Lecture des documents de reference

5430 paragraphe(s) trié(s) par refdoc ASC.





Source / Auteur
contenu
Reference

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
L'AMOUR DE L'ÂME QUI ÉTUDIE, C'EST-A-DIRE DÉSIRE DE SAVOIR, N'EST POINT L'AMOUR DE CE QU'ELLE IGNORE.
2

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Maintenant, pour expliquer plus clairement le sujet, redoublons d'attention. Tout d'abord, comme personne ne peut aimer ce qu'il ignore entièrement, il faut voir de quelle nature est l'amour de ceux qui étudient, c'est-à-dire de ceux qui ne possèdent pas encore une science, mais qui désirent l'acquérir. Pour tous les autres sujets où le mot d'étude n'est généralement pas employé, il existe certaines amours qui résultent de ce qu'on entend dire; la réputation d'une beauté quelconque excite dans l'âme le désir de la voir et d'en jouir, parce que l'âme a une notion générale de la beauté du corps, pour en avoir beaucoup vu, et qu'il y a en elle quelque chose qui goûte ce qu'elle désire au dehors. Cela étant, l'amour qui s'éveille en elle n'est pas l'amour d'une chose absolument inconnue, puisqu'elle en connaît le genre. Mais quand nous aimons un homme de bien, que nous n'avons jamais vu, nous l'aimons d'après la notion des vertus que nous avons puisée dans la vérité même. Quant aux sciences, nous sommes ordinairement déterminés à les étudier par les éloges et les recommandations d'hommes graves; et néanmoins, si nous n'en avions pas déjà dans l'esprit une légère notion, nous n'éprouverions pour leur étude aucun attrait. Qui donc, par exemple, consumerait son temps et sa peine à étudier la rhétorique, s'il ne savait d'abord qu'elle est l'art de parler? Quelquefois aussi, nous admirons les résultats de ces sciences, ou pour en avoir ouï parler, ou pour en avoir été témoins nous-mêmes, et nous sentons naître en nous une vive ardeur de les étudier, afin de parvenir au même but. Supposons qu'on dise à un homme qui ne sait pas écrire, qu'il existe un art au moyen duquel on peut envoyer, même à de grandes distances, des paroles formées en silence avec la main, et que celui à qui on les adresse, en. tendra, non avec ses oreilles, mais avec ses yeux; supposons que cet homme soit témoin du fait : est-ce que, dans son désir de posséder ce moyen, toute son étude ne se portera pas vers le but qu'il connaît déjà? Tel est le principe de l'ardeur des étudiants : car personne ne peut aimer ce qu'il ignore entièrement.
1

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
De même, en entendant quelque signe inconnu, par exemple le son d'une parole dont on ignore complètement la signification, soit le mot temetum (Vin, mot latin peu usité ), il désire savoir ce que c'est, c'est-à-dire quel objet ce son a pour but d'indiquer; et, comme il ne le sait pas, il le demande. Mais il faut d'abord qu'il sache que c'est un signe, c'est-à-dire que ce mot n'est pas un vain bruit, mais renferme un sens. D'autre part, ce trisyllabe lui est déjà connu, et son articulation, introduite par ses oreilles, s'est imprimée dans son âme. Que lui manque-t-il donc pour le mieux connaître, quand il en sait toutes les lettres, toute la longueur et tous les sons, si ce n'est qu'il a compris en même temps que ce mot est un signe, et qu'il éprouve le désir de savoir quel objet ce signe indique? Ainsi, plus le mot est connu, pourvu qu'il ne le soit pas entièrement, plus l'âme est avide de connaître ce qu'il en reste à. savoir. Si en effet, cet homme savait simplement que le mot existe et ignorait qu'il signifiât quelque chose, il ne s'en informerait pas davantage, et se contenterait d'en avoir perçu, autant que possible, le côté sensible. Mais comme il sait que ce n'est pas seulement un son, mais un signe, il veut le connaître à fond. Or, ou ne connaît parfaitement un signe que quand on sait ce qu'il signifie. Mais peut-on dire que celui qui cherche vivement à savoir, et dont l'ardeur s'enflamme et persévère dans l'étude, est sans amour? Qu'aime-t-il donc? Car certainement on ne peut aimer quelque chose. sans le connaître. L'amour de cet homme, dont nous parlions tout à l'heure, ne porte (474) évidemment pas sur ces trois syllabes qu'il connaît déjà. Peut-être ce qu'il aime en elles, est-ce de savoir qu'elles signifient quelque chose; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, car ce n'est pas cela qu'il cherche à savoir maintenant. Et nous cherchons, nous, à savoir ce qu'il aime dans l'objet qu'il désire étudier et qu'il ne connaît pas encore; et nous nous étonnons de son amour, précisément parce que nous avons la certitude qu'on ne peut absolument aimer que des choses connues. Pourquoi aime-t-il enfin, sinon parce qu'il connaît et voit, dans les raisons des choses, la beauté d'une science qui renferme les notions de tous les signes; parce qu'il voit l'utilité d'un art, qui relie les hommes entre eux en les mettant à même de se communiquer leurs sentiments , et les empêche de dégénérer dans l'espèce d'isolement où les placerait l'impuissance de se manifester leurs pensées par le langage?
2

