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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Dans les pays en voie de développement, en outre, durant ces dernières années, on a vu se répandre le phénomène de l'expansion d'activités économiques « informelles » ou « souterraines » qui représente un signal de croissance économique prometteuse, mais qui soulève aussi des problèmes éthiques et juridiques. L'augmentation significative des emplois provoquée par ces activités est due, en effet, à l'absence de spécialisation d'une grande partie des travailleurs locaux et au développement désordonné des secteurs économiques formels. Un nombre élevé de personnes est ainsi contraint de travailler dans des conditions très difficiles et dans un contexte privé de règles protégeant la dignité du travailleur. Les niveaux de productivité, de revenu et de vie sont extrêmement bas et se révèlent souvent insuffisants à satisfaire le niveau de subsistance des travailleurs et de leurs familles.
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b) Doctrine sociale et « res novae »
Face aux imposantes « res novae » du monde du travail, la doctrine sociale de l'Église recommande, avant tout, d'éviter l'erreur d'estimer que les changements actuels surviennent de façon déterministe. Le facteur décisif et « l'arbitre » de cette phase complexe de changement sont encore une fois l'homme, qui doit rester le véritable acteur de son travail. Il peut et doit prendre en charge de façon créative et responsable les innovations et les réorganisations actuelles, afin que celles-ci profitent à la croissance de la personne, de la famille, des sociétés et de la famille humaine tout entière. De manière éclairante pour tous, la doctrine sociale de l'Église enseigne à accorder la juste priorité à la dimension subjective du travail, car le travail humain « procède immédiatement des personnes créées à l'image de Dieu, et appelées à prolonger, les unes avec et pour les autres, l'œuvre de la création en dominant la terre ».
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Les interprétations de type mécaniste et économiste de l'activité productive, bien que prédominantes et en tout cas influentes, sont dépassées par l'analyse scientifique même des problèmes liés au travail. Ces conceptions se révèlent aujourd'hui plus qu'hier tout à fait inadéquates pour interpréter les faits, qui démontrent chaque jour davantage la valeur du travail en tant qu'activité libre et créative de l'homme. Les situations concrètes doivent aussi inciter à dépasser sans hésitation des horizons théoriques et des critères opérationnels restreints et insuffisants par rapport aux dynamiques mises en œuvre, intrinsèquement incapables de définir la vaste gamme des besoins concrets et pressants des hommes, qui s'étend bien au-delà des catégories purement économiques. L'Église le sait bien et elle enseigne depuis toujours que l'homme, contrairement à tout autre être vivant, a des besoins qui ne sont certainement pas limités uniquement à l'« avoir », car sa nature et sa vocation entretiennent une relation inséparable avec le Transcendant. La personne humaine affronte l'aventure de la transformation des choses par son travail pour satisfaire des nécessités et des besoins avant tout matériels, mais elle le fait en suivant une impulsion qui la pousse toujours au-delà des résultats obtenus, à la recherche de ce qui peut correspondre plus profondément à ses exigences intérieures irrépressibles.
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Les formes historiques à travers lesquelles s'exprime le travail humain varient mais ses exigences permanentes, qui se résument dans le respect des droits inaliénables des travailleurs, ne doivent pas changer. Face au risque de voir ces droits niés, de nouvelles formes de solidarité doivent être imaginées et construites, en tenant compte de l'interdépendance qui lie entre eux les travailleurs. Plus les changements sont profonds, plus l'effort de l'intelligence et de la volonté doit être ferme pour protéger la dignité du travail, en renforçant, aux différents niveaux, les institutions intéressées. Cette perspective permet d'orienter au mieux les transformations actuelles dans la direction, si nécessaire, de la complémentarité entre la dimension économique locale et globale, entre économie « ancienne » et « nouvelle », entre l'innovation technologique et l'exigence de sauvegarder le travail humain, et entre la croissance économique et la compatibilité environnementale du développement.
