Lecture des documents de reference

5430 paragraphe(s) trié(s) par refdoc ASC.





Source / Auteur
contenu
Reference

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail appartient à la condition originelle de l'homme et précède sa chute; il n'est donc ni une punition ni une malédiction. Il devient fatigue et peine à cause du péché d'Adam et Ève, qui brisent leur rapport de confiance et d'harmonie avec Dieu (cf. Gn 3, 6-8). L'interdiction de manger « de l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 17) rappelle à l'homme qu'il a tout reçu en don et qu'il continue à être une créature et non pas le Créateur. Le péché d'Adam et Ève fut précisément provoqué par cette tentation: « Vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5). Ils voulurent la domination absolue sur toutes les choses, sans se soumettre à la volonté du Créateur. Depuis lors, le sol se fait avare, ingrat, sournoisement hostile (cf. Gn 4, 12); ce n'est qu'à la sueur de son front qu'il sera possible d'en tirer la nourriture (cf. Gn 3, 17.19). Cependant, en dépit du péché des premiers parents, le dessein du Créateur, le sens de ses créatures et, parmi elles, de l'homme, appelé à cultiver et à garder la création, demeurent inaltérés.
256

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail doit être honoré car il est source de richesse ou, du moins, de dignes conditions de vie et, en général, c'est un instrument efficace contre la pauvreté (cf. Pr 10, 4), mais il ne faut pas céder à la tentation de l'idolâtrer, car on ne peut pas trouver en lui le sens ultime et définitif de la vie. Le travail est essentiel, mais c'est Dieu, et non le travail, qui est la source de la vie et la fin de l'homme. Le principe fondamental de la Sagesse est en effet la crainte du Seigneur; l'exigence de la justice, qui en découle, précède celle du gain: « Mieux vaut peu avec la crainte du Seigneur qu'un riche trésor avec l'inquiétude » (Pr 15, 16); « Mieux vaut peu avec la justice que d'abondants revenus sans le bon droit » (Pr 16, 8).
257

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le sommet de l'enseignement biblique sur le travail est le commandement du repos sabbatique. Le repos ouvre à l'homme, lié à la nécessité du travail, la perspective d'une liberté plus pleine, celle du Sabbat éternel (cf. He 4, 9-10). Le repos permet aux hommes d'évoquer et de revivre les œuvres de Dieu, de la Création à la Rédemption, de se reconnaître eux- mêmes comme son œuvre (cf. Ep 2, 10) et de rendre grâce pour leur vie et leur subsistance, à lui qui en est l'Auteur.
La mémoire et l'expérience du sabbat constituent un rempart contre l'asservissement au travail, volontaire ou imposé, et contre toute forme d'exploitation, larvée ou évidente. De fait, le repos sabbatique a été institué non seulement pour permettre la participation au culte de Dieu mais aussi pour défendre le pauvre; il a aussi une fonction libératrice des dégénérescences anti-sociales du travail humain. Ce repos, qui peut aussi durer un an, comporte en effet une expropriation des fruits de la terre en faveur des pauvres et, pour les possesseurs de la terre, la suspension des droits de propriété: « Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit. Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le produit; les pauvres de ton peuple le mangeront et les bêtes des champs mangeront ce qu'ils auront laissé. Tu feras de même pour ta vigne et pour ton olivier » (Ex 23, 10-11). Cette coutume répond à une intuition profonde: l'accumulation des biens par certains peut conduire à une soustraction des biens à d'autres.
258

