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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Face à l'avancée rapide du progrès technique et économique et aux transformations tout aussi rapides des processus de production et de consommation, le Magistère ressent l'exigence de proposer une grande œuvre éducative et culturelle: « La demande d'une existence plus satisfaisante qualitativement et plus riche est en soi légitime. Mais on ne peut que mettre l'accent sur les responsabilités nouvelles et sur les dangers liés à cette étape de l'histoire. (...) Quand on définit de nouveaux besoins et de nouvelles méthodes pour les satisfaire, il est nécessaire qu'on s'inspire d'une image intégrale de l'homme qui respecte toutes les dimensions de son être et subordonne les dimensions physiques et instinctives aux dimensions intérieures et spirituelles. (...) La nécessité et l'urgence apparaissent donc d'un vaste travail éducatif et culturel qui comprenne l'éducation des consommateurs à un usage responsable de leur pouvoir de choisir, la formation d'un sens aigu des responsabilités chez les producteurs, et surtout chez les professionnels des moyens de communication sociale, sans compter l'intervention nécessaire des pouvoirs publics ».
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HUITIÈME CHAPITRE
LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE
I. ASPECTS BIBLIQUES
a) La seigneurie de Dieu
Le peuple d'Israël, dans la phase initiale de son histoire, n'a pas de roi, comme les autres peuples, car il ne reconnaît que Yahvé pour Seigneur. C'est Dieu qui intervient dans l'histoire à travers des hommes charismatiques, comme en témoigne le Livre des Juges. Au dernier de ces hommes, Samuel, prophète et juge, le peuple demandera un roi (cf. 1 S 8, 5; 10, 18-19). Samuel met en garde les Israélites quant aux conséquences d'un exercice despotique de la royauté (cf. 1 S 8, 11-18); toutefois, le pouvoir royal peut aussi être expérimenté comme un don de Yahvé qui vient au secours de son peuple (cf. 1 S 9, 16). À la fin, Saül recevra l'onction royale (cf. 1 S 10, 1-2). Cette affaire met en évidence les tensions qui amenèrent Israël à une conception de la royauté différente de celle des peuples voisins: le roi, choisi par Yahvé (cf. Dt 17, 15; 1 S 9, 16) et consacré par lui (cf. 1 S 16, 12-13), sera considéré comme son fils (cf. Ps 2, 7) et devra rendre visible sa seigneurie et son dessein de salut (cf. Ps 72). Il devra donc se faire le défenseur des pauvres et assurer au peuple la justice: les dénonciations des prophètes seront dirigées précisément contre les manquements des rois (cf. 1 R 21; Is 10, 1-4; Am 2, 6-8; 8, 4-8; Mi 3, 1-4).
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Le prototype du roi choisi par Yahvé est David, dont le récit biblique souligne avec satisfaction l'humble condition (1 S 16, 1-13). David est le dépositaire de la promesse (cf. 2 S 7, 13-16; Ps 89, 2-38; 132, 11-18), qui fait de lui l'initiateur d'une tradition royale spéciale, la tradition « messianique ». En dépit de tous les péchés et de toutes les infidélités de David, celle-ci culmine en Jésus-Christ, l'« oint de Yahvé » (c'est-à-dire « consacré du Seigneur »: cf. 1 S 2, 35; 24, 7.11; 26, 9.16; cf. aussi Ez 30, 22-32) par excellence, fils de David (cf. les deux généalogies en Mt 1, 1-17 et Lc 3, 23-38; cf. aussi Rm 1, 3).