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À la solution des problématiques vastes et complexes du travail, qui en certaines régions revêtent des dimensions dramatiques, les scientifiques et les hommes de culture sont appelés à offrir leur contribution spécifique, si importante pour le choix de justes solutions. C'est une responsabilité qui leur demande de mettre en évidence les occasions et les risques qui se profilent dans les changements et, surtout, de suggérer des lignes d'action pour guider le changement dans le sens le plus favorable au développement de toute la famille humaine. Il leur revient le grave devoir de lire et d'interpréter les phénomènes sociaux avec intelligence et amour de la vérité, sans préoccupations dictées par des intérêts de groupe ou personnels. De fait, leur contribution, précisément parce qu'elle est de nature théorique, devient une référence essentielle pour l'action concrète des politiques économiques.
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Les scénarios actuels de profonde transformation du travail humain rendent encore plus urgent un développement authentiquement global et solidaire, en mesure de toucher toutes les régions du monde, y compris les moins favorisées. Pour ces dernières, la mise en œuvre d'un processus de développement solidaire de vaste portée non seulement constitue une possibilité concrète de créer de nouveaux emplois, mais se présente aussi comme une véritable condition de survie pour des peuples entiers: « Il faut globaliser la solidarité ».
Les déséquilibres économiques et sociaux dans le monde du travail doivent être affrontés en rétablissant la juste hiérarchie des valeurs et en mettant à la première place la dignité de la personne qui travaille: « Les nouvelles réalités, qui touchent avec force le processus de production, tel que la globalisation de la finance, de l'économie, des commerces et du travail, ne doivent violer la dignité et la centralité de la personne humaine, ni la liberté et la démocratie des peuples. La solidarité, la participation et la possibilité de gouverner ces changements radicaux constituent certainement, si ce n'est la solution, du moins la garantie éthique nécessaire afin que les personnes et les peuples ne deviennent pas des instruments, mais les acteurs de leur avenir. Tout cela peut être réalisé et, puisqu'on peut le faire, devient un devoir ».
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Une considération attentive de la nouvelle situation du travail apparaît toujours plus nécessaire dans le contexte actuel de la mondialisation, dans une perspective qui mette en valeur la propension naturelle des hommes à établir des relations. À ce propos, il faut affirmer que l'universalité est une dimension de l'homme, non des choses. La technique pourra être la cause instrumentale de la mondialisation, mais sa cause dernière est l'universalité de la famille humaine. Le travail possède donc aussi une dimension universelle, dans la mesure où il est fondé sur le caractère relationnel de l'homme. Les techniques, en particulier électroniques, ont permis de dilater cet aspect relationnel du travail à l'ensemble de la planète, en imprimant à la mondialisation un rythme particulièrement accéléré. Le fondement ultime de ce dynamisme est l'homme qui travaille, à savoir toujours l'élément subjectif et non pas objectif. Le travail mondialisé dérive donc lui aussi du fondement anthropologique de la dimension relationnelle intrinsèque du travail. Les aspects négatifs de la mondialisation du travail ne doivent pas mortifier les possibilités qui se sont ouvertes pour tous de donner forme à un humanisme du travail au niveau planétaire, à une solidarité du monde du travail à ce même niveau, afin que, en travaillant dans un tel contexte dilaté et interconnecté, l'homme comprenne toujours plus sa vocation unitaire et solidaire.
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SEPTIÈME CHAPITRE
LA VIE ÉCONOMIQUE
I. ASPECTS BIBLIQUES
a) L'homme, pauvreté et richesse
Dans l'Ancien Testament, on constate une double attitude vis-à-vis des biens économiques et de la richesse. D'un côté, l'appréciation positive pour la disponibilité des biens matériels considérés comme nécessaires pour la vie: parfois l'abondance — mais pas la richesse ni le luxe — est considérée comme une bénédiction de Dieu. Dans la littérature sapientielle, la pauvreté est décrite comme une conséquence négative de l'oisiveté et du manque de diligence (cf. Pr 10, 4), mais aussi comme un fait naturel (cf. Pr 22, 2). D'un autre côté, les biens économiques et la richesse ne sont pas condamnés pour eux-mêmes, mais pour leur mauvais usage. La tradition prophétique stigmatise les imbroglios, l'usure, l'exploitation, les injustices criantes, en particulier à l'égard des plus pauvres (cf. Is 58, 3-11; Jr 7, 4-7; Os 4, 1-2; Am 2, 6-7; Mi 2, 1-2). Cette tradition, bien que considérant la pauvreté des opprimés, des faibles, des indigents comme un mal, voit aussi en elle un symbole de la situation de l'homme devant Dieu; c'est de lui que provient tout bien, comme un don à administrer et à partager.
