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Fratelli tutti/Eglise Catholique
On ne doit pas oublier les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Une fois encore, « je fais mémoire ici de toutes les victimes et je m’incline devant la force et la dignité de ceux qui, ayant survécu à ces premiers moments, ont supporté dans leurs corps, de nombreuses années durant, les souffrances les plus atroces et, dans leur esprit, les germes de la mort qui continuaient à consumer leur énergie vitale. […] Nous ne pouvons pas permettre que les générations présentes et nouvelles perdent la mémoire de ce qui est arrivé, cette mémoire qui est garantie et encouragement pour construire un avenir plus juste et plus fraternel ».[233] On ne doit pas non plus oublier les persécutions, le trafic d’esclaves et les massacres ethniques qui se sont produits, et qui se produisent dans plusieurs pays, ainsi que tous les autres faits historiques qui nous font honte d’être des hommes. Nous devons toujours nous en souvenir, sans relâche, inlassablement, sans nous laisser anesthésier.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Il est facile aujourd’hui de céder à la tentation de tourner la page en disant que beaucoup de temps est passé et qu’il faut regarder en avant. Non, pour l’amour de Dieu ! On ne progresse jamais sans mémoire, on n’évolue pas sans une mémoire complète et lumineuse. Nous avons besoin de garder « vivante la flamme de la conscience collective, témoignant aux générations successives l’horreur de ce qui est arrivé » qui « réveille et conserve de cette façon la mémoire des victimes afin que la conscience humaine devienne toujours plus forte face à toute volonté de domination et de destruction ».[234] Les victimes elles-mêmes – personnes, groupes sociaux ou nations – en ont besoin pour ne pas céder à la logique qui porte à justifier les représailles et quelque violence au nom de l’énorme préjudice subi. C’est pourquoi, je ne me réfère pas uniquement à la mémoire des horreurs, mais aussi au souvenir de ceux qui, dans un contexte malsain et corrompu, ont été capables de retrouver la dignité et, par de petits ou grands gestes, ont fait le choix de la solidarité, du pardon, de la fraternité. Il est très sain de faire mémoire du bien.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Pardon sans oubli
Le pardon n’implique pas l’oubli. Nous disons plutôt que lorsqu’il y a quelque chose qui ne peut, en aucune manière, être nié, relativisé ou dissimulé, il est cependant possible de pardonner. Lorsqu’il y a quelque chose qui ne doit jamais être toléré, justifié, ou excusé, il est cependant possible de pardonner. Quand il y a quelque chose que pour aucune raison nous ne pouvons nous permettre d’oublier, nous pouvons cependant pardonner. Le pardon libre et sincère est une grandeur qui reflète l’immensité du pardon divin. Si le pardon est gratuit, alors on peut pardonner même à quelqu’un qui résiste au repentir et qui est incapable de demander pardon.
250

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Ceux qui pardonnent en vérité n’oublient pas, mais renoncent à être possédés par cette même force destructrice dont ils ont été victimes. Ils brisent le cercle vicieux, ralentissent les progrès des forces de destruction. Ils décident de ne pas continuer à inoculer dans la société l’énergie de la vengeance qui, tôt ou tard, finit par retomber une fois de plus sur eux-mêmes. En effet, la vengeance ne satisfait jamais vraiment les victimes. Certains crimes sont si horribles et si cruels qu’infliger des peines à leurs auteurs ne peut pas donner le sentiment que le dommage causé a été réparé. Il ne suffit pas non plus de tuer le criminel ; il serait de même impossible de trouver des tortures qui équivaillent aux souffrances que la victime a pu avoir endurées. La vengeance ne résout rien.
251

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Cependant, nous ne parlons pas d’impunité. Mais la justice ne se recherche que par amour de la justice elle-même, par respect pour les victimes, pour prévenir de nouveaux crimes et en vue de préserver le bien commun, mais certainement pas pour évacuer sa colère. Le pardon, c’est précisément ce qui permet de rechercher la justice sans tomber dans le cercle vicieux de la vengeance, ni dans l’injustice de l’oubli.
