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Doctrine Sociale de l'Eglise Catholique/Eglise Catholique
b) En dialogue cordial avec chaque savoir
La doctrine sociale de l'Église bénéficie de tous les apports de la connaissance, de quelque savoir qu'ils proviennent, et possède une importante dimension interdisciplinaire: « Pour mieux incarner l'unique vérité concernant l'homme dans des contextes sociaux, économiques et politiques différents et en continuel changement, cette doctrine entre en dialogue avec les diverses disciplines qui s'occupent de l'homme, elle en assimile les apports ». La doctrine sociale se prévaut tant des apports de sens de la philosophie que des apports descriptifs des sciences humaines.
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Ce qui est essentiel avant tout, c'est l'apport de la philosophie, déjà apparu dans le renvoi à la nature humaine comme source et à la raison comme voie de connaissance de la foi elle-même. Par le biais de la raison, la doctrine sociale intègre la philosophie dans sa logique interne, à savoir dans l'argumentation qui lui est propre.
Affirmer que la doctrine sociale doit être rapportée à la théologie plutôt qu'à la philosophie ne signifie pas méconnaître ou sous-évaluer le rôle et l'apport philosophiques. De fait, la philosophie est un instrument adéquat et indispensable pour une compréhension correcte des concepts de base de la doctrine sociale — comme la personne, la société, la liberté, la conscience, l'éthique, le droit, la justice, le bien commun, la solidarité, la subsidiarité, l'État —, compréhension qui inspire une vie sociale harmonieuse. C'est encore la philosophie qui fait ressortir la plausibilité rationnelle de la lumière projetée par l'Évangile sur la société et qui sollicite l'ouverture et le consentement à la vérité de toute intelligence et conscience.
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Un apport significatif à la doctrine sociale de l'Église provient aussi des sciences humaines et sociales: aucun savoir n'est exclu, en raison de la part de vérité dont il est porteur. L'Église reconnaît et accueille tout ce qui contribue à la compréhension de l'homme dans le réseau toujours plus étendu, variable et complexe, des relations sociales. Elle est consciente qu'on ne parvient pas à une profonde connaissance de l'homme uniquement par la théologie, sans les apports de nombreux savoirs auxquels la théologie elle-même se réfère.
L'ouverture attentive et constante aux sciences fait acquérir à la doctrine sociale ses compétences, son caractère concret et son actualité. Grâce à cela, l'Église peut comprendre d'une manière plus précise l'homme dans la société, parler aux hommes de son temps d'une manière plus convaincante et accomplir plus efficacement son devoir d'incarner, dans la con- science et dans la sensibilité sociale de notre époque, la Parole de Dieu et la foi, d'où la doctrine sociale prend son « point de départ ».
Ce dialogue interdisciplinaire incite aussi les sciences à saisir les perspectives de signification, de valeur et d'engagement que renferme la doctrine sociale et « à s'orienter, dans une perspective plus vaste, vers le service de la personne, connue et aimée dans la plénitude de sa vocation ».
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c) Expression du ministère d'enseignement de l'Église
La doctrine sociale est de l'Église parce que l'Église est le sujet qui l'élabore, la diffuse et l'enseigne. Elle n'est pas la prérogative d'une composante du corps ecclésial, mais de la communauté tout entière: elle est l'expression de la façon dont l'Église comprend la société et se situe à l'égard de ses structures et de ses mutations. Toute la communauté ecclésiale — prêtres, religieux et laïcs — concourt à constituer la doctrine sociale, selon la diversité des devoirs, des charismes et des ministères en son sein.
Les contributions multiples et multiformes — expressions elles aussi du « sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier » — sont assumées, interprétées et unifiées par le Magistère, qui promulgue l'enseignement social comme doctrine de l'Église. Le Magistère échoit, dans l'Église, à ceux qui sont investis du « munus docendi », c'est-à-dire du ministère d'enseigner dans le domaine de la foi et de la morale avec l'autorité reçue du Christ. La doctrine sociale n'est pas seulement le fruit de la pensée et de l'œuvre de personnes qualifiées, mais la pensée de l'Église, en tant qu'œuvre du Magistère, qui enseigne avec l'autorité que le Christ a conférée aux Apôtres et à leurs successeurs: le Pape et les évêques en communion avec lui.
