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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Dans le livre précédent, le douzième de l'ouvrage, nous avons suffisamment cherché à établir la différence entre la fonction de l'âme raisonnable agissant dans les choses temporelles, qui ne renferme pas seulement la connaissance, mais s'étend aussi à l'action; et l'autre fonction plus parfaite de la même âme consistant dans la contemplation des choses éternelles et se bornant à la connaissance. Il est à propos, ce me semble, de citer ici quelques passages des Ecritures, pour rendre cette distinction plus sensible.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Saint Jean commence ainsi son évangile: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. C'est lui qui au commencement était en Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n'a été fait. Ce qui a été fait, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas comprise. Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean. Celui-ci vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière. Celui-là était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui et le monde ne l'a pas connu. Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. Mais il a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, à tous ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom; qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous (et nous avons vu sa gloire comme la gloire qu'un fils unique reçoit de son père) plein de grâce et de vérité (Jn 1, 1-4 ) ».
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
La première partie de ce texte de l'Evangile que j'ai cité en entier se rapporte à ce qui est immuable et éternel et dont la contemplation nous rend heureux; dans ce qui suit, les choses éternelles se trouvent mêlées aux choses temporelles. Par conséquent certaines choses y ont trait à la science, et d'autres à la sagesse, suivant la distinction établie dans le douzième livre. En effet ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu; c'est lui qui au commencement était en Dieu. Toutes choses ont été faites par lui et sans lui rien n'a été fait. Ce qui a été fait, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas comprise»; ces paroles, dis-je, se rapportent à la vie contemplative et présentent un objet qu'on ne peut voir que par l'âme intellectuelle. Et, là, il est hors de doute que plus on fera de progrès, plus on deviendra sage. Mais, d'après ce qui suit : «La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise », la foi était évidemment nécessaire pour croire ce qu'on ne voyait pas. Par ténèbres, l'évangéliste entend ici les coeurs des hommes qui se détournent de cette lumière et sont incapables de la voir; c'est pourquoi il ajoute : « Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean; celui-ci vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui ». Voici déjà qui s'est passé dans le temps et appartient à la science que procure la connaissance de l'histoire. Or, nous nous figurons Jean comme un homme, d'après la notion de la nature humaine imprimée en (506) notre mémoire. En ceci croyants et incrédules sont d'accord: car tous savent ce que c'est que l'homme, dont ils ont connu la partie extérieure, c'est-à-dire le corps, par les yeux du corps, et la partie intérieure, c'est-à-dire l'âme, par eux-mêmes, puisqu'ils sont hommes: connaissance qui s'entretient par leurs rapports avec l'humanité, en sorte qu'ils peuvent saisir le sens de ces expressions : « Il y eut un homme dont le nom était Jean », puisqu'ils connaissent des noms pour en avoir entendu et en avoir exprimé eux-mêmes. Quant à ce qu'on ajoute : « Envoyé de Dieu », les croyants l'admettent, les incrédules en doutent ou en rient. Néanmoins les uns et les autres, à moins d'être du nombre de ces insensés extravagants, qui disent en leur c?ur : « Il n'y a point de Dieu (Ps 13, 1 ) », tous en entendant ces paroles, ont la même pensée, savent ce que c'est que Dieu, ce que c'est que d'être envoyé par Dieu ; et s'ils ne le savent pas exactement, ils en ont du moins une idée quelconque.