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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
d) La solidarité dans la vie et dans le message de Jésus-Christ
Le sommet insurmontable de la perspective indiquée est la vie de Jésus de Nazareth, l'Homme nouveau, solidaire de toute l'humanité jusqu'à la « mort sur la croix » (Ph 2, 8): en lui il est toujours possible de reconnaître le Signe vivant de cet amour incommensurable et transcendant du Dieu- avec-nous, qui prend sur lui les infirmités de son peuple, chemine avec lui, le sauve et le constitue dans l'unité. En lui, et grâce à lui, la vie sociale aussi peut être redécouverte, même avec toutes ses contradictions et ambiguïtés, comme lieu de vie et d'espérance, en tant que signe d'une grâce qui est continuellement offerte à tous et qui invite aux formes de partage les plus élevées et les plus engageantes.
Jésus de Nazareth fait resplendir devant les yeux de tous les hommes le lien entre solidarité et charité, en en éclairant toute la signification: « À la lumière de la foi, la solidarité tend à se dépasser elle-même, à prendre les dimensions spécifiquement chrétiennes de la gratuité totale, du pardon et de la réconciliation. Alors le prochain n'est pas seulement un être humain avec ses droits et son égalité fondamentale à l'égard de tous, mais il devient l'image vivante de Dieu le Père, rachetée par le sang du Christ et objet de l'action constante de l'Esprit Saint. Il doit donc être aimé, même s'il est un ennemi, de l'amour dont l'aime le Seigneur, et l'on doit être prêt au sacrifice pour lui, même au sacrifice suprême: “Donner sa vie pour ses frères” (cf. 1 Jn 3, 16) ».
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VII. LES VALEURS FONDAMENTALES DE LA VIE SOCIALE
a) Rapport entre principes et valeurs
La doctrine sociale de l'Église, au-delà des principes qui doivent présider à l'édification d'une société digne de l'homme, indique aussi des valeurs fondamentales. Le rapport entre principes et valeurs est indéniablement un rapport de réciprocité, dans la mesure où les valeurs sociales expriment l'appréciation à attribuer aux aspects déterminés du bien moral que les principes entendent réaliser, en s'offrant comme points de référence pour une structuration opportune et pour conduire la vie sociale de manière ordonnée. Les valeurs requièrent donc à la fois la pratique des principes fondamentaux de la vie sociale et l'exercice personnel des vertus, donc des attitudes morales correspondant aux valeurs elles-mêmes.
Toutes les valeurs sociales sont inhérentes à la dignité de la personne humaine, dont elles favorisent le développement authentique, et sont essentiellement: la vérité, la liberté, la justice et l'amour. Leur pratique est une voie sûre et nécessaire pour atteindre le perfectionnement personnel et une vie sociale en commun plus humaine; elles constituent la référence incontournable pour les responsables de la chose publique, appelés à mettre en œuvre « les réformes substantielles des structures économiques, politiques, culturelles et technologiques et les nécessaires changements dans les institutions ». Le respect de la légitime autonomie des réalités terrestres conduit l'Église à ne pas se réserver des compétences spécifiques d'ordre technique et temporel, mais elle ne l'empêche pas d'intervenir pour montrer comment, dans les différents choix de l'homme, ces valeurs sont affirmées ou, vice-versa, niées.
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b) La vérité
Les hommes sont tenus de façon particulière à tendre continuellement vers la vérité, à la respecter et à l'attester de manière responsable. Vivre dans la vérité revêt une signification spéciale dans les rapports sociaux: la vie en commun entre les êtres humains au sein d'une communauté est, en effet, ordonnée, féconde et correspond à leur dignité de personnes lorsqu'elle se fonde sur la vérité. Plus les personnes et les groupes sociaux s'efforcent de résoudre les problèmes sociaux selon la vérité, plus ils s'éloignent de l'arbitraire et se conforment aux exigences objectives de la moralité.