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Dans la doctrine sociale de l'Église le Magistère est en acte, en toutes ses composantes et expressions. Le Magistère universel du Pape et du Concile est primordial: c'est ce Magistère qui détermine l'orientation et qui marque le développement de la doctrine sociale. À son tour, il est intégré par le Magistère épiscopal, qui spécifie, traduit et actualise son enseignement, dans le concret et la spécificité des multiples et diverses situations locales.L'enseignement social des évêques offre des apports valables et des stimulants au Magistère du Pontife romain. Se réalise ainsi une circularité qui exprime, de fait, la collégialité des pasteurs unis au Pape dans l'enseignement social de l'Église. L'ensemble doctrinal qui en résulte comprend et intègre l'enseignement universel des Papes et l'enseignement particulier des évêques.
En tant que partie intégrante de l'enseignement moral de l'Église, la doctrine sociale revêt la même dignité et possède la même autorité que cet enseignement. Elle est un Magistère authentique, qui exige l'acceptation et l'adhésion des fidèles. Le poids doctrinal des différents enseignements et l'assentiment qu'ils requièrent doivent être évalués en fonction de leur nature, de leur degré d'indépendance par rapport à des éléments contingents et variables et de la fréquence avec laquelle ils sont rappelés.
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d) Pour une société réconciliée dans la justice et dans l'amour
L'objet de la doctrine sociale est essentiellement le même que celui qui en constitue la raison d'être: l'homme, appelé au salut et, en tant que tel, confié par le Christ aux soins et à la responsabilité de l'Église. Par sa doctrine sociale, l'Église se soucie de la vie humaine en société, consciente que c'est de la qualité du vécu social, c'est-à-dire des relations de justice et d'amour qui le façonnent, que dépendent de manière décisive la tutelle et la promotion des personnes, pour lesquelles toute communauté est constituée. En effet, dans la société, sont en jeu la dignité et les droits des personnes, ainsi que la paix dans les relations entre les personnes et entre les communautés de personnes. Ce sont des biens que la communauté sociale doit poursuivre et garantir.
Dans cette perspective, la doctrine sociale assume une fonction d'annonce et de dénonciation.
Avant tout, l'annonce de ce que l'Église possède en propre: « une vision globale de l'homme et de l'humanité », à un niveau non seulement théorique mais pratique. La doctrine sociale, en effet, n'offre pas seulement des significations, des valeurs et des critères de jugement, mais aussi les normes et les directives d'action qui en découlent. Par cette doctrine, l'Église ne poursuit pas des objectifs de structuration ni d'organisation de la société, mais de sollicitation, d'orientation et de formation des consciences.
La doctrine sociale comporte également un devoir de dénonciation, en présence du péché: c'est le péché d'injustice et de violence qui, de diverses façons, traverse la société et prend corps en elle. Cette dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués et violés, en particulier des droits des pauvres, des petits, des faibles; elle s'intensifie d'autant plus que les injustices et les violences s'étendent, en touchant des catégories entières de personnes et de vastes zones géographiques du monde, entraînant ainsi des questions sociales comme les abus et les déséquilibres qui affligent les sociétés. Une grande partie de l'enseignement social de l'Église est sollicitée et déterminée par les grandes questions sociales dont elle veut être une réponse de justice sociale.
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Le but de la doctrine sociale est d'ordre religieux et moral. Religieux parce que la mission évangélisatrice et salvifique de l'Église embrasse l'homme « dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel et en même temps de son être communautaire et social ». Moral parce que l'Église vise un « humanisme plénier », c'est-à-dire la « libération de tout ce qui opprime l'homme » et le « développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ». La doctrine sociale trace les voies à parcourir vers une société réconciliée et harmonisée dans la justice et dans l'amour, qui anticipe dans l'histoire, d'une manière inchoative et préfigurative, des « cieux nouveaux et une terre nouvelle... où la justice habitera » (2 P 3, 13).
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e) Un message pour les enfants de l'Église et pour l'humanité
La première destinataire de la doctrine sociale est la communauté ecclésiale avec tous ses membres, car tous ont des responsabilités sociales à assumer. La conscience est interpellée par l'enseignement social afin de reconnaître et d'accomplir les devoirs de justice et de charité dans la vie sociale. Cet enseignement est lumière de vérité morale, qui inspire des réponses appropriées selon la vocation et le ministère de chaque chrétien. Dans les tâches d'évangélisation, c'est-à-dire d'enseignement, de catéchèse et de formation, que suscite la doctrine sociale de l'Église, celle-ci est destinée à tout chrétien, selon les compétences, les charismes, les charges et la mission d'annonce propres à chacun.