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
L'âme voit donc, connaît et goûte cette science si belle et si utile; et quiconque s'informe du sens des mots qu'il ignore, cherche à la perfectionner en lui autant que possible. Mais autre chose est de la voir à la lumière de la vérité, autre chose de la désirer pour soi. On voit, en effet, à la lumière de la vérité, combien c'est une grande et bonne chose de comprendre et de parler toutes les langues, de n'être étranger à personne et pour personne. La pensée saisit déjà la beauté de cette science, et, en l'aimant, c'est une chose connue qu'on aime. Elle est si bien vue, elle enflamme tellement l'ardeur de ceux qui l'étudient, qu'elle devient comme le pivot de leur existence, et qu'ils n'ont qu'elle pour but dans toutes les peines qu'ils prennent pour acquérir une telle faculté et se mettre dans le cas d'appliquer en pratique ce qu'ils connaissent déjà par la raison. D'où il résulte que plus on approche du terme auquel on aspire, plus l'ardeur de l'amour augmente. En effet, on se livre avec bien plus d'énergie à l'étude des sciences qu'on ne désespère pas d'acquérir. Et si l'on n'a pas l'espoir d'atteindre le but, ou l'on n'aime que faiblement, où l'on n'aime pas du tout la science dont cependant on entrevoit la beauté. Voilà pourquoi, comme tout le monde à peu près désespère d'apprendre toutes les langues, chacun s'attache surtout à connaître celle de son pays. Et si l'on se sent incapable de la connaître parfaitement, il n'est cependant personne de si indifférent sur ce point, qu'il ne désire savoir le sens d'un mot inconnu qu'on prononce devant lui, et ne s'en informe et ne l'apprenne, si cela lui est possible. En s'en informant, il cède évidemment au désir de s'instruire et semble aimer une chose inconnue; ce qui n'est pas, pourtant. Son âme est touchée d'un genre de beauté qu'il connaît, à laquelle il pense, où il voit briller l'art glorieux d'unir les âmes par la communication du langage; et cette beauté allume en lui le désir de chercher ce qu'il ignore, il est vrai, mais qui est un moyen connu, vu et goûté de lui, pour parvenir au but. Ainsi, par exemple, s'il demande ce que veut dire temetum (c'est l'exemple que j'avais choisi) et qu'on lui dise : Qu'est-ce que cela te fait? il répondra: Je n'aimerais pas à entendre prononcer ce mot sans le comprendre, ou à le lire quelque part sans savoir ce que l'écrivain a voulu dire. Et qui donc lui répliquera: Ne cherche pas à comprendre ce que tu entends dire, ni à connaître ce que tu lis? Car presque toutes les âmes raisonnables saisissent du premier coup d'oeil la beauté d'une science à l'aide de laquelle les hommes peuvent se communiquer leurs pensées par l'émission de sons significatifs; et c'est à cause de cette beauté connue et aimée parce qu'elle est connue qu'on s'informe du sens d'un mot inconnu. En entendant donc prononcer le mot de temetum et en apprenant que c'est le nom que les anciens donnaient au vin, mais que pour nous ce mot a vieilli et est tombé en désuétude, il pensera peut-être que la connaissance lui en est nécessaire pour l'intelligence de quelques vieux livres. Et si l'étude de ces livres lui semble inutile, peut-être estimera-t-il ce mot peu digne d'être retenu, parce qu'il ne lui verra aucun rapport avec cette beauté qu'il connaît, qu'il voit et aime par raison,
2