Notre époque requiert une intense activité éducative et un engagement de la part de tous, afin que la recherche de la vérité, qui ne se réduit pas à l'ensemble ou à une seule des diverses opinions, soit promue dans chaque milieu et prévale sur toute tentative d'en relativiser les exigences ou de lui porter atteinte. C'est une question qui touche en particulier le monde de la communication publique et celui de l'économie, dans lesquels l'usage sans scrupules de l'argent fait naître des interrogations toujours plus pressantes, qui renvoient nécessairement à un besoin de transparence et d'honnêteté dans l'action personnelle et sociale.
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c) La liberté
La liberté est dans l'homme un signe très élevé de l'image divine et, en conséquence, un signe de la dignité sublime de chaque personne humaine: « La liberté s'exerce dans les rapports entre les êtres humains. Chaque personne humaine, créée à l'image de Dieu, a le droit naturel d'être reconnue comme un être libre et responsable. Tous doivent à chacun ce devoir du respect. Le droit à l'exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne humaine ». Il ne faut pas restreindre le sens de la liberté, en la considérant dans une perspective purement individualiste et en la réduisant à un exercice arbitraire et incontrôlé de l'autonomie personnelle: « Loin de s'accomplir dans une totale autarcie du moi et dans l'absence de relations, la liberté n'existe vraiment que là où des liens réciproques, réglés par la vérité et la justice, unissent les personnes ». La compréhension de la liberté devient profonde et vaste quand elle est protégée, même au niveau social, dans la totalité de ses dimensions.
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La valeur de la liberté, en tant qu'expression de la singularité de chaque personne humaine, est respectée quand il est permis à chaque membre de la société de réaliser sa vocation personnelle; de chercher la vérité et de professer ses idées religieuses, culturelles et politiques; d'exprimer ses opinions; de décider de son état de vie et, dans la mesure du possible, de son travail; de prendre des initiatives à caractère économique, social et politique. Ceci doit advenir au sein d'un « contexte juridique ferme », dans les limites du bien commun et de l'ordre public et, en tous les cas, à l'enseigne de la responsabilité.
Par ailleurs, la liberté doit aussi se manifester comme capacité de refus de ce qui est moralement négatif, sous quelque forme que ce soit, comme capacité de détachement effectif de tout ce qui peut entraver la croissance personnelle, familiale et sociale. La plénitude de la liberté consiste dans la capacité de disposer de soi en vue du bien authentique, dans la perspective du bien commun universel.
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d) La justice
La justice est une valeur qui s'accompagne de l'exercice de la vertu morale cardinale qui lui correspond. Selon sa formulation la plus classique, elle « consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû ». Du point de vue subjectif, la justice se traduit dans l'attitude déterminée par la volonté de reconnaître l'autre comme personne, tandis que, du point de vue objectif, elle constitue le critère déterminant de la moralité dans le domaine inter-subjectif et social.
Le Magistère social rappelle au respect des formes classiques de la justice: la justice commutative, la justice distributive et la justice légale. La justice sociale y a acquis un relief toujours plus important; elle représente un véritable développement de la justice générale, régulatrice des rapports sociaux sur la base du critère de l'observance de la loi. La justice sociale, exigence liée à la question sociale, qui se manifeste aujourd'hui sous une dimension mondiale, concerne les aspects sociaux, politiques et économiques et, surtout, la dimension structurelle des problèmes et des solutions qui s'y rattachent.
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La justice apparaît comme particulièrement importante dans le contexte actuel, où la valeur de la personne, de sa dignité et de ses droits, au-delà des proclamations d'intentions, est sérieusement menacée par la tendance diffuse de recourir exclusivement aux critères de l'utilité et de l'avoir. La justice aussi, sur la base de ces critères, est considérée de façon réductrice, alors qu'elle acquiert une signification plus pleine et plus authentique dans l'anthropologie chrétienne. De fait, la justice n'est pas une simple convention humaine, car ce qui est « juste » n'est pas originellement déterminé par la loi, mais par l'identité profonde de l'être humain.