L'échec de la royauté sur le plan historique ne conduira pas à la disparition de l'idéal d'un roi qui, dans la fidélité à Yahvé, gouverne avec sagesse et agit avec justice. Cette espérance réapparaît plusieurs fois dans les Psaumes (cf. Ps 2; 18; 20; 21; 72). Dans les oracles messianiques, on attend pour le temps eschatologique la figure d'un roi habité par l'Esprit du Seigneur, rempli de sagesse et en mesure de rendre justice aux pauvres (cf. Is 11, 2-5; Jr 23, 5-6). Vrai pasteur du peuple d'Israël (cf. Ez 34, 23-24; 37, 24), il apportera la paix aux nations (cf. Za 9, 9-10). Dans la littérature sapientielle, le roi est présenté comme celui qui rend des jugements justes et abhorre l'iniquité (cf. Pr 16, 12), qui juge les pauvres avec justice (cf. Pr 29, 14) et est l'ami de l'homme au cœur pur (cf. Pr 22, 11). Peu à peu, l'annonce devient plus explicite de ce que les Évangiles et les autres textes du Nouveau Testament voient réalisé en Jésus de Nazareth, incarnation définitive de la figure du roi décrite dans l'Ancien Testament.
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b) Jésus et l'autorité politique
Jésus refuse le pouvoir oppresseur et despotique des chefs sur les Nations (cf. Mc 10, 42) et leur prétention de se faire appeler bienfaiteurs (cf. Lc 22, 25), mais il ne conteste jamais directement les autorités de son temps. Dans la diatribe sur l'impôt à payer à César (cf. Mc 12, 13-17; Mt 22, 15- 22; Lc 20, 20-26), il affirme qu'il faut donner à Dieu ce qui est à Dieu, en condamnant implicitement toute tentative de divinisation et d'absolutisation du pouvoir temporel: seul Dieu peut tout exiger de l'homme. En même temps, le pouvoir temporel a droit à ce qui lui est dû: Jésus ne considère pas l'impôt à César comme injuste.
Jésus, le Messie promis, a combattu et a vaincu la tentation d'un messianisme politique, caractérisé par la domination sur les Nations (cf. Mt 4, 8-11; Lc 4, 5-8). Il est le Fils de l'homme venu « pour servir et donner sa vie » (Mc 10, 45; cf. Mt 20, 24-28; Lc 22, 24-27). À ses disciples qui débattent sur qui est le plus grand, le Seigneur enseigne à devenir les derniers et à se faire les serviteurs de tous (cf. Mc 9, 33-35), en indiquant à Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui ambitionnent de s'asseoir à sa droite, le chemin de la croix (cf. Mc 10, 35-40; Mt 20, 20-23).
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c) Les premières communautés chrétiennes
La soumission — non par passivité mais pour des raisons de conscience (cf. Rm 13, 5) — au pouvoir constitué répond à l'ordre établi par Dieu. Saint Paul définit les rapports et les devoirs des chrétiens vis-à-vis des autorités (cf. Rm 13, 1-7). Il insiste sur le devoir civique de payer les impôts: « Rendez à chacun ce qui lui est dû: à qui l'impôt, l'impôt; à qui les taxes, les taxes; à qui la crainte, la crainte; à qui l'honneur, l'honneur » (Rm 13, 7). L'Apôtre n'entend certes pas légitimer tout pouvoir mais plutôt aider les chrétiens à « avoir à cœur ce qui est bien devant tous les hommes » (Rm 12, 17), même dans les rapports avec l'autorité, dans la mesure où celle-ci est au service de Dieu pour le bien de la personne (cf. Rm 13, 4; 1 Tm 2, 1-2; Tt 3, 1) et « pour faire justice et châtier qui fait le mal » (Rm 13, 4).
Saint Pierre exhorte les chrétiens à être « soumis à cause du Seigneur à toute institution humaine » (1 P 2, 13). Le roi et ses gouverneurs ont le devoir de « punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien » (1 P 2, 14). Leur autorité doit être « honorée » (cf. 1 P 2, 17), c'est-à-dire reconnue, car Dieu exige un comportement droit, qui ferme « la bouche à l'ignorance des insensés » (1 P 2, 15). La liberté ne peut pas être utilisée pour couvrir sa propre malice, mais pour servir Dieu (cf. 1 P 2, 16). Il s'agit alors d'une obéissance libre et responsable à une autorité qui fait respecter la justice, en assurant le bien commun.
