à l’avenir, certains jours, les questions devraient être : “À quelle fin ? Quel est l’objectif que je vise réellement ?” En effet, dans quelques années, en réfléchissant sur le passé, la question ne sera pas : “Combien de personnes m’ont approuvé ? Combien de personnes ont voté pour moi ? Combien de personnes ont eu une image positive de moi ?”. Les questions, peut-être douloureuses, seront plutôt : “Quel amour ai-je mis dans le travail ? En quoi ai-je fait progresser le peuple ? Quelle marque ai-je laissée dans la vie de la société, quels liens réels ai-je construits, quelles forces positives ai-je libérées, quelle paix sociale ai-je semée, qu’ai-je réalisé au poste qui m’a été confié ?”
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
SIXIÈME CHAPITRE
DIALOGUE ET AMITIÉ SOCIALE
Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe ‘‘dialoguer’’. Pour nous rencontrer et nous entraider, nous avons besoin de dialoguer. Il est inutile de dire à quoi sert le dialogue. Il suffit d’imaginer ce que serait le monde sans ce dialogue patient de tant de personnes généreuses qui ont maintenu unies familles et communautés. Le dialogue persévérant et courageux ne fait pas la une comme les désaccords et les conflits, mais il aide discrètement le monde à mieux vivre, beaucoup plus que nous ne pouvons imaginer.
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Le dialogue social pour une nouvelle culture
Certains essaient de fuir la réalité en se réfugiant dans leurs mondes à part, d’autres l’affrontent en se servant de la violence destructrice. Cependant, « entre l’indifférence égoïste et la protestation violente il y a une option toujours possible : le dialogue. Le dialogue entre les générations, le dialogue dans le peuple, car tous nous sommes peuple, la capacité de donner et de recevoir, en demeurant ouverts à la vérité. Un pays grandit quand dialoguent de façon constructive ses diverses richesses culturelles : la culture populaire, la culture universitaire, la culture des jeunes, la culture artistique et technologique, la culture économique et la culture de la famille, et la culture des médias ».[196]
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On confond en général le dialogue avec quelque chose de très différent : un échange fébrile d’opinions sur les réseaux sociaux, très souvent orienté par des informations provenant de médias pas toujours fiables. Ce ne sont que des monologues parallèles qui s’imposent peut-être à l’attention des autres plutôt en raison de leurs tons élevés et agressifs. Mais les monologues n’engagent personne, au point que leurs contenus sont souvent opportunistes et contradictoires.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Souvent, la diffusion retentissante de faits et de plaintes dans les médias tend en réalité à entraver les possibilités de dialogue, parce qu’elle permet à chacun de garder, intangibles et sans nuances, ses idées, ses intérêts et ses opinions, avec, pour excuse, les erreurs des autres. L’habitude de disqualifier instantanément l’adversaire en lui appliquant des termes humiliants prévaut, en lieu et place d’un dialogue ouvert et respectueux visant une synthèse supérieure. Le pire, c’est que ce langage, habituel dans le contexte médiatique d’une campagne politique, s’est généralisé de telle sorte que tout le monde l’utilise quotidiennement. Le débat est souvent manipulé par certains intérêts qui ont un pouvoir plus grand et qui cherchent malhonnêtement à faire pencher l’opinion publique en leur faveur. Je ne pense pas seulement à un gouvernement en fonction, car ce pouvoir manipulateur peut être économique, politique, médiatique, religieux ou de tout autre genre. Parfois, on justifie cette pratique, ou on l’excuse, quand sa dynamique répond à des intérêts économiques ou idéologiques, mais, tôt ou tard, cela se retourne contre ces mêmes intérêts.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Le manque de dialogue implique que personne, dans les différents secteurs, ne se soucie de promouvoir le bien commun ; mais chacun veut obtenir des avantages que donne le pouvoir, ou, dans le meilleur des cas, imposer une façon de penser. Les dialogues deviennent ainsi de simples négociations pour que chacun puisse conquérir la totalité du pouvoir et le plus de profit possible, en dehors d’une quête commune générant le bien commun. Les héros de l’avenir seront ceux qui sauront rompre cette logique malsaine et décideront de défendre avec respect un langage chargé de vérité, au-delà des avantages personnels. Plaise à Dieu que ces héros soient en gestation dans le silence au cœur de nos sociétés !