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La pleine vérité sur l'homme permet de dépasser la vision contractualiste de la justice, qui est une vision limitée, et d'ouvrir aussi à la justice l'horizon de la solidarité et de l'amour: « Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver à se nier elle-même, si elle ne s'ouvre pas à cette force plus profonde qu'est l'amour ». À la valeur de la justice, la doctrine sociale associe en effet celle de la solidarité, comme voie privilégiée de la paix. Si la paix est le fruit de la justice, « aujourd'hui on pourrait dire, avec la même justesse et la même force d'inspiration biblique (cf. Is 32, 17; Jc 3, 18): Opus solidaritatis pax, la paix est le fruit de la solidarité ». De fait, l'objectif de la paix « sera certainement atteint grâce à la mise en œuvre de la justice sociale et internationale, mais aussi grâce à la pratique des vertus qui favorisent la convivialité et qui nous apprennent à vivre unis afin de construire dans l'unité, en donnant et en recevant, une société nouvelle et un monde meilleur ».
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VIII. LA VOIE DE LA CHARITÉ
Entre les vertus dans leur ensemble, et en particulier entre les vertus, les valeurs sociales et la charité, il existe un lien très fort qui doit être toujours plus profondément reconnu. La charité, souvent réduite au domaine des relations de proximité, ou limitée aux seuls aspects subjectifs de l'agir pour l'autre, doit être reconsidérée selon sa valeur authentique de critère suprême et universel de l'éthique sociale tout entière. Parmi toutes les voies, y compris celles recherchées et parcourues pour affronter les formes toujours nouvelles de l'actuelle question sociale, la « meilleure de toutes » (1 Co 12, 31) est la voie tracée par la charité.
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Les valeurs de la vérité, de la justice et de la liberté naissent et se développent à partir de la source intérieure de la charité: la vie humaine en commun est ordonnée, génératrice de bien et répondant à la dignité de l'homme, quand elle se fonde sur la vérité; quand elle se réalise selon la justice, c'est-à-dire dans le respect effectif des droits et dans l'accomplissement loyal des devoirs respectifs; quand elle se réalise dans la liberté qui convient à la dignité des hommes, poussés par leur nature rationnelle à assumer la responsabilité de leurs actions; quand elle est vivifiée par l'amour, qui fait ressentir comme siens les besoins et les exigences des autres et rend toujours plus intense la communion des valeurs spirituelles et la sollicitude pour les nécessités matérielles. Ces valeurs constituent des piliers qui assurent solidité et consistance à l'édifice de la vie et de l'action: ce sont des valeurs qui déterminent la qualité de toute action et institution sociale.
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La charité présuppose et transcende la justice: cette dernière « doit trouver son complément dans la charité ». Si la justice est « de soi propre à “arbitrer” entre les hommes pour répartir entre eux de manière juste les biens matériels, l'amour au contraire, et seulement lui (et donc aussi cet amour bienveillant que nous appelons “miséricorde”), est capable de rendre l'homme à lui-même ». Les rapports humains ne peuvent pas être uniquement réglés par la mesure de la justice: « L'expérience du passé et de notre temps démontre que la justice ne suffit pas à elle seule, et même qu'elle peut conduire à sa propre négation et à sa propre ruine (...).
L'expérience de l'histoire a conduit à formuler l'axiome: summum ius, summa iniuria ». De fait, la justice « dans toute la sphère des rapports entre hommes, doit subir pour ainsi dire une “refonte” importante de la part de l'amour qui est — comme le proclame saint Paul — “patient” et “bienveillant”, ou, en d'autres termes, qui porte en soi les caractéristiques de l'amour miséricordieux, si essentielles pour l'Évangile et pour le christianisme ».
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Aucune législation, aucun système de règles ou de conventions ne parviendront à persuader les hommes et les peuples à vivre dans l'unité, dans la fraternité et dans la paix, aucune argumentation ne pourra surpasser l'appel de la charité. Seule la charité, en sa qualité de « forma virtutum », peut animer et modeler l'action sociale en direction de la paix dans le contexte d'un monde toujours plus complexe. Pour qu'il en soit ainsi, il faut toutefois faire le nécessaire afin que la charité apparaisse non seulement comme inspiratrice de l'action individuelle, mais aussi comme force capable de susciter de nouvelles voies pour affronter les problèmes du monde d'aujourd'hui et pour renouveler profondément de l'intérieur les structures, les organisations sociales, les normes juridiques. Dans cette perspective, la charité devient charité sociale et politique: la charité sociale nous fait aimer le bien commun et conduit à chercher effectivement le bien de toutes les personnes, considérées non seulement individuellement, mais aussi dans la dimension sociale qui les unit.