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Celui qui reconnaît sa pauvreté devant Dieu, en quelque situation qu'il vive, est l'objet d'une attention particulière de Dieu: quand le pauvre cherche, le Seigneur répond; quand il crie, il l'écoute. C'est aux pauvres que s'adressent les promesses divines: ils seront les héritiers de l'Alliance entre Dieu et son peuple. L'intervention salvifique de Dieu se réalisera à travers un nouveau David (cf. Ez 34, 22-31) qui, comme et plus que le roi David, sera le défenseur des pauvres et le promoteur de la justice; il établira une nouvelle Alliance et écrira une nouvelle loi dans le cœur des croyants (cf. Jr 31, 31-34).
Lorsqu'elle est acceptée ou recherchée dans un esprit religieux, la pauvreté prédispose à la reconnaissance et à l'acceptation de l'ordre de la création. Dans cette perspective, le « riche » est celui qui met sa confiance dans les choses qu'il possède plutôt qu'en Dieu; c'est l'homme qui se fait fort de l'œuvre de ses mains et qui ne compte que sur ses forces. La pauvreté s'élève au rang de valeur morale quand elle se manifeste comme une humble disponibilité et comme une ouverture à Dieu, comme une confiance en lui. Ces attitudes rendent l'homme capable de reconnaître la relativité des biens économiques et de les traiter comme des dons divins à administrer et à partager, car la propriété originelle de tous les biens appartient à Dieu.
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Jésus reprend à son compte l'ensemble de la tradition de l'Ancien Testament, notamment sur les biens économiques, sur la richesse et sur la pauvreté, en leur conférant une clarté et une plénitude définitives (cf. Mt 6, 24 et 13, 22; Lc 6, 20-24 et 12, 15-21; Rm 14, 6-8 et 1 Tm 4, 4). En donnant son Esprit et en changeant les cœurs, il vient instaurer le « Règne de Dieu », afin de rendre possible une nouvelle vie en commun dans la justice, dans la fraternité, dans la solidarité et dans le partage. Le Règne inauguré par le Christ perfectionne la bonté originelle de la création et de l'activité humaine, compromise par le péché. Libéré du mal et réintroduit dans la communion avec Dieu, tout homme peut poursuivre l'œuvre de Jésus, avec l'aide de son Esprit: rendre justice aux pauvres, affranchir les opprimés, consoler les affligés, rechercher activement un nouvel ordre social qui offre des solutions appropriées à la pauvreté matérielle et qui puisse endiguer plus efficacement les forces qui entravent les tentatives des plus faibles à sortir d'une condition de misère et d'esclavage. Quand cela se produit, le Règne de Dieu est déjà présent sur cette terre, bien que ne lui appartenant pas. En lui, les promesses des prophètes trouveront finalement leur accomplissement.
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À la lumière de la Révélation, l'activité économique doit être considérée et accomplie comme une réponse reconnaissante à la vocation que Dieu réserve à chaque homme. Celui-ci est placé dans le jardin pour le cultiver et le garder, en en usant selon des limites bien précises (cf. Gn 2, 16-17) dans l'engagement à le perfectionner (cf. Gn 1, 26-30; 2, 15-16; Sg 9, 2-3). En se faisant témoin de la grandeur et de la bonté du Créateur, l'homme marche vers la plénitude de la liberté à laquelle Dieu l'appelle. Une bonne administration des dons reçus, notamment des dons matériels, est une œuvre de justice envers soi-même et envers les autres hommes: ce que l'on reçoit doit être bien utilisé, conservé, fructifié, comme l'enseigne la parabole des talents (cf. Mt 25, 14-30; Lc 19, 12-27).