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
b) Jésus, homme du travail
Dans sa prédication, Jésus enseigne à apprécier le travail. Lui-même, « devenu en tout semblable à nous, a consacré la plus grande partie de sa vie sur terre au travail manuel, à son établi de charpentier », dans l'atelier de Joseph (cf. Mt 13, 55; Mc 6, 3), à qui il était soumis (cf. Lc 2, 51). Jésus condamne le comportement du serviteur paresseux, qui enfouit sous terre le talent (cf. Mt 25, 14-30) et loue le serviteur fidèle et prudent que le maître trouve en train d'accomplir les tâches qu'il lui a confiées (cf. Mt 24, 46). Il décrit sa propre mission comme une œuvre: « Mon Père est à l'œuvre jusqu'à présent et j'œuvre moi aussi » (Jn 5, 17); et ses disciples comme des ouvriers dans la moisson du Seigneur, qui est l'humanité à évangéliser (cf. Mt 9, 37-38). Pour ces ouvriers vaut le principe général selon lequel « l'ouvrier mérite son salaire » (Lc 10, 7); ils sont autorisés à demeurer dans les maisons où ils sont accueillis, à manger et à boire ce qui leur est offert (cf. ibid.).
259

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Dans sa prédication, Jésus enseigne aux hommes à ne pas se laisser asservir par le travail. Ils doivent se soucier avant tout de leur âme; gagner le monde entier n'est pas le but de leur vie (cf. Mc 8, 36). De fait, les trésors de la terre se consument, tandis que les trésors du ciel sont impérissables: c'est à ceux-ci qu'il faut lier son cœur (cf. Mt 6, 19-21). Le travail ne doit pas angoisser (cf. Mt 6, 25.31.34): préoccupé et agité par bien des choses, l'homme risque de négliger le Royaume de Dieu et sa justice (cf. Mt 6, 33), dont il a vraiment besoin; tout le reste, y compris le travail, ne trouve sa place, son sens et sa valeur que s'il est orienté vers l'unique chose nécessaire, qui ne sera jamais enlevée (cf. Lc 10, 40-42).
260

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Durant son ministère terrestre, Jésus travaille inlassablement, accomplissant des œuvres puissantes pour libérer l'homme de la maladie, de la souffrance et de la mort. Le sabbat, que l'Ancien Testament avait proposé comme jour de libération et qui, observé simplement pour la forme, était vidé de sa signification authentique, est réaffirmé par Jésus dans sa valeur originelle: « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat! » (Mc 2, 27). Par les guérisons, accomplies en ce jour de repos (cf. Mt 12, 9-14; Mc 3, 1-6; Lc 6, 6-11; 13, 10-17; 14, 1-6), il veut démontrer que le sabbat est à lui, car il est vraiment le Fils de Dieu et que c'est le jour où l'on doit se consacrer à Dieu et aux autres. Libérer du mal, pratiquer la fraternité et le partage, c'est conférer au travail sa signification la plus noble, celle qui permet à l'humanité de s'acheminer vers le Sabbat éternel, dans lequel le repos devient la fête à laquelle l'homme aspire intérieurement. Précisément dans la mesure où il oriente l'humanité à faire l'expérience du sabbat de Dieu et de sa vie conviviale, le travail inaugure sur la terre la nouvelle création.
261

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
L'activité humaine d'enrichissement et de transformation de l'univers peut et doit faire apparaître les perfections qui y sont cachées et qui, dans le Verbe incréé, trouvent leur principe et leur modèle. De fait, les écrits de Paul et de Jean mettent en lumière la dimension trinitaire de la création et, en particulier, le lien qui existe entre le Fils-Verbe, le « Logos », et la création (cf. Jn 1, 3; 1 Co 8, 6; Col 1, 15-17). Créé en lui et par lui, racheté par lui, l'univers n'est pas un amas occasionnel, mais un « cosmos », dont l'homme doit découvrir l'ordre, le favoriser et le porter à son achèvement: « En Jésus-Christ, le monde visible, créé par Dieu pour l'homme — ce monde qui, lorsque le péché y est entré, a été soumis à la caducité (Rm 8, 20; cf. ibid; 8, 19-22) —, retrouve de nouveau son lien originaire avec la source divine de la sagesse et de l'amour ». De la sorte, c'est-à- dire en mettant en lumière, en une progression croissante « les insondables richesses du Christ » (Ep 3, 8), dans la création, le travail humain se transforme en un service rendu à la grandeur de Dieu.
262

