Marathon de la Parole: 5 Juin de 12h à 13h (heure n° 22)
De Matthieu 18,1 à Matthieu 21,46


Quelques commentaires et référence pour accompagner la méditation...


Lecteur: 1



Daniel Bourguet : « Combien de fois pardonnerai-je à mon frère ? » - Antoine Bloom (extr. Prière vivante) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Tout comme les Hébreux furent appelés par Moise à fuir le pays d'Égypte, à le suivre dans la nuit noire, à traverser la Mer Rouge, chacun de nous est amené au désert où une nouvelle période commence.

Entre l'Égypte et le désert, entre l'esclavage et la liberté, s'étend comme une ligne de démarcation. C'est le moment de l'acte décisif, par lequel nous devenons des hommes nouveaux, établis dans une situation morale totalement nouvelle.

En termes de géographie, ce fut la Mer Rouge, mais dans la prière du Seigneur, c'est le « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons, nous aussi ». Ce « comme nous pardonnons » représente le moment même où nous prenons notre salut dans nos propres mains, car tout ce que Dieu fait dépend de ce que nous faisons; et cela est d'une extrême importance dans la vie quotidienne.

Si ces gens qui sortent d'Egypte emportent avec eux leurs peurs, leurs ressentiments, leurs haines, leurs doléances, ils demeureront esclaves dans la terre promise. Ce ne seront pas des hommes libres, pas même des hommes en train de bâtir leur liberté. Et c'est pourquoi, entre l'épreuve subie et la tentation de nos démons familiers, on trouve cette condition absolue à laquelle jamais Dieu n'accepte d’aménagement : il n'y aura pas deux poids, deux mesures, comme vous pardonnez vous serez pardonnés. Ce que vous ne pardonnez pas sera retenu contre vous.

Ce n'est pas que Dieu ne veuille pas pardonner, mais si nous refusons le pardon, nous mettons en échec le mystère de l'amour, nous le refusons, et il n'y a pas de place pour nous dans le Royaume. [Il n’y a pas de place en nous pour le Royaume.]

Nous ne pouvons aller plus loin si nous ne sommes pardonnés, et nous ne pouvons être pardonnés aussi longtemps que nous n'avons pas pardonné a tous ceux qui nous ont fait du tort. C'est parfaitement clair, net et précis, et nul ne peut s'imaginer être dans le Royaume de Dieu, lui appartenir, si demeure en son cœur le refus de pardonner. Pardonner à ses ennemis est la première caractéristique du chrétien, la plus élémentaire. Si nous y manquons, nous ne sommes pas chrétiens du tout, nous errons encore dans le désert brûlant du Sinaï.

Mais, pardonner est une chose extrêmement difficile. Accorder le pardon à un moment où l'on se sent le cœur plein de mansuétude ou dans un élan d'affectivité, est relativement aisé. Mais bien peu de gens savent comment faire pour ne pas le reprendre. En effet, ce que nous appelons pardon consiste souvent à mettre l'autre à l'épreuve, rien de plus. Et encore, les gens pardonnés sont-ils heureux lorsqu'il s'agit seulement d'une épreuve, et pas d'un renvoi.

Nous attendons avec impatience les témoignages de repentir, nous voulons être sûr que le pénitent n'est plus le même, mais cette situation peut durer toute une vie, et notre attitude est absolument contraire à tout ce qu'enseigne l'Évangile, et en vérité à tout ce qu'il nous commande.

Aussi la loi du pardon n'est-elle pas un mince ruisseau à la frontière entre l'esclavage et la liberté ; elle est large et profonde, c'est la Mer Rouge. Les Juifs ne la traversèrent pas grâce à leurs propres efforts, sur des bateaux faits de main d'homme. La Mer Rouge s'entrouvrit par la puissance de Dieu. Il fallut que Dieu les aide à la franchir. Mais pour être conduit par Dieu, on doit communier à cette qualité de Dieu qu'est la capacité de pardonner.
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Lecteur: 2



Daniel Bourguet : « Viens et suis-moi » - Dietrich Bonhoeffer (extr. le prix de la grâce) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

[« Viens et suis moi » dit Jésus.]
Il faut que le jeune homme reconnaisse que c'est le Fils de Dieu lui-même qui se tient devant lui. Voilà la somme de tous les commandements : le jeune homme doit vivre dans la communion du Christ. Le Christ est le but des commandements; et le Christ se trouve maintenant devant lui et l'appelle. Le commandement est clair : suis-moi !