L'activité économique et le progrès matériel doivent être mis au service de l'homme et de la société; si l'on s'y consacre avec la foi, l'espérance et la charité des disciples du Christ, l'économie et le progrès peuvent aussi être transformés en lieux de salut et de sanctification; dans ces domaines aussi il est possible d'exprimer un amour et une solidarité plus qu'humains et de contribuer à la croissance d'une humanité nouvelle, qui préfigure le monde des temps derniers. Jésus résume toute la Révélation en demandant au croyant de s'enrichir en vue de Dieu (cf. Lc 12, 21): l'économie aussi est utile pour ce faire quand elle ne trahit pas sa fonction d'instrument au service de la croissance globale de l'homme et de la société et au service de la qualité humaine de la vie.
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La foi en Jésus-Christ permet une compréhension correcte du développement social, dans le contexte d'un humanisme intégral et solidaire. La réflexion théologique du Magistère social offre à ce propos une contribution très utile: « La foi au Christ Rédempteur, tout en apportant un éclairage de l'intérieur sur la nature du développement, est également un guide dans le travail de collaboration. Dans la Lettre de saint Paul aux Colossiens, nous lisons que le Christ est le “Premier-né de toute créature” et que “tout a été créé par lui et pour lui” (1, 15-16). En effet, tout “subsiste en lui” car “Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui” (ibid; 1, 20). Dans ce plan divin, qui commence par l'éternité dans le Christ, “image” parfaite du Père, et qui culmine en lui, “Premier-né d'entre les morts” (ibid; 1, 15. 18), s'inscrit notre histoire, marquée par notre effort personnel et collectif pour élever la condition humaine, surmonter les obstacles toujours renaissants sur notre route, nous disposant ainsi à participer à la plénitude qui “habite dans le Seigneur” et qu'il communique “à son Corps, c'est-à- dire l'Église” (ibid; 1, 18; cf. Ep 1, 22-23), tandis que le péché, qui sans cesse nous poursuit et compromet nos réalisations humaines, est vaincu et racheté par la “réconciliation” opérée par le Christ (cf. Col 1, 20) ».
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b) La richesse existe pour être partagée
Les biens, même légitimement possédés, conservent toujours une destination universelle; toute forme d'accumulation indue est immorale, car en plein contraste avec la destination universelle assignée par le Dieu Créateur à tous les biens. De fait, le salut chrétien est une libération intégrale de l'homme, libération par rapport au besoin, mais aussi par rapport à la possession en soi: « Car la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent. Pour s'y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi » (1 Tm 6, 10). Les Pères de l'Église insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences des croyants, plus que sur les exigences de changement des structures sociales et politiques de leur époque, en pressant ceux qui s'adonnent à une activité économique et possèdent des biens de se considérer comme des administrateurs de ce que Dieu leur a confié.
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Les richesses remplissent leur fonction de service à l'homme quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société: « Comment pourrions-nous faire du bien au prochain — se demande Clément d'Alexandrie — si tous ne possédaient rien? ». Dans la vision de saint Jean Chrysostome, les richesses appartiennent à quelques-uns pour qu'ils puissent acquérir du mérite en les partageant avec les autres. Elles sont un bien qui vient de Dieu: ceux qui le possèdent doivent l'utiliser et le faire circuler, de sorte que les nécessiteux aussi puissent en jouir; le mal consiste dans l'attachement démesuré aux richesses, dans la volonté de se les accaparer. Saint Basile le Grand invite les riches à ouvrir les portes de leurs magasins et s'exclame: « Un grand fleuve se déverse, en mille canaux, sur le terrain fertile: ainsi, par mille voies, tu fais arriver la richesse dans les maisons des pauvres ».
La richesse, explique saint Basile, est comme l'eau qui jaillit toujours plus pure de la fontaine si elle est fréquemment puisée, tandis qu'elle se putréfie si la fontaine demeure inutilisée. Le riche, dira plus tard saint Grégoire le Grand, n'est qu'un administrateur de ce qu'il possède; donner le nécessaire à celui qui en a besoin est une œuvre à accomplir avec humilité, car les biens n'appartiennent pas à celui qui les distribue.