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La charité sociale et politique ne s'épuise pas dans les rapports entre les personnes, mais elle se déploie dans le réseau au sein duquel s'insèrent ces rapports et qui constitue précisément la communauté sociale et politique, intervenant sur celle-ci en visant le bien possible pour la communauté dans son ensemble. Par bien des aspects, le prochain à aimer se présente « en société », de sorte que l'aimer réellement, subvenir à ses besoins ou à son indigence, peut vouloir dire quelque chose de différent par rapport au bien qu'on peut lui vouloir sur le plan purement inter-individuel: l'aimer sur le plan social signifie, selon les situations, se prévaloir des médiations sociales pour améliorer sa vie ou éliminer les facteurs sociaux qui causent son indigence. L'œuvre de miséricorde grâce à laquelle on répond ici et maintenant à un besoin réel et urgent du prochain est indéniablement un acte de charité, mais l'engagement tendant à organiser et à structurer la société de façon à ce que le prochain n'ait pas à se trouver dans la misère est un acte de charité tout aussi indispensable, surtout quand cette misère devient la situation dans laquelle se débattent un très grand nombre de personnes et même des peuples entiers; cette situation revêt aujourd'hui les proportions d'une véritable question sociale mondiale.
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DEUXIÈME PARTIE
« ... la doctrine sociale a par elle-même la valeur d'un instrument d'évangélisation: en tant que telle, à tout homme elle annonce Dieu et le mystère du salut dans le Christ, et, pour la même raison, elle révèle l'homme à lui-même. Sous cet éclairage, et seulement sous cet éclairage, elle s'occupe du reste: les droits humains de chacun et en particulier du “prolétariat”, la famille et l'éducation, les devoirs de l'État, l'organisation de la société nationale et internationale, la vie économique, la culture, la guerre et la paix, le respect de la vie depuis le moment de la conception jusqu'à la mort ». (Centesimus annus, 54)
CINQUIÈME CHAPITRE
LA FAMILLE, CELLULE VITALE DE LA SOCIÉTÉ
I. LA FAMILLE, PREMIÈRE SOCIÉTÉ NATURELLE
L'importance et le caractère central de la famille, pour la personne et pour la société, sont maintes fois soulignés dans les Saintes Écritures: « Il n'est pas bon que l'homme soit seul » (Gn 2, 18). Les tous premiers textes qui racontent la création de l'homme (cf. Gn 1, 26-28; 2, 7-24) font déjà ressortir la façon dont — dans le dessein de Dieu — le couple constitue « l'expression première de la communion des personnes ». Ève est créée semblable à Adam, comme celle qui, dans son altérité, le complète (cf. Gn 2, 18) pour former avec lui « une seule chair » (Gn 2, 24; cf. Mt 19, 5-6). En même temps, tous deux sont engagés dans la tâche de la procréation, qui fait d'eux des collaborateurs du Créateur: « Soyez féconds, multipliez- vous, emplissez la terre » (Gn 1, 28). La famille apparaît, dans le dessein du Créateur, comme le « lieu premier d'“humanisation” de la personne et de la société » et le « berceau de la vie et de l'amour ».
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Dans la famille, on apprend à connaître l'amour et la fidélité du Seigneur et la nécessité d'y correspondre (cf. Ex 12, 25-27; 13, 8.14-15; Dt 6, 20-25; 13, 7-11; 1 S 3, 13); les enfants apprennent les premières leçons, les plus décisives, de la sagesse pratique à laquelle sont liées les vertus (cf. Pr 1, 8-9; 4, 1-4; 6, 20-21; Si 3, 1-16; 7, 27-28). C'est pour cela que le Seigneur se fait garant de l'amour et de la fidélité conjugale (cf. Ml 2, 14-15).
Jésus naquit et vécut au sein d'une famille concrète, en accueillant toutes ses caractéristiques spécifiques et conféra une dignité sublime à l'institution du mariage, le constituant comme sacrement de la nouvelle alliance (cf. Mt 19, 3-9). Dans cette perspective, le couple trouve toute sa dignité et la famille sa solidité propre.