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Ainsi tout amour chez celui qui étudie, c'est-à-dire qui veut apprendre ce qu'il ignore, n'est pas l'amour de la chose qu'il ignore, mais de celle qu'il connaît et en vue de laquelle il veut apprendre ce qu'il ne sait pas. Ou s'il est tellement curieux qu'il soit entraîné, non par un motif connu, mais par le seul désir d'apprendre l'inconnu, il faut sans doute ne pas le confondre avec l'homme vraiment studieux, et néanmoins on ne peut pas dire qu'il aime l'inconnu; il serait plus juste, (475) au contraire, de dire qu'il hait l'inconnu, puisqu'il cherche à le détruire, par son désir de tout connaître. Et si l'on nous fait cette grave objection, que l'homme n'est pas plus capable de haïr que d'aimer ce qu'il ignore, nous conviendrons que cela est vrai; et cependant ce n'est pas la même chose de dire : Il aime à savoir l'inconnu, et de dire : Il aime l'inconnu: car il est possible d'aimer à apprendre ce qu'on ignore, et il est impossible d'aimer ce qu'on ignore. Le mot savoir a ici son importance: celui qui aime à savoir l'inconnu, n'aime pas précisément l'inconnu, mais la science de l'inconnu. Et personne, sans avoir une idée de cette science, ne pourrait assurer qu'il sait ou qu'il ignore quelque chose. Car non-seulement celui qui dit: Je sais, et le dit avec vérité, doit savoir ce que c'est que savoir; mais celui qui dit. avec certitude et vérité : Je ne sais pas, sait aussi ce que c'est que savoir; puisqu'il distingue celui qui sait et celui qui ne sait pas, alors que, se considérant lui-même, il dit en toute sincérité : Je ne sais pas. Et s'il sait qu'il dit la vérité, comment le sait-il, s'il ignore ce que c'est que savoir?
3

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE II.
4

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
PERSONNE NE PEUT AIMER CE QU'IL IGNORE.
4

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Ainsi donc tout homme studieux, tout homme curieux n'aime pas l'inconnu, même quand il est tourmenté d'un ardent désir de savoir ce qu'il ignore. En effet: ou il a déjà une notion générale de ce qu'il aime et il désire le connaître, soit sur un point particulier, soit dans tous les sujets qu'on apprécie devant lui et qu'il ignore, mais dont il se fait une idée imaginaire qui l'excite à les aimer. Et de quoi se forme-t-il cette idée, sinon d'éléments qu'il connaît déjà? Jusque-là, que si le sujet dont on fait l'éloge devant lui, lui semble peu en rapport avec l'idée préconçue et familière à son esprit, peut-être ne l'aimera-t-il pas; et s'il l'aime, le principe de cet amour est dans ce qu'il sait déjà : car tout à l'heure l'image que son esprit se formait et qu'il aimait était tout autre. Et si la forme nouvelle qu'on lui vante ressemble à cette première, de telle sorte qu'il puisse lui dire : c'était toi que j'aimais, on ne peut plus affirmer qu'il aimait une forme inconnue, puisqu'il la connaissait dans sa ressemblance ; ou bien nous voyons et nous aimons quelque chose dans la beauté de la raison éternelle; et quand cette chose, reproduite par l'image d'un objet temporel, s'offre à notre foi et à notre amour d'après les éloges de ceux qui en ont fait l'expérience, nous n'aimons plus quelque chose d'inconnu, ainsi que nous l'avons suffisamment prouvé plus haut; ou encore nous aimons quelque chose de connu, qui nous fait chercher quelque chose d'inconnu; et alors ce n'est point cet inconnu que nous aimons, mais le connu par lequel nous cherchons à savoir l'inconnu que nous ignorons, ainsi que je l'ai expliqué tout à l'heure à propos d'une parole dont le sens est ignoré; ou enfin on aime à savoir ce qui ne peut rester ignoré de quiconque désire s'instruire.
4