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La prière pour les gouvernants, recommandée par saint Paul durant les persécutions, indique explicitement ce que l'autorité politique doit garantir: une vie calme et tranquille, à passer en toute piété et dignité (cf. 1 Tm 2, 1-2). Les chrétiens doivent « être prêts à toute bonne œuvre » (Tt 3, 1), et « témoigner à tous les hommes une parfaite douceur » (Tt 3, 2), conscients d'avoir été sauvés non pour leurs œuvres, mais par la miséricorde de Dieu. Sans « le bain de la régénération et de la rénovation en l'Esprit Saint, [que Dieu] a répandu sur nous à profusion, par Jésus-Christ notre Sauveur » (Tt 3, 5-6), tous les hommes sont « des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves d'une foule de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l'envie, odieux et [se] haïssant les uns les autres » (Tt 3, 3). Il ne faut pas oublier la misère de la condition humaine, marquée par le péché et rachetée par l'amour de Dieu.
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Quand le pouvoir humain sort des limites de l'ordre voulu par Dieu, il s'auto-divinise et demande la soumission absolue; il devient alors la Bête de l'Apocalypse, image du pouvoir impérial persécuteur, ivre « du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus » (Ap 17, 6). La Bête a, à son service, le « faux prophète » (Ap 19, 20) qui pousse les hommes à l'adorer grâce à des prodiges qui séduisent. Cette vision désigne prophétiquement tous les pièges utilisés par Satan pour gouverner les hommes, en s'insinuant dans leur esprit par le mensonge. Mais le Christ est l'Agneau Vainqueur de tout pouvoir qui s'absolutise au cours de l'histoire humaine. Face à ce pouvoir, saint Jean recommande la résistance des martyrs: de la sorte, les croyants témoignent que le pouvoir corrompu et satanique est vaincu, car il n'a plus aucun ascendant sur eux.
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L'Église annonce que le Christ, vainqueur de la mort, règne sur l'univers qu'il a lui-même racheté. Son règne s'étend aussi dans le temps présent, et ne prendra fin que lorsque tout aura été remis au Père et que l'histoire humaine s'accomplira par le jugement dernier (cf. 1 Co 15, 20-28). Le Christ révèle à l'autorité humaine, toujours tentée par la domination, sa signification authentique et achevée de service. Dieu est le Père unique et le Christ le seul maître de tous les hommes, qui sont frères. La souveraineté appartient à Dieu. Toutefois, le Seigneur « n'a pas voulu retenir pour Lui seul l'exercice de tous les pouvoirs. Il remet à chaque créature les fonctions qu'elle est capable d'exercer, selon les capacités de sa nature propre. Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie sociale. Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde, qui témoigne de si grands égards pour la liberté humaine, devrait inspirer la sagesse de ceux qui gouvernent les communautés humaines. Ils ont à se comporter en ministres de la providence divine ».
Le message biblique inspire sans cesse la pensée chrétienne sur le pouvoir politique, en rappelant qu'il jaillit de Dieu et qu'il fait partie intégrante de l'ordre qu'il a créé. Cet ordre est perçu par les consciences et se réalise, dans la vie sociale, à travers la vérité, la justice, la liberté et la solidarité qui procurent la paix.
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II. LE FONDEMENT ET LA FIN DE LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE
a) Communauté politique, personne humaine et peuple
La personne humaine est le fondement et la fin de la communauté politique. Dotée de rationalité, elle est responsable de ses choix et capable de poursuivre des projets qui donnent un sens à sa vie, au niveau individuel et social. L'ouverture à la Transcendance et aux autres est le trait qui la caractérise et la distingue: ce n'est qu'en rapport à la Transcendance et aux autres que la personne humaine atteint sa réalisation pleine et intégrale. Pour l'homme, créature naturellement sociale et politique, « la vie sociale n'est donc pas (...) quelque chose de surajouté », mais plutôt une dimension essentielle qui ne peut être éliminée.