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Or, cette foi que chacun voit en son coeur, comme présente s'il est croyant, comme absente s'il est incrédule, nous la connaissons par un autre moyen que les sens. Il n'en est plus ici comme des corps que nous voyons de nos yeux corporels, et auxquels nous pouvons penser en dehors de leur présence, ou au moyen de leurs images imprimées en notre mémoire; ni comme des choses que nous n'avons pas vues, dont nous nous formons, d'après celles que nous avons vues, une idée quelconque que nous confions à notre mémoire pour y recourir à volonté, et voir ces choses, ou plutôt pour voir en souvenir leurs images que nous avons fixées plus ou moins exactement; ni comme d'un homme vivant, dont l'âme, bien que nous ne la voyions pas, nous est connue par la nôtre, dont les mouvements corporels attestent la vie à nos yeux, et que nous pouvons encore revoir par la pensée. Non : ce n'est pas ainsi que la foi se fait voir dans le coeur où elle habite, par celui qui la possède; mais il la connaît d'une science très-certaine et par le cri de sa conscience. Et bien que l'on nous ordonne de croire, précisément parce que nous ne pouvons voir ce que l'on nous ordonne de croire, néanmoins nous voyons cette foi en nous, quand elle y est : parce que la foi aux choses même absentes, est présente; parce que la foi aux choses extérieures, est intérieure; parce que la foi aux choses qui ne se voient pas, est visible, et qu'elle se forme dans le temps au coeur des hommes, et en disparaît quand de fidèles ils deviennent infidèles. Mais quelquefois on croit à des choses fausses; il est même reçu dans le langage de dire : On a ajouté foi à un tel, et il a trompé. C'est avec raison que cette sorte de foi si elle mérite ce nom disparaît du coeur, quand la vérité, une fois découverte, l'en expulse. Or il est désirable que la foi aux choses vraies devienne la réalité même. On ne peut pas dire en effet que la foi a disparu, quand on voit ce que l'on croyait. Mais peut-on encore lui conserver le nom de foi, après la définition que donne l'Apôtre dans l'Epître aux Hébreux, où il dit que la foi est la conviction des choses qu'on ne voit point (Héb; XI, 1 )?
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Les paroles qui suivent: « Celui-ci vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui », se rapportent, comme nous l'avons dit, à l'action temporelle. En effet, c'est dans le temps qu'on rend témoignage de la chose éternelle, qui est la lumière des intelligences. C'est pour rendre témoignage de cette chose qu'est venu Jean qui « n'était point la lumière, mais pour rendre témoignage à la lumière ». Car l'Evangéliste ajoute : « Celui-là était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont point reçu». Ceux qui savent notre langue comprennent toutes ces expressions d'après les choses qu'ils connaissent. De ces choses, les unes nous sont connues par les sens du corps, comme l'homme, par exemple, comme le monde, dont nous voyons si clairement l'étendue, comme les sons de ces paroles mêmes, car l'ouïe est aussi un sens; les autres ne sont comprises que par la raison de l'âme, comme celles-ci par exemple : « Et les siens ne l'ont pas reçu ». Le sens est en effet : Ils n'ont pas cru en lui, et cette idée, ce n'est point par les sens du corps, mais par la raison de l'âme, qu'elle vient en nous. Quant aux paroles mêmes je ne parle pas des Sons, mais de leurs significations nous les avons apprises en partie par le sens du corps, en partie par la raison de l'âme. Ce n'était pas pour la (507) première fois que nous les entendions, mais celles que nous avions entendues, et non-seulement ces paroles, mais aussi leurs significations nous les connaissions, nous les tenions dans notre mémoire, et nous n'avons fait que les reconnaître ici. Le dissyllabe « monde n, par exemple, en tant que son, est une chose matérielle et se perçoit par le corps, c'est-à-dire par l'oreille; mais ce qu'il signifie est aussi connu par le corps, c'est-à-dire par les yeux de la chair. En effet le monde, en tant qu'il est connu, est connu par la vue. Mais ce mot de quatre syllabes, crediderunt (ils ont cru), en tant que son, est aussi connu par l'oreille de la chair, puisqu'il est matériel; seulement ce n'est plus le sens du corps, mais la raison de l'âme, qui en fait connaître la signification. En effet, si nous ne connaissions pas par notre âme ce que signifie : Ils n'ont pas cru, nous ne saurions pas quelle est la chose que n'ont pas voulu faire ceux dont on dit : « Et les siens ne l'ont pas reçu ». Le