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Telles sont les raisons pour lesquelles on semble aimer l'inconnu quand on veut savoir ce que l'on ignore, et qu'un vif désir de s'instruire ne permet pas de dire qu'on est exempt de cet amour. Mais je pense avoir convaincu tous ceux qui voient la vérité, qu'il n'en est pas ainsi, et qu'il est impossible d'aimer ce qui est absolument inconnu. Toutefois, comme les exemples que nous avons donnés ne concernent que ceux qui désirent savoir autre chose que ce qu'ils sont eux-mêmes, voyons si la question ne se présentera pas sous une autre face, quand l'âme voudra se connaître elle-même.
4

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE III.
5

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
L'ÂME NE S'AIME PAS SANS SE CONNAÎTRE.
5

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Qu'est-ce que l'âme aime donc, quand, ne se connaissant pas elle-même, elle désire ardemment se connaître? La voilà qui se cherche elle-même pour se connaître et ce but enflamme ses désirs. Elle aime donc: mais qu'aime-t-elle? Elle-même? Mais comment cela, puisqu'elle ne se connaît pas encore et que personne ne peut aimer ce qu'il ne connaît pas? Serait-ce que la renommée lui a fait l'éloge de sa beauté, comme cela arrive des absents? Peut-être ne s'aime-t-elle pas elle-même, mais certaine forme fantastique, qui peut être tout autre qu'elle. Ou bien, sua forme qu'elle rêve lui ressemble, en l'aimant, elle s'aime elle-même avant de se connaître, puisqu'elle aime sa propre ressemblance; elle connaît donc d'autres âmes sur lesquelles elle se forge un modèle, et, par là même, elle se connaît déjà d'après les notions du genre. (476) Mais comment donc connaît-elle d'autres âmes et ne se connaît-elle pas elle-même, quand rien ne peut lui être plus présent qu'elle-même? Que s'il en est ici comme pour les yeux du corps qui connaissent mieux les autres yeux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, l'âme peut se dispenser de se chercher: car elle ne se trouvera jamais. En effet, les yeux ne se verront jamais eux-mêmes qu'à l'aide du miroir; et on ne peut supposer qu'il existe des procédés analogues pour les choses immatérielles, et que l'âme puisse se connaître dans un miroir. Ou bien voit-elle, dans la raison de l'éternelle vérité, combien il est beau de se connaître soi-même; et aime-t-elle ce qu'elle voit, et désire-t-elle le voir réalisé en elle? En ce cas, bien qu'elle ne se connaisse pas, elle connaît du moins l'avantage qu'elle aurait à se connaître. Et c'est déjà quelque chose de bien étonnant de ne pas se connaître encore et de savoir néanmoins combien il est beau de se connaître soi-même. Serait-ce enfin qu'elle découvre quelque but excellent, c'est-à-dire sa sécurité et son bonheur, à l'aide de quelque secrète réminiscence qui ne l'a point abandonnée dans ses lointaines pérégrinations, et qu'elle sente qu'elle ne peut atteindre ce but sans se connaître elle-même? Alors elle aime ce but, et en cherche le moyen; elle aime le but qu'elle connaît, et cherche, en vue de lui, ce qu'elle ne connaît pas. Mais pourquoi le souvenir de son bonheur ne s'est-il point perdu, pendant que le souvenir d'elle-même s'effaçait? Pourquoi elle qui veut parvenir au but, ne s'est-elle pas aussi bien connue que le but auquel elle veut parvenir? Serait-ce que, quand elle aime à se connaître, ce n'est pas elle-même, qu'elle ne connaît pas, mais sa propre connaissance qu'elle aime, et qu'elle souffre de ne pas faire partie elle-même de sa propre science qui veut tout embrasser? Mais elle sait ce que c'est que connaître, et tout en aimant ce qu'elle connaît, elle désire aussi se connaître elle-même. Or, où a-t-elle pris l'idée de sa propre connaissance, si elle ne se connaît pas? Car elle sait qu'elle connaît d'autres choses et qu'elle ne se connaît pas; c'est même par là qu'elle connaît ce que c'est que connaître. Comment donc sait-elle qu'elle sait quelque chose, elle qui s'ignore elle-même? En effet, ce n'est pas d'une autre âme, mais d'elle-même, qu'elle sait qu'elle sait. Elle se sait donc elle-même. Et en se cherchant pour se connaître, elle sait qu'elle cherche. Elle se connaît donc déjà. Il n'est donc pas possible qu'elle s'ignore absolument, elle qui, sachant qu'elle ne se sait pas, se sait par là même. Que si elle ignore qu'elle ignore, elle ne peut se chercher pour se connaître. Donc, par le seul fait qu'elle se cherche, elle prouve plutôt qu'elle se connaît qu'elle ne prouve qu'elle s'ignore. En effet, en se cherchant pour se connaître, elle connaît qu'elle se cherche et qu'elle s'ignore.
5