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Éclairée par la lumière du message biblique, l'Église considère la famille comme la première société naturelle, titulaire de droits propres et originels, et la met au centre de la vie sociale: reléguer la famille « à un rôle subalterne et secondaire, en l'écartant de la place qui lui revient dans la société, signifie causer un grave dommage à la croissance authentique du corps social tout entier ». En effet, la famille, qui naît de l'intime communion de vie et d'amour conjugal fondée sur le mariage entre un homme et une femme, possède une dimension sociale spécifique et originelle en tant que lieu premier de relations interpersonnelles, première cellule vitale de la société: elle est une institution divine qui constitue le fondement de la vie des personnes, comme prototype de tout ordre social.
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a) L'importance de la famille pour la personne
Pour la personne, la famille est importante et centrale. Dans ce berceau de la vie et de l'amour, l'homme naît et grandit: lorsque naît un enfant, à la société est fait le don d'une nouvelle personne qui « au plus profond d'elle-même (...) est appelée à vivre en communion avec les autres, et à se donner aux autres ». Par conséquent, dans la famille, le don réciproque de soi de la part de l'homme et de la femme unis dans le mariage « crée un milieu de vie dans lequel l'enfant peut (...) épanouir ses capacités, devenir conscient de sa dignité et se préparer à affronter son destin unique et irremplaçable ».
Dans le climat d'affection naturelle qui lie les membres d'une communauté familiale, les personnes sont, dans leur intégralité, reconnues et responsabilisées : « La première structure fondamentale pour une “écologie humaine” est la famille, au sein de laquelle l'homme reçoit des premières notions déterminantes concernant la vérité et le bien, dans laquelle il apprend ce que signifie aimer et être aimé et, par conséquent, ce que veut dire concrètement être une personne ». De fait, les obligations de ses membres ne sont pas limitées par les termes d'un contrat, mais dérivent de l'essence même de la famille, fondée sur un pacte conjugal irrévocable et structurée par les rapports qui en découlent à la suite de la génération ou de l'adoption des enfants.
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b) L'importance de la famille pour la société
La famille, communauté naturelle au sein de laquelle s'expérimente la socialité humaine, contribue d'une manière unique et irremplaçable au bien de la société. En effet, la communauté familiale naît de la communion des personnes: « La “communion” concerne la relation personnelle entre le “je” et le “tu”. La “communauté” dépasse au contraire ce schéma dans la direction d'une “société”, d'un “nous”. La famille, communauté de personnes, est donc la première “société” humaine ».
Une société à la mesure de la famille est la meilleure garantie contre toute dérive de type individualiste ou collectiviste, car en elle la personne est toujours au centre de l'attention en tant que fin et jamais comme moyen. Il est tout à fait évident que le bien des personnes et le bon fonctionnement de la société sont étroitement liés « à la prospérité de la communauté conjugale et familiale ». Sans familles fortes dans la communion et stables dans l'engagement, les peuples s'affaiblissent. C'est dans la famille que sont inculquées dès les premières années de vie les valeurs morales, que se transmettent le patrimoine spirituel de la communauté religieuse et le patrimoine culturel de la nation. C'est en elle que l'on fait l'apprentissage des responsabilités sociales et de la solidarité.
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La priorité de la famille par rapport à la société et à l'État doit être affirmée. En effet, la famille, ne serait-ce que dans sa fonction procréatrice, est la condition même de leur existence. Dans les autres fonctions au bénéfice de chacun de ses membres, elle précède, en importance et en valeur, les fonctions que la société et l'État doivent remplir. La famille, sujet titulaire de droits inviolables, trouve sa légitimation dans la nature humaine et non pas dans sa reconnaissance par l'État. Elle n'existe donc pas pour la société et l'État, mais ce sont la société et l'État qui existent pour la famille.