son du mot frappe donc extérieurement les oreilles du corps, et atteint le sens qu'on appelle l'ouïe. La forme de l'homme est également une connaissance imprimée en nous-mêmes, et extérieurement présente aux divers sens du corps : aux yeux, quand on le voit; aux oreilles, quand on l'entend; au toucher, quand on le tient et qu'on le touche; notre mémoire en garde même l'image, incorporelle il est vrai , mais semblable à un corps. Le monde enfin, cette merveilleuse beauté, est aussi extérieurement présent et à nos yeux, et. à ce sens qu'on appelle le toucher, quand nous en touchons quelque chose; mais, au dedans de nous encore, notre mémoire en garde l'image à laquelle nous recourons par la pensée, quand nous sommes renfermés entre des murailles ou plongés dans les ténèbres. Du reste, nous nous sommes assez étendu, dans le onzième livre, sur ces images des choses matérielles, immatérielles elles-mêmes, mais semblables aux corps et appartenant à la vie de l'homme extérieur. Maintenant il s'agit de l'homme intérieur et de sa science des choses temporelles et changeantes. Quand , pour atteindre son but , cette science emprunte quelque chose à ce qui appartient à l'homme extérieur, ce doit être pour en tirer un enseignement à l'appui de la science rationnelle. C'est ainsi que l'usage rationnel de ce que nous avons de commun avec les animaux privés de raison, appartient à l'homme intérieur, et on ne peut dire qu'il nous soit commun avec les animaux privés de raison.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
CHAPITRE II.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
LA FOI VIENT DU COEUR ET NON DU CORPS ELLE EST EN MÊME TEMPS COMMUNE ET INDIVIDUELLE CHEZ TOUS LES CROYANTS.
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Or la foi, dont notre raison sent le besoin de parler plus longuement dans ce livre, celle dont la possession fait ce qu'on appelle les fidèles, et la privation , les infidèles les infidèles, comme ceux qui n'ont pas reçu le Fils de Dieu venant chez lui la foi, dis-je, bien qu'elle nous vienne par tradition, n'appartient cependant pas à ce sens du corps qu'on appelle l'ouïe, parce qu'elle n'est pas un son; ni aux yeux de la chair, parce qu'elle n'est ni une couleur, ni une forme de corps; ni au sens qu'on appelle le toucher, parce qu'elle n'a rien de palpable; ni enfin à aucun sens corporel, parce qu'elle est une affaire de coeur, et non de corps. Elle n'est point non plus en dehors de nous, mais au plus intime de notre être; personne ne la voit chez un autre, mais chacun la voit en soi. Enfin elle peut n'exister qu'en apparence et être supposée là où elle n'est pas. Ainsi, chacun voit en soi sa propre foi; il la croit chez un autre sans la voir, et l'y croit avec d'autant plus d'assurance, qu'il aperçoit mieux les fruits qu'elle a coutume de produire par la charité (Gal; V, 6 ). C'est pourquoi elle est commune à tous ceux dont l'Evangéliste parle, quand il ajoute: « Mais il a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, à tous ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom; qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ». Cette foi, dis-je, est commune, non pas à la manière d'une forme corporelle, visible pour tous les yeux, mais à peu près dans le sens où l'on dit de la figure humaine qu'elle est commune à tous les hommes, bien que chacun ait la sienne.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
st en effet, avec la plus parfaite vérité, que nous disons que la foi de ceux qui croient la même chose provient d'une doctrine absolument une. Mais autre chose sont les objets de la foi, autre chose la foi elle-même. Ceux-là consistent en des choses que l'on dit être (508) actuellement, ou avoir été, ou devoir être; tandis que la foi est dans l'âme du croyant, visible seulement pour celui qui la possède, quoiqu'elle existe aussi chez les autres, non pas elle précisément, mais une autre toute semblable. Car c'est par le genre, et non par le nombre qu'elle est une; et nous la disons une plutôt que multiple, à cause de la ressemblance et de l'absence de toute diversité. Quand nous voyons deux hommes parfaitement semblables, nous disons qu'ils n'ont qu'une figure pour les deux et nous en sommes étonnés. Il serait plus juste de dire qu'il y avait beaucoup d'âmes à les prendre chacune en particulier chez ceux dont