La doctrine sociale implique également des responsabilités relatives à la construction, à l'organisation et au fonctionnement de la société: obligations politiques, économiques, administratives, c'est-à-dire de nature séculière, qui appartiennent aux fidèles laïcs, et non pas aux prêtres ni aux religieux. Ces responsabilités reviennent aux laïcs d'une façon spécifique, en raison de la condition séculière de leur état de vie et du caractère séculier de leur vocation: à travers ces responsabilités, les laïcs mettent en pratique l'enseignement social et accomplissent la mission séculière de l'Église.
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Outre sa destination primaire et spécifique aux enfants de l'Église, la doctrine sociale a aussi une destination universelle. La lumière de l'Évangile, que la doctrine sociale reflète sur la société, éclaire tous les hommes et chaque conscience, chaque intelligence, est en mesure de saisir la profondeur humaine des significations et des valeurs qu'elle exprime, ainsi que le poids d'humanité et d'humanisation de ses normes d'action. Ainsi tous, au nom de l'homme, de sa dignité une et unique, de sa protection et de sa promotion dans la société, tous, au nom de l'unique Dieu, Créateur et fin dernière de l'homme, sont les destinataires de la doctrine sociale de l'Église. La doctrine sociale est un enseignement expressément adressé à tous les hommes de bonne volonté et, de fait, cet enseignement est écouté par les membres d'autres Églises et Communautés ecclésiales, par les fidèles d'autres traditions religieuses et par des personnes qui n'appartiennent à aucun groupe religieux.
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f) Sous le signe de la continuité et du renouvellement
Orientée par la lumière éternelle de l'Évangile et constamment attentive à l'évolution de la société, la doctrine sociale est caractérisée par la continuité et par le renouvellement.
Elle manifeste avant tout la continuité d'un enseignement qui se réclame des valeurs universelles dérivant de la Révélation et de la nature humaine. Voilà pourquoi la doctrine sociale ne dépend pas des diverses cultures, des différentes idéologies, des diverses opinions: elle est un enseignement constant, qui demeure « identique dans son inspiration de base, dans ses “principes de réflexion”, dans ses “critères de jugement”, dans ses “directives d'action” fondamentales et surtout dans son lien essentiel avec l'Évangile du Seigneur ». Dans son noyau porteur et permanent, la doctrine sociale de l'Église traverse l'histoire sans en subir les conditionnements, ni courir le risque de la dissolution.
Par ailleurs, en se tournant constamment vers l'histoire pour se laisser interpeller par les événements qui s'y produisent, la doctrine sociale de l'Église manifeste une capacité de renouvellement continuel. La fermeté dans les principes ne fait pas d'elle un système rigide d'enseignement, mais un Magistère capable de s'ouvrir aux choses nouvelles, sans se dénaturer en elles: un enseignement « sujet aux adaptations nécessaires et opportunes entraînées par les changements des conditions historiques et par la succession ininterrompue des événements qui font la trame de la vie des hommes et de la société ».
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La doctrine sociale se présente comme un « chantier » toujours ouvert, où la vérité éternelle pénètre et imprègne la nouveauté contingente, en traçant des voies de justice et de paix. La foi ne prétend pas emprisonner dans un schéma fermé la réalité socio-politique changeante. C'est plutôt l'inverse: la foi est un ferment de nouveauté et de créativité. L'enseignement qui prend continuellement en elle son point de départ « se développe par une réflexion menée au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Évangile comme source de renouveau ».
Mère et Éducatrice, l'Église ne se ferme pas ni se retire en elle-même, mais elle est toujours exposée, tendue et tournée vers l'homme, dont la destinée de salut est sa raison d'être. Elle est, au milieu des hommes, l'image vivante du Bon Pasteur, qui va chercher et trouver l'homme là où il est, dans la condition existentielle et historique de son vécu. Là, l'Église se fait pour lui rencontre avec l'Évangile, message de libération et de réconciliation, de justice et de paix.