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail représente une dimension fondamentale de l'existence humaine comme participation à l'œuvre non seulement de la création, mais aussi de la rédemption. Celui qui supporte la fatigue pénible du travail en union avec Jésus, coopère en un certain sens avec le Fils de Dieu à son œuvre rédemptrice et témoigne qu'il est disciple du Christ en portant la Croix, chaque jour, dans l'activité qu'il est appelé à accomplir. Dans cette perspective, le travail peut être considéré comme un moyen de sanctification et une animation des réalités terrestres dans l'Esprit du Christ. Ainsi conçu, le travail est une expression de la pleine humanité de l'homme, dans sa condition historique et dans son orientation eschatologique: son action libre et responsable en dévoile la relation intime avec le Créateur et le potentiel créatif, tandis que chaque jour il combat contre la défiguration du péché, notamment en gagnant son pain à la sueur de son front.
263

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
c) Le devoir de travailler
La conscience du caractère transitoire de la « scène de ce monde » (cf. 1 Co 7, 31) ne dispense d'aucun engagement historique, et encore moins du travail (cf. 2 Th 3, 7-15), qui fait partie intégrante de la condition humaine, bien que n'étant pas l'unique raison de vivre. Aucun chrétien, du fait qu'il appartient à une communauté solidaire et fraternelle, ne doit se sentir en droit de ne pas travailler et de vivre aux dépens des autres (cf. 2 Th 3, 6-12); tous sont plutôt exhortés par l'Apôtre Paul à se faire « un point d'honneur » à travailler de leurs propres mains afin de « n'avoir besoin de personne » (1 Th 4, 11-12) et à pratiquer une solidarité, aussi au plan matériel, en partageant les fruits du travail avec « les nécessiteux » (Ep 4, 28). Saint Jacques défend les droits violés des travailleurs: « Voyez: le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont fauché vos champs crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur des Armées » (Jc 5, 4). Les croyants doivent vivre le travail selon le style du Christ et en faire une occasion de témoignage chrétien « au regard de ceux du dehors » (1 Th 4, 12).
264

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Les Pères de l'Église ne considèrent jamais le travail comme « opus servile » — comme le considérait en revanche la culture de leur époque — mais toujours comme « opus humanum » et ils tendent à en honorer toutes les expressions. Grâce au travail, l'homme gouverne le monde avec Dieu; avec lui il en est seigneur, et il accomplit de bonnes choses pour lui-même et pour les autres. L'oisiveté nuit à l'être de l'homme, tandis que l'activité bénéficie à son corps et à son esprit. Le chrétien est appelé à travailler non seulement pour se procurer du pain, mais aussi par sollicitude envers le prochain plus pauvre, auquel le Seigneur commande de donner à manger, à boire, des vêtements, un accueil, des soins et une compagnie (cf. Mt 25, 35-26). Chaque travailleur, affirme saint Ambroise, est la main du Christ qui continue à créer et à faire du bien.
265

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Par son travail et son labeur, l'homme, qui participe à l'art et à la sagesse divine, rend plus belle la création, le cosmos déjà ordonné par le Père; il suscite les énergies sociales et communautaires qui alimentent le bien commun, au profit surtout des plus nécessiteux. Le travail humain, finalisé à la charité, devient une occasion de contemplation, se transforme en prière dévote, en ascèse vigilante et en espérance anxieuse du jour sans déclin: « Dans cette vision supérieure, le travail, tout ensemble punition et récompense de l'activité humaine, comporte un autre rapport, essentiellement religieux celui-ci, qu'exprime avec bonheur la formule bénédictine: “ora et labora!”. Travaille et prie! Le fait religieux confère au travail humain une spiritualité animatrice et rédemptrice. Cette parenté entre le travail et la religion reflète l'alliance mystérieuse mais réelle, qui intercède entre l'agir humain et l'action providentielle de Dieu ».
266

