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Laudato Si/Eglise Catholique
Une étude de l'impact sur l'environnement ne devrait pas être postérieure à l'élaboration d'un projet de production ou d'une quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu'elle soit insérée dès le début, et élaborée de manière interdisciplinaire, transparente et indépendante de toute pression économique ou politique. Elle doit être en lien avec l'analyse des conditions de travail et l'analyse des effets possibles, entre autres, sur la santé physique et mentale des personnes, sur l'économie locale, sur la sécurité. Les résultats économiques pourront être ainsi déduits de manière plus réaliste, prenant en compte les scénarios possibles et prévoyant éventuellement la nécessité d'un plus grand investissement pour affronter les effets indésirables qui peuvent être corrigés. Il est toujours nécessaire d'arriver à un consensus entre les différents acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu'ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l'intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en terme d'“interventions” sur l'environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées. La participation requiert que tous soient convenablement informés sur les divers aspects ainsi que sur les différents risques et possibilités ; elle ne se limite pas à la décision initiale d'un projet, mais concerne aussi les actions de suivi et de surveillance constante. La sincérité et la vérité sont nécessaires dans les discussions scientifiques et politiques, qui ne doivent pas se limiter à considérer ce qui est permis ou non par la législation.
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Quand d'éventuels risques pour l'environnement, qui affectent le bien commun, présent et futur, apparaissent, cette situation exige que « les décisions soient fondées sur une confrontation entre les risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible ». Cela vaut surtout si un projet peut entraîner un accroissement de l'utilisation des ressources naturelles, des émissions ou des rejets, de la production de déchets, ou une modification significative du paysage, de l'habitat des espèces protégées, ou d'un espace public. Certains projets qui ne sont pas suffisamment analysés peuvent affecter profondément la qualité de vie dans un milieu pour des raisons très diverses, comme une pollution acoustique non prévue, la réduction du champ visuel, la perte de valeurs culturelles, les effets de l'utilisation de l'énergie nucléaire. La culture consumériste, qui donne priorité au court terme et à l'intérêt privé, peut encourager des procédures trop rapides ou permettre la dissimulation d'information.
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Dans toute discussion autour d'une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ? De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il ? Dans ce discernement, certaines questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons que l'eau est une ressource limitée et indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui conditionne l'exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et conditionne toute analyse de l'impact environnemental d'une région.
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Dans la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives » qui empêcheraient la dégradation de l'environnement. Ce principe de précaution permet la protection des plus faibles, qui disposent de peu de moyens pour se défendre et pour apporter des preuves irréfutables. Si l'information objective conduit à prévoir un dommage grave et irréversible, bien qu'il n'y ait pas de preuve indiscutable, tout projet devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on inverse la charge de la preuve, puisque dans ce cas il faut apporter une démonstration objective et indiscutable que l'activité proposée ne va pas générer de graves dommages à l'environnement ou à ceux qui y habitent.
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Cela n'entraîne pas qu'il faille s'opposer à toute innovation technologique qui permette d'améliorer la qualité de vie d'une population. Mais, dans tous les cas, il doit toujours être bien établi que la rentabilité ne peut pas être l'unique élément à prendre en compte et que, au moment où apparaissent de nouveaux critères de jugement à partir de l'évolution de l'information, il devrait y avoir une nouvelle évaluation avec la participation de toutes les parties intéressées. Le résultat de la discussion pourrait être la décision de ne pas avancer dans un projet, mais pourrait être aussi sa modification ou l'élaboration de propositions alternatives.
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Dans certaines discussions sur des questions liées à l'environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je répète que l'Église n'a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j'invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins particuliers ou les idéologies n'affectent pas le bien commun.