il est dit aux Actes des Apôtres, qu'ils n'avaient qu'une âme (Ac 4, 32 ), que de se hasarder à avancer qu'il y a autant de fois que de fidèles, quand l'Apôtre dit: « Il y a une seule foi (Ep 4, 5 )». Et cependant celui qui a dit : « O femme, ta foi est grande (Mt 15, 28 )»; et à un autre: « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté (Mt 14, 31 )? » laisse assez entendre que chacun a la sienne. Mais on dit de la foi de ceux qui croient les mêmes choses, qu'elle est une, comme on le dit de la volonté de ceux qui veulent les mêmes choses; bien que parmi ceux qui veulent les mêmes choses, chacun ne connaisse que sa volonté, et ignore celle de son voisin, bien que celui-ci veuille la même chose; et si ce voisin manifeste sa volonté par des signes, on croit encore à cette volonté plutôt qu'on ne la voit. Assurément personne, ayant conscience de soi-même, ne s'approprie cette volonté; seulement il l'entrevoit clairement.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
CHAPITRE III.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
CERTAINES VOLONTÉS ÉTANT LES MÊMES CHEZ TOUS, SONT CONNUES DE CHACUN EN PARTICULIER.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Il existe, dans une nature vivante et douée de raison, une telle uniformité de tendance, que, bien que l'on ne connaisse pas la volonté de l'autre, il est cependant des volontés générales qui sont connues de chacun en particulier, tellement que l'individu, ignorant ce que veut tel autre individu, sait cependant ce que tous veulent sur certains points. De là cette charmante facétie d'un comédien, qui avait promis sur le théâtre de révéler dans la représentation suivante ce que tous les spectateurs penseraient et désireraient, et au jour fixé, au milieu d'une foule plus nombreuse que jamais, pendant que tous étaient silencieux et en suspens, s'écria, dit-on: Vous voulez tous acheter à bon marché et vendre cher. Cette plaisanterie de bouffon, imprévue et pourtant conforme à la vérité, rencontra au écho dans toutes les consciences, et d'immenses applaudissements éclatèrent. Or pourquoi la promesse de manifester la volonté de tout le monde excita-t-elle une si vive curiosité, sinon parce que chacun ignore la volonté des autres? Et pourtant ce comédien ignorait-il celle-là ? Est-il personne qui l'ignore? Et quelle en est la raison, si ce n'est parce qu'on peut raisonnablement former certaines conjectures sur les autres d'après soi-même, en vertu de l'uniformité des affections et des tendances de nos défauts ou de notre nature? Mais autre chose est de voir sa propre volonté, autre chose d'établir des conjectures, même les mieux fondées, sur la volonté d'un autre. En fait de choses humaines, je ne suis pas plus certain de l'existence de Rome que j'ai vue, que de celle de Constantinople que je ne connais que sur le témoignage d'autrui. Ce bouffon, soit en se considérant lui-même, soit par l'expérience des hommes, était convaincu que tout le monde désire acheter à bon marché et vendre cher. Mais comme au fond c'est un défaut, chacun peut acquérir la justice à ce point de vue, ou tomber dans quelque autre défaut opposé à celui-là, de manière à lui résister et à le vaincre. J'ai connu un homme à qui on offrait un livre à acheter, et qui s'apercevant au bon marché que le marchand en ignorait la valeur, lui en donna, à son grand étonnement, le juste prix qui était bien plus considérable. Et si un homme était descendu assez bas dans le vice pour vendre à vil prix l'héritage de ses parents, et acheter à tout prix la satisfaction de ses passions? Ce genre de luxe n'est pas impossible, je pense; si on cherchait bien, on en trouverait des exemples, et même, sans chercher, on rencontrera peut-être des hommes qui, plus coupables que les personnages de théâtre et dépassant tout ce qui se débite et se représente sur la scène, achètent le déshonneur à grand prix, et vendent à vil prix leurs domaines. J'ai aussi connu des hommes qui, par générosité, achetaient des (509) grains plus cher et les vendaient à meilleur marché à leurs concitoyens.