Tout modèle de société qui entend servir le bien de l'homme ne peut pas faire abstraction du caractère central et de la responsabilité sociale de la famille. La société et l'État, dans leurs relations avec la famille, ont en revanche l'obligation de s'en tenir au principe de subsidiarité. En vertu de ce principe, les autorités publiques ne doivent pas soustraire à la famille les tâches qu'elle peut bien remplir toute seule ou librement associée à d'autres familles; par ailleurs, ces mêmes autorités ont le devoir de soutenir la famille en lui assurant toutes les aides dont elle a besoin pour assumer l'ensemble de ses responsabilités de façon adéquate.
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II. LE MARIAGE, FONDEMENT DE LA FAMILLE
a) La valeur du mariage
Le fondement de la famille réside dans la libre volonté des époux de s'unir en mariage, dans le respect des significations et des valeurs propres à cette institution, qui ne dépend pas de l'homme, mais de Dieu lui-même: « En vue du bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de l'homme. Car Dieu lui-même est l'auteur du mariage qui possède en propre des valeurs et des fins diverses ». L'institution du mariage — « communauté profonde de vie et d'amour (...) fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur » — n'est donc pas une création due à des conventions humaines et à des contraintes législatives, mais doit sa stabilité à l'ordonnancement divin. C'est une institution qui naît, notamment pour la société, « de l'acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement » et qui se fonde sur la nature même de l'amour conjugal qui, en tant que don total et exclusif, de personne à personne, comporte un engagement définitif exprimé par le consentement réciproque, irrévocable et public. Cet engagement implique que les rapports entre les membres de la famille soient également empreints du sens de la justice et, donc, du respect des droits et des devoirs réciproques.
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Aucun pouvoir ne peut abolir le droit naturel au mariage ni modifier ses caractères et ses finalités. En effet, le mariage est doté de caractéristiques propres, originelles et permanentes. Malgré les nombreuses mutations qui se sont vérifiées dans les différentes cultures, structures sociales et attitudes spirituelles au cours des siècles, il existe dans toutes les cultures un certain sens de la dignité de l'union matrimoniale, bien qu'il n'apparaisse pas partout avec la même clarté. Cette dignité doit être respectée avec ses caractéristiques spécifiques, qui exigent d'être sauvegardées face à toute tentative de bouleversement. La société ne peut pas disposer du lien matrimonial, par lequel les deux époux se promettent fidélité, assistance et accueil des enfants, mais elle est habilitée à en discipliner les effets civils.
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Le mariage a les traits caractéristiques suivants: la totalité, par laquelle les époux se donnent mutuellement dans toutes les composantes de la personne, physiques et spirituelles; l'unité qui fait d'eux « une seule chair » (Gn 2, 24); l'indissolubilité et la fidélité que comporte le don réciproque et définitif; la fécondité à laquelle il s'ouvre naturellement. Le savant dessein de Dieu sur le mariage — dessein accessible à la raison humaine, malgré les difficultés dues à la dureté du cœur (cf. Mt 19, 8; Mc 10, 5) — ne peut pas être évalué exclusivement à la lumière des comportements de fait et des situations concrètes qui s'en écartent. La polygamie est une négation radicale du dessein originel de Dieu, parce qu'« elle est contraire à l'égale dignité personnelle de la femme et de l'homme, lesquels dans le mariage se donnent dans un amour total qui, de ce fait même, est unique et exclusif ».
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Le mariage, dans sa vérité « objective », est ordonné à la procréation et à l'éducation des enfants. L'union matrimoniale, en effet, fait vivre en plénitude ce don sincère de soi, dont les enfants sont le fruit, et qui sont à leur tour don pour leurs parents, pour la famille entière et pour l'ensemble de la société. Cependant, le mariage n'a pas été uniquement institué en vue de la procréation: son caractère indissoluble et sa valeur de communion demeurent aussi lorsque les enfants, bien que vivement désirés, ne viennent pas compléter la vie conjugale. Dans ce cas, les époux « peuvent marquer leur générosité en adoptant des enfants délaissés ou en remplissant des services exigeants à l'égard d'autrui ».
