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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
Toute la vie sociale est l'expression de son unique protagoniste: la personne humaine. L'Église a su à maintes reprises et de plusieurs façons se faire l'interprète autorisée de cette conscience, reconnaissant et affirmant le caractère central de la personne humaine en tout domaine et manifestation de la socialité: « La société humaine est donc objet de l'enseignement social de l'Église, du moment que celle-ci ne se trouve ni au dehors ni au-dessus des hommes unis en société, mais existe exclusivement en eux et, donc, pour eux ». Cette importante reconnaissance trouve son expression dans l'affirmation selon laquelle « loin d'être l'objet et comme un élément passif de la vie sociale », l'homme « en est au contraire, et doit en être et demeurer le sujet, le fondement et la fin ». Il est donc à l'origine de la vie sociale, qui ne peut renoncer à le reconnaître comme son sujet actif et responsable et c'est à lui que doit être finalisée toute modalité expressive de la société.
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L'homme, considéré sous son aspect historique concret, représente le cœur et l'âme de l'enseignement social catholique. Toute la doctrine sociale se déroule, en effet, à partir du principe qui affirme l'intangible dignité de la personne humaine. À travers les multiples expressions de cette conscience, l'Église a souhaité avant tout protéger la dignité humaine face à toute tentative d'en proposer des images réductrices et déformées; en outre, elle en a souvent dénoncé les nombreuses violations. L'histoire atteste que la trame des relations sociales fait ressortir certaines des plus vastes possibilités d'élévation de l'homme, mais que s'y cachent aussi les négations les plus exécrables de sa dignité.
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II. LA PERSONNE HUMAINE « IMAGO DEI »
a) Créature à l'image de Dieu
Le message fondamental de l'Écriture Sainte annonce que la personne humaine est une créature de Dieu (cf. Ps 139, 14-18) et discerne comme son élément distinctif et spécifique le fait d'être à l'image de Dieu: « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Dieu place la créature humaine au centre et au sommet de la création: à l'homme (en hébreu « adam »), modelé avec la terre (« adamah »), Dieu insuffle dans les narines le souffle de vie (cf. Gn 2, 7). En conséquence, « parce qu'il est à l'image de Dieu, l'individu humain a la dignité de personne: il n'est pas seulement quelque chose, mais quelqu'un. Il est capable de se connaître, de se posséder et de librement se donner et entrer en communion avec d'autres personnes, et il est appelé, par grâce, à une alliance avec son Créateur, à Lui offrir une réponse de foi et d'amour que nul autre ne peut donner à sa place ».
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La ressemblance avec Dieu met en lumière que l'essence et l'existence de l'homme sont, de manière constitutive, en relation avec Dieu de la façon la plus profonde qui soit. Cette relation existe en soi, elle n'arrive donc pas en un second temps, ni ne s'ajoute de l'extérieur. Toute la vie de l'homme est une demande et une recherche de Dieu. Cette relation avec Dieu peut être ignorée, ou même oubliée ou refoulée, mais elle ne peut jamais être éliminée. Parmi toutes les créatures du monde visible, en effet, seul l'homme est « “capable” de Dieu » (« homo est Dei capax »). La personne humaine est un être personnel créé par Dieu pour être en relation avec lui; elle ne peut vivre et s'exprimer que dans cette relation, et elle tend naturellement vers Dieu.
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La relation entre Dieu et l'homme se reflète dans la dimension relationnelle et sociale de la nature humaine. De fait, l'homme n'est pas un être solitaire, mais plutôt « de par sa nature profonde, (...) un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités ». À cet égard, il est significatif que Dieu ait créé l'être humain comme homme et femme (cf. Gn 1, 27): « Il est d'autant plus significatif de voir l'insatisfaction qui s'empare de la vie de l'homme dans l'Éden tant que son unique point de référence demeure le monde végétal et animal (cf. Gn 2, 20). Seule l'apparition de la femme, d'un être qui est chair de sa chair, os de ses os (cf. Gn 2, 23) et en qui vit également l'esprit de Dieu créateur peut satisfaire l'exigence d'un dialogue interpersonnel, qui est vital pour l'existence humaine. En l'autre, homme ou femme, Dieu se reflète, lui, la fin ultime qui comble toute personne ».