252

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Quand des injustices sont commises de part et d’autre, il faut clairement reconnaître qu’elles peuvent ne pas avoir la même gravité ou n’être pas comparables. La violence exercée par les structures et le pouvoir de l’État n’est pas au même niveau que la violence perpétrée par des groupes particuliers. De toute manière, on ne peut pas demander que l’on se souvienne uniquement des souffrances injustes d’une seule des parties. Comme l’on enseigné les évêques de Croatie : « Nous devons à toutes les victimes innocentes le même respect. Il ne peut ici y avoir de différences raciales, confessionnelles, nationales ou politiques ».[235]
253

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Je demande à Dieu « de préparer nos cœurs à la rencontre avec nos frères au-delà des différences d’idées, de langues, de cultures, de religions ; demandons-lui d’oindre tout notre être de l’huile de sa miséricorde qui guérit les blessures des erreurs, des incompréhensions, des controverses ; demandons-lui la grâce de nous envoyer avec humilité et douceur sur les sentiers exigeants, mais féconds, de la recherche de la paix ».[236]
254

Fratelli tutti/Eglise Catholique
La guerre et la peine de mort
Certaines situations extrêmes peuvent finir par se présenter comme des solutions dans des circonstances particulièrement dramatiques, sans qu’on se rende compte que ce sont de fausses réponses, qui ne résolvent pas les problèmes posés, et qu’en définitive elles ne font qu’ajouter de nouveaux facteurs de destruction dans le tissu de la société nationale et planétaire. Il s’agit de la guerre et de la peine de mort.
255

Fratelli tutti/Eglise Catholique
L’injustice de la guerre
« Au cœur qui médite le mal : la fraude ; aux conseillers pacifiques : la joie » (Pr 12, 20). Toutefois, certains cherchent des solutions dans la guerre qui se nourrit souvent de la perversion des relations, d’ambitions hégémoniques, d’abus de pouvoir, de la peur de l’autre et de la différence perçue comme un obstacle.[237] La guerre n’est pas un fantasme du passé mais au contraire elle est devenue une menace constante. Le monde rencontre toujours plus d’obstacles dans le lent cheminement vers la paix qu’il avait initié et qui commençait à porter quelques fruits.
256

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Puisque de nouveau les conditions se réunissent pour la prolifération des guerres, je rappelle que « la guerre est la négation de tous les droits et une agression dramatique contre l’environnement. Si l’on veut un vrai développement humain intégral pour tous, on doit poursuivre inlassablement l’effort pour éviter la guerre entre les nations et les peuples. À cette fin, il faut assurer l’incontestable état de droit et le recours inlassable à la négociation, aux bons offices et à l’arbitrage, comme proposé par la Charte des Nations Unies, vraie norme juridique fondamentale ».[238] Je voudrais souligner que les soixante-quinze ans des Nations Unies et l’expérience des vingt premières années de ce millénaire montrent que la pleine application des normes internationales est réellement efficace et que leur violation est nuisible. La Charte des Nations Unies, respectée et appliquée dans la transparence et en toute sincérité, est un point de référence obligatoire de justice et une voie de paix. Mais cela suppose que des intentions spécieuses ne soient pas masquées et que des intérêts particuliers d’un pays ou d’un groupe ne soient pas placés au-dessus du bien commun du monde entier. Si la loi est considérée comme un instrument auquel on recourt lorsque cela s’avère favorable et qu’on la contourne dans le cas contraire, des forces incontrôlables se déclenchent qui nuisent gravement aux sociétés, aux plus faibles, à la fraternité, à l’environnement, aux biens culturels, entraînant des pertes irrécupérables sur le plan mondial.