Celui qui garde les richesses pour lui n'est pas innocent; les donner à ceux qui en ont besoin signifie payer une dette.
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II. MORALE ET ÉCONOMIE
La doctrine sociale de l'Église insiste sur la connotation morale de l'économie. Dans une page de l'encyclique « Quadragesimo anno », Pie XI affronte le rapport entre l'économie et la morale: « Car, s'il est vrai que la science économique et la discipline des mœurs relèvent, chacune dans sa sphère, de principes propres, il y aurait néanmoins erreur à affirmer que l'ordre économique et l'ordre moral sont si éloignés l'un de l'autre, si étrangers l'un à l'autre, que le premier ne dépend en aucune manière du second. Sans doute, les lois économiques, fondées sur la nature des choses et sur les aptitudes de l'âme et du corps humain, nous font connaître quelles fins, dans cet ordre, restent hors de la portée de l'activité humaine, quelles fins au contraire elle peut se proposer, ainsi que les moyens qui lui permettront de les réaliser; de son côté la raison déduit clairement de la nature des choses et de la nature individuelle et sociale de l'homme la fin suprême que le Créateur assigne à l'ordre économique tout entier. Mais seule la loi morale Nous demande de poursuivre, dans les différents domaines entre lesquels se partage Notre activité, les fins particulières que Nous leur voyons imposées par la nature ou plutôt par Dieu, l'auteur même de la nature, et de les subordonner toutes, harmonieusement combinées, à la fin suprême et dernière qu'elle assigne à tous Nos efforts ».
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Le rapport entre morale et économie est nécessaire et intrinsèque: activité économique et comportement moral sont intimement liés l'un à l'autre. La distinction nécessaire entre morale et économie ne comporte pas une séparation entre les deux domaines mais, au contraire, une réciprocité importante. Comme dans le domaine moral il faut tenir compte des raisons et des exigences de l'économie, en œuvrant dans le domaine économique il faut s'ouvrir aux questions morales: « Dans la vie économico- sociale aussi, il faut honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société. C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale ». Donner le poids juste et nécessaire aux raisons spécifiques à l'économie ne signifie pas rejeter comme irrationnelle toute considération d'ordre méta-économique, précisément parce que la fin de l'économie ne réside pas dans l'économie elle-même, mais dans sa destination humaine et sociale. En effet, l'économie n'a pas pour objectif, au niveau scientifique et au plan pratique, d'assurer la réalisation de l'homme et la bonne convivialité; sa tâche est partielle: la production, la distribution et la consommation de biens matériels et de services.
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La dimension morale de l'économie permet de saisir comme des finalités inséparables, et non pas séparées ou alternatives, l'efficacité économique et la promotion d'un développement solidaire de l'humanité. Constitutive de la vie économique, la morale ne s'y oppose pas, et elle n'est pas neutre: si elle s'inspire de la justice et de la solidarité, elle constitue un facteur d'efficacité sociale de l'économie elle-même. C'est un devoir d'exercer de manière efficace l'activité de production des biens, pour ne pas gaspiller les ressources; mais une croissance économique obtenue au détriment des êtres humains, de peuples entiers et de groupes sociaux, condamnés à l'indigence et à l'exclusion, n'est pas acceptable. L'expansion de la richesse, visible à travers la disponibilité de biens et de services, et l'exigence morale d'une diffusion équitable de ces derniers doivent stimuler l'homme et la société dans son ensemble à pratiquer la vertu essentielle de la solidarité pour combattre, dans l'esprit de la justice et de la charité, où qu'elles se présentent, les « structures de péché » qui engendrent et maintiennent la pauvreté, le sous-développement et la dégradation. Ces structures sont édifiées et consolidées par de nombreux actes concrets d'égoïsme humain.