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE IV.
6

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
L'ÂME HUMAINE NE SE CONNAÎT PAS EN PARTIE, MAIS TOUT ENTIÈRE.
6

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Que dirons-nous donc? Sera-ce que l'âme se connaît en partie et en partie s'ignore? Mais il est absurde de dire que l'âme tout entière ne sait pas ce qu'elle sait. Je ne dis pas qu'elle sait tout; mais ce qu'elle sait, elle le sait tout entière. Quand donc elle sait d'elle quelque chose et elle ne peut le savoir que tout entière elle se sait tout entière. Or, elle sait qu'elle sait quelque chose, et elle ne peut rien savoir que tout entière. Elle se sait donc tout entière. D'ailleurs est-il rien qu'elle connaisse aussi bien que sa propre vie? Or, elle ne peut pas être âme , et ne pas vivre, quand, outre la vie, elle a encore l'intelligence; car les âmes des bêtes ont la vie et non l'intelligence. De même donc que l'âme est âme tout entière, ainsi elle vit tout entière. Or, elle sait qu'elle vit. Donc elle se connaît tout entière. Enfin, quand l'âme cherche à se connaître, elle sait déjà qu'elle est âme; autrement elle ne saurait pas si elle se cherche, et elle pourrait chercher une chose pour une autre. Il pourrait se faire qu'elle ne fût pas âme elle-même, et qu'en cherchant à connaître une âme, elle ne se cherchât pas elle-même. Donc quand l'âme cherche à savoir ce que c'est que l'âme, elle sait qu'elle se cherche, et par conséquent, qu'elle est âme. Or, si elle reconnaît en elle-même qu'elle est âme, et si elle est âme tout entière, elle se connaît donc tout entière. Mais supposons qu'elle ne sait pas qu'elle est âme; du moins quand elle se cherche, elle sait seulement qu'elle se cherche. Et si elle ne le sait pas, elle peut chercher une chose pour une autre; et pour ne pas se fourvoyer ainsi, elle (477) sait sans doute ce qu'elle cherche. Or, si elle sait ce qu'elle cherche, et si elle se cherche elle-même, évidemment elle se connaît. Que cherche-t-elle donc de plus? Si elle se connaît seulement en partie, et se cherche encore en partie, ce n'est pas elle-même, mais une partie d'elle-même qu'elle cherche. Car quand on parle d'elle, on parle d'elle tout entière. De plus, dès l'instant qu'elle sait qu'elle ne s'est pas encore trouvée tout entière, c'est qu'elle connaît toute son étendue. Elle cherche donc ce qui lui manque, comme nous cherchons nous-mêmes à rappeler à notre mémoire une chose oubliée, mais non entièrement effacée, et où l'on reconnaîtra, si elle se présente, ce que l'on cherchait.
6