257

Fratelli tutti/Eglise Catholique
C’est ainsi qu’on fait facilement le choix de la guerre sous couvert de toutes sortes de raisons, supposées humanitaires, défensives, ou préventives, même en recourant à la manipulation de l’information. De fait, ces dernières décennies, toutes les guerres ont été prétendument “justifiées”. Le Catéchisme de l’Église catholique parle de la possibilité d’une légitime défense par la force militaire, qui suppose qu’on démontre que sont remplies certaines « conditions rigoureuses de légitimité morale ».[239] Mais on tombe facilement dans une interprétation trop large de ce droit éventuel. On veut ainsi justifier indument même des attaques ‘‘préventives’’ ou des actions guerrières qui difficilement n’entraînent pas « des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer ».[240] Le problème, c’est que depuis le développement des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, sans oublier les possibilités énormes et croissantes qu’offrent les nouvelles technologies, la guerre a acquis un pouvoir destructif incontrôlé qui affecte beaucoup de victimes civiles innocentes. Incontestablement, « jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien ».[241] Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Jamais plus la guerre ![242]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Il est important d’ajouter qu’avec le développement de la mondialisation, ce qui peut apparaître comme une solution immédiate ou pratique à un endroit dans le monde crée un enchaînement de facteurs violents, très souvent imperceptibles, qui finit par affecter toute la planète et ouvrir la voie à de nouvelles et pires guerres à l’avenir. Dans notre monde il n’y a plus seulement des “morceaux” de guerre dans tel ou tel pays, mais on affronte une “guerre mondiale par morceaux”, car les destins des pays sont fortement liés entre eux sur la scène mondiale.
259

Fratelli tutti/Eglise Catholique
Comme le disait saint Jean XXIII, « il devient impossible de penser que la guerre soit le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits ».[243] Il l’affirmait à un moment de forte tension internationale et il a ainsi exprimé le grand désir de paix qui se répandait à l’époque de la guerre froide. Il a renforcé la conviction que les raisons pour la paix sont plus fortes que tout calcul lié à des intérêts particuliers et toute confiance dans l’usage des armes. Mais, par manque d’une vision d’avenir et par manque d’une conscience partagée concernant notre destin commun, on n’a pas profité, comme il le fallait, des occasions qu’offrait la fin de la guerre froide. Au contraire, on a cédé à la quête d’intérêts particuliers sans se soucier du bien commun universel. La voie a été ainsi rouverte à la trompeuse terreur de la guerre.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. N’en restons pas aux discussions théoriques, touchons les blessures, palpons la chair des personnes affectées. Retournons contempler les nombreux civils massacrés, considérés comme des “dommages collatéraux”. Interrogeons les victimes. Prêtons attention aux réfugiés, à ceux qui souffrent des radiations atomiques ou des attaques chimiques, aux femmes qui ont perdu leurs enfants, à ces enfants mutilés ou privés de leur jeunesse. Prêtons attention à la vérité de ces victimes de la violence, regardons la réalité avec leurs yeux et écoutons leurs récits le cœur ouvert. Nous pourrons ainsi reconnaître l’abîme de mal qui se trouve au cœur de la guerre, et nous ne serons pas perturbés d’être traités de naïfs pour avoir fait le choix de la paix.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Les lois ne suffiront pas non plus si l’on pense que la solution aux problèmes actuels consiste à dissuader les autres par la peur, en menaçant de l’usage d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques. Car « si nous prenons en considération les principales menaces à la paix et à la sécurité dans leurs multiples dimensions dans ce monde multipolaire du XXIème siècle, comme par exemple le terrorisme, les conflits asymétriques, la cybersécurité, les problèmes environnementaux, la pauvreté, de nombreux doutes surgissent en ce qui concerne l’insuffisance de la dissuasion