Le jeune homme cherchait une réponse à sa question; cette réponse, c'est Jésus Christ. Il voulait entendre la parole du bon maître, et le voici qui s'aperçoit que l'homme qu'il interrogeait est lui-même cette Parole.
Le jeune homme se tient devant Jésus, le Fils de Dieu. C'est une rencontre totale. Il n'y a plus qu'une chose à faire : dire oui ou non, obéir ou refuser d’obéir.

[Entrer dans la dynamique de l’Evangile, en renonçant à sa vie « ancienne » repliée sur elle-même et ses avoirs… ou renoncer à son égo et ses richesses, pour entrer dans la vie « nouvelle » sur un chemin encore inexploré, mais ouvert à la vie et la liberté…
Il suffirait seulement d’oser… de franchir le pas… de se laisser guider par l’Esprit du Christ.]
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Lecteur: 2



Daniel Bourguet : « Qui donc peut être sauvé ? Aux hommes c’est impossible… » - Helmut Gollwitzer (extr. La joie de Dieu) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Du point de vue humain, la question de la vie éternelle ne saurait aboutir qu'à une défaite, se heurtant au mur de cet « impossible »!
La destinée ou les conditions défavorables de l'existence humaine n'ont rien à faire avec cet échec : l'impossibilité en question est plus grave encore. La faillite de l'homme provient de la servitude où l'enchaîne son propre « moi ». Il se ferme ainsi à lui-même le chemin de la vie éternelle.

Les disciples ont si bien compris la fin du dialogue entre Jésus et le jeune homme riche, qu'ils en sont effrayés. Ils se voient eux-mêmes inclus dans cet échec.
En découvrant l'universalité du jugement de Jésus, ils sentent à quel point ils sont encore accrochés aux richesses de cette vie. L'accès au Royaume se révèle soudain pour tous aussi étroit que pour ces riches dont parle Jésus dans sa parabole.

Alors s'élève la demande inquiète des disciples : qui peut encore être sauvé ?
Car la loi comprise comme un moyen de salut ou un potentiel humain de grâce, se heurte toujours à cet « impossible ».

Mais il reste encore ici une merveilleuse possibilité.
Cette possibilité, Jésus la proclame ici ouvertement. Il ne le fait plus sous la forme d'une loi, toujours susceptible de fausses interprétations, mais sous la forme de l'Évangile : cela « est possible pour Dieu ».
Telle est la réalité du Royaume de Dieu apportée par Jésus. C'est dans sa venue que l'« impossible» des hommes devient le « possible divin ».

Ce que la Loi ne pouvait faire, Dieu l'a réalisé en envoyant son propre Fils. [C’est-à-dire son Esprit, son Souffle dans l’humain.]

L’homme [avec son ego] ayant échoué devant le commandement, Dieu reprend alors en mains l'œuvre de salut. Le sens de la grâce est désormais éclairci.

La mise au point de Jésus exige toute notre attention. Il ne conteste pas la nécessité du sacrifice [vis-à-vis de ses attachements égocentriques et mondains]. Le gain du Royaume suppose, au départ, perte et abandon. Il oblige à abandonner sa maison, ses frères, ses parents, sa femme et ses enfants.
Mais ce renoncement n'est qu'un début et non la fin. Les yeux des disciples attachés aux choses de ce monde sont [désormais] dirigés vers l'éon [vers le règne] qui vient.

Celui qui écoute cette promesse et cette consolation, en oubliant qu'elles sont faites par le Christ présent et incarné, les transpose dans un au-delà lointain et irréel. Mais Jésus est déjà dans le temps présent, le Seigneur de l'éon futur [de ce règne qui vient].