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L'homme et la femme ont la même dignité et sont d'égale valeur, non seulement parce que tous deux, dans leur diversité, sont l'image de Dieu, mais plus profondément encore parce que le dynamisme de réciprocité qui anime le nous du couple humain est image de Dieu. Dans le rapport de communion réciproque, l'homme et la femme se réalisent profondément eux-mêmes, en se situant en tant que personnes à travers le don sincère de soi. Leur pacte d'union est présenté dans l'Écriture Sainte comme une image du Pacte de Dieu avec les hommes (cf. Os 1-3; Is 54; Ep 5, 21-33) et, en même temps, comme un service en faveur de la vie. De fait, le couple humain peut participer à la créativité de Dieu: « Dieu les bénit et leur dit: “Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre” » (Gn 1, 28).
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L'homme et la femme sont en relation avec les autres avant tout comme dépositaires de leur vie: « Aux hommes entre eux, je demanderai compte de l'âme de l'homme » (Gn 9, 5), rappelle Dieu à Noé après le déluge. Dans cette perspective, la relation à Dieu exige que l'on considère la vie de l'homme comme sacrée et inviolable. La valeur du cinquième commandement: « Tu ne tueras pas! » (Ex 20, 13; Dt 5, 17) vient de ce que Dieu seul est Seigneur de la vie et de la mort. Le sommet du respect dû à l'inviolabilité et à l'intégrité de la vie physique réside dans le commandement positif: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18), par lequel Jésus oblige à prendre en charge son prochain (cf. Mt 22, 37-40; Mc 12, 29-31; Lc 10, 27-28).
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Avec cette vocation particulière à la vie, l'homme et la femme se trouvent aussi en face de toutes les autres créatures. Ils peuvent et doivent les soumettre à leur service et en jouir, mais leur domination sur le monde requiert l'exercice de la responsabilité; ce n'est pas une liberté d'exploitation arbitraire et égoïste. En effet, toute la création a la valeur de ce qui est « bon » (cf. Gn 1, 4.10.12.18.21.25) aux yeux de Dieu, qui en est l'Auteur. L'homme doit en découvrir et en respecter la valeur: c'est un merveilleux défi lancé à son intelligence, qui doit l'élever comme une aile vers la contemplation de la vérité de toutes les créatures, c'est-à-dire de ce que Dieu voit de bon en elles. Le Livre de la Genèse enseigne en effet que la domination de l'homme sur le monde consiste à donner un nom aux choses (cf. Gn 2, 19-20): en les nommant, l'homme doit reconnaître les choses pour ce qu'elles sont et établir envers chacune d'elles un rapport de responsabilité.
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L'homme est également en relation avec lui-même et peut réfléchir sur soi. L'Écriture Sainte parle à cet égard du cœur de l'homme. Le cœur désigne précisément l'intériorité spirituelle de l'homme, à savoir ce qui le distingue de toute autre créature: Dieu, « tout ce qu'il fait convient en son temps. Il a mis dans leur cœur l'ensemble du temps, mais sans que l'homme puisse saisir ce que Dieu fait, du commencement à la fin » (Qo 3, 11). Le cœur indique, en définitive, les facultés spirituelles propres à l'homme, ses prérogatives en tant que créé à l'image de son Créateur: la raison, le discernement du bien et du mal, la libre volonté. Quand il écoute l'aspiration profonde de son cœur, l'homme ne peut pas ne pas faire sienne la parole de vérité exprimée par saint Augustin: « Vous nous avez créés pour vous, et (...) notre coeur est inquiet jusqu'à ce qu'il repose en vous ».