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Mais comment l'âme se rappellera-t-elle l'âme, comme s'il était possible que l'âme ne fût pas dans l'âme? Ajoutons que si, s'étant trouvée en partie, elle ne se cherche pas tout entière, c'est du moins elle tout entière qui se cherche. Elle est donc tout entière présente à elle-même, et il ne lui reste plus rien à chercher; car ce n'est pas elle qui cherche, mais l'objet de sa recherche qui fait défaut. Donc quand c'est elle tout entière qui se cherche, il ne lui manque rien d'elle-même. Ou si ce n'est pas elle tout entière qui cherche, mais qu'une partie déjà trouvée cherche la partie qui n'est pas encore trouvée ; ce n'est donc pas l'âme qui se cherche, puisque aucune partie ne se cherche. En effet, la partie déjà trouvée ne se cherche pas; la partie non encore trouvée ne se cherche pas non plus, puisqu'elle est cherchée par la partie trouvée. Par conséquent, comme ce n'est pas l'âme tout entière qui se cherche, ni qu'aucune de ses parties ne se cherche, l'âme ne se cherche en aucune façon.
6

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE V.
7

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
POURQUOI IL EST ORDONNÉ DE SE CONNAÎTRE. D'OU VIENNENT LES ERREURS DE L'ÂME SUR SA PROPRE SUBSTANCE.
7

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Pourquoi donc lui ordonne-t-on de se connaître? C'est, je crois, pour qu'elle pense à elle-même et pour qu'elle vive conformément à sa nature, c'est-à-dire pour qu'elle désire être réglée selon sa nature, au-dessous de celui à qui elle doit être soumise, au dessus des êtres qu'elle doit dominer; au-dessous de celui par qui elle doit être gouvernée, au dessus des êtres qu'elle doit gouverner. Car elle fait bien des choses par une coupable cupidité, comme si elle s'oubliait elle-même. En effet elle découvre, d'une vue intérieure, certaines beautés dans une nature supérieure qui est Dieu; et quand elle devrait se contenter d'en jouir, elle vent se les approprier, devenir semblable à lui, non par lui, mais par elle-même; elle se détourne de lui, s'agite et tombe de plus bas en plus bas, en croyant monter de plus haut en plus haut, parce qu'elle ne se suffit pas à elle-même, et que rien ne lui suffit quand elle s'éloigne de celui qui peut seul suffire. Ainsi, par l'effet de son indigence et des difficultés qu'elle rencontre, elle se livre avec une ardeur excessive à sa propre opération et aux inquiètes jouissances qu'elle en recueille. Puis, par le désir d'acquérir au dehors des connaissances, dont elle connaît le genre, qu'elle aime, mais qu'elle sent qu'on peut perdre, si on ne les maintient à force de travail, elle perd sa sécurité, et se néglige elle-même d'autant plus qu'elle est plus assurée de ne pouvoir se perdre. Ainsi comme autre chose est de ne pas se connaître, autre chose de ne pas penser à soi nous ne dirons pas en effet d'un homme très-instruit qu'il ignore la grammaire, parce qu'il la néglige momentanément pour s'occuper de la médecine comme, dis-je, autre chose est de ne pas se connaître, autre chose de ne pas penser à soi, la puissance de l'amour est telle que, même quand l'âme rentre en quelque sorte chez elle pour s'occuper. d'elle-même, elle attire à elle les objets qu'elle a étudiés avec passion et auxquels elle s'est pour ainsi dire collée par la glu du souci. Et comme les objets qu'elle a goûtés par les sens corporels et dans lesquels une longue familiarité l'a enchevêtrée, sont des corps, et qu'elle ne peut, en rentrant chez elle, introduire des corps dans une région immatérielle, elle recueille et emporte avec elle leurs images, créées d'elle-même et en elle-même. En effet elle leur communique quelque chose de sa propre substance, tout en perdant aussi quelque chose pour porter un jugement libre sur ces sortes d'images, et c'est là proprement l'âme, c'est à dire l'intelligence raisonnable qui se réserve pour juger. Car nous sentons que cette faculté de l'âme de conserver les images des corps, nous est commune avec les animaux. (478)
7