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Pour assumer une orientation morale, l'activité économique doit avoir pour sujets tous les hommes et tous les peuples. Tous ont le droit de participer à la vie économique et le devoir de contribuer, selon leurs capacités, au progrès de leur pays et de la famille humaine tout entière. Si, dans une certaine mesure, tous sont responsables de tous, chacun a le devoir de s'engager pour le développement économique de tous: c'est un devoir de solidarité et de justice, mais c'est aussi la meilleure voie pour faire progresser l'humanité tout entière. Si elle est vécue moralement, l'économie est donc la prestation d'un service réciproque, à travers la production de biens et de services utiles à la croissance de chacun, et devient une opportunité pour tout homme de vivre la solidarité et la vocation à la « communion avec les autres hommes pour lesquelles Dieu l'a créé ». L'effort pour concevoir et réaliser des projets économiques et sociaux capables de favoriser une société plus juste et un monde plus humain représente un âpre défi, mais aussi un devoir stimulant, pour tous les agents économiques et pour les spécialistes en sciences économiques.
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L'objet de l'économie est la formation de la richesse et son accroissement progressif, en termes non seulement quantitatifs, mais qualitatifs: tout ceci est moralement correct si l'objectif est le développement global et solidaire de l'homme et de la société au sein de laquelle il vit et travaille. En effet, le développement ne peut pas être réduit à un simple processus d'accumulation de biens et de services. Au contraire, la pure accumulation, même si elle se faisait en vue du bien commun, n'est pas une condition suffisante pour la réalisation d'un authentique bonheur humain. En ce sens, le Magistère social met en garde contre le piège que cache un type de développement uniquement quantitatif, car « la disponibilité excessive de toutes sortes de biens matériels pour certaines couches de la société, rend facilement les hommes esclaves de la “possession” et de la jouissance immédiate (...). C'est ce qu'on appelle la civilisation de “consommation” ».
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Dans la perspective du développement intégral et solidaire, on peut correctement apprécier l'évaluation morale que fournit la doctrine sociale sur l'économie de marché ou, simplement, économie libre: « Si sous le nom de “capitalisme” on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'“économie d'entreprise”, ou d'“économie de marché”, ou simplement d'“économie libre”. Mais si par “capitalisme” on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative ». C'est ainsi qu'est définie la perspective chrétienne quant aux conditions sociales et politiques de l'activité économique: non seulement ses règles, mais aussi sa qualité morale et sa signification.
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III. INITIATIVE PRIVÉE ET ENTREPRISE
La doctrine sociale de l'Église considère la liberté de la personne dans le domaine économique comme une valeur fondamentale et comme un droit inaliénable à promouvoir et à protéger: « Chacun a le droit d'initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts ». Cet enseignement met en garde contre les conséquences négatives qui dériveraient de la mortification ou négation du droit d'initiative économique : « L'expérience nous montre que la négation de ce droit ou sa limitation au nom d'une prétendue “égalité” de tous dans la société réduit, quand elle ne le détruit pas en fait, l'esprit d'initiative, c'est-à-dire la personnalité créative du citoyen ». Dans cette perspective, l'initiative libre et responsable dans le domaine économique peut aussi être qualifiée d'acte qui révèle l'humanité de l'homme en tant que sujet créatif et relationnel. Cette initiative doit donc jouir d'un vaste espace. L'État a l'obligation morale de n'établir de restrictions qu'en fonction des incompatibilités entre la poursuite du bien commun et le type d'activité économique mise en œuvre ou ses modalités de déroulement.
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La dimension créative est un élément essentiel de l'action humaine, notamment dans le domaine de l'entreprise, et elle se manifeste spécialement dans l'attitude de programmation et d'innovation: « Organiser un tel effort de production, planifier sa durée, veiller à ce qu'il corresponde positivement aux besoins à satisfaire en prenant les risques nécessaires, tout cela constitue aussi une source de richesses dans la société actuelle. Ainsi devient toujours plus évident et déterminant le rôle du travail humain maîtrisé et créatif et, comme part essentielle de ce travail, celui de la capacité d'initiative et d'entreprise ». À la base de cet enseignement se trouve la conviction que « la principale ressource de l'homme, c'est l'homme lui-même. C'est son intelligence qui lui fait découvrir les capacités productives de la terre et les multiples manières dont les besoins humains peuvent être satisfaits ».