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b) Le drame du péché
L'admirable vision de la création de l'homme par Dieu est inséparable du cadre dramatique du péché originel. Par une affirmation lapidaire, l'apôtre Paul résume l'histoire de la chute de l'homme narrée dans les premières pages de la Bible: « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort » (Rm 5, 12). L'homme, contre l'interdiction de Dieu, se laisse séduire par le serpent et étend les mains sur l'arbre de la vie, tombant en proie à la mort. Par ce geste, l'homme tente de forcer sa limite de créature, défiant Dieu, son unique Seigneur et source de la vie. C'est un péché de désobéissance (cf. Rm 5, 19) qui sépare l'homme de Dieu.
Par la Révélation, nous savons qu'Adam, le premier homme, en transgressant le commandement de Dieu, perd ses attributs de sainteté et de justice qu'il avait reçus non seulement pour lui, mais pour toute l'humanité: « En cédant au tentateur, Adam et Ève commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu'ils vont transmettre dans un état déchu. C'est un péché qui sera transmis par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles ».
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À la racine des déchirures personnelles et sociales, qui offensent en diverses mesures la valeur et la dignité de la personne humaine, se trouve une blessure au plus intime de l'homme: « À la lumière de la foi, nous l'appelons le péché, à commencer par le péché originel que chacun porte en soi depuis sa naissance comme un héritage reçu de nos premiers parents, jusqu'au péché que chacun commet en usant de sa propre liberté ». La conséquence du péché, en tant qu'acte de séparation d'avec Dieu, est précisément l'aliénation, à savoir la division de l'homme, non seulement d'avec Dieu, mais aussi d'avec lui-même, les autres hommes et le monde environnant: « La rupture avec Dieu aboutit d'une manière dramatique à la division entre les frères. Dans la description du “premier péché”, la rupture avec Yahvé tranche en même temps le lien d'amitié qui unissait la famille humaine, à tel point que les pages suivantes de la Genèse nous montrent l'homme et la femme qui, pour ainsi dire, tendent l'un vers l'autre un doigt accusateur (cf. Gn 3, 12); puis un frère qui, hostile à son frère, finit par lui enlever la vie (cf. Gn 4, 2-16). Suivant le récit des événements de Babel, la conséquence du péché est l'éclatement de la famille humaine, déjà commencé lors du premier péché, désormais arrivé au pire en prenant une dimension sociale ». En réfléchissant sur le mystère du péché, on ne peut pas ne pas prendre en considération ce tragique enchaînement de cause à effet.
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Le mystère du péché se compose d'une double blessure, que le pécheur ouvre dans son propre flanc et dans le rapport avec le prochain. Par conséquent, on peut parler de péché personnel et social: tout péché est personnel sous un aspect; sous un autre aspect, il est social, du fait et parce qu'il entraîne aussi des conséquences sociales. Le péché, au véritable sens du terme, est toujours un acte de la personne, car c'est un acte libre d'un individu, et non à proprement parler d'un groupe ou d'une communauté, mais on peut indéniablement attribuer à chaque péché un caractère de péché social, en tenant compte du fait qu'« en vertu d'une solidarité humaine aussi mystérieuse et imperceptible que réelle et concrète, le péché de chacun se répercute d'une certaine manière sur les autres ». Toutefois, une acception du péché social qui, plus ou moins consciemment, conduirait à en diluer et presque à en effacer la composante personnelle, pour n'admettre que les fautes et les responsabilités sociales, n'est ni légitime ni acceptable. Au fond de chaque situation de péché se trouve toujours la personne qui pèche.
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En outre, certains péchés constituent, par leur objet même, une agression directe contre le prochain. Ces péchés, en particulier, se définissent comme des péchés sociaux. Est social tout péché commis contre la justice dans les rapports de personne à personne, de la personne avec la communauté, ou encore de la communauté avec la personne. Est social tout péché contre les droits de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie, y compris celui de l'enfant à naître, ou contre l'intégrité physique de quelqu'un; tout péché contre la liberté d'autrui, spécialement contre la liberté de croire en Dieu et de l'adorer; tout péché contre la dignité et l'honneur du prochain. Est social tout péché contre le bien commun et contre ses exigences, dans toute la vaste sphère des droits et des devoirs des citoyens. Enfin, est social le péché qui « concerne les rapports entre les diverses communautés humaines. Ces rapports ne sont pas toujours en harmonie avec le dessein de Dieu qui veut dans le monde la justice, la liberté et la paix entre les individus, les groupes, les peuples ».