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
II. LA VALEUR PROPHÉTIQUE DE « RERUM NOVARUM »
Le cours de l'histoire est marqué par les transformations profondes et les conquêtes exaltantes du travail, mais aussi par l'exploitation de nombreux travailleurs et par les atteintes à leur dignité. La révolution industrielle a lancé un grand défi à l'Église, auquel le Magistère social a répondu avec la force de la prophétie, en affirmant des principes de valeur universelle et d'actualité permanente, pour soutenir le travailleur et ses droits.
Pendant des siècles, la destinataire du message de l'Église avait été une société de type agricole, caractérisée par des rythmes réguliers et cycliques; désormais l'Évangile devait être annoncé et vécu dans un nouvel aréopage, dans le tumulte des événements sociaux d'une société plus dynamique, en tenant compte de la complexité des nouveaux phénomènes et des transformations impensables rendues possibles par la technique. Au centre de la sollicitude pastorale de l'Église se posait de façon toujours plus urgente la question ouvrière, à savoir le problème de l'exploitation des travailleurs dérivant de la nouvelle organisation industrielle du travail, d'orientation capitaliste, et le problème, non moins grave, de l'exploitation idéologique — socialiste et communiste — des justes revendications du monde du travail. C'est dans cet horizon historique que se situent
les réflexions et les mises en garde de l'encyclique « Rerum novarum » de Léon XIII.
267

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
« Rerum novarum » est avant tout une défense chaleureuse de l'inaliénable dignité des travailleurs, à laquelle elle relie l'importance du droit de propriété, du principe de collaboration entre les classes, des droits des faibles et des pauvres, des obligations des travailleurs et des employeurs, et du droit d'association.
Les orientations idéales exprimées dans l'encyclique renforcent l'engagement pour une animation chrétienne de la vie sociale, qui s'est manifesté dans la naissance et la consolidation de nombreuses initiatives de haut niveau civil: unions et centres d'études sociales, associations, sociétés ouvrières, syndicats, coopératives, banques rurales, assurances, œuvres d'assistance. Tout ceci donna une remarquable impulsion à la législation du travail pour la protection des ouvriers, surtout des enfants et des femmes, ainsi qu'à l'instruction et à l'amélioration des salaires et de l'hygiène.
268

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
À partir de « Rerum novarum », l'Église n'a jamais cessé de considérer les problèmes du travail au sein d'une question sociale qui a pris progressivement des dimensions mondiales. L'encyclique « Laborem exercens » enrichit la vision personnaliste du travail caractéristique des précédents documents sociaux, indiquant la nécessité d'un approfondissement des significations et des devoirs que comporte le travail, en considération du fait que « de nouvelles interrogations, de nouveaux problèmes se posent sans cesse, et ils font naître toujours de nouvelles espérances, mais aussi des craintes et des menaces liées à cette dimension fondamentale de l'existence humaine, par laquelle la vie de l'homme est construite chaque jour, où elle puise sa propre dignité spécifique, mais dans laquelle est en même temps contenue la constante mesure de la peine humaine, de la souffrance et aussi du préjudice et de l'injustice qui pénètrent profondément la vie sociale de chacune des nations et des nations entre elles ». De fait, le travail, « clé essentielle » de toute la question sociale, conditionne le développement non seulement économique, mais aussi culturel et moral, des personnes, de la famille, de la société et du genre humain tout entier.
269