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b) Le sacrement du mariage
La réalité humaine et originelle du mariage est, par institution du Christ, vécue par les baptisés, sous la forme surnaturelle du sacrement, signe et instrument de grâce. L'histoire du salut est parcourue par le thème de l'alliance sponsale, expression significative de la communion d'amour entre Dieu et les hommes et clef symbolique pour comprendre les étapes de la grande Alliance entre Dieu et son peuple. Le centre de la révélation du projet d'amour divin est le don que Dieu fait à l'humanité de son Fils Jésus-Christ, « l'époux qui aime et qui se donne comme Sauveur de l'humanité en se l'unissant comme son corps. Il révèle la vérité originelle du mariage, la vérité du “commencement” (cf. Gn 2, 24; Mt 19, 5) et, en libérant l'homme de la dureté du cœur, le rend capable de la réaliser entièrement ». C'est de l'amour sponsal du Christ pour l'Église, qui montre sa plénitude dans l'offrande consumée sur la Croix, que naît le caractère sacramentel du mariage, dont la grâce conforme l'amour des époux à l'Amour du Christ pour l'Église. Le mariage, en tant que sacrement, est une alliance d'un homme et d'une femme dans l'amour.
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Le sacrement du mariage assume la réalité humaine de l'amour conjugal avec toutes ses implications et « rend les époux et les parents chrétiens capables de vivre leur vocation de laïcs (...) et donc de “chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu” ». Intimement unie à l'Église en vertu du lien sacramentel qui en fait une Église domestique ou petite Église, la famille chrétienne est appelée « à être un signe d'unité pour le monde et à exercer dans ce sens son rôle prophétique, en témoignant du Royaume et de la paix du Christ, vers lesquels le monde entier est en marche ».
La charité conjugale, qui jaillit de la charité même du Christ, offerte à travers le Sacrement, rend les époux chrétiens témoins d'une socialité nouvelle, inspirée de l'Évangile et du mystère pascal. La dimension naturelle de leur amour est constamment purifiée, consolidée et élevée par la grâce sacramentelle. De la sorte, non seulement les époux chrétiens s'aident mutuellement sur le chemin de la sanctification, mais ils deviennent le signe et l'instrument de la charité du Christ dans le monde. Par leur vie même, ils sont appelés à être témoins et annonciateurs du sens religieux du mariage, que la société actuelle a toujours plus de mal à reconnaître, en particulier quand elle accueille des visions relativistes, notamment du fondement naturel de l'institution matrimoniale.
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III. LA SUBJECTIVITÉ SOCIALE DE LA FAMILLE
a) L'amour et la formation d'une communauté de personnes
La famille se propose comme espace de la communion, si nécessaire dans une société toujours plus individualiste, dans lequel il faut faire grandir une authentique communauté de personnes grâce à l'incessant dynamisme de l'amour, qui est la dimension fondamentale de l'expérience humaine et qui trouve précisément dans la famille un lieu privilégié pour se manifester: « L'amour amène l'homme à se réaliser par le don désintéressé de lui-même. Aimer signifie donner et recevoir ce qu'on ne peut ni acquérir ni vendre, mais seulement accorder librement et mutuellement ».
Grâce à l'amour, réalité essentielle pour définir le mariage et la famille, chaque personne, homme et femme, est reconnue, accueillie et respectée dans sa dignité. De l'amour naissent des rapports vécus à l'enseigne de la gratuité, qui « en respectant et en cultivant en tous et en chacun le sens de la dignité personnelle comme source unique de valeur, se transforme en accueil chaleureux, rencontre et dialogue, disponibilité généreuse, service désintéressé, profonde solidarité ». L'existence de familles qui vivent dans un tel esprit met à nu les carences et les contradictions d'une société guidée principalement, sinon exclusivement, par des critères d'efficacité et de fonctionnalité. La famille, qui vit en construisant chaque jour un réseau de rapports interpersonnels, internes et externes, apparaît en revanche comme « un apprentissage fondamental et irremplaçable de vie sociale, un exemple et un encouragement pour des relations communautaires élargies, caractérisées par le respect, la justice, le sens du dialogue, l'amour ».