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Les conséquences du péché alimentent les structures du péché. Celles-ci s'enracinent dans le péché personnel et, partant, sont toujours liées à des actes concrets des personnes qui les engendrent, les consolident et les rendent difficiles à éliminer. C'est ainsi qu'elles se renforcent, qu'elles se répandent, qu'elles deviennent source d'autres péchés et conditionnent la conduite des hommes. Il s'agit de conditionnements et d'obstacles qui durent beaucoup plus longtemps que les actions accomplies dans le bref laps de temps de la vie d'un individu et qui interfèrent aussi dans le processus du développement des peuples, dont le retard ou la lenteur doivent aussi être jugés sous cet aspect. Les actions et les comportements contraires à la volonté de Dieu et au bien du prochain et les structures qu'ils induisent semblent aujourd'hui être de deux sortes: « d'une part le désir exclusif du profit et, d'autre part, la soif du pouvoir dans le but d'imposer aux autres sa volonté. Pour mieux définir chacune des attitudes, on peut leur accoler l'expression “à tout prix” ».
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c) Universalité du péché et universalité du salut
La doctrine du péché originel, qui enseigne l'universalité du péché, revêt une importance fondamentale: « Si nous disons: “Nous n'avons pas de péché”, nous nous abusons » (1 Jn 1, 8). Cette doctrine conduit l'homme à ne pas rester dans la faute et à ne pas la prendre à la légère, en cherchant continuellement des boucs émissaires chez les autres hommes et des justifications dans le milieu environnant, dans l'hérédité, dans les institutions, dans les structures et dans les relations. Il s'agit d'un enseignement qui démasque ces tromperies.
La doctrine de l'universalité du péché ne doit cependant pas être séparée de la conscience de l'universalité du salut en Jésus-Christ. Si on l'en isole, elle engendre une fausse angoisse du péché et une considération pessimiste du monde et de la vie, qui conduit à mépriser les réalisations culturelles et civiles de l'homme.
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Le réalisme chrétien voit les abîmes du péché, mais dans la lumière de l'espérance, plus grande que tout mal, donnée par l'acte rédempteur de Jésus-Christ, qui a détruit le péché et la mort (cf. Rm 5, 18-21; 1 Co 15, 56-57): « En lui, Dieu s'est réconcilié l'homme ». Le Christ, Image de Dieu (cf. 2 Co 4, 4; Col 1, 15), est Celui qui éclaire pleinement et porte à son achèvement l'image et la ressemblance de Dieu en l'homme. La Parole qui se fit homme en Jésus-Christ est depuis toujours la vie et la lumière de l'homme, lumière qui éclaire tout homme (cf. Jn 1, 4.9). Dans l'unique médiateur Jésus-Christ, Son Fils, Dieu veut le salut de tous les hommes (cf. 1 Tm 2, 4-5). Jésus est à la fois le Fils de Dieu et le nouvel Adam, c'est-à-dire l'homme nouveau (cf. 1 Co 15, 47-49; Rm 5, 14): « Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation ». En lui, nous sommes, par Dieu, « prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8, 29).
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La réalité nouvelle que donne Jésus-Christ ne se greffe pas sur la nature humaine, elle ne vient pas s'y ajouter de l'extérieur: au contraire, elle est cette réalité de la communion avec le Dieu Trinitaire vers laquelle les hommes sont depuis toujours orientés au plus profond de leur être, grâce à leur similitude avec Dieu en vertu de la création; mais il s'agit aussi d'une réalité qu'ils ne peuvent atteindre par leurs seules forces. Par l'Esprit de Jésus- Christ, Fils incarné de Dieu, en qui cette réalité de communion est déjà réalisée d'une façon singulière, les hommes sont accueillis comme des fils de Dieu (cf. Rm 8, 14-17; Ga 4, 4-7). Par le Christ, nous participons à la nature de Dieu, qui nous donne « infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20). Ce que les hommes ont déjà reçu n'est qu'un gage ou une « caution » (2 Co 1, 22; Ep 1, 14) de ce qu'ils n'obtiendront totalement que devant Dieu, vu « face à face » (1 Co 13, 12), à savoir une caution de la vie éternelle: « Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3).