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
III. LA DIGNITÉ DU TRAVAIL
a) La dimension subjective et objective du travail
Le travail humain revêt une double dimension: objective et subjective. Dans un sens objectif, c'est l'ensemble d'activités, de ressources, d'instruments et de techniques dont l'homme se sert pour produire, pour dominer la terre, selon les paroles du Livre de la Genèse. Le travail au sens subjectif est l'agir de l'homme en tant qu'être dynamique, capable d'accomplir différentes actions qui appartiennent au processus du travail et qui correspondent à sa vocation personnelle: « L'homme doit soumettre la terre, il doit la dominer, parce que comme “image de Dieu” il est une personne, c'est-à-dire un sujet, un sujet capable d'agir d'une manière programmée et rationnelle, capable de décider de lui-même et tendant à se réaliser lui- même. C'est en tant que personne que l'homme est sujet du travail ».
Le travail au sens objectif constitue l'aspect contingent de l'activité de l'homme, qui varie sans cesse dans ses modalités avec l'évolution des conditions techniques, culturelles, sociales et politiques. Dans le sens subjectif, il se présente, au contraire, comme sa dimension stable, car il ne dépend pas de ce que l'homme réalise concrètement ni du genre d'activité qu'il exerce, mais seulement et exclusivement de sa dignité d'être personnel. La distinction est décisive, aussi bien pour comprendre quel est le fondement ultime de la valeur et de la dignité du travail, qu'en fonction du problème d'organisation des systèmes économiques et sociaux respectueuse des droits de l'homme.
270

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
La subjectivité confère au travail sa dignité particulière, qui empêche de le considérer comme une simple marchandise ou comme un élément impersonnel de l'organisation productive. Indépendamment de sa valeur objective plus ou moins grande, le travail est une expression essentielle de la personne, il est « actus personae ». Toute forme de matérialisme et d'économisme qui tenterait de réduire le travailleur à un simple instrument de production, à une simple force-travail, à une valeur exclusivement matérielle, finirait par dénaturer irrémédiablement l'essence du travail, en le privant de sa finalité la plus noble et la plus profondément humaine. La personne est la mesure de la dignité du travail: « Il n'y a en effet aucun doute que le travail humain a une valeur éthique qui, sans moyen terme, reste directement liée au fait que celui qui l'exécute est une personne ».
La dimension subjective du travail doit avoir la prééminence sur la dimension objective, car elle est celle de l'homme même qui accomplit le travail, en en déterminant la qualité et la valeur la plus haute. Si cette conscience vient à manquer ou si l'on ne veut pas reconnaître cette vérité, le travail perd sa signification la plus vraie et la plus profonde: dans ce cas, hélas fréquent et diffus, le travail et même les techniques utilisées deviennent plus importants que l'homme lui-même et, d'alliés, se transforment en ennemis de sa dignité.
271

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Non seulement le travail humain procède de la personne, mais il lui est aussi essentiellement ordonné et finalisé. Indépendamment de son contenu objectif, le travail doit être orienté vers le sujet qui l'accomplit, car le but du travail, de n'importe quel travail, demeure toujours l'homme. Même si on ne peut pas ignorer l'importance de la dimension objective du travail sous l'angle de sa qualité, cette dimension doit être subordonnée à la réalisation de l'homme, et donc à la dimension subjective, grâce à laquelle il est possible d'affirmer que le travail est pour l'homme et non l'homme pour le travail et que « le but du travail, de tout travail exécuté par l'homme — fût-ce le plus humble service, le travail le plus monotone selon l'échelle commune d'évaluation, voire le plus marginalisant — reste toujours l'homme lui-même ».
272

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail humain possède aussi une dimension sociale intrinsèque. Le travail d'un homme, en effet, « s'imbrique naturellement dans celui d'autres hommes. Plus que jamais aujourd'hui, travailler, c'est travailler avec les autres et travailler pour les autres : c'est faire quelque chose pour quelqu'un ». Les fruits du travail aussi offrent l'occasion d'échanges, de relations et de rencontres. Par conséquent, le travail ne peut pas être évalué de façon juste si l'on ne tient pas compte de sa nature sociale: « À moins, en effet, que la société ne soit constituée en un corps bien organisé, que l'ordre social et juridique ne protège l'exercice du travail, que les différentes professions, si étroitement solidaires, ne s'accordent et ne se complètent mutuellement, à moins surtout que l'intelligence, le capital et le travail ne s'unissent et ne se fondent en quelque sorte en un principe unique d'action, l'activité humaine est vouée à la stérilité. Il devient dès lors impossible d'estimer ce travail à sa juste valeur et de lui attribuer une exacte rémunération, si l'on néglige de prendre en considération son aspect à la fois individuel et social ».
273