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a) L'entreprise et ses fins
L'entreprise doit se caractériser par la capacité de servir le bien commun de la société grâce à la production de biens et de services utiles. En cherchant à produire des biens et des services dans une logique d'efficacité et de satisfaction des intérêts des divers sujets impliqués, elle crée des richesses pour toute la société: non seulement pour les propriétaires, mais aussi pour les autres sujets intéressés à son activité. Au-delà de cette fonction typiquement économique, l'entreprise remplit aussi une fonction sociale, en créant une opportunité de rencontre, de collaboration, de mise en valeur des capacités des personnes impliquées. Par conséquent, dans l'entreprise la dimension économique est une condition pour atteindre des objectifs non seulement économiques, mais aussi sociaux et moraux, à poursuivre simultanément.
L'objectif de l'entreprise doit être réalisé en termes et avec des critères économiques, mais les valeurs authentiques permettant le développement concret de la personne et de la société ne doivent pas être négligées. Dans cette vision personnaliste et communautaire, « l'entreprise ne peut être considérée seulement comme une “société de capital”; elle est en même temps une “société de personnes” dans laquelle entrent de différentes manières et avec des responsabilités spécifiques ceux qui fournissent le capital nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail ».
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Les membres de l'entreprise doivent être conscients que la communauté dans laquelle ils œuvrent représente un bien pour tous et non pas une structure permettant de satisfaire exclusivement les intérêts personnels de quelqu'un. Seule cette conscience permet de parvenir à la construction d'une économie qui soit véritablement au service de l'homme et d'élaborer un projet de coopération réelle entre les parties sociales.
Un exemple très important et significatif dans cette direction est donné par l'activité en rapport avec les coopératives, les petites et moyennes entreprises, les entreprises artisanales et les exploitations agricoles à dimension familiale. La doctrine sociale a souligné la contribution qu'elles offrent à la mise en valeur du travail, à la croissance du sens de responsabilité personnelle et sociale, à la vie démocratique, aux valeurs humaines utiles au progrès du marché et de la société.
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La doctrine sociale reconnaît la juste fonction du profit, comme premier indicateur du bon fonctionnement de l'entreprise: « Quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés ».709 Cela n'empêche pas d'avoir conscience du fait que le profit n'indique pas toujours que l'entreprise sert correctement la société. Par exemple, « il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu'en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité ». C'est ce qui se produit quand l'entreprise est insérée dans des systèmes socio-culturels caractérisés par l'exploitation des personnes, et qui ont tendance à se dérober aux obligations de justice sociale et à violer les droits des travailleurs.
Il est indispensable qu'au sein de l'entreprise la poursuite légitime du profit soit en harmonie avec la protection incontournable de la dignité des personnes qui y travaillent à différents titres. Ces deux exigences ne sont pas du tout opposées l'une à l'autre, à partir du moment où, d'une part, il ne serait pas réaliste de penser garantir un avenir à l'entreprise sans la production de biens et de services et sans obtenir de profits qui soient le fruit de l'activité économique accomplie et où, d'autre part, on favorise une meilleure productivité et efficacité du travail lui-même en permettant à la personne qui travaille de grandir. L'entreprise doit être une communauté solidaire qui n'est pas renfermée dans ses intérêts corporatifs; elle doit tendre à une « écologie sociale » du travail et contribuer au bien commun, notamment à travers la sauvegarde de l'environnement naturel.
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Si dans l'activité économique et financière la recherche d'un profit équitable est acceptable, le recours à l'usure est moralement condamné: « Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable ». Cette condamnation s'étend aussi aux rapports économiques internationaux, en particulier en ce qui concerne la situation des pays moins avancés, auxquels ne peuvent pas être appliqués « des systèmes financiers abusifs sinon usuraires ». Le Magistère plus récent a eu des paroles fortes et claires contre une pratique dramatiquement répandue aujourd'hui encore: « Ne pas pratiquer l'usure, une plaie qui à notre époque également, constitue une réalité abjecte, capable de détruire la vie de nombreuses personnes ».