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L'universalité de l'espérance chrétienne inclut non seulement les hommes et les femmes de tous les peuples, mais aussi le ciel et la terre: « Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice, que la terre s'ouvre et produise le salut, qu'elle fasse germer en même temps la justice. C'est moi, le Seigneur, qui a créé cela » (Is 45, 8). En effet, selon le Nouveau Testament, la création tout entière aussi, avec toute l'humanité, attend le Rédempteur: soumise à la caducité, elle avance, remplie d'espérance, au milieu des gémissements et des douleurs de l'enfantement, attendant d'être libérée de la corruption (cf. Rm 8, 18-22).
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III. LA PERSONNE HUMAINE ET SES MULTIPLES PROFILS
Mettant à profit l'admirable message biblique, la doctrine sociale de l'Église s'attarde avant tout sur les dimensions principales et indissociables de la personne humaine, afin de saisir les aspects les plus importants de son mystère et de sa dignité. En effet, par le passé, on a constaté, et cela se manifeste encore dramatiquement sur la scène de l'histoire actuelle, de nombreuses conceptions réductrices — à caractère idéologique ou dues simplement à des formes diffuses des mœurs et de la pensée — à propos de l'homme, de sa vie et de son destin, et qui ont en commun d'essayer d'en obscurcir l'image en soulignant une seule de ses caractéristiques, au détriment de toutes les autres.
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La personne ne peut jamais être pensée uniquement comme une individualité absolue, bâtie par soi-même et sur soi-même, comme si ses caractéristiques propres ne dépendaient pas d'autre chose que d'elle-même. Elle ne peut pas être pensée comme la pure cellule d'un organisme disposé à lui reconnaître, tout au plus, un rôle fonctionnel à l'intérieur d'un système. Les conceptions réductrices de la pleine vérité de l'homme ont déjà fait plusieurs fois l'objet de la sollicitude sociale de l'Église, qui n'a pas manqué d'élever sa voix à leur propos, comme à propos d'autres perspectives, drastiquement réductrices, se souciant au contraire d'annoncer que « les individus ne nous apparaissent pas sans liaison entre eux, comme des grains de sable, mais bien au contraire unis par des relations organiques, harmonieuses et mutuelles » et que l'homme ne peut pas être considéré comme « un simple élément, une molécule de l'organisme social », en veillant donc à ce qu'à l'affirmation de la primauté de la personne ne corresponde pas une vision individualiste ou massifiée.
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La foi chrétienne, tout en invitant à rechercher partout ce qui est bon et digne de l'homme (cf. 1 Th 5, 21), « se situe au-dessus et parfois à l'opposé des idéologies dans la mesure où elle reconnaît Dieu, transcendant et créateur, qui interpelle, à tous les niveaux du créé, l'homme comme liberté responsable ».
La doctrine sociale prend à son compte les différentes dimensions du mystère de l'homme, qui requiert d'être approché « dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel et en même temps de son être communautaire et social », avec une attention spécifique, afin d'en permettre une évaluation plus ponctuelle.
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A) L'UNITÉ DE LA PERSONNE
L'homme a été créé par Dieu comme unité d'âme et de corps: « L'âme spirituelle et immortelle est le principe d'unité de l'être humain, elle est ce pour quoi il existe comme un tout — corpore et anima unus — en tant que personne. Ces définitions ne montrent pas seulement que même le corps, auquel est promise la résurrection, aura part à la gloire; elles rappellent également le lien de la raison et de la volonté libre avec toutes les facultés corporelles et sensibles. La personne, comprenant son corps, est entièrement confiée à elle-même, et c'est dans l'unité de l'âme et du corps qu'elle est le sujet de ses actes moraux ».