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III. LA DOCTRINE SOCIALE À NOTRE ÉPOQUE:
ÉVOCATION HISTORIQUE
a) Le commencement d'un nouveau chemin
L'expression doctrine sociale remonte à Pie XI et désigne le « corpus » doctrinal concernant les thèmes d'importance sociale qui, à partir de l'encyclique « Rerum novarum » de Léon XIII, s'est développé dans l'Église à travers le Magistère des Pontifes Romains et des évêques en communion avec lui. La sollicitude sociale n'a certes pas commencé avec ce document, car l'Église ne s'est jamais désintéressée de la société. Néanmoins, l'encyclique « Rerum Novarum » ouvre un nouveau chemin: venant se greffer sur une tradition pluriséculaire, elle marque un nouveau début et un développement substantiel de l'enseignement dans le domaine social.
Dans son attention permanente à l'homme dans la société, l'Église a ainsi accumulé un riche patrimoine doctrinal. Celui-ci s'enracine dans l'Écriture Sainte, en particulier dans l'Évangile et dans les écrits apostoliques, et a pris forme et corps à partir des Pères de l'Église et des grands Docteurs du Moyen-Âge, constituant une doctrine dans laquelle, bien que sans interventions explicites et directes au niveau magistériel, l'Église s'est peu à peu reconnue.
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Les événements de nature économique qui se produisirent au XIXème siècle eurent des conséquences sociales, politiques et culturelles explosives. Ceux liés à la révolution industrielle bouleversèrent des structures sociales séculaires, soulevant de graves problèmes de justice et posant la première grande question sociale, la question ouvrière, suscitée par le conflit entre le capital et le travail. Dans ce contexte, l'Église ressentit la nécessité de devoir intervenir d'une nouvelle façon: les « res novae », constituées par ces événements, représentaient un défi à son enseignement et motivaient une sollicitude pastorale spéciale à l'égard de grandes masses d'hommes et de femmes. Un discernement renouvelé de la situation s'avérait nécessaire, pour être en mesure de définir les solutions appropriées aux problèmes inhabituels et inexplorés.
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b) De « Rerum novarum » à nos jours
En réponse à la première grande question sociale, Léon XIII promulgue la première encyclique sociale, « Rerum Novarum ». Elle examine la condition des travailleurs salariés, particulièrement pénible pour les ouvriers de l'industrie, plongés dans une misère révoltante. La question ouvrière est traitée selon son ampleur réelle: elle est explorée sous toutes ses articulations sociales et politiques, pour être dûment évaluée à la lumière des principes doctrinaux fondés sur la Révélation, sur la loi et sur la morale naturelles.
« Rerum Novarum » dresse la liste des erreurs qui provoquent le mal social, exclut le socialisme comme remède et expose, en la précisant et en l'actualisant, « la doctrine catholique sur le travail, sur le droit de propriété, sur le principe de collaboration opposé à la lutte des classes comme moyen fondamental pour le changement social, sur le droit des faibles, sur la dignité des pauvres et sur les obligations des riches, sur le perfectionnement de la justice par la charité, sur le droit d'avoir des associations professionnelles ».
« Rerum Novarum » est devenue le document d'inspiration et de référence pour l'activité chrétienne en matière sociale. Le thème central de l'encyclique est celui de l'instauration d'un ordre social juste, en vue duquel il est nécessaire de définir des critères de jugement qui aident à évaluer les systèmes socio-politiques existants et à tracer des lignes d'action pour les transformer de façon opportune.
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« Rerum Novarum » a affronté la question ouvrière avec une méthode qui deviendra « un modèle permanent » pour les développements ultérieurs de la doctrine sociale. Les principes affirmés par Léon XIII seront repris et approfondis par les encycliques sociales suivantes. Toute la doctrine sociale pourrait être comprise comme une actualisation, un approfondissement et une expansion du noyau originaire de principes exposés dans « Rerum novarum ». Avec ce texte, courageux et clairvoyant, Léon XIII « donnait pour ainsi dire “droit de cité” à l'Église dans les réalités changeantes de la vie publique » et « a écrit ce mot d'ordre » qui devint « un élément permanent de la doctrine sociale de l'Église », affirmant que les graves problèmes sociaux « ne pouvaient être résolus que par la collaboration entre toutes les forces » et ajoutant encore: « Quant à l'Église, son action ne fera jamais défaut en aucune manière ».