nucléaire comme réponse efficace à ces défis. Ces préoccupations assument une importance encore plus grande si nous considérons les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques qui découlent de toute utilisation des armes nucléaires ayant des effets dévastateurs indiscriminés et incontrôlables, dans le temps et dans l’espace. […] Nous devons également nous demander dans quelle mesure un équilibre fondé sur la peur est durable, quand il tend de fait à accroître la peur et à porter atteinte aux relations de confiance entre les peuples. La paix et la stabilité internationales ne peuvent être fondées sur un faux sentiment de sécurité, sur la menace d’une destruction réciproque ou d’un anéantissement total, ou sur le seul maintien d’un équilibre des pouvoirs. […] Dans ce contexte, l’objectif ultime de l’élimination totale des armes nucléaires devient à la fois un défi et un impératif moral et humanitaire. […] L’interdépendance croissante et la mondialisation signifient que, quelle que soit la réponse que nous apportons à la menace des armes nucléaires, celle-ci doit être collective et concertée, basée sur la confiance mutuelle. Cette confiance ne peut être construite qu’à travers un dialogue véritablement tourné vers le bien commun et non vers la protection d’intérêts voilés ou particuliers ».[244] Et avec les ressources financières consacrées aux armes ainsi qu’à d’autres dépenses militaires, créons un Fonds mondial,[245] en vue d’éradiquer une bonne fois pour toutes la faim et pour le développement des pays les plus pauvres, de sorte que leurs habitants ne recourent pas à des solutions violentes ou trompeuses ni n’aient besoin de quitter leurs pays en quête d’une vie plus digne.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
La peine de mort
Il est une autre façon d’éliminer l’autre, qui ne concerne pas les pays mais les personnes. C’est la peine de mort. Saint Jean-Paul II a affirmé de manière claire et ferme qu’elle est inadéquate sur le plan moral et n’est pas nécessaire sur le plan pénal.[246] Il n’est pas possible de penser revenir sur cette position. Aujourd’hui, nous disons clairement que « la peine de mort est inadmissible »[247] et l’Église s’engage résolument à proposer qu’elle soit abolie dans le monde entier.[248]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Dans le Nouveau Testament, alors que l’on demande aux individus de ne pas se rendre justice eux-mêmes (cf. Rm 12, 17.19), on reconnaît la nécessité que les autorités imposent des peines à ceux qui font le mal (cf. Rm 13, 4 ; 1P 2, 14). En effet, « la vie en commun, structurée autour de communautés organisées, a besoin de règles de coexistence dont la violation libre exige une réponse adaptée ».[249] Cela implique que l’autorité publique légitime peut et doit « infliger des peines proportionnées à la gravité des délits »[250] et que « l’indépendance nécessaire dans le domaine de la loi »[251] doit être garantie au pouvoir judiciaire.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Dès les premiers siècles de l’Église, certains se sont clairement déclarés contraires à la peine capitale. Par exemple, Lactance soutenait qu’« il ne fallait faire aucune distinction : tuer un homme sera toujours un crime ».[252] Le Pape Nicolas Ier exhortait : « Tâchez de délivrer de la peine de mort non seulement les innocents mais aussi tous les coupables ».[253] À l’occasion d’un procès contre des meurtriers qui avaient assassiné deux prêtres, saint Augustin a demandé au juge de ne pas leur ôter la vie. Et il se justifiait ainsi : « Ce n’est pas que nous nous opposions à ce qui doit ôter aux méchants la liberté du crime, mais nous voulons qu’on leur laisse la vie et qu’on ne fasse subir à leur corps aucune mutilation ; il nous paraîtrait suffisant qu’une peine légale mît fin à leur agitation insensée et les aidât à retrouver le bon sens, ou qu’on les détournât du mal en les employant à quelque travail utile. Ce serait là aussi une condamnation ; mais qui ne comprend qu’un état où l’audace criminelle ne peut plus se donner carrière et où on laisse le temps au repentir, doit être appelé un bienfait plutôt qu’un supplice. […] Réprimez le mal sans oublier ce qui est dû à l’humanité ; que les atrocités des pécheurs ne soient pas pour vous une occasion de goûter le plaisir de la vengeance, mais qu’elles soient comme des blessures que vous preniez soin de guérir ».