La communauté politique découle de la nature des personnes, dont la conscience « leur révèle et leur enjoint de respecter » l'ordre inscrit par Dieu dans toutes ses créatures, « un ordre moral et religieux qui, plus que toute valeur matérielle, influe sur les orientations et les solutions à donner aux problèmes de la vie individuelle et sociale, à l'intérieur des communautés nationales et dans leurs rapports mutuels ». Cet ordre doit être progressivement découvert et développé par l'humanité. La communauté politique, réalité connaturelle aux hommes, existe pour obtenir une fin impossible à atteindre autrement: la pleine croissance de chacun de ses membres, appelés à collaborer de façon stable pour réaliser le bien commun, poussés par leur tension naturelle vers le vrai et vers le bien.
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La communauté politique trouve dans la référence au peuple sa dimension authentique: elle « est, et doit être en réalité, l'unité organique et organisatrice d'un vrai peuple ». Le peuple n'est pas une multitude amorphe, une masse inerte à manipuler et à exploiter, mais un ensemble de personnes dont chacune — « à la place et de la manière qui lui sont propres » — a la possibilité de se former une opinion sur la chose publique et la liberté d'exprimer sa sensibilité politique et de la faire valoir en harmonie avec le bien commun: « Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun (...) est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions ». Les membres d'une communauté politique, bien qu'unis de façon organique entre eux comme peuple, conservent toutefois une autonomie indéniable au niveau de leur existence personnelle et des fins à poursuivre.
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Ce qui caractérise en premier lieu un peuple, c'est le partage de vie et de valeurs, qui est source de communion au niveau spirituel et moral: « La vie en société (...) doit être considérée avant tout comme une réalité d'ordre spirituel. Elle est, en effet, échange de connaissances dans la lumière de la vérité, exercice de droits et accomplissement de devoirs; émulation dans la recherche du bien moral; communion dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions légitimes; disposition permanente à communiquer à autrui le meilleur de soi-même et aspiration commune à un constant enrichissement spirituel. Telles sont les valeurs qui doivent animer et orienter toutes choses: activité culturelle, vie économique, organisation sociale, mouvements et régimes politiques, législation, et toute autre expression de la vie sociale dans sa continuelle évolution ».
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À chaque peuple correspond en général une nation mais, pour diverses raisons, les frontières nationales ne coïncident pas toujours avec les frontières ethniques.784 C'est ainsi que surgit la question des minorités qui, historiquement, a engendré de nombreux conflits. Le Magistère affirme que les minorités constituent des groupes jouissant de droits et devoirs spécifiques. En premier lieu, un groupe minoritaire a droit à sa propre existence: « Ce droit peut être méconnu de diverses manières, jusqu'aux cas extrêmes où des formes ouvertes ou indirectes de génocide le réduisent à néant ». En outre, les minorités ont le droit de conserver leur culture, y compris leur langue, ainsi que leurs convictions religieuses, y compris la célébration du culte. Dans la légitime revendication de leurs droits, les minorités peuvent être poussées à rechercher une plus grande autonomie ou même leur indépendance: dans ces circonstances délicates, le dialogue et la négociation sont le chemin pour parvenir à la paix. Dans tous les cas, le recours au terrorisme est injustifiable et nuirait à la cause que l'on veut défendre. Les minorités ont également des devoirs à remplir, dont en premier lieu la coopération au bien commun de l'État où elles sont insérées. En particulier, « un groupe minoritaire a le devoir de promouvoir la liberté et la dignité de chacun de ses membres et de respecter les choix de chaque individu, même si l'un d'entre eux décidait de passer à la culture majoritaire ».
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b) Protéger et promouvoir les droits de l'homme
Considérer la personne humaine comme le fondement et la fin de la communauté politique signifie se prodiguer avant tout pour la reconnaissance et le respect de sa dignité en protégeant et en promouvant les droits fondamentaux et inaliénables de l'homme: « Pour la pensée contemporaine, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine ». Dans les droits de l'homme sont condensées les principales exigences morales et juridiques qui doivent présider à la construction de la communauté politique. Ils constituent une norme objective qui fonde le droit positif et qui ne peut être ignorée par la communauté politique, car la personne lui est antérieure sur le plan de l'être et des finalités: le droit positif doit garantir la satisfaction des exigences humaines fondamentales.