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Construire en commun
Le dialogue social authentique suppose la capacité de respecter le point de vue de l’autre en acceptant la possibilité qu’il contienne quelque conviction ou intérêt légitime. De par son identité, l’autre a quelque chose à apporter. Et il est souhaitable qu’il approfondisse ou expose son point de vue pour que le débat public soit encore plus complet. Certes, lorsqu’une personne ou un groupe est cohérent avec ce qu’il pense, adhère fermement à des valeurs ainsi qu’à des convictions et développe une pensée, ceci profitera d’une manière ou d’une autre à la société. Mais cela ne s’accomplit que dans la mesure où le processus en question se réalise dans le dialogue et dans un esprit d’ouverture aux autres. En effet, « dans un esprit vrai de dialogue, la capacité de comprendre le sens de ce que l’autre dit et fait se nourrit, bien qu’on ne puisse pas l’assumer comme sa propre conviction. Il devient ainsi possible d’être sincère, de ne pas dissimuler ce que nous croyons, sans cesser de dialoguer, de chercher des points de contact, et surtout de travailler et de lutter ensemble ».[197] La discussion publique, si elle accorde véritablement de l’espace à chacun et ne manipule ni ne cache l’information, est un tremplin permanent qui permet de mieux atteindre la vérité, ou du moins, de mieux l’exprimer. Elle empêche les divers groupes de s’accrocher avec assurance et autosuffisance à leur conception de la réalité et à leurs intérêts limités. Soyons persuadés que « les différences sont créatrices, elles créent des tensions et dans la résolution d’une tension se trouve le progrès de l’humanité » ![198]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
La conviction existe aujourd’hui que, outre les développements scientifiques spécialisés, la communication entre disciplines s’impose étant donné que la réalité est une, même si elle peut être abordée selon des approches différentes et avec diverses méthodologies. On ne doit pas éluder le risque qu’une avancée scientifique soit considérée comme l’unique approche possible pour saisir tous les aspects de la vie, de la société et du monde. En revanche, un chercheur, qui avance avec efficacité dans ses analyses et qui est également disposé à reconnaître d’autres dimensions de la réalité qu’il étudie, parvient à connaître la réalité de manière plus intégrale et plus complète grâce au travail d’autres sciences et savoirs.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
En ce monde globalisé « les médias peuvent contribuer à nous faire sentir plus proches les uns des autres ; à nous faire percevoir un sens renouvelé de l’unité de la famille humaine, qui pousse à la solidarité et à l’engagement sérieux pour une vie plus digne [pour tous…] Les médias peuvent nous aider dans ce domaine, surtout aujourd’hui, alors que les réseaux de communication humaine ont atteint une évolution extraordinaire. En particulier, internet peut offrir plus de possibilités de rencontre et de solidarité entre tous, et c’est une bonne chose, c’est un don de Dieu ».[199] Mais il est nécessaire de s’assurer constamment que les formes de communication actuelles nous orientent effectivement vers une rencontre généreuse, vers la recherche sincère de la vérité intégrale, le service des pauvres, la proximité avec eux, vers la tâche de construction du bien commun. En même temps, comme l’ont enseigné les évêques d’Australie, « nous ne pouvons pas accepter un monde numérique conçu pour exploiter notre faiblesse et faire émerger ce qu’il y a de pire chez les personnes ».[200]
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Le fondement des consensus
Le relativisme n’est pas une solution. Sous le couvert d’une prétendue tolérance, il finit par permettre que les valeurs morales soient interprétées par les puissants selon les convenances du moment. En définitive, « s’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes solides hors de la réalisation de projets personnels et de la satisfaction de nécessités immédiates […], nous ne pouvons pas penser que les projets politiques et la force de la loi seront suffisants […]. Lorsque la culture se corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective ni de principes universellement valables, les lois sont comprises uniquement comme des impositions arbitraires et comme des obstacles à contourner ».[201]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Est-il possible de prêter attention à la vérité, de rechercher la vérité qui correspond à notre réalité la plus profonde ? Qu’est-ce que la loi sans la conviction, acquise après un long cheminement de réflexion et de sagesse, que tout être humain est sacré et inviolable ? Pour qu’une société ait un avenir, il lui faut cultiver le sens du respect en ce qui concerne la vérité de la dignité humaine à laquelle nous nous soumettons. Par conséquent, on n’évitera pas de tuer quelqu’un uniquement pour éluder la réprimande de la société et le poids de la loi, mais par conviction. C’est une vérité incontournable que nous reconnaissons par la raison et que nous acceptons par la conscience. Une société est noble et respectable aussi par son sens de quête de la vérité et son attachement aux vérités les plus fondamentales.