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IV. POLITIQUE ET ÉCONOMIE EN DIALOGUE
POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
La politique ne doit pas se soumettre à l'économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d'efficacité de la technocratie. Aujourd'hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique et l'économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n'a pas d'avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, couteuse et apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une occasion pour le développement d'une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l'activité financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n'y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à régir le monde. La production n'est pas toujours rationnelle, et souvent elle est liée à des variables économiques qui fixent pour les produits une valeur qui ne correspond pas à leur valeur réelle. Cela conduit souvent à la surproduction de certaines marchandises, avec un impact inutile sur l'environnement qui, en même temps, porte préjudice à de nombreuses économies régionales. La bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En définitive, n'est pas affrontée avec énergie la question de l'économie réelle, qui permet par exemple que la production se diversifie et s'améliore, que les entreprises fonctionnent bien, que les petites et moyennes entreprises se développent et créent des emplois.
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Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler que « la protection de l'environnement ne peut pas être assurée uniquement en fonction du calcul financier des coûts et des bénéfices. L'environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate ». Une fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l'accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il réaliste d'espérer que celui qui a l'obsession du bénéfice maximum s'attarde à penser aux effets environnementaux qu'il laissera aux prochaines générations ? Dans le schéma du gain il n'y a pas de place pour penser aux rythmes de la nature, à ses périodes de dégradation et de régénération, ni à la complexité des écosystèmes qui peuvent être gravement altérés par l'intervention humaine. De plus, quand on parle de biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de ressources économiques qui pourrait être exploitée, mais on ne prend pas en compte sérieusement, entre autres, la valeur réelle des choses, leur signification pour les personnes et les cultures, les intérêts et les nécessités des pauvres.
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Quand on pose ces questions, certains réagissent en accusant les autres de prétendre arrêter irrationnellement le progrès et le développement humain. Mais nous devons nous convaincre que ralentir un rythme déterminé de production et de consommation peut donner lieu à d'autres formes de progrès et de développement. Les efforts pour une exploitation durable des ressources naturelles ne sont pas une dépense inutile, mais un investissement qui pourra générer d'autres bénéfices économiques à moyen terme. Si nous ne souffrons pas d'étroitesse de vue, nous pouvons découvrir que la diversification d'une production plus innovante, et ce avec un moindre impact sur l'environnement, peut être très rentable. Il s'agit d'ouvrir le chemin à différentes opportunités qui n'impliquent pas d'arrêter la créativité de l'homme et son rêve de progrès, mais d'orienter cette énergie vers des voies nouvelles.
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Par exemple, un chemin de développement productif plus créatif et mieux orienté pourrait corriger le fait qu'il y a un investissement technologique excessif pour la consommation et faible pour résoudre les problèmes en suspens de l'humanité ; il pourrait générer des formes intelligentes et rentables de réutilisation, d'utilisation multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait encore améliorer l'efficacité énergétique des villes. La diversification de la production ouvre d'immenses possibilités à l'intelligence humaine pour créer et innover, en même temps qu'elle protège l'environnement et crée plus d'emplois. Ce serait une créativité capable de faire fleurir de nouveau la noblesse de l'être humain, parce qu'il est plus digne d'utiliser l'intelligence, avec audace et responsabilité, pour trouver des formes de développement durable et équitable, dans le cadre d'une conception plus large de ce qu'est la qualité de vie. Inversement, il est moins digne, il est superficiel et moins créatif de continuer à créer des formes de pillage de la nature seulement pour offrir de nouvelles possibilités de consommation et de gain immédiat.
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De toute manière, si dans certains cas le développement durable entraînera de nouvelles formes de croissance, dans d'autres cas, face à l'accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra penser aussi à marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu'il ne soit trop tard. Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n'est pas soutenable, tandis que d'autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C'est pourquoi l'heure est venue d'accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d'autres parties. Benoît XVI affirmait qu'« il est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant leurs propres besoins d'énergie et améliorant les conditions de son utilisation ».
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Pour que surgissent de nouveaux modèles de progrès nous devons « convertir le modèle de développement global», ce qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de l'économie et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres ». Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l'environnement et le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l'effondrement. Il s'agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. D'autre part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause de la détérioration de l'environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires eux-mêmes ou de l'épuisement de certaines ressources – dans un contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d'ordinaire à une série d'actions de marketing et d'image.