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Ce que le vieux poète Ennius a dit: « Tous les mortels aiment la louange», il l'a dit d'après ce qu'il avait éprouvé de lui-même et de quelques autres, il l'a conjecturé de tous, et paraît bien avoir exprimé un goût universel. Si le bouffon eût dit: vous aimez tous la louange, personne de vous n'aime le blâme, on pourrait encore affirmer qu'il aurait exprimé une vérité générale. Cependant il y a des hommes qui détestent leurs propres défauts, qui se déplaisent à eux-mêmes sous ce point de vue, ne désirent point être loués par les autres, et sont même reconnaissants des reproches qu'on leur adresse, quand ils sont inspirés par la bienveillance et dans le but de les corriger. Mais si le comédien eût dit Vous voulez tous être heureux, personne de vous ne veut être malheureux, cette fois il n'aurait rencontré que ce que chacun découvre au fond de sa volonté. Car quel que soit l'objet des plus secrets désirs, il se rattache toujours à cette aspiration si connue de tous et chez tous.
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CHAPITRE IV.
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LE DÉSIR DU BONHEUR EXISTE CHEZ TOUS, MAIS LES VOLONTÉS VARIENT BEAUCOUP SUR LA NATURE DU BONHEUR.
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Tous désirant obtenir et conserver le bonheur, il est surprenant de voir combien les volontés sont différentes sur la nature du bonheur. Non que tous ne le désirent, mais tous ne le connaissent pas. Si, en effet, tous le connaissaient, les uns ne le placeraient pas dans la vertu de l'âme, les autres dans la volupté charnelle, ceux-ci dans l'une et l'autre, ceux-là et ceux-là encore dans mille et mille autres objets différents; car pour déterminer ce que ç'est que la vie heureuse, chacun n'a consulté que son attrait. Comment donc tous éprouvent-ils une telle ardeur pour ce que tous ne connaissent pas? Peut-on aimer ce qu'on ne connaît pas? C'est une question que j'ai déjà traitée dans les livres précédents (Liv; VIII, ch. IV et suiv. ; liv; X, ch. IV.). Pourquoi donc tous désirent-ils le bonheur, et tous ne connaissent-ils pas le bonheur? Serait-ce que tous savent en quoi il consiste, mais non où il est, et que de là proviendrait la divergence d'opinions, à peu près comme s'il s'agissait de trouver un lieu en ce monde où quiconque désire le bonheur serait sûr de le trouver, et comme si on ne cherchait pas aussi bien où est le bonheur qu'en quoi il consiste.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
En effet, s'il consiste dans la volupté du corps, celui qui jouit de cette volupté est heureux; s'il consiste dans la vertu de l'âme, celui qui possède cette vertu, le possède, et s'il consiste dans les deux, celui qui les réunit a trouvé le moyen d'être heureux. Quand donc l'un dit: Jouir de la volupté du corps, c'est être heureux; et l'autre : Jouir de la vertu de l'âme, c'est être heureux : n'est-ce pas ou que tous les deux ignorent ce que c'est que le bonheur, ou qu'ils ne le savent pas tous les deux? Comment donc tous les deux l'aiment-ils, si personne ne peut aimer ce qu'il ignore? Serait-ce que le principe que nous avons posé comme indubitable et certain, à savoir que tous veulent être heureux, n'est qu'une fausseté? Car, par exemple, si le bonheur consiste à vivre vertueux, comment celui qui ne veut pas être vertueux, veut-il être heureux? Ne serait-il pas plus juste de dire : Cet homme ne veut pas être heureux, car il rie veut pas être vertueux, la vertu étant la condition obligée du bonheur? Or, si pour être heureux il faut être vertueux, tous ne veulent pas être heureux, il y en a même bien peu, car beaucoup ne veulent pas être vertueux. Ainsi donc ce serait une erreur, le principe sur lequel Cicéron, l'académicien, n'a pas élevé le moindre doute (et pour les académiciens tout est douteux) lui qui, dans son dialogue, appelé Hortensius, voulant établir sa discussion sur une base incontestée, débute par ces mots: « Il est certain que nous « voulons tous être heureux ». Loin de nous la pensée de le dire! Mais quoi alors? Faudra-t-il dire que, quoique le bonheur ne soit pas autre chose qu'une vie vertueuse, on peut cependant désirer d'être heureux et ne pas vouloir être vertueux? Ce serait par trop absurde. Ce serait dire: celui qui ne veut pas être heureux, veut être heureux. Peut-on entendre, peut-on supporter une telle contradiction? Et cependant il le faut, s'il est vrai que tous veulent être heureux et que tous ne veulent pas la condition essentielle du bonheur. (510)
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
CHAPITRE V.