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La communauté politique poursuit le bien commun en œuvrant pour la création d'un environnement humain où est offerte aux citoyens la possibilité d'un exercice réel des droits de l'homme et d'un accomplissement plénier des devoirs qui y sont liés: « L'expérience nous montre que si l'autorité n'agit pas opportunément en matière économique, sociale ou culturelle, des inégalités s'accentuent entre les citoyens, surtout à notre époque, au point que les droits fondamentaux de la personne restent sans portée efficace et que l'accomplissement des devoirs correspondants en est compromis ».
La pleine réalisation du bien commun exige que la communauté politique développe, dans le cadre des droits de l'homme, une double action complémentaire, de défense et de promotion: « On veillera à ce que la prédominance accordée à des individus ou à certains groupes n'installe dans la nation des situations privilégiées; par ailleurs, le souci de sauvegarder les droits de tous ne doit pas déterminer une politique qui, par une singulière contradiction, réduirait excessivement ou rendrait impossible le plein exercice de ces mêmes droits ».
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c) La vie en société basée sur l'amitié civile
La signification profonde de la communauté, civile et politique, ne ressort pas immédiatement de la liste des droits et des devoirs de la personne. Cette vie en société acquiert toute sa signification si elle est basée sur l'amitié civile et sur la fraternité. Le domaine du droit, en effet, est celui de l'intérêt à sauvegarder, du respect extérieur, de la protection des biens matériels et de leur répartition selon des règles établies; en revanche, le domaine de l'amitié est celui du désintéressement, du détachement des biens matériels, de leur don, de la disponibilité intérieure aux exigences de l'autre. Ainsi conçue, l'amitié civile est la mise en œuvre la plus authentique du principe de fraternité, qui est inséparable de celui de liberté et d'égalité. Il s'agit d'un principe demeuré en grande partie lettre morte dans les sociétés politiques modernes et contemporaines, surtout à cause de l'influence exercée par les idéologies individualistes et collectivistes.
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Une communauté est solidement fondée lorsqu'elle tend à la promotion intégrale de la personne et du bien commun; dans ce cas, le droit est défini, respecté et vécu aussi selon les modalités de la solidarité et du dévouement au prochain. La justice exige que chacun puisse jouir de ses biens et de ses droits et elle peut être considérée comme la mesure minimum de l'amour.794 La vie en société devient d'autant plus humaine qu'elle est caractérisée par l'effort pour parvenir à une conscience plus mûre de l'idéal vers lequel elle doit tendre, qui est la « civilisation de l'amour ».795
L'homme est une personne, pas seulement un individu. Par le terme « personne » on désigne « une nature douée d'intelligence et de volonté libre »: c'est donc une réalité bien supérieure à celle d'un sujet qui s'exprime à travers les besoins produits par la simple dimension matérielle. De fait, bien que participant activement à l'œuvre tendant à satisfaire ses besoins au sein de la société familiale, civile et politique, la personne humaine ne trouve pas sa réalisation complète tant qu'elle ne dépasse pas la logique du besoin pour se projeter dans celle de la gratuité et du don, qui répond plus entièrement à son essence et à sa vocation communautaire.
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Le précepte évangélique de la charité éclaire les chrétiens sur la signification la plus profonde de la communauté politique. Pour la rendre vraiment humaine, « rien n'est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l'autorité publique ». L'objectif que les croyants doivent se fixer est l'instauration de rapports communautaires entre les personnes. La vision chrétienne de la société politique confère le plus grand relief à la valeur de la communauté, aussi bien comme modèle d'organisation de la vie en commun que comme style de vie quotidienne.