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L'entreprise agit aujourd'hui dans le cadre de scénarios économiques de dimensions toujours plus vastes, au sein desquels les États nationaux montrent des limites dans la capacité de gérer les processus rapides de mutation qui touchent les relations économiques et financières internationales; cette situation conduit les entreprises à assumer des responsabilités nouvelles et plus grandes par rapport au passé. Jamais autant qu'aujourd'hui leur rôle n'apparaît aussi déterminant en vue d'un développement authentiquement solidaire et intégral de l'humanité; tout aussi décisif, en ce sens, est leur niveau de conscience du fait que « ou bien le développement devient commun à toutes les parties du monde, ou bien il subit un processus de régression même dans les régions marquées par un progrès constant. Ce phénomène est particulièrement symptomatique de la nature du développement authentique: ou bien tous les pays du monde y participent, ou bien il ne sera pas authentique ».
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b) Le rôle de l'entrepreneur et du dirigeant d'entreprise
L'initiative économique est une expression de l'intelligence humaine et de l'exigence de répondre aux besoins de l'homme d'une façon créative et en collaboration. C'est dans la créativité et dans la coopération qu'est inscrite la conception authentique de la compétition des entreprises: cum-petere, c'est-à-dire chercher ensemble les solutions les plus appropriées, pour répondre de la façon la plus adéquate aux besoins qui émergent petit à petit. Le sens de responsabilité qui jaillit de la libre initiative économique apparaît non seulement comme une vertu individuelle indispensable à la croissance humaine de chaque personne, mais aussi comme une vertu sociale nécessaire au développement d'une communauté solidaire: « Entrent dans ce processus d'importantes vertus telles que l'application, l'ardeur au travail, la prudence face aux risques raisonnables à prendre, la confiance méritée et la fidélité dans les rapports interpersonnels, l'énergie dans l'exécution de décisions difficiles et douloureuses mais nécessaires pour le travail commun de l'entreprise et pour faire face aux éventuels renversements de situations ».
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Les rôles de l'entrepreneur et du dirigeant revêtent une importance centrale du point de vue social, car ils se situent au cœur du réseau de liens techniques, commerciaux, financiers et culturels qui caractérisent la réalité moderne de l'entreprise. À partir du moment où les décisions de celle-ci produisent, en raison de la complexité croissante de son activité, une multiplicité d'effets conjoints d'une grande importance, non seulement économique, mais aussi sociale, l'exercice des responsabilités de l'entrepreneur et du dirigeant exige, en plus d'un effort continuel d'aggiornamento spécifique, une réflexion constante sur les motivations morales qui doivent guider les choix personnels de ceux à qui incombent ces tâches.
Les entrepreneurs et les dirigeants ne peuvent pas tenir compte exclusivement de l'objectif économique de l'entreprise, des critères d'efficacité économique, des exigences de l'entretien du « capital » comme ensemble des moyens de production: ils ont aussi le devoir précis de respecter concrètement la dignité humaine des travailleurs qui œuvrent dans l'entreprise. Ces derniers constituent « le patrimoine le plus précieux de l'entreprise », le facteur décisif de la production. Dans les grandes décisions stratégiques et financières, d'acquisition ou de vente, de restructuration ou de fermeture des établissements, et dans la politique des fusions, on ne peut pas se limiter exclusivement à des critères de nature financière ou commerciale.
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
La doctrine sociale insiste sur la nécessité pour l'entrepreneur et le dirigeant de s'engager à structurer le travail dans leurs entreprises de façon à favoriser la famille, en particulier les mères de famille dans l'accomplissement de leurs tâches; à la lumière d'une vision intégrale de l'homme et du développement, ils doivent encourager la « demande de qualité: qualité des marchandises à produire et à consommer; qualité des services dont on doit disposer; qualité du milieu et de la vie en général »; ils doivent investir, lorsque les conditions économiques et la stabilité politique le permettent, dans les lieux et les secteurs de production qui offrent à l'individu, et à un peuple, « l'occasion de mettre en valeur son travail ».
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