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SUITE DU MÊME SUJET.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Ou bien nous tirerons-nous d'embarras en disant que, chacun ayant placé le bonheur dans ce qui le charmait davantage, Epicure dans la volupté, Zénon dans la vertu, et d'autres dans d'autres choses, nous le ferons consister uniquement à vivre selon son attrait, en sorte qu'il sera toujours vrai d'affirmer que chacun désire d'être heureux, puisque chacun veut vivre le la manière qui lui plaît davantage? Si cette proposition eût été énoncée au théâtre, chacun l'aurait retrouvée au fond de sa volonté. Mais Cicéron s'étant fait cette objection, y répond de manière à faire rougir ceux qui pensent de la sorte. « Des « hommes », dit-il, « qui ne sont point philosophes, il est vrai, mais qui sont toujours prêts à discuter, disent que tous ceux qui vivent à leur gré sont heureux », précisément ce que nous disions : vivre selon son attrait. Puis il ajoute : « C'est évidemment une erreur. Car vouloir ce qui ne convient pas, est une chose très-misérable; et c'est un moindre malheur de ne pas obtenir ce qu'on désire que de désirer ce qu'on ne doit pas posséder ». Parole excellente et parfaitement ?vraie. Quel est, en effet, l'homme assez aveugle d'esprit, tellement étranger à tout sentiment d'honneur, tellement enveloppé des ténèbres de l'opprobre, qu'il appelle heureux, parce qu'il vit à son gré, celui qui vit dans le crime et la honte, assouvit ses volontés les plus coupables et les plus dégradantes, sans que personne s'y oppose, ou en tire punition, ou ose seulement hasarder un reproche, peut-être même aux applaudissements de la foule, puisque, selon la divine Ecriture : « Le pécheur est glorifié dans les désirs de son âme, et celui qui commet l'iniquité, reçoit des bénédictions (Ps 9, 3 )? » Certainement, si ce pécheur n'avait pu accomplir ses criminelles volontés, tout malheureux qu'il serait, il le serait moins qu'il ne l'est. Sans doute une mauvaise volonté suffit à elle seule pour rendre malheureux; mais le pouvoir de l'assouvir rend plus malheureux encore.
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Ainsi donc, puisqu'il est vrai que tous les hommes désirent d'être heureux, qu'ils y tendent de toute l'ardeur de leurs voeux, et que tous leurs autres désirs se ramènent à celui-là; puisque personne ne peut aimer ce dont il ignore absolument la nature et la qualité, et qu'il ne peut ignorer la nature de l'objet qu'il sait être le but de sa volonté: il s'ensuit que tout le monde connaît la vie heureuse. Or, tous ceux qui sont heureux ont ce qu'ils désirent, bien que tous ceux qui ont ce qu'ils désirent ne soient pas pour cela heureux; mais ceux-là sont nécessairement malheureux qui n'ont pas ce qu'ils désirent, ou qui possèdent ce qu'il ne convient pas de désirer. Il n'y a donc d'heureux que celui qui tout à la fois possède tout ce qu'il désire et ne désire rien qu'il soit mauvais de posséder.