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Le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s'isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l'économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l'environnement ; si l'exploitation d'une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu'implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l'augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts. Seul pourrait être considéré comme éthique un comportement dans lequel « les coûts économiques et sociaux dérivant de l'usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures ». La rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique de la réalité en fonction des nécessités du moment, est présente aussi bien quand c'est le marché qui assigne les ressources, que lorsqu'un État planificateur le fait.
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Qu'en est-il de la politique ? Rappelons le principe de subsidiarité qui donne la liberté au développement des capacités présentes à tous les niveaux, mais qui exige en même temps plus de responsabilité pour le bien commun de la part de celui qui détient plus de pouvoir. Il est vrai qu'aujourd'hui certains secteurs économiques exercent davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne peut pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable de promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la crise actuelle. La logique qui ne permet pas d'envisager une préoccupation sincère pour l'environnement est la même qui empêche de nourrir le souci d'intégrer les plus fragiles, parce que « dans le modèle actuel de ‘succès' et de ‘droit privé', il ne semble pas que cela ait un sens de s'investir pour que ceux qui restent en arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la vie ».
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Nous avons besoin d'une politique aux vues larges, qui suive une approche globale en intégrant dans un dialogue interdisciplinaire les divers aspects de la crise. Souvent la politique elle-même est responsable de son propre discrédit, à cause de la corruption et du manque de bonnes politiques publiques. Si l'État ne joue pas son rôle dans une région, certains groupes économiques peuvent apparaître comme des bienfaiteurs et s'approprier le pouvoir réel, se sentant autorisés à ne pas respecter certaines normes, jusqu'à donner lieu à diverses formes de criminalité organisée, de traite de personnes, de narcotrafic, et de violence, très difficiles à éradiquer. Si la politique n'est pas capable de rompre une logique perverse, et de plus reste enfermée dans des discours appauvris, nous continuerons à ne pas faire face aux grands problèmes de l'humanité. Une stratégie de changement réel exige de repenser la totalité des processus, puisqu'il ne suffit pas d'inclure des considérations écologiques superficielles pendant qu'on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la culture actuelle. Une saine politique devrait être capable d'assumer ces défis.
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La politique et l'économie ont tendance à s'accuser mutuellement en ce qui concerne la pauvreté et la dégradation de l'environnement. Mais il faut espérer qu'elles reconnaîtront leurs propres erreurs et trouveront des formes d'interaction orientées vers le bien commun. Pendant que les uns sont obnubilés uniquement par le profit économique et que d'autres ont pour seule obsession la conservation ou l'accroissement de leur pouvoir, ce que nous avons ce sont des guerres, ou bien des accords fallacieux où préserver l'environnement et protéger les plus faibles est ce qui intéresse le moins les deux parties. Là aussi vaut le principe : « l'unité est supérieure au conflit ».
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V. LES RELIGIONS DANS LE DIALOGUE
AVEC LES SCIENCES
On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. Si on réfléchit dans ce cadre fermé, la sensibilité esthétique, la poésie, et même la capacité de la raison à percevoir le sens et la finalité des choses disparaissent. Je veux rappeler que « les textes religieux classiques peuvent offrir une signification pour toutes les époques, et ont une force de motivation qui ouvre toujours de nouveaux horizons [...] Est-il raisonnable et intelligent de les reléguer dans l'obscurité, seulement du fait qu'ils proviennent d'un contexte de croyance religieuse ? ». En réalité, il est naïf de penser que les principes éthiques puissent se présenter de manière purement abstraite, détachés de tout contexte, et le fait qu'ils apparaissent dans un langage religieux ne les prive pas de toute valeur dans le débat public. Les principes éthiques que la raison est capable de percevoir peuvent réapparaître toujours de manière différente et être exprimés dans des langages divers, y compris religieux.