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Il faut s’exercer à démasquer les divers genres de manipulation, de déformation et de dissimulation de la vérité, dans les domaines publics et privés. Ce que nous appelons “vérité”, ce n’est pas seulement la diffusion de faits par la presse. C’est avant tout la recherche des fondements les plus solides de nos options ainsi que de nos lois. Cela suppose qu’on admette que l’intelligence humaine puisse aller au-delà des convenances du moment et saisir certaines vérités qui ne changent pas, qui étaient vraies avant nous et le seront toujours. En explorant la nature humaine, la raison découvre des valeurs qui sont universelles parce qu’elles en dérivent.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Autrement, ne pourrait-il pas arriver que les droits humains élémentaires, considérés aujourd’hui comme inaliénables, soient niés par les puissants du moment avec le ‘‘consentement’’ d’une population endormie et intimidée ? Un simple consensus entre les différents peuples, qui peuvent aussi être manipulés, ne serait pas non plus suffisant. Les preuves abondent sur tout le bien que nous sommes en mesure d’accomplir, mais en même temps, nous devons reconnaître la capacité de destruction qui nous habite. L’individualisme indifférent et impitoyable dans lequel nous sommes tombés n’est-il pas aussi le résultat de la paresse à rechercher les valeurs les plus élevées qui sont au-dessus des besoins de circonstance ? S’ajoute au relativisme le risque que le puissant ou le plus rusé finisse par imposer une prétendue vérité. Par contre, « par rapport aux normes morales qui interdisent le mal intrinsèque, il n’y a de privilège ni d’exception pour personne. Que l’on soit le maître du monde ou le dernier des misérables sur la face de la terre, cela ne fait aucune différence : devant les exigences morales, nous sommes tous absolument égaux ».[202]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Ce qui nous arrive aujourd’hui et qui nous entraîne dans une logique perverse et vide, c’est qu’il se produit une assimilation de l’éthique et de la politique à la physique. Le bien et le mal en soi n’existent pas, mais seulement un calcul d’avantages et de désavantages. Ce glissement de la raison morale a pour conséquence que le droit ne peut pas se référer à une conception essentielle de la justice mais qu’il devient le reflet des idées dominantes. Nous entrons là dans une dégradation : avancer “en nivelant par le bas” au moyen d’un consensus superficiel et négocié. Ainsi triomphe en définitive la logique de la force.
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Le consensus et la vérité
Dans une société pluraliste, le dialogue est le chemin le plus adéquat pour parvenir à reconnaître ce qui doit toujours être affirmé et respecté, au-delà du consensus de circonstance. Nous parlons d’un dialogue qui a besoin d’être enrichi et éclairé par des justifications, des arguments rationnels, des perspectives différentes, par des apports provenant de divers savoirs et points de vue, un dialogue qui n’exclut pas la conviction qu’il est possible de parvenir à certaines vérités élémentaires qui doivent ou devraient être toujours soutenues. Accepter qu’existent des valeurs permanentes, même s’il n’est pas toujours facile de les connaître, donne solidité et stabilité à une éthique sociale. Même lorsque nous les avons reconnues et acceptées grâce au dialogue et au consensus, nous voyons que ces valeurs fondamentales sont au-dessus de tout consensus ; nous les reconnaissons comme des valeurs qui transcendent nos contextes et qui ne sont jamais négociables. Notre compréhension de leur signification et de leur portée pourra croître – et en ce sens le consensus est une chose dynamique – mais, en elles-mêmes, elles sont considérées comme stables en raison de leur sens intrinsèque.
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Si quelque chose est toujours souhaitable pour le bon fonctionnement de la société, n’est-ce pas parce que derrière se trouve une vérité permanente que l’intelligence peut saisir ? Dans la réalité même de l’être humain et de la société, dans leur nature intime, réside une série de structures fondamentales qui soutiennent leur développement et leur survie. Il en découle certaines exigences qui peuvent être découvertes grâce au dialogue, bien qu’elles ne soient pas strictement le fruit d’un consensus. Le fait que certaines normes soient indispensables à la vie sociale elle-même est un indice extérieur qu’elles sont une chose bonne en soi. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’opposer la convenance sociale, le consensus et la réalité d’une vérité objective. Ces trois choses peuvent s’unir harmonieusement lorsque, à travers le dialogue, les personnes osent aller jusqu’au fond d’une question.