[254]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Les peurs et les rancunes conduisent facilement à une conception vindicative, voire cruelle, des peines, alors qu’elles doivent être comprises comme faisant partie d’un processus de guérison et de réinsertion dans la société. Aujourd’hui « aussi bien dans certains secteurs de la politique que dans certains moyens de communication, on incite parfois à la violence et à la vengeance, publique et privée, non seulement contre ceux qui sont responsables d’avoir commis des délits, mais aussi contre ceux sur lesquels retombe le soupçon, fondé ou non, d’avoir violé la loi. […] Il y a parfois la tendance à construire délibérément des ennemis : des figures stéréotypées, qui concentrent en elles-mêmes toutes les caractéristiques que la société perçoit ou interprète comme menaçantes. Les mécanismes de formation de ces images sont les mêmes qui, en leur temps, permirent l’expansion des idées racistes ».[255] Cela a rendu particulièrement dangereuse l’habitude croissante, dans certains pays, de recourir à la prison préventive, à des incarcérations sans jugement et surtout à la peine de mort.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Je voudrais faire remarquer qu’« il est impossible d’imaginer qu’aujourd’hui les États ne puissent pas disposer d’un autre moyen que la peine capitale pour défendre la vie d’autres personnes contre un agresseur injuste ». Les exécutions dites extrajudiciaires ou extra-légales sont particulièrement graves ; elles sont « des meurtres délibérés commis par certains États et par leurs agents, souvent maquillés en affrontements avec des délinquants ou présentés comme des conséquences involontaires du recours raisonnable, nécessaire et proportionnel à la force pour faire appliquer la loi ».[256]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
« Les arguments contraires à la peine de mort sont nombreux et bien connus. L’Église en a opportunément souligné quelques-uns, comme la possibilité de l’existence de l’erreur judiciaire et l’usage qu’en font les régimes totalitaires et dictatoriaux qui l’utilisent comme instrument de suppression de la dissidence politique ou de persécution des minorités religieuses et culturelles, autant de victimes qui, selon leurs législations respectives, sont des “délinquants”. Tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté sont donc appelés […] à lutter non seulement pour l’abolition de la peine de mort, légale ou illégale, et sous toutes ses formes, mais aussi afin d’améliorer les conditions carcérales, dans le respect de la dignité humaine des personnes privées de la liberté. Et cela, je le relie à la prison à perpétuité. […] La prison à perpétuité est une peine de mort cachée ».[257]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Rappelons-nous que le meurtrier « garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant ».[258] Le rejet ferme de la peine de mort montre à quel point il est possible de reconnaître l’inaliénable dignité de tout être humain et d’accepter sa place dans cet univers. Étant donné que si je ne la nie pas au pire des criminels, je ne la nierai à personne, je donnerai à chacun la possibilité de partager avec moi cette planète malgré ce qui peut nous séparer.
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
J’invite les chrétiens qui doutent et qui sont tentés de céder face à la violence, quelle qu’en soit la forme, à se souvenir de cette annonce du livre d’Isaïe : « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs » (2, 4). Pour nous, cette prophétie prend chair en Jésus-Christ, qui, face à un disciple gagné par la violence, disait avec fermeté : « Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26, 52). C’était un écho de cette ancienne mise en garde : « Je demanderai compte du sang de chacun de vous. Qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé » (Gn 9, 5-6). Cette réaction de Jésus jaillissant de son cœur traverse les siècles et parvient jusqu’au temps actuel comme un avertissement permanent.