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D'autre part, toute solution technique que les sciences prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du monde si l'humanité perd le cap, si l'on oublie les grandes motivations qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté. De toute façon, il faudra inviter les croyants à être cohérents avec leur propre foi et à ne pas la contredire par leurs actions ; il faudra leur demander de s'ouvrir de nouveau à la grâce de Dieu et de puiser au plus profond de leurs propres convictions sur l'amour, la justice et la paix. Si une mauvaise compréhension de nos propres principes nous a parfois conduits à justifier le mauvais traitement de la nature, la domination despotique de l'être humain sur la création, ou les guerres, l'injustice et la violence, nous, les croyants, nous pouvons reconnaître que nous avons alors été infidèles au trésor de sagesse que nous devions garder. Souvent les limites culturelles des diverses époques ont conditionné cette conscience de leur propre héritage éthique et spirituel, mais c'est précisément le retour à leurs sources qui permet aux religions de mieux répondre aux nécessités actuelles.
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La majorité des habitants de la planète se déclare croyante, et cela devrait inciter les religions à entrer dans un dialogue en vue de la sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la construction de réseaux de respect et de fraternité. Un dialogue entre les sciences elles-mêmes est aussi nécessaire parce que chacune a l'habitude de s'enfermer dans les limites de son propre langage, et la spécialisation a tendance à devenir isolement et absolutisation du savoir de chacun. Cela empêche d'affronter convenablement les problèmes de l'environnement. Un dialogue ouvert et respectueux devient aussi nécessaire entre les différents mouvements écologistes, où les luttes idéologiques ne manquent pas. La gravité de la crise écologique exige que tous nous pensions au bien commun et avancions sur un chemin de dialogue qui demande patience, ascèse et générosité, nous souvenant toujours que « la réalité est supérieure à l'idée ».
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SIXIEME CHAPITRE
EDUCATION
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais avant tout l'humanité a besoin de changer. La conscience d'une origine commune, d'une appartenance mutuelle et d'un avenir partagé par tous, est nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération, est mis en évidence.
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I. MISER SUR UN AUTRE STYLE DE VIE
Étant donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d'achats et de dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique. Il arrive ce que Romano Guardini signalait déjà : l'être humain « accepte les choses usuelles et les formes de la vie telles qu'elles lui sont imposées par les plans rationnels et les produits normalisés de la machine et, dans l'ensemble, il le fait avec l'impression que tout cela est raisonnable et juste ». Ce paradigme fait croire à tous qu'ils sont libres, tant qu'ils ont une soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier. Dans cette équivoque, l'humanité postmoderne n'a pas trouvé une nouvelle conception d'elle-même qui puisse l'orienter, et ce manque d'identité est vécu avec angoisse. Nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques.
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La situation actuelle du monde « engendre un sentiment de précarité et d'insécurité qui, à son tour, nourrit des formes d'égoïsme collectif ». Quand les personnes deviennent autoréférentielles et s'isolent dans leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En effet, plus le coeur de la personne est vide, plus elle a besoin d'objets à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible qu'une personne accepte que la réalité lui fixe des limites. À cet horizon, un vrai bien commun n'existe pas non plus. Si c'est ce genre de sujet qui tend à prédominer dans une société, les normes seront seulement respectées dans la mesure où elles ne contredisent pas des besoins personnels. C'est pourquoi nous ne pensons pas seulement à l'éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises sociales, parce que l'obsession d'un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul un petit nombre peut se le permettre.
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Cependant, tout n'est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l'extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu'on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d'initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n'y a pas de systèmes qui annulent complètement l'ouverture au bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d'encourager du plus profond des coeurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n'a le droit de lui enlever.
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Un changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social. C'est ce qui arrive quand les mouvements de consommateurs obtiennent qu'on n'achète plus certains produits, et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des entreprises, en les forçant à considérer l'impact environnemental et les modèles de production. C'est un fait, quand les habitudes de la société affectent le gain des entreprises, celles-ci se trouvent contraintes à produire autrement. Cela nous rappelle la responsabilité sociale des consommateurs : « Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral ». C'est pourquoi, aujourd'hui « le thème de la dégradation environnementale met en cause les comportements de chacun de nous ».