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III. L'AUTORITÉ POLITIQUE
a) Le fondement de l'autorité politique
L'Église a été confrontée à diverses conceptions de l'autorité, en ayant toujours soin d'en défendre et d'en proposer un modèle fondé sur la nature sociale des personnes: « Puisque Dieu a doté de sociabilité la créature humaine, mais puisque “nulle société n'a de consistance sans un chef dont l'action efficace et unifiante mobilise tous les membres au service des buts communs, toute communauté humaine a besoin d'une autorité qui la régisse. Celle-ci, tout comme la société, a donc pour auteur la nature et du même coup Dieu Lui-même” ». L'autorité politique est par conséquent nécessaire en raison des tâches qui lui sont attribuées et ce doit être un élément positif et irremplaçable de la communauté humaine.
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L'autorité politique doit garantir la vie ordonnée et droite de la communauté, sans se substituer à la libre activité des individus et des groupes, mais en la disciplinant et en l'orientant, dans le respect et la tutelle de l'indépendance des sujets individuels et sociaux, vers la réalisation du bien commun. L'autorité politique est l'instrument de coordination et de direction à travers lequel les individus et les corps intermédiaires doivent s'orienter vers un ordre dont les relations, les institutions et les procédures soient au service de la croissance humaine intégrale. L'exercice de l'autorité politique, en effet, « soit à l'intérieur de la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent l'État, doit toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral, en vue du bien commun (mais conçu d'une manière dynamique), conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir. Alors les citoyens sont en conscience tenus à l'obéissance ».
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Le sujet de l'autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté. Sous diverses formes, le peuple transfère l'exercice de sa souveraineté à ceux qu'il élit librement comme ses représentants, mais il conserve la faculté de la faire valoir en contrôlant l'action des gouvernants et en les remplaçant s'ils ne remplissent pas leurs fonctions de manière satisfaisante. Bien qu'il s'agisse d'un droit valide dans chaque État et dans n'importe quel régime politique, le système de la démocratie, grâce à ses procédures de contrôle, en permet et en garantit une meilleure pratique. Le consensus populaire à lui seul ne suffit cependant pas à faire considérer comme justes les modalités d'exercice de l'autorité politique.
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b) L'autorité comme force morale
L'autorité doit se laisser guider par la loi morale: toute sa dignité dérive de son exercice dans le domaine de l'ordre moral, « lequel à son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin ». En raison de la référence nécessaire à cet ordre, qui la précède et qui la fonde, de ses finalités et de ses destinataires, l'autorité ne peut être conçue comme une force déterminée par des critères à caractère purement sociologique et historique: « Malheureusement, certaines de ces conceptions ne reconnaissent pas l'existence d'un ordre moral, d'un ordre transcendant, universel, absolu, d'égale valeur pour tous. Il devient ainsi impossible de se rencontrer et de se mettre pleinement d'accord, avec sécurité, à la lumière d'une même loi de justice admise et suivie par tous ». Cet ordre « ne peut s'édifier que sur Dieu; séparé de Dieu il se désintègre ». C'est précisément de cet ordre que l'autorité tire sa force impérative et sa légitimité morale, non pas de l'arbitraire ou de la volonté de puissance, et elle est tenue de traduire cet ordre dans les actions concrètes pour la réalisation du bien commun.
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L'autorité doit reconnaître, respecter et promouvoir les valeurs humaines et morales essentielles. Elles sont innées, « découlent de la vérité même de l'être humain et (...) expriment et protègent la dignité de la personne: ce sont donc des valeurs qu'aucune personne, aucune majorité ni aucun État ne pourront jamais créer, modifier ou abolir ». Elles ne sont pas basées sur des « majorités » d'opinion provisoires ou changeantes, mais elles doivent être simplement reconnues, respectées et promues comme éléments d'une loi morale objective, loi naturelle inscrite dans le cœur de l'homme (cf. Rm 2, 15), et comme point de référence normatif de la loi civile elle-même. Si, à cause d'un obscurcissement tragique de la conscience collective, le scepticisme venait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la loi morale, l'ordonnancement étatique lui- même serait bouleversé dans ses fondements, se réduisant à un pur mécanisme de régulation pragmatique d'intérêts différents et opposés.