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HUITIÈME CHAPITRE
LES RELIGIONS AU SERVICE DE LA FRATERNITÉ DANS LE MONDE
Les différentes religions, par leur valorisation de chaque personne humaine comme créature appelée à être fils et fille de Dieu, offrent une contribution précieuse à la construction de la fraternité et pour la défense de la justice dans la société. Le dialogue entre personnes de religions différentes ne se réalise pas par simple diplomatie, amabilité ou tolérance. Comme l’ont enseigné les évêques de l’Inde, « l’objectif du dialogue est d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs ainsi que des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour ».[259]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Le fondement ultime
Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que « c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres ».[260] En effet, « la raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité ».[261]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Dans ce sens, je voudrais rappeler un texte mémorable : « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent inévitablement les uns aux autres. Si la vérité transcendante n’est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser jusqu’au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses intérêts ou ses opinions, sans considération pour les droits des autres. […] Il faut donc situer la racine du totalitarisme moderne dans la négation de la dignité transcendante de la personne humaine, image visible du Dieu invisible et, précisément pour cela, de par sa nature même, sujet de droits que personne ne peut violer, ni l’individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État. La majorité d’un corps social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité ».[262]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
À la faveur de notre expérience de foi et de la sagesse accumulée au cours des siècles, en apprenant aussi de nos nombreuses faiblesses et chutes, nous savons, nous croyants des religions différentes, que rendre Dieu présent est un bien pour nos sociétés. Chercher Dieu d’un cœur sincère, à condition de ne pas l’utiliser à nos intérêts idéologiques ou d’ordre pratique, nous aide à nous reconnaître comme des compagnons de route, vraiment frères. Nous croyons que « lorsqu’ au nom d’une idéologie, on veut expulser Dieu de la société, on finit par adorer des idoles, et bien vite aussi l’homme s’égare lui-même, sa dignité est piétinée, ses droits violés. Vous savez bien à quelles brutalités peut conduire la privation de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, et comment à partir de ces blessures se forme une humanité radicalement appauvrie, parce que privée d’espérance et de référence à des idéaux ».[263]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Il faut reconnaître que « parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants ».[264] Il est inadmissible que, dans le débat public, seuls les puissants et les hommes ou femmes de science aient droit à la parole. Il doit y avoir de la place pour la réflexion qui procède d’un arrière-plan religieux, recueillant des siècles d’expérience et de sagesse. « Les textes religieux classiques peuvent offrir une signification pour toutes les époques, et ont une force de motivation » mais de fait « ils sont dépréciés par l’étroitesse d’esprit des rationalismes ».[265]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
C’est pour cela que, même si l’Église respecte l’autonomie de la politique, elle ne limite pas pour autant sa mission au domaine du privé. Au contraire, « elle ne peut ni ne doit […] rester à l’écart » dans la construction d’un monde meilleur, ni cesser de « réveiller les forces spirituelles »[266] qui fécondent toute la vie sociale. Les ministres religieux ne doivent certes pas faire de la politique partisane, qui revient aux laïcs, mais ils ne peuvent pas non plus renoncer à la dimension politique de l’existence[267] qui implique une constante attention au bien commun et le souci du développement humain intégral. L’Église « a un rôle public qui ne se borne pas à ses activités d’assistance ou d’éducation », mais qui favorise « la promotion de l’homme et de la fraternité universelle ».[268] Elle n’entend pas revendiquer des pouvoirs temporels mais s’offrir comme « une famille parmi les familles, – c’est cela, l’Église – ouverte pour témoigner au monde d’aujourd’hui de la foi, de l’espérance et de l’amour envers le Seigneur et envers ceux qu’il aime avec prédilection. Une maison avec les portes ouvertes. L’Église est une maison qui a les portes ouvertes, car elle est mère ».[269] Et comme Marie, la Mère de Jésus, « nous voulons être une Église qui sert, qui sort de chez elle, qui sort de ses temples, qui sort de ses sacristies, pour accompagner la vie, soutenir l’espérance, être signe d’unité […] pour établir des ponts, abattre les murs, semer la réconciliation ».[270]
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Fratelli tutti/Eglise Catholique
L’identité chrétienne
L’Église valorise l’action de Dieu dans les autres religions et « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui […] reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».[271] Mais nous, chrétiens, nous ne pouvons pas cacher que « si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Évangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme ».[272] D’autres s’abreuvent à d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ. C’est de là que surgit « pour la pensée chrétienne et pour l’action de l’Église le primat donné à la relation, à la rencontre avec le mystère sacré de l’autre, à la communion universelle avec l’humanité tout entière comme vocation de tous ».[273]
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