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S’il faut respecter en toute situation la dignité d’autrui, ce n’est pas parce que nous inventons ou supposons la dignité des autres, mais parce qu’il y a effectivement en eux une valeur qui dépasse les choses matérielles et les circonstances, et qui exige qu’on les traite autrement. Que tout être humain possède une dignité inaliénable est une vérité qui correspond à la nature humaine indépendamment de tout changement culturel. C’est pourquoi l’être humain a la même dignité inviolable en toute époque de l’histoire et personne ne peut se sentir autorisé par les circonstances à nier cette conviction ou à ne pas agir en conséquence. L’intelligence peut donc scruter la réalité des choses, à travers la réflexion, l’expérience et le dialogue, pour reconnaître, dans cette réalité qui la transcende, le fondement de certaines exigences morales universelles.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Ce fondement pourra paraître suffisant aux agnostiques pour conférer aux principes éthiques fondamentaux et non négociables une validité universelle ferme et stable en mesure d’empêcher de nouvelles catastrophes. Pour les croyants, cette nature humaine, source de principes éthiques, a été créée par Dieu qui, en définitive, donne un fondement solide à ces principes.[203] Cela ne conduit pas au fixisme éthique ni n’implique l’imposition d’un quelconque système moral, vu que les principes moraux élémentaires et universellement valides peuvent générer diverses normes pratiques. Mais cela laisse toujours de la place au dialogue.
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Une culture nouvelle
« La vie, c’est l’art de la rencontre, même s’il y a tant de désaccords dans la vie ».[204] À plusieurs reprises, j’ai invité à développer une culture de la rencontre qui aille au-delà des dialectiques qui s’affrontent. C’est un style de vie visant à façonner ce polyèdre aux multiples facettes, aux très nombreux côtés, mais formant ensemble une unité pleine de nuances, puisque « le tout est supérieur à la partie ».[205] Le polyèdre représente une société où les différences coexistent en se complétant, en s’enrichissant et en s’éclairant réciproquement, même si cela implique des discussions et de la méfiance. En effet, on peut apprendre quelque chose de chacun, personne n’est inutile, personne n’est superflu. Cela implique que les périphéries soient intégrées. Celui qui s’y trouve a un autre point de vue, il voit des aspects de la réalité qui ne sont pas reconnus des centres du pouvoir où se prennent les décisions les plus déterminantes.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
La rencontre devenue culture
Le terme “culture” désigne quelque chose qui s’est enraciné dans le peuple, dans ses convictions les plus profondes et dans son mode de vie. Si nous parlons d’une “culture” dans le peuple, c’est plus qu’une idée ou une abstraction. Celle-ci inclut les envies, l’enthousiasme et, finalement, une façon de vivre qui caractérise tel groupe humain. Par conséquent, parler de “culture de la rencontre” signifie que, en tant que peuple, chercher à nous rencontrer, rechercher des points de contact, construire des ponts, envisager quelque chose qui inclut tout le monde, nous passionnent. Cela devient un désir et un mode de vie. Le sujet de cette culture, c’est le peuple et non un secteur de la société qui cherche à tranquilliser les autres par des moyens professionnels et médiatiques.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
La paix sociale est difficile à construire, elle est artisanale. Il serait plus facile de limiter les libertés et les différences par un peu d’astuce et de moyens. Mais cette paix serait superficielle et fragile ; elle ne serait pas le fruit d’une culture de la rencontre qui la soutienne. Intégrer les différences est beaucoup plus difficile et plus lent, mais c’est la garantie d’une paix réelle et solide. Cela ne s’obtient pas en mettant ensemble uniquement les purs, car « même les personnes qui peuvent être critiquées pour leurs erreurs ont quelque chose à apporter qui ne doit pas être perdu ».[206] Cela ne consiste pas non plus en une paix issue de l’étouffement des revendications sociales ou de la prohibition de toute protestation, puisque ce n’est pas « un consensus de bureau ou une paix éphémère pour une minorité heureuse ».[207] Ce qui est bon, c’est de créer des processus de rencontre, des processus qui bâtissent un peuple capable d’accueillir les différences. Outillons nos enfants des armes du dialogue ! Enseignons-leur le bon combat de la rencontre !
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