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L'autorité doit promulguer des lois justes, c'est-à-dire conformes à la dignité de la personne humaine et aux impératifs de la raison droite: « La loi humaine est telle dans la mesure où elle est conforme à la raison droite et dérive donc de la loi éternelle. En revanche, quand une loi est en contraste avec la raison, on l'appelle loi inique; dans ce cas, toutefois, elle cesse d'être loi et devient plutôt un acte de violence ». L'autorité qui commande selon la raison place le citoyen en situation non pas tant d'assujettissement vis-à-vis d'un autre homme, que plutôt d'obéissance à l'ordre moral et donc à Dieu lui-même qui en est la source ultime. Celui qui refuse d'obéir à l'autorité qui agit selon l'ordre moral « s'oppose à l'ordre établi par Dieu » (Rm 13, 2). Pareillement, si l'autorité publique, qui a son fondement dans la nature humaine et qui appartient à l'ordre préétabli par Dieu, ne met pas tout en oeuvre pour la réalisation du bien commun, elle trahit sa fin spécifique et par conséquent se délégitime.
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c) Le droit à l'objection de conscience
Le citoyen n'est pas obligé en conscience de suivre les prescriptions des autorités civiles si elles sont contraires aux exigences de l'ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l'Évangile. Les lois injustes placent les hommes moralement droits face à de dramatiques problèmes de conscience: lorsqu'ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l'obligation de s'y refuser. Ce refus constitue non seulement un devoir moral, mais c'est aussi un droit humain fondamental que, précisément en tant que tel, la loi civile doit reconnaître et protéger: « Ceux qui recourent à l'objection de conscience doivent être exempts non seulement de sanctions pénales, mais encore de quelque dommage que ce soit sur le plan légal, disciplinaire, économique ou professionnel ».
C'est un grave devoir de conscience de ne pas collaborer, même formellement, à des pratiques qui, bien qu'admises par la législation civile, sont en contraste avec la Loi de Dieu. En effet, cette collaboration ne peut jamais être justifiée, ni en invoquant le respect de la liberté d'autrui, ni en prétextant que la loi civile la prévoit et la requiert. Personne ne peut jamais se soustraire à la responsabilité morale des actes accomplis et sur cette responsabilité chacun sera jugé par Dieu lui-même (cf. Rm 2, 6; 14, 12).
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d) Le droit de résister
Reconnaître que le droit naturel fonde et limite le droit positif signifie admettre qu'il est légitime de résister à l'autorité dans le cas où celle-ci viole gravement et de façon répétée les principes du droit naturel. Saint Thomas d'Aquin écrit qu' « on n'est tenu d'obéir... que dans la mesure requise par un ordre fondé en justice ». Le fondement du droit de résistance est donc le droit de nature.
Les manifestations concrètes que peut revêtir la réalisation de ce droit peuvent être diverses. Diverses peuvent être aussi les fins poursuivies. La résistance à l'autorité vise à réaffirmer la validité d'une vision différente des choses, aussi bien quand on cherche à obtenir un changement partiel, en modifiant par exemple certaines lois, que lorsqu'on se bat pour un changement radical de la situation.
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La doctrine sociale indique les critères de l'exercice du droit de résistance: « La résistance à l'oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunies les conditions suivantes: 1 - en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux; 2 - après avoir épuisé tous les autres recours; 3 - sans provoquer des désordres pires; 4 - qu'il y ait un espoir fondé de réussite; 5 - s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures ». La lutte armée est considérée comme un remède extrême pour mettre fin à une « tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun du pays ». La gravité des dangers que comporte aujourd'hui le recours à la violence conduit de toute façon à préférer la voie de la résistance passive, « plus conforme aux principes moraux et non moins prometteuse de succès ».