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Au début des années Trente, dans la foulée de la grave crise économique de 1929, Pie XI publie l'encyclique « Quadragesimo Anno », pour commémorer les quarante ans de « Rerum Novarum ». Le Pape relit le passé à la lumière d'une situation économique et sociale où l'expansion du pouvoir des groupes financiers était venue s'ajouter à l'industrialisation, au plan national et international. C'était la période de l'après- guerre où, en Europe, les régimes totalitaires étaient en train de s'affirmer, tandis que la lutte des classes se durcissait. L'encyclique met en garde contre le non-respect de la liberté d'association et réaffirme les principes de solidarité et de collaboration pour surmonter les antinomies sociales. Les rapports entre capital et travail doivent être caractérisés par la coopération.
« Quadragesimo anno » réitère le principe selon lequel le salaire doit être proportionnel non seulement aux besoins du travailleur, mais aussi à ceux de sa famille. L'État, dans ses rapports avec le secteur privé, doit appliquer le principe de subsidiarité, principe qui deviendra un élément permanent de la doctrine sociale. L'Encyclique réfute le libéralisme compris comme concurrence illimitée des forces économiques, mais confirme de nouveau la valeur de la propriété privée, rappelant sa fonction sociale. Dans une société à reconstruire à partir de ses bases économiques, qui devient elle-même et tout entière « la question » à affronter, « Pie XI ressentit le devoir et la responsabilité de promouvoir une connaissance plus grande, une interprétation plus exacte et une application plus urgente de la loi morale régulatrice des rapports humains (...), dans le but de surmonter le conflit des classes et d'arriver à un nouvel ordre social basé sur la justice et la charité ».
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Pie XI ne manqua pas de faire entendre sa voix contre les régimes totalitaires qui, durant son pontificat, s'affirmèrent en Europe. Déjà le 29 juin 1931, Pie XI avait protesté contre les violences du régime fasciste en Italie avec l'encyclique « Non abbiamo bisogno ». En 1937, il publia l'encyclique « Mit brennender Sorge », sur la situation de l'Église catholique dans le Reich allemand. Le texte de « Mit brennender Sorge » fut lu en chaire dans toutes les églises catholiques d'Allemagne, après avoir été diffusé dans le plus grand secret. L'Encyclique survenait après des années d'abus et de violences et avait été expressément requise à Pie XI par les évêques allemands, à la suite des mesures toujours plus coercitives et répressives adoptées par le Reich en 1936, en particulier à l'égard des jeunes, obligés de s'inscrire à la « Jeunesse hitlérienne ». Le Pape s'adresse aux prêtres, aux religieux et aux fidèles laïcs pour les encourager et les appeler à la résistance, jusqu'à ce qu'une paix véritable soit rétablie entre l'Église et l'État. En 1938, face à l'expansion de l'antisémitisme, Pie XI affirma: « Nous sommes spirituellement des sémites ».
Avec l'encyclique « Divini Redemptoris », sur le communisme athée et sur la doctrine sociale chrétienne, Pie XI critiqua le communisme de façon systématique, le qualifiant d'« intrinsèquement pervers »; et il indiqua comme moyens principaux pour remédier aux maux provoqués par celui-ci, le renouveau de la vie chrétienne, l'exercice de la charité évangélique, l'accomplissement des devoirs de justice au niveau interpersonnel et social en vue du bien commun, et l'institutionnalisation de corps professionnels et interprofessionnels.
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Les Radio-messages de Noël de Pie XII, avec d'autres interventions importantes en matière sociale, approfondissent la réflexion magistérielle sur un nouvel ordre social, gouverné par la morale et par le droit et centré sur la justice et sur la paix. Durant son pontificat, Pie XII traversa les terribles années de la deuxième guerre mondiale et celles difficiles de la reconstruction. Il ne publia pas d'encycliques sociales; toutefois il manifesta constamment, dans de très nombreux contextes, sa préoccupation pour l'ordre international bouleversé: « Dans les années de guerre et d'après-guerre, le Magistère social de Pie XII représenta pour de nombreux peuples de tous les continents et pour des millions de croyants et de non-croyants la voix de la conscience universelle, interprétée et proclamée en connexion intime avec la Parole de Dieu. Par son autorité morale et son prestige, Pie XII apporta la lumière de la sagesse chrétienne à des hommes innombrables de toute catégorie et niveaux sociaux ».