C'est là, certes, une connaissance de la foi, mais celle-ci est entourée de signes qui viennent la confirmer. Jésus étant déjà le Seigneur du siècle présent, l'assurance d'un toit et d'une famille est sans cesse donnée au disciple qui les a sacrifiés pour suivre Jésus ; et cela, chaque fois qu'il en a besoin.

Les sacrifices et même la mort finale du disciple rappellent au monde qu'il passe. Mais cela ne saurait, un seul instant, ébranler la confiance du disciple dans le Seigneur, qui, même dans le temps présent, lui donne « abondamment » le nécessaire, en dépit des apparences et de la raison.
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Lecteur: 3



Daniel Bourguet : « Personne ne nous a embauchés » - Isabelle Rivière (Extr. A Chaque jour suffit sa joie) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Etant sorti vers la onzième heure, il en trouva d'autres qui se tenaient là et il leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici tout le jour sans rien faire ? Ils lui dirent : C'est que personne ne nous a embauchés. Il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne (Mt 20.6-7).

Ainsi, ce qui n'est bon à rien pour le monde est toujours bon pour le Seigneur.
Ceux que les maîtres humains ont dédaignés comme inutilisables, le Maître divin, lui, aura toujours embauche à leur fournir, parce que le seul travail qu'il nous demande c'est de l'aimer, et comme il fait les hommes expressément pour cela, il n'en est aucun qui n'ait reçu de lui la capacité de l'aimer. À tous par conséquent suffit en tout temps, en tous lieux et en tout cas, d'y consentir pour le pouvoir.

Réjouissons-nous donc, les incapables, les petits, les infirmes, les disgraciés, les épuisés, les maladroits, les ignorants, les vaincus, ceux qui sont trop laids pour qu'on les aime et celles qui n'étaient pas assez riches pour qu'on les épouse, ceux qui ne sont pas « doués » comme ceux qui n'ont rien su faire de leurs dons, tous ceux qui n'ont pas « réussi », tous ceux qui sont sans « situation », sans « espérances » et sans emploi, ceux que le monde a repoussés comme ceux qu'il a brisés, reprenons courage, reprenons vie : si les hommes ne veulent pas ou ne veulent plus de nous, Dieu, lui, le Maître universel et le parfait Patron, Dieu nous veut bien.

Et même il nous veut, il nous désire, il nous cherche ! À toute heure du jour il sort pour se mettre en quête des laissés-pour-compte et [de ceux qui sont las, fatigués, désespérés], et, sans s'inquiéter de références ni de certificats, d'antécédents ni d'aptitudes, il ramasse indistinctement tout ce qui se laisse ramasser.

Aussi radicalement « inaptes » que nous ayons été reconnus par le jugement des hommes, recalés par eux à tous les « bachots » petits ou grands, tu nous trouves toujours assez capables pour toi, Ô Maître inépuisable, et tu ne recales aucun de ceux qui se présentent à l'examen d'amour, puisque immanquablement tu combles de toi-même la différence entre ce que nous valons et ce qu'il nous faudrait valoir pour être dignes de te servir.

Et si nous n'avons aucun héritage en perspective, pas le moindre argent à « toucher » au cours de cette vie mortelle, nous avons toujours l'espérance - qui par notre simple consentement devient certitude et même réalisation - l’espérance de posséder aujourd'hui, et à jamais si nous le voulons, le salaire assuré à tout ouvrier de Dieu : Dieu lui-même, le Dieu hors duquel il n'en est aucun autre.

« Personne ne nous a embauchés », ou bien ceux qui nous avaient embauchés n'ont plus voulu de nous ; personne n'avait besoin de nous, personne n'avait que faire de nous ! Mais quand l'heure était passée de trouver notre emploi humain, ou quand nous l'avions perdu sans retour, tu es venu, Seigneur, nous donner notre emploi divin, toi qui sais toujours que faire de ta créature, puisque tu as toujours à lui donner ton amour et à recevoir le sien, toi qui ne cesses pas d'avoir besoin de ta créature, toi qui l'as voulue dès toujours, toi dont l'occupation sans fin est