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CHAPITRE VI.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
POURQUOI, QUAND TOUS DÉSIRENT LB BONHEUR, PRÉFÈRE-T-ON CE QUI ÉLOIGNE DU BONHEUR.
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Puisque la vie heureuse est à ces deux conditions, puisque tous la connaissent, que tous la désirent, pourquoi les hommes, quand ils ne peuvent réunir ces deux conditions, préfèrent-ils avoir tout ce qu'ils désirent, plutôt que de n'avoir que de bons désirs, même sans la possession? Est-ce donc par un effet de la dépravation humaine, que les hommes, sachant qu'on ne peut être heureux quand on n'a pas ce que l'on désire, ni quand on possède ce qu'on ne doit pas désirer, mais seulement quand on possède tous les biens qu'on désire et qu'on ne désire rien de mauvais : que sachant cela, dis-je, et ne pouvant réunir ces deux conditions nécessaires au bonheur, ils préfèrent ce qui éloigne du bonheur car celui qui possède l'objet de coupables désirs en est bien plus éloigné que celui qui ne possède point l'objet de ses désirs tandis qu'on devrait bien plutôt choisir et préférer le désir du bien, même sans la possession de l'objet désiré? Car celui-là est bien près du bonheur, qui ne veut absolument que le bien, que ce qui le rendra heureux quand il le possédera. Et certainement ce n'est pas le mal, mais le bien, qui procure le bonheur, quand bonheur il y a; et c'est déjà un bien et un bien d'un grand prix, d'avoir la bonne volonté, celle qui désire jouir des biens dont la nature humaine est capable, et nullement du mal qu'elle peut commettre ou posséder; qui ne recherche les biens de cette misérable vie qu'avec (511) prudence, tempérance, force, esprit de justice, et les acquiert dans la mesure de ses forces, de manière à rester bonne au milieu des maux, et à atteindre un jour le bonheur, quand tous les maux seront finis et tous les biens accomplis.
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CHAPITRE VII.
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LA FOI EST NÉCESSAIRE A L'HOMME POUR PARVENIR UN JOUR AU BONHEUR, CE QUI N'AURA LIEU QUE DANS LA VIE A VENIR. RIDICULE ET MISÉRABLE BONHEUR DES ORGUEILLEUX PHILOSOPHES.
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Conséquemment la foi en Dieu est surtout nécessaire en cette vie si pleine d'erreurs et de peines. Il n'est pas possible d'imaginer d'où viendraient les biens, particulièrement ceux qui rendent bon et ceux qui rendront heureux, s'ils ne descendent pas de Dieu sur l'homme pour l'enrichir. Mais quand, au sortir de cette vie, celui qui sera resté bon et fidèle au milieu de ses misères, entrera dans la vie heureuse, alors il lui arrivera ce qui est absolument impossible ici-bas, de vivre selon ses désirs. En effet, au sein de cette félicité, il ne voudra plus le mal, il ne voudra rien de ce qu'il n'aura pas, et il ne lui manquera rien de ce qu'il désirera. Il aura tout ce qu'il aimera, et ne désirera rien de ce qu'il n'aura pas. Tout ce qui sera là, sera bon, le Dieu souverain sera le souverain bien et appartiendra en jouissance à ceux qui l'aiment: et, pour comble de bonheur, on aura la certitude que cela durera toujours.