Une des caractéristiques des interventions de Pie XII réside dans l'accent mis sur le rapport entre la morale et le droit. Le Pape insiste sur la notion de droit naturel, comme âme de l'ordre qui doit être instauré aussi bien sur le plan national qu'international. Un autre aspect important de l'enseignement de Pie XII consiste dans son attention aux catégories professionnelles et au monde de l'entreprise, appelés à concourir tout particulièrement à la réalisation du bien commun: « En raison de sa sensibilité et de son intelligence dans l'accueil des “signes des temps”, Pie XII peut être considéré comme le précurseur immédiat du Concile Vatican II et de l'enseignement social des Papes qui lui ont succédé ».
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Les années Soixante ouvrent des horizons prometteurs: la reprise, après les dévastations de la guerre, le début de la décolonisation, les premiers signaux timides d'un dégel dans les rapports entre les deux blocs, américain et soviétique. Dans ce climat, le bienheureux Jean XXIII lit en profondeur les « signes des temps ». La question sociale s'universalise et concerne tous les pays: à côté de la question ouvrière et de la révolution industrielle apparaissent les problèmes de l'agriculture, des zones en voie de développement, de la croissance démographique et ceux liés à la nécessité d'une coopération économique mondiale. Les inégalités, ressenties précédemment parmi les nations, apparaissent au niveau international et font ressortir toujours plus clairement la situation dramatique dans laquelle se trouve le tiers monde.
Dans l'encyclique « Mater et Magistra », Jean XXIII « vise à mettre à jour les documents déjà connus et à faire un nouveau pas en avant dans le processus d'implication de toute la communauté chrétienne ». Les mots-clés de l'encyclique sont communauté et socialisation: l'Église est appelée, dans la vérité, dans la justice et dans l'amour, à collaborer avec tous les hommes pour construire une communion authentique. Pour cela, la croissance économique ne se limitera pas à satisfaire les besoins des hommes, mais pourra également promouvoir leur dignité.
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Avec l'encyclique « Pacem in Terris », Jean XXIII met en évidence le thème de la paix, à une époque marquée par la prolifération nucléaire. « Pacem in Terris » contient, en outre, une première réflexion approfondie de l'Église sur les droits; c'est l'encyclique de la paix et de la dignité humaine. Elle poursuit et complète le discours de « Mater et Magistra » et, dans la voie tracée par Léon XIII, souligne l'importance de la collaboration entre tous: c'est la première fois qu'un document de l'Église est également adressé « à tous les hommes de bonne volonté », qui sont appelés à une « tâche immense, celle de rétablir les rapports de la vie en société sur les bases de la vérité, de la justice, de la charité et de la liberté ». « Pacem in Terris » s'attarde sur les pouvoirs publics de la communauté mondiale dont le rôle est « d'examiner et de résoudre les problèmes que pose le bien commun universel en matière économique, sociale, politique ou culturelle ». Pour le dixième anniversaire de « Pacem in Terris », le Cardinal Maurice Roy, Président de la Commission Pontificale Justice et Paix envoya à Paul VI une Lettre qui accompagne un document comportant une série de réflexions sur la capacité de l'enseignement de l'encyclique de Jean XXIII à éclairer les nouveaux problèmes liés à la promotion de la paix.
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La Constitution pastorale « Gaudium et spes » du Concile Vatican II constitue une réponse significative de l'Église aux attentes du monde contemporain. Dans cette Constitution, « en syntonie avec le renouveau ecclésiologique, se reflète une nouvelle conception de la communauté des croyants et du peuple de Dieu. La Constitution conciliaire a ainsi suscité un nouvel intérêt pour la doctrine contenue dans les documents précédents au sujet du témoignage et de la vie des chrétiens comme voies authentiques pour rendre visible la présence de Dieu dans le monde ». « Gaudium et spes » trace le visage d'une Église « intimement solidaire du genre humain et de son histoire », qui chemine avec toute l'humanité et qui est sujette, avec le monde, au même sort terrestre, tout en étant « le ferment et, pour ainsi dire, l'âme de la société humaine appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu ».
« Gaudium et spes » affronte de manière organique les thèmes de la culture, de la vie économique et sociale, du mariage et de la famille, de la communauté politique, de la paix et de la communauté des peuples, à la lumière de la vision anthropologique chrétienne et de la mission de l'Église. Tout est considéré à partir de la personne et en direction de la personne: « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même ». La société, ses structures et son développement doivent être finalisés à « l'essor de la personne ». Pour la première fois, le Magistère de l'Église, à son plus haut niveau, s'exprime de manière aussi large sur les différents aspects temporels de la vie chrétienne: « On doit reconnaître que l'attention apportée par la Constitution aux changements sociaux, psychologiques, politiques, économiques, moraux et religieux a stimulé toujours plus (...) la préoccupation pastorale de l'Église pour les problèmes des hommes et le dialogue avec le monde ».