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail est également « une obligation, c'est-à-dire un devoir de l'homme ». L'homme doit travailler aussi bien parce que le Créateur le lui a ordonné que pour répondre aux exigences d'entretien et de développement de son humanité même. Le travail se présente comme une obligation morale par rapport au prochain, qui est en premier lieu la propre famille, mais aussi la société à laquelle on appartient, la nation dont on est fils ou fille, la famille humaine tout entière, dont on est membre: nous sommes les héritiers du travail de générations et, en même temps, artisans de l'avenir de tous les hommes qui vivront après nous.
274

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le travail confirme la profonde identité de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu: « En devenant toujours plus maître de la terre grâce à son travail et en affermissant, par le travail également, sa domination sur le monde visible, l'homme reste, dans chaque cas et à chaque phase de ce processus, dans la ligne du plan originel du Créateur; et ce plan est nécessairement et indissolublement lié au fait que l'être humain a été créé, en qualité d'homme et de femme, “à l'image de Dieu” ». Cela qualifie l'activité de l'homme dans l'univers: il n'en est pas le maître, mais le dépositaire, appelé à refléter dans son œuvre l'empreinte de Celui dont il est l'image.
275

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
b) Les rapports entre travail et capital
Le travail, de par son caractère subjectif ou personnel, est supérieur à tout autre facteur de production: ce principe vaut, en particulier, par rapport au capital. Aujourd'hui, le terme « capital » a différentes acceptions: tantôt il indique les moyens matériels de production dans l'entreprise, tantôt les ressources financières engagées dans une initiative productive ou également dans des opérations sur les marchés boursiers. On parle aussi, de façon pas tout à fait appropriée, de « capital humain », pour désigner les ressources humaines, c'est-à-dire les hommes eux-mêmes, en tant que capables d'un effort de travail, de connaissance, de créativité, d'intuition des exigences de leurs semblables, d'entente réciproque comme membres d'une organisation. On se réfère au « capital social » quand on veut indiquer la capacité de collaboration d'une collectivité, fruit de l'investissement dans des liens réciproques de confiance. Cette multiplicité de sens offre d'ultérieures occasions de réflexion sur ce que peut signifier aujourd'hui le rapport entre travail et capital.
276

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
La doctrine sociale a affronté les rapports entre travail et capital, en mettant en évidence à la fois la priorité du premier sur le second et leur complémentarité.
Le travail a une priorité intrinsèque par rapport au capital: « Ce principe concerne directement le processus même de la production dont le travail est toujours une cause efficiente première, tandis que le “capital”, comme ensemble des moyens de production, demeure seulement un instrument ou la cause instrumentale. Ce principe est une vérité évidente qui ressort de toute l'expérience historique de l'homme ». Il « appartient au patrimoine stable de la doctrine de l'Église ».
Il doit y avoir une complémentarité entre le travail et le capital: c'est la logique intrinsèque même du processus de production qui démontre la nécessité de leur compénétration réciproque et l'urgence de donner vie à des systèmes économiques dans lesquels l'antinomie entre travail et capital soit dépassée. En des temps où, au sein d'un système économique moins complexe, le « capital » et le « travail salarié » désignaient avec une certaine précision non seulement deux facteurs de production, mais aussi et surtout deux classes sociales concrètes, l'Église affirmait que tous les deux sont en soi légitimes: « Il ne peut y avoir de capital sans travail ni de travail sans capital ». Il s'agit d'une vérité qui vaut aussi pour le présent, car « il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné; c'est bien injustement que l'une des parties, contestant à l'autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit ».
277