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e) Infliger les peines
Pour protéger le bien commun, l'autorité publique légitime a le droit et le devoir d'infliger des peines proportionnées à la gravité des délits. L'État a la double tâche de réprimer les comportements qui portent atteinte aux droits de l'homme et aux règles fondamentales d'une société civile, ainsi que de remédier, par le biais du système des peines, au désordre causé par l'action délictueuse. Dans l'État de droit, le pouvoir d'infliger les peines est, comme il se doit, confié à la Magistrature: « Les Constitutions des États modernes, en définissant les rapports qui doivent exister entre le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, garantissent à ce dernier l'indépendance nécessaire dans le cadre de la loi ».
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La peine ne sert pas uniquement à défendre l'ordre public et à garantir la sécurité des personnes: elle devient aussi un instrument pour la correction du coupable, une correction qui revêt aussi une valeur morale d'expiation quand le coupable accepte volontairement sa peine. L'objectif à poursuivre est double: d'un côté, favoriser la réinsertion des personnes condamnées; d'un autre côté, promouvoir une justice réconciliatrice, capable de restaurer les relations de coexistence harmonieuse brisées par l'acte criminel.
À cet égard, l'activité que les aumôniers de prison sont appelés à exercer est importante, non seulement sous le profil spécifiquement religieux, mais aussi pour défendre la dignité des personnes détenues. Hélas, les conditions dans lesquelles elles purgent leur peine ne favorisent pas toujours le respect de leur dignité; souvent les prisons deviennent même le théâtre de nouveaux crimes. Le milieu des instituts pénitenciers offre toutefois un terrain privilégié pour témoigner, une fois encore, de la sollicitude chrétienne dans le domaine social: « J'étais (...) prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 35-36).
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
L'activité des structures chargées d'établir la responsabilité pénale, qui est toujours à caractère personnel, doit tendre à la recherche rigoureuse de la vérité et doit être menée dans le plein respect de la dignité et des droits de la personne humaine: il s'agit de garantir les droits du coupable comme ceux de l'innocent. Il faut toujours avoir présent à l'esprit le principe juridique général selon lequel on ne peut pas infliger une peine avant d'avoir prouvé le délit.
Dans le déroulement des enquêtes, il faut scrupuleusement observer la règle qui interdit la pratique de la torture, même dans le cas des délits les plus graves: « Le disciple du Christ rejette tout recours à de tels moyens, que rien ne saurait justifier et où la dignité de l'homme est avilie chez celui qui est frappé comme d'ailleurs chez son bourreau ». Les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l'homme indiquent à juste titre l'interdiction de la torture comme un principe auquel on ne peut déroger en aucune circonstance.
Il faut également exclure « le recours à une détention uniquement motivée par la tentative d'obtenir des informations significatives pour le procès ». En outre, il faut garantir « la rapidité des procès: leur longueur excessive devient intolérable pour les citoyens et finit par se traduire en une véritable injustice ».
Les magistrats sont tenus à un devoir de réserve dans le déroulement de leurs enquêtes pour ne pas violer le droit des prévenus à la confidentialité et pour ne pas affaiblir le principe de la présomption d'innocence. Étant donné que même un juge peut se tromper, il est opportun que la législation établisse une indemnisation équitable pour les victimes d'une erreur judiciaire.
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
L'Église voit comme un signe d'espérance « l'aversion toujours plus répandue de l'opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l'a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter ». Même si l'enseignement traditionnel de l'Église n'exclut pas — après qu'aient été pleinement certifiées l'identité et la responsabilité du coupable — le recours à la peine de mort, « si cette dernière s'avère être la seule voie praticable dans la défense efficace de la vie des êtres humains face à l'agresseur injuste », les méthodes non sanglantes de répression et de punition sont préférables dans la mesure où elles « correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ». Le nombre croissant de pays qui adoptent des mesures pour abolir la peine de mort ou pour suspendre son application est également une preuve que les cas où il est absolument nécessaire de supprimer le coupable « sont désormais assez rares, si non même pratiquement inexistants ». L'aversion croissante de l'opinion publique pour la peine de mort et les diverses mesures en vue de son abolition, ou de la suspension de son application, constituent des manifestations visibles d'une plus grande sensibilité morale.
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