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Sans doute, les philosophes se sont fait certains genres de bonheur, au gré de leurs caprices, comme s'il eussent pu, par leur vertu propre, ce qui est impossible à la condition humaine, vivre comme ils voudraient. Ils sentaient que pour être heureux, il faut absolument posséder ce qu'on désire, et ne rien souffrir de ce qu'on ne veut pas souffrir. Or, qui ne voudrait avoir à sa disposition le genre de vie qui lui plaît et qu'il appelle le bonheur, de manière à le faire toujours durer ? Mais qui le peut? Quel homme désire, pour l'honneur de les supporter avec courage, même les incommodités qu'il veut et peut supporter quand il les éprouve? Qui désire vivre dans les tourments, même parmi ceux qui sauraient y vivre vertueux à l'aide de la patience et sans s'écarter de la justice ? Tous ceux, justes ou pécheurs, qui ont enduré des maux de ce genre, soit qu'ils les aient désirés, soit qu'ils aient redouté de perdre ce qu'ils aimaient, tous savaient bien que ces maux seraient passagers. Beaucoup même tendaient courageusement, à travers des épreuves éphémères, à des biens qui ne devaient pas finir. Et certainement l'espérance rend heureux ceux qui souffrent ainsi des maux passagers, par lesquels on achète des biens qui dureront toujours. Mais être heureux en espérance, ce n'est pas encore être heureux, puisque c'est attendre par la patience un bonheur qu'on ne possède pas encore. Or, celui qui n'a pas cette espérance, qui souffre sans attendre cette récompense, celui-là a beau être patient: il n'est pas véritablement heureux, il n'est que courageusement malheureux. Car il ne cesse pas d'être malheureux parce qu'il le serait davantage, s'il supportait impatiemment son malheur.
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La Trinité 13 trinité dans la foi/Saint Augustin
Mais quand même il ne souffrirait pas en son corps ce qu'il n'y veut pas souffrir, il ne serait pas heureux pour autant, puisqu'il ne vit pas comme il veut. En effet, pour ne pas parler d'autres maux qui atteignent l'âme sans blesser le corps, dont nous voudrions être exempts et qui sont sans nombre, assurément il voudrait, s'il était possible de maintenir son corps dans cet état de santé et d'intégrité, et de n'en être jamais incommodé, il voudrait que cela dépendît de sa volonté, ou de l'incorruptibilité du corps lui-même. Or cela n'étant pas ou restant fort précaire, il ne vit certainement pas comme il veut. En effet, bien qu'il soit disposé à accepter et à supporter courageusement tout ce qui peut lui arriver de fâcheux, il aimerait cependant mieux qu'il ne lui arrivât rien et il fait tout ce qu'il peut pour se garantir. Il est donc prêt à l'alternative : il désire l'un, et il évite l'autre, autant que possible, et si ce qu'il évite lui arrive, il le supportera patiemment parce qu'il n'a pu obtenir ce qu'il désirait. Il fait donc effort pour ne pas être accablé, mais il voudrait être débarrassé du fardeau. Peut-ou dire alors qu'il vit comme il veut? Serait-ce parce qu'il est disposé à supporter de bon coeur ce qu'il aurait voulu éviter ? Alors c'est vouloir ce qu'on peut, quand on ne peut pas ce qu'on veut. Pourtant voilà tout le bonheur dirai-je ridicule ? dirai-je misérable ? de ces fiers mortels qui se vantent de vivre comme ils veulent, parce qu'ils supportent volontiers et patiemment ce qu'ils voudraient bien pouvoir éviter. C'est là, (512) disent-ils, le sage avis que donne Térence: « Si ce que tu veux est impossible, tâche de vouloir ce que tu peux (Andr; act. II, sc,. I, V, 5, 6) ». Excellent conseil, qui le nie ? Mais conseil donné à un malheureux, pour l'empêcher d'être malheureux. Quant à celui qui possède réellement le bonheur que tout le monde désire, il ne serait ni vrai ni juste de lui dire: Ce que tu veux est impossible. Car, s'il est heureux, tout ce qu'il veut est possible, puisqu'il ne veut rien d'impossible. Mais cette vie n'appartient pas à notre condition mortelle; elle n'est possible qu'au sein de l'immortalité. Et si l'immortalité ne peut être le partage de l'homme, c'est en vain qu'il cherche le bonheur : car il n'y a pas de bonheur sans l'immortalité.
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CHAPITRE VIII.
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