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Un autre document du Concile Vatican II, très important dans le « corpus » de la doctrine sociale de l'Église, est la Déclaration « Dignitatis Humanae », dans laquelle est proclamé le droit à la liberté religieuse. Le document traite ce thème en deux chapitres. Dans le premier, à caractère général, on affirme que le droit à la liberté religieuse se fonde sur la dignité de la personne humaine et qu'il doit être sanctionné comme un droit civil dans l'ordonnancement juridique de la société. Le second chapitre affronte le thème à la lumière de la Révélation et clarifie ses implications pastorales, en rappelant qu'il s'agit d'un droit qui concerne non seulement les personnes individuellement, mais aussi les différentes communautés.
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« Le développement est le nouveau nom de la paix », affirme Paul VI dans l'encyclique « Populorum Progressio », qui peut être considérée comme le développement du chapitre sur la vie économique et sociale de « Gaudium et spes », tout en introduisant quelques nouveautés significatives. En particulier, le document trace les axes d'un développement intégral de l'homme et d'un développement solidaire de l'humanité: « Autour de ces deux thèmes se structure tout le tissu de l'encyclique. Voulant convaincre ses destinataires de l'urgence d'une action solidaire, le Pape présente le développement comme “le passage des conditions de vie moins humaines à des conditions de vie plus humaines”, et il en spécifie les caractéristiques ». Ce passage n'est pas circonscrit aux dimensions purement économiques et techniques, mais il implique pour chaque personne l'acquisition de la culture, le respect de la dignité des autres, la reconnaissance « des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est la source et le terme ». Le développement au profit de tous répond à l'exigence d'une justice à l'échelle mondiale qui garantisse une paix planétaire et rende possible la réalisation d'un « humanisme plénier », gouverné par les valeurs spirituelles.
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Dans cette perspective, Paul VI institue en 1967 la Commission Pontificale « Iustitia et Pax », réalisant un vœu des Pères conciliaires, qui estiment « très souhaitable la création d'un organisme de l'Église universelle, chargé d'inciter la communauté catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations ». À l'initiative de Paul VI, à partir de 1968, le premier jour de l'année l'Église célèbre la Journée mondiale de la paix. Le même Souverain Pontife lance la tradition des Messages qui abordent le thème choisi pour chaque Journée mondiale de la paix, amplifiant ainsi le « corpus » de la doctrine sociale.
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Au début des années soixante-dix, dans un climat turbulent de contestation fortement idéologique, Paul VI reprend l'enseignement social de Léon XIII et l'actualise, à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de « Rerum Novarum », par la Lettre apostolique « Octogesima Adveniens ». Le Pape réfléchit sur la société post-industrielle avec tous ses problèmes complexes, relevant l'insuffisance des idéologies pour répondre à ces défis: l'urbanisation, la condition des jeunes, la situation de la femme, le chômage, les discriminations, l'émigration, l'accroissement démographique, l'influence des moyens de communication sociale, le milieu naturel.
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Quatre-vingt-dix ans après « Rerum Novarum », Jean-Paul II consacre l'encyclique « Laborem exercens » au travail, bien fondamental de la personne, facteur primordial de l'activité économique et clef de toute la question sociale. « Laborem exercens » trace une spiritualité et une éthique du travail, dans le contexte d'une réflexion théologique et philosophique profonde. Le travail ne doit pas être simplement conçu dans un sens objectif et matériel, mais il faut aussi dûment tenir compte de sa dimension subjective, en tant qu'activité exprimant toujours la personne. En plus d'être un paradigme décisif de la vie sociale, le travail possède toute la dignité d'un lieu où la vocation naturelle et surnaturelle de la personne doit se réaliser.
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Avec l'encyclique « Sollicitudo rei socialis », Jean-Paul II commémore le vingtième anniversaire de « Populorum Progressio » et aborde à nouveau le thème du développement, en suivant deux lignes directrices: « D'une part la situation dramatique du monde contemporain, sous le profil du manque de développement dans le Tiers Monde, et d'autre part, le sens, les conditions et les exigences d'un développement digne de l'homme ». L'encyclique introduit la différence entre progrès et développement et affirme que « le vrai développement ne peut se limiter à la multiplication des biens et des services, i.e. à ce qu'on possède, mais qu'il doit favoriser la plénitude de l'“être” humain. De cette manière, on entend délimiter avec clarté la nature morale du vrai développement ».