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Dans la considération des rapports entre travail et capital, surtout face aux imposantes transformations de notre époque, il faut retenir que la « principale ressource » et le « facteur décisif » aux mains de l'homme, c'est l'homme lui-même, et que « le développement intégral de la personne humaine dans le travail ne contredit pas, mais favorise plutôt, une meilleure productivité et une meilleure efficacité du travail lui-même ». Le monde du travail, en effet, est en train de découvrir toujours plus que la valeur du « capital humain » trouve une expression dans les connaissances des travailleurs, dans leur disponibilité à tisser des relations, dans leur créativité, dans leurs capacités d'entreprise, dans leur habilité à affronter consciemment la nouveauté, à travailler ensemble et à savoir poursuivre des objectifs communs. Il s'agit de qualités typiquement personnelles, qui appartiennent au sujet du travail plus qu'aux aspects objectifs, techniques, opérationnels du travail lui-même. Tout ceci comporte une perspective nouvelle dans les rapports entre travail et capital: on peut affirmer que, contrairement à ce qui se passait dans la vieille organisation du travail où le sujet finissait par être ramené au niveau de l'objet, de la machine, aujourd'hui la dimension subjective du travail tend à être plus décisive et plus importante que la dimension objective.
278

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le rapport entre travail et capital présente souvent les traits de la conflictualité, qui revêt des caractères nouveaux avec la mutation des contextes sociaux et économiques. Hier, le conflit entre capital et travail était engendré surtout par « le fait que les travailleurs mettaient leurs forces à la disposition du groupe des entrepreneurs, et que ce dernier, guidé par le principe du plus grand profit, cherchait à maintenir le salaire le plus bas possible pour le travail exécuté par les ouvriers ». Actuellement, ce conflit présente des aspects nouveaux et, peut-être, plus préoccupants: les progrès scientifiques et technologiques et la mondialisation des marchés, en soi source de développement et de progrès, exposent les travailleurs au risque d'être exploités par les engrenages de l'économie et de la recherche effrénée de la productivité.
279

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
On ne doit pas faussement considérer que le processus permettant de surmonter la dépendance du travail par rapport à la matière soit capable en soi de dépasser l'aliénation sur le lieu du travail et celle du travail lui-même. On ne se réfère pas seulement aux nombreuses poches de non-travail, de travail au noir, de travail des enfants, de travail sous-payé, de travail exploité, qui persistent encore, mais aussi aux nouvelles formes, beaucoup plus subtiles, d'exploitation des nouveaux travaux, au super-travail, au travail-carrière qui parfois vole l'espace d'autres dimensions tout aussi humaines et nécessaires pour la personne, à la flexibilité excessive du travail qui rend précaire et parfois impossible la vie familiale, à la modularité du travail qui risque d'avoir de lourdes répercussions sur la perception unitaire de l'existence et sur la stabilité des relations familiales. Si l'homme est aliéné quand il inverse les moyens et les fins, dans le nouveau contexte du travail immatériel, léger, qualitatif plus que quantitatif, il peut aussi y avoir des éléments d'aliénation « selon qu'augmente l'intensité de sa participation [du travailleur] à une véritable communauté solidaire, ou bien que s'aggrave son isolement au sein d'un ensemble de relations caractérisé par une compétitivité exaspérée et des exclusions réciproques ».
280

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
c) Le travail, titre de participation
Le rapport entre travail et capital trouve aussi une expression à travers la participation des travailleurs à la propriété, à sa gestion, à ses fruits. C'est une exigence trop souvent négligée, qu'il faut au contraire mieux mettre en valeur: « Chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer en même temps comme co-propriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s'engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d'associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles: ces corps jouiraient d'une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d'une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie ». La nouvelle organisation du travail, où le savoir compte plus que la seule propriété des moyens de production, atteste de manière concrète que le travail, en raison de son caractère subjectif, est un titre de participation: il est indispensable d'en être profondément conscient pour évaluer la juste position du travail dans le processus de production et pour trouver des modalités de participation conformes à la subjectivité du travail dans les particularités des diverses situations concrètes.
281