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La Charte de la Terre nous invitait tous à tourner le dos à une étape d'autodestruction et à prendre un nouveau départ, mais nous n'avons pas encore développé une conscience universelle qui le rende possible. Voilà pourquoi j'ose proposer de nouveau ce beau défi : “Comme jamais auparavant dans l'histoire, notre destin commun nous invite à chercher un nouveau commencement [...] Faisons en sorte que notre époque soit reconnue dans l'histoire comme celle de l'éveil d'une nouvelle forme d'hommage à la vie, d'une ferme résolution d'atteindre la durabilité, de l'accélération de la lutte pour la justice et la paix et de l'heureuse célébration de la vie”.
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Il est toujours possible de développer à nouveau la capacité de sortir de soi vers l'autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la valeur propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas de protéger quelque chose pour les autres, on n'a pas la capacité de se fixer des limites pour éviter la souffrance ou la détérioration de ce qui nous entoure. L'attitude fondamentale de se transcender, en rompant avec l'isolement de la conscience et l'autoréférentialité, est la racine qui permet toute attention aux autres et à l'environnement, et qui fait naître la réaction morale de prendre en compte l'impact que chaque action et chaque décision personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous sommes capables de dépasser l'individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer et un changement important devient possible dans la société.
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II. ÉDUCATION POUR L'ALLIANCE
ENTRE L'HUMANITÉ ET L'ENVIRONNEMENT
La conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique doit se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup savent que le progrès actuel, tout comme la simple accumulation d'objets ou de plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au coeur humain, mais ils ne se sentent pas capables de renoncer à ce que le marché leur offre. Dans les pays qui devraient réaliser les plus grands changements d'habitudes de consommation, les jeunes ont une nouvelle sensibilité écologique et un esprit généreux, et certains d'entre eux luttent admirablement pour la défense de l'environnement ; mais ils ont grandi dans un contexte de très grande consommation et de bien-être qui rend difficile le développement d'autres habitudes. C'est pourquoi nous sommes devant un défi éducatif.
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L'éducation environnementale a progressivement élargi le champ de ses objectifs. Si au commencement elle était très axée sur l'information scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de risques environnementaux, à présent cette éducation tend à inclure une critique des “mythes” de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle tend également à s'étendre aux différents niveaux de l'équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L'éducation environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond. Par ailleurs, des éducateurs sont capables de repenser les itinéraires pédagogiques d'une éthique écologique, de manière à faire grandir effectivement dans la solidarité, dans la responsabilité et dans la protection fondée sur la compassion.
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Cependant, cette éducation ayant pour vocation de créer une “citoyenneté écologique” se limite parfois à informer, et ne réussit pas à développer des habitudes. L'existence de lois et de normes n'est pas suffisante à long terme pour limiter les mauvais comportements, même si un contrôle effectif existe. Pour que la norme juridique produise des effets importants et durables, il est nécessaire que la plupart des membres de la société l'aient acceptée grâce à des motivations appropriées, et réagissent à partir d'un changement personnel. C'est seulement en cultivant de solides vertus que le don de soi dans un engagement écologique est possible. Si une personne a l'habitude de se couvrir un peu au lieu d'allumer le chauffage, alors que sa situation économique lui permettrait de consommer et de dépenser plus, cela suppose qu'elle a intégré des convictions et des sentiments favorables à la préservation de l'environnement. Accomplir le devoir de sauvegarder la création par de petites actions quotidiennes est très noble, et il est merveilleux que l'éducation soit capable de les susciter jusqu'à en faire un style de vie. L'éducation à la responsabilité environnementale peut encourager divers comportements qui ont une incidence directe et importante sur la préservation de l'environnement tels que : éviter l'usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation d'eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l'on pourra raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. Tout cela fait partie d'une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l'être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu'on est animé par de profondes motivations, peut être un acte d'amour exprimant notre dignité.
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Il ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce que l'on peut constater, parce qu'elles suscitent sur cette terre un bien qui tend à se répandre toujours, parfois de façon invisible. En outre, le développement de ces comportements nous redonne le sentiment de notre propre dignité, il nous porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de faire l'expérience du fait qu'il vaut la peine de passer en ce monde.
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