Évoquant la devise du pontificat de Pie XII, « Opus iustitiae pax », la paix est le fruit de la justice, Jean-Paul II commente: « Aujourd'hui on pourrait dire, avec la même justesse et la même force d'inspiration biblique (cf. Is 32, 17; Jc 3, 18): Opus solidaritatis pax, la paix est le fruit de la solidarité ».
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Pour le centième anniversaire de « Rerum Novarum », Jean-Paul II promulgue sa troisième encyclique sociale, « Centesimus annus », dont émerge la continuité doctrinale de cent ans de Magistère social de l'Église. Reprenant un des principes fondamentaux de la conception chrétienne de l'organisation sociale et politique, qui avait constitué le thème central de la précédente encyclique, le Pape écrit: « le principe de solidarité, comme on dit aujourd'hui (...) a été énoncé à plusieurs reprises par Léon XIII sous le nom d'“amitié” (...). Pie XI le désigna par le terme non moins significatif de “charité sociale”, tandis que Paul VI, élargissant le concept en fonction des multiples dimensions modernes de la question sociale, parlait de “civilisation de l'amour” ». Jean-Paul II souligne comment l'enseignement social de l'Église suit l'axe de la réciprocité entre Dieu et l'homme: reconnaître Dieu en chaque homme et chaque homme en Dieu est la condition d'un développement humain authentique. L'analyse articulée et approfondie des « res novae » et, en particulier, du grand tournant de 1989 avec l'effondrement du système soviétique, contient une appréciation de la démocratie et de l'économie libérale, dans le cadre d'une solidarité indispensable.
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c) À la lumière et sous l'impulsion de l'Évangile
Les documents rappelés ici constituent les pierres milliaires du cheminement de la doctrine sociale de l'époque de Léon XIII à nos jours. Cette revue synthétique s'étendrait beaucoup si l'on tenait compte de toutes les interventions motivées, au-delà d'un thème spécifique, par « la préoccupation pastorale de proposer à la communauté chrétienne et à tous les hommes de bonne volonté les principes fondamentaux, les critères universels et les orientations aptes à suggérer les choix en profondeur et la praxis cohérente pour chaque situation concrète ».
Dans l'élaboration et dans l'enseignement de la doctrine sociale, l'Église a été et demeure animée par des intentions non théorétiques mais pastorales, quand elle se trouve en face des répercussions des changements sociaux sur les personnes individuellement, sur des multitudes d'hommes et de femmes, sur leur dignité même, dans des contextes où « on recherche avec soin une organisation temporelle plus parfaite, sans que ce progrès s'accompagne d'un égal essor spirituel ». C'est pour ces raisons que s'est constituée et développée la doctrine sociale, « un corps de doctrine actualisé qui s'articule à mesure que l'Église interprète les événements dans leur déroulement au cours de l'histoire à la lumière de l'ensemble de la Parole révélée par le Christ Jésus et avec l'assistance de l'Esprit Saint (cf. Jn 14, 16.26; 16, 13-15) ».
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TROISIÈME CHAPITRE
LA PERSONNE HUMAINE ET SES DROITS
I. DOCTRINE SOCIALE ET PRINCIPE PERSONNALISTE
L'Église voit dans l'homme, dans chaque homme, l'image vivante de Dieu lui-même; image qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus profondément sa pleine explication dans le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l'homme et de l'homme à lui-même. C'est à cet homme, qui a reçu de Dieu une dignité incomparable et inaliénable, que l'Église s'adresse et rend le service le plus élevé et le plus singulier, en le rappelant constamment à sa très haute vocation, afin qu'il en soit toujours plus conscient et digne. Le Christ, Fils de Dieu, « par son incarnation, s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme »; voilà pourquoi l'Église reconnaît comme son devoir fondamental de faire en sorte que cette union puisse continuellement se réaliser et se renouveler. Dans le Christ Seigneur, l'Église indique et entend parcourir la première la voie de l'homme, et elle invite à reconnaître en quiconque, proche ou lointain, connu ou inconnu, et surtout dans le pauvre et en celui qui souffre, un frère « pour lequel le Christ est mort » (1 Co 8, 11; Rm 14, 15).
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