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
d) Rapport entre travail et propriété privée
Le Magistère social de l'Église situe le rapport entre travail et capital relativement aussi à l'institution de la propriété privée, au droit correspondant et à l'usage de celle-ci. Le droit à la propriété privée est subordonné au principe de la destination universelle des biens et ne doit pas constituer un motif pour empêcher le travail et le développement d'autrui. La propriété, qui s'acquiert avant tout grâce au travail, doit servir au travail. Ceci vaut particulièrement pour la possession des moyens de production; mais ce principe concerne aussi les biens propres au monde financier, technique, intellectuel et à la personne.
Les moyens de production « ne sauraient être possédés contre le travail, et ne peuvent être non plus possédés pour posséder ». Leur possession devient illégitime quand la propriété « n'est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d'ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l'exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail ».
282

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
La propriété privée et publique, ainsi que les divers mécanismes du système économique, doivent être prédisposés en vue d'une économie au service de l'homme, de sorte qu'ils contribuent à mettre en œuvre le principe de la destination universelle des biens. C'est dans cette perspective qu'apparaît l'importance de la question relative à la propriété et à l'usage des nouvelles technologies et connaissances, qui constituent, à notre époque, une autre forme particulière de propriété, d'importance non inférieure à celle de la terre et du capital. Ces ressources, comme tous les autres biens, ont une destination universelle; elles aussi doivent être insérées dans un contexte de normes juridiques et de règles sociales qui en garantissent un usage inspiré par des critères de justice, d'équité et de respect des droits de l'homme. Les nouveaux savoirs et les technologies, grâce à leurs énormes potentialités, peuvent fournir une contribution décisive à la promotion du progrès social, mais risquent de devenir source de chômage et d'accroître le fossé entre les zones développées et les zones de sous-développement, si elles demeurent concentrées dans les pays les plus riches ou entre les mains de groupes restreints de pouvoir.
283

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
e) Le repos des jours fériés
Le repos des jours fériés est un droit. « Au septième jour, Dieu chôma après tout l'ouvrage qu'il avait fait » (Gn 2, 2): les hommes aussi, créés à son image, doivent jouir d'un repos et d'un temps libre suffisants qui leur permettent de s'occuper de leur vie familiale, culturelle, sociale et religieuse. C'est à cela que contribue l'institution du jour du Seigneur. Le dimanche et les autres jours de fête de précepte, les croyants « s'abstiendront de se livrer à des travaux ou à des activités qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au Jour du Seigneur, la pratique des œuvres de miséricorde et la détente convenable de l'esprit et du corps ». Des nécessités familiales ou des exigences d'utilité sociale peuvent légitimement exempter du repos dominical, mais elles ne doivent pas créer des habitudes dommageables à la religion, à la vie de famille et à la santé.
284

Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Le dimanche est un jour à sanctifier par une charité agissante, avec une attention particulière aux membres de la famille, ainsi qu'aux malades, aux infirmes et aux personnes âgées; il ne faut pas non plus oublier les « frères qui ont les mêmes besoins et les mêmes droits et ne peuvent se reposer à cause de la pauvreté et de la misère »; en outre, c'est un temps propice à la réflexion, au silence et à l'étude, qui favorisent la croissance de la vie intérieure et chrétienne. Les croyants devront se distinguer, ce jour-là aussi, par leur modération, en évitant tous les excès et les violences qui caractérisent souvent les divertissements de masse. Le jour du Seigneur doit toujours être vécu comme le jour de la libération, qui fait participer à la « réunion de fête » et à « l'assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux » (He 12, 22-23) et anticipe la célébration de la Pâque définitive dans la gloire du ciel.
285