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE VI.
8

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
JUGEMENT ERRONÉ DE L'AME SUR ELLE-MÊME.
8

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Or, l'âme se trompe quand elle s'unit à ces images avec tant de passion qu'elle s'imagine être de même nature qu'elles. Elle s'y assimile en quelque sorte, non réellement, mais par la pensée; non qu'elle se croie une image, mais elle se confond avec l'objet dont elle porte l'image en elle-même. Elle conserve cependant la faculté de juger et de discerner l'objet matériel qu'elle a laissé au dehors et l'image qu'elle en garde au dedans d'elle. Nous exceptons les cas où ces images sont aussi vives que si elles étaient, non plus présentes seulement à la pensée, mais réellement senties au dehors, comme il arrive dans le sommeil, dans la folie ou dans l'extase.
8

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE VII.
9

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
OPINION DES PHILOSOPHES SUR LA SUBSTANCE DE L'ÂME.
9

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Quand l'âme se croit quelque chose de ce genre, elle se prend pour un corps. Et comme elle sent fort bien qu'elle domine le corps, il en est résulté que quelques-uns se sont demandé quel est ce principe plus puissant dans le corps, et ils ont cru que c'était l'intelligence, ou plutôt l'âme tout entière. Les uns ont opiné pour le sang, d'autres pour le cerveau, d'autres pour le coeur non pas dans ce sens où l'Ecriture dit : « Je vous louerai, Seigneur, de toute l'étendue de mon coeur » ; et encore: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur (Ps 9, 110, 137 ; Dt 6, 5 ; Mt 22, 37 )» : texte où le coeur est pris pour l'âme, par catachrèse ou par métaphore mais ils ont réellement entendu cette partie du corps que la dissection nous montre dans les entrailles humaines; d'autres ont cru l'âme composée de molécules très-petites et indivisibles , qu'ils appellent atomes, et qui se seraient unies et accrochées ensemble. Il en est qui ont prétendu que sa substance était de l'air ou du feu. D'autres, ne pouvant s'imaginer une substance immatérielle, et ne voyant pas que l'âme fût un corps, ont affirmé qu'elle n'était pas une substance, mais la simple constitution de notre corps, ou l'ensemble des éléments primordiaux qui relient ensemble ses parties charnues. Mais tous ceux-là l'ont crue mortelle puisque, qu'elle soit corps ou l'organisation du corps, il est impossible qu'elle jouisse d'une durée sans terme. Quant à ceux qui ont vu dans sa substance un certain principe vital immatériel ils avaient découvert que tout corps vivant possède un principe qui l'anime et le vivifie ils ont cherché, conséquemment à leur opinion, à prouver que l'âme est immortelle, puisque la vie ne peut cesser de vivre. Quant à ce je ne sais quel cinquième corps, que quelques-uns ont ajouté aux quatre éléments si connus et dont ils ont voulu former l'âme, je ne pense pas que ce soit le cas d'en parler ici. En effet ou ils entendent comme nous, par corps ce qui est contenu dans l'espace local et est moindre dans la partie que dans le tout, et alors il faut les ranger parmi ceux qui croient l'âme matérielle ; ou ils donnent le nom de corps à toute substance, ou du moins à toute substance susceptible de changement, bien qu'ils sachent qu'elle n'occupe pas l'espace en longueur, en largeur et en hauteur, et alors c'est une dispute de mots dans laquelle nous n'avons pas à entrer.
9