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Par sa corporéité, l'homme unifie en lui les éléments du monde matériel, qui « trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur ». Cette dimension permet à l'homme de s'insérer dans le monde matériel, lieu de sa réalisation et de sa liberté, non pas comme en prison ou en exil. Il n'est pas licite de mépriser la vie corporelle; au contraire, l'homme « doit estimer et respecter son corps qui a été créé par Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour ». Toutefois, à la suite de la blessure du péché, la dimension corporelle fait expérimenter à l'homme les rébellions du corps et les inclinaisons perverses du cœur, sur lesquelles il doit toujours veiller pour ne pas en être esclave et pour ne pas être victime d'une vision purement terrestre de sa vie.
Grâce à sa spiritualité, l'homme dépasse la totalité des choses et pénètre dans la structure la plus profonde de la réalité. Quand il se tourne vers le cœur, c'est-à-dire quand il réfléchit sur son destin, l'homme se découvre supérieur au monde matériel, en raison de sa dignité unique d'interlocuteur de Dieu, sous le regard de qui il décide de sa vie. Dans sa vie inté- rieure, il reconnaît avoir « en lui une âme spirituelle et immortelle » et sait qu'il n'est pas seulement « une simple parcelle de la nature, (...) un élément anonyme de la cité humaine ».
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L'homme possède donc deux caractéristiques différentes: c'est un être matériel, lié à ce monde par son corps, et un être spirituel, ouvert à la transcendance et à la découverte d'une « vérité plus profonde », par son intelligence, grâce à laquelle il participe « à la lumière de l'intelligence divine ». L'Église affirme: « L'unité de l'âme et du corps est si profonde que l'on doit considérer l'âme comme la “forme” du corps; c'est-à-dire, c'est grâce à l'âme spirituelle que le corps constitué de matière est un corps humain et vivant; l'esprit et la matière, dans l'homme, ne sont pas deux natures unies, mais leur union forme une unique nature ». Ni le spiritualisme, qui méprise la réalité du corps, ni le matérialisme, qui considère l'esprit comme une pure manifestation de la matière,
ne rendent raison de la complexité, de la totalité et de l'unité de l'être humain.
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B) OUVERTURE À LA TRANSCENDANCE ET UNICITÉ DE LA PERSONNE
a) Ouverture à la transcendance
L'ouverture à la transcendance appartient à la personne humaine: l'homme est ouvert à l'infini et à tous les êtres créés. Avant tout, il est ouvert à l'infini, c'est-à-dire à Dieu, car, par son intelligence et sa volonté, il s'élève au-dessus de toute la création et de lui-même, il se rend indépendant des créatures, il est libre face à toutes les choses créées et tend vers la vérité et le bien absolus. Il est également ouvert à l'autre, aux autres hommes et au monde, car ce n'est qu'en se comprenant en référence à un tu qu'il peut dire je. Il sort de lui-même, de la conservation égoïste de sa propre vie, pour entrer dans une relation de dialogue et de communion avec l'autre.
La personne est ouverte à la totalité de l'être, à l'horizon illimité de l'être. En effet, grâce à cette ouverture à l'être sans limites, elle possède la capacité de transcender les objets particuliers qu'elle connaît. L'âme humaine est en un certain sens, par sa dimension cognitive, toutes les choses: « Toutes les choses immatérielles jouissent d'une certaine infinité, dans la mesure où elles embrassent tout, ou parce qu'il s'agit de l'essence d'une réalité spirituelle qui sert de modèle et de ressemblance à tout, comme c'est le cas pour Dieu, ou bien parce qu'elle possède la ressemblance de toute chose, soit en acte comme chez les Anges, soit en puissance comme dans les âmes ».
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b) Être unique et inimitable
L'homme existe comme être unique et inimitable, il existe en tant que « moi » capable de s'auto-comprendre, de s'auto-posséder, de s'auto- déterminer. La personne humaine est un être intelligent et conscient, capable de réfléchir sur elle-même et donc d'avoir conscience de soi et de ses actes. Toutefois, ce ne sont ni l'intelligence, ni la conscience, ni la liberté qui définissent la personne, mais c'est la personne qui est à la base des actes d'intelligence, de conscience et de liberté. Ces actes peuvent aussi manquer, sans pour autant que l'homme cesse d'être une personne.