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L'amour s'exprime aussi à travers une attention prévenante envers les personnes âgées qui vivent dans la famille: leur présence peut revêtir une grande valeur. Elles sont un exemple de lien entre les générations, une ressource pour le bien-être de la famille et de la société tout entière: « Elles peuvent non seulement témoigner qu'il y a des secteurs de la vie, comme les valeurs humaines et culturelles, morales et sociales, qui ne se mesurent pas en termes économiques et de profit, mais elles peuvent aussi offrir un apport concret dans le domaine du travail et de la responsabilité. Il s'agit en définitive, non seulement de faire quelque chose en faveur des personnes âgées, mais aussi d'accepter ces personnes comme des partenaires responsables, en tenant compte de leurs moyens, et comme des acteurs de projets communs, au niveau de la réflexion, du dialogue et de l'action ». Comme le dit l'Écriture Sainte, les personnes « dans la vieillesse portent encore du fruit » (Ps 92, 15). Les personnes âgées constituent une importante école de vie, capable de transmettre des valeurs et des traditions et de favoriser la croissance des plus jeunes, qui apprennent ainsi à rechercher non seulement leur propre bien, mais aussi celui des autres. Si les personnes âgées se trouvent dans une situation de souffrance et de dépendance, elles ont non seulement besoin de soins médicaux et d'une assistance appropriée, mais surtout d'être traitées avec amour.
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L'être humain est fait pour aimer et sans amour il ne peut pas vivre. Quand il se manifeste dans le don total de deux personnes dans leur complémentarité, l'amour ne peut pas être réduit aux émotions et aux sentiments ni, encore moins, à sa seule expression sexuelle. Une société qui tend toujours davantage à relativiser et à banaliser l'expérience de l'amour et de la sexualité exalte les aspects éphémères de la vie et en voile les valeurs fondamentales: il devient on ne peut plus urgent d'annoncer et de témoigner que la vérité de l'amour et de la sexualité conjugale existe là où se réalise un don entier et total des personnes, avec les caractéristiques de l'unité et de la fidélité. Cette vérité, source de joie, d'espérance et de vie, demeure impénétrable et impossible à atteindre tant que l'on reste enfermé dans le relativisme et le scepticisme.
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Face aux théories qui ne considèrent l'identité de genre que comme un produit culturel et social dérivant de l'interaction entre la communauté et l'individu, faisant abstraction de l'identité sexuelle personnelle et sans aucune référence à la véritable signification de la sexualité, l'Église ne se lassera pas de réaffirmer son enseignement: « Il revient à chacun, homme et femme, de reconnaître et d'accepter son identité sexuelle. La différence et la complémentarité physiques, morales et spirituelles sont orientées vers les biens du mariage et l'épanouissement de la vie familiale. L'harmonie du couple et de la société dépend en partie de la manière dont sont vécus entre les sexes la complémentarité, le besoin et l'appui mutuels ». Cette perspective fait considérer comme un devoir la conformation du droit positif à la loi naturelle, selon laquelle l'identité sexuelle est indisponible, car elle constitue la condition objective pour former un couple dans le mariage.
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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
La nature de l'amour conjugal exige la stabilité du rapport matrimonial et son indissolubilité. L'absence de ces conditions porte préjudice au rapport d'amour exclusif et total spécifique au lien conjugal, avec de graves souffrances pour les enfants et des conséquences néfastes aussi dans le tissu social.
La stabilité et l'indissolubilité de l'union matrimoniale ne doivent pas être confiées exclusivement à l'intention et à l'engagement des personnes impliquées individuellement: la responsabilité de la tutelle et de la promotion de la famille comme institution naturelle fondamentale, précisément en raison de ses aspects vitaux et incontournables, revient plutôt à la société tout entière. La nécessité de conférer un caractère institutionnel au mariage, en le fondant sur un acte public, socialement et juridiquement reconnu, dérive d'exigences basilaires de nature sociale.
L'introduction du divorce dans les législations civiles a alimenté une vision relativiste du lien conjugal et s'est largement manifestée comme une « véritable plaie sociale ». Les couples qui conservent et développent les biens de la stabilité et de l'indissolubilité « assument (...) d'une manière humble et courageuse, la tâche qui leur a été donnée, d'être dans le monde un “signe” — signe discret et précieux, parfois soumis à la tentation, mais toujours renouvelé — de la fidélité inlassable de l'amour de Dieu et de Jésus-Christ pour tous les hommes, pour tout homme ».
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