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
A travers toutes ces opinions, quiconque voit que la nature de l'âme est une substance, et une substance immatérielle, c'est-à-dire qu'elle n'occupe pas une place plus ou moins grande dans l'espace par telle ou telle partie de son être: celui-là voit aussi nécessairement que l'erreur de ces philosophes ne vient pas de ce qu'ils n'ont pas la notion de l'âme, mais de ce qu'ils y ajoutent des choses sans lesquelles ils ne sauraient imaginer une nature quelconque. En effet tout ce qu'on pourra offrir à leur pensée en dehors des images des corps, ils le regarderont comme pure chimère. Que l'âme ne se cherche donc pas, comme si elle se faisait défaut à elle-même. Car quoi d'aussi présent à la connaissance que ce qui est présent à l'âme? Or, qu'y a-t-il d'aussi présent à l'âme que l'âme elle-même ? Et si l'on s'en tient à l'étymologie, que signifie le mot invention, sinon arriver à ce que l'on cherche (In venire, venir dedans ) ? C'est pourquoi on ne dit pas des choses qui se présentent naturellement à l'esprit qu'elles sont trouvées ou inventées, quoiqu'on puisse dire qu'elles sont connues; la raison en est que nous ne dirigeons pas notre attention à les chercher pour arriver à elles, c'est-à-dire pour les trouver. Donc de même que, quand l'oeil ou tout autre sens du corps cherche quelque chose, c'est l'âme elle-même qui cherche (479) car c'est elle qui dirige le sens charnel et qui trouve, quand ce sens découvre l'objet de sa recherche ainsi quand il s'agit de ce qu'elle doit connaître par elle-même et sans l'intervention des sens corporels, c'est elle qui arrive à l'objet qu'elle trouve : soit qu'elle le trouve dans une substance supérieure qui est Dieu, soit qu'elle le découvre dans d'autres parties de son être, comme quand elle porte un jugement sur les images des corps : car elle les trouve imprimées en elle-même par l'entremise du corps.
10

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE VIII.
11

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
COMMENT L'ÂME DOIT SE CHERCHER ELLE-MÊME. POURQUOI ELLE SE TROMPE SUR SON PROPRE COMPTE.
11

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
Comment l'âme se cherche et se trouve, où elle doit se diriger pour se chercher, où elle doit arriver pour se trouver: question étrange! Car qu'y a-t-il de plus intime à l'âme que l'âme? Mais comme elle est toute aux choses auxquelles elle aime à penser, que l'habitude et l'affection lui ont rendu familiers les objets sensibles, c'est-à-dire corporels, elle ne peut rentrer en elle-même sans apporter avec elle leurs images. De là provient chez elle cette honteuse erreur qui fait qu'elle ne peut se détacher elle-même des images des choses sensibles, ni se voir seule. Ces images se sont attachées à elle d'une manière étonnante par la glû de l'amour; et voilà sa souillure, que quand elle cherche à se recueillir en elle-même, elle croit être ce sans quoi elle ne peut plus s'imaginer qu'elle puisse être, Pour obéir à l'ordre de se reconnaître elle-même, elle n'a donc pas à se chercher comme si elle ne s'appartenait plus, mais simplement à se dépouiller de tout élément étranger. Car elle est plus près d'elle-même, non-seulement que les objets sensibles qui sont visiblement hors d'elle, mais même que leurs images imprimées dans une certaine partie de l'âme qui nous est commune avec les bêtes, bien que celles-ci soient privées de l'intelligence, signe distinctif de l'âme. Etant donc si près d'elle-même, elle sort en quelque sorte de chez elle, quand elle prodigue son affection à ces vestiges de nombreuses occupations; vestiges qui s'impriment dans la mémoire au contact des objets matériels extérieurs, de telle sorte que, même en l'absence de ceux-ci, leurs images restent présentes à la pensée. Qu'elle se connaisse donc elle-même, qu'elle ne se cherche pas comme si elle était absente; mais qu'elle recueille dans son intérieur son attention et sa volonté vagabondes et s'occupe d'elle-même. Elle verra bientôt qu'elle s'est toujours aimée, qu'elle s'est toujours connue; mais qu'en aimant quelque autre chose avec elle, elle s'est confondue avec cet élément étranger, elle s'est, en quelque sorte, grossie; et qu'en embrassant comme une seule chose des choses différentes, elle a pris ces choses différentes pour une seule chose.
11

La Trinité 10 autre trinité dans l'homme/Saint Augustin
CHAPITRE IX.
12