La personne humaine doit toujours être comprise dans sa singularité inimitable et inéluctable. De fait, l'homme existe avant tout comme subjectivité, comme centre de conscience et de liberté, dont l'histoire unique et non comparable à aucune autre exprime l'impossibilité de le réduire à quelque tentative que ce soit de l'enfermer dans des schémas de pensée ou dans des systèmes de pouvoir, idéologiques ou non. Ceci impose avant tout l'exigence non seulement du simple respect de la part de quiconque, et en particulier des institutions politiques et sociales et de leurs responsables à l'égard de chaque homme sur cette terre, mais bien plus, cela comporte que le premier engagement de chacun envers l'autre, et surtout de ces mêmes institutions, soit précisément la promotion du développement intégral de la personne.
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c) Le respect de la dignité humaine
Une société juste ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité transcendante de la personne humaine. Celle-ci représente la fin dernière de la société, qui lui est ordonnée: « Aussi l'ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes et non l'inverse ». Le respect de la dignité humaine ne peut en aucune façon ne pas tenir compte de ce principe: il faut « que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme “un autre lui-même”, [qu'il] tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement ». Il faut que tous les programmes sociaux, scientifiques et culturels, soient guidés par la conscience de la primauté de chaque être humain.
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En aucun cas la personne humaine ne peut être manipulée à des fins étrangères à son développement, qui ne peut trouver son accomplissement plein et définitif qu'en Dieu et en son projet salvifique: l'homme, en effet, dans son intériorité, transcende l'univers et est l'unique créature que Dieu a voulue pour elle-même. C'est la raison pour laquelle ni sa vie, ni le développement de sa pensée, ni ses biens, ni ceux qui partagent son histoire personnelle et familiale, ne peuvent être soumis à d'injustes restrictions dans l'exercice de ses droits et de sa liberté.
La personne ne peut pas être finalisée à des projets de caractère économique, social et politique imposés par quelque autorité que ce soit, même au nom de présumés progrès de la communauté civile dans son ensemble ou d'autres personnes, dans le présent ou dans le futur. Il est donc nécessaire que les autorités publiques veillent attentivement à ce que toute restriction de la liberté ou tout devoir imposé à l'action personnelle ne lèse jamais la dignité de la personne et à ce que soit garantie la mise en pratique effective des droits de l'homme. Tout ceci, encore une fois, se fonde sur la vision de l'homme comme personne, c'est-à-dire comme sujet actif et responsable de son processus de croissance, avec la communauté dont il fait partie.
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Les mutations sociales authentiques ne sont effectives et durables que si elles sont fondées sur des changements décisifs de la conduite personnelle. En effet, aucune moralisation authentique de la vie sociale ne sera jamais possible si ce n'est à partir des personnes et en se référant à elles: car « l'exercice de la vie morale atteste la dignité de la personne ». C'est aux personnes que revient, évidemment, le développement des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité, etc...), qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres ou déléguée aux institutions. Il revient à tous, et en particulier à ceux qui, sous diverses formes, exercent des responsabilités politiques, juridiques ou professionnelles à l'égard des autres, d'être la conscience vigilante de la société et les premiers témoins d'une vie civile en commun digne de l'homme.
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C) LA LIBERTÉ DE LA PERSONNE
a) Valeur et limites de la liberté
L'homme ne peut tendre au bien que dans la liberté que Dieu lui a donnée comme signe sublime de son image: « Dieu a voulu le laisser à son propre conseil (cf. Si 15, 14) pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure ».
À juste titre, l'homme apprécie la liberté et la cherche passionnément: à juste titre, il veut et doit former et conduire, de sa libre initiative, sa vie personnelle et sociale, en en assumant personnellement la responsabilité. De fait, non seulement la liberté permet à l'homme de modifier convenablement l'état de choses qui lui est extérieur, mais elle détermine la croissance de son être en tant que personne, par des choix conformes au vrai bien: de la sorte, l'homme s'engendre lui-même, il est le père de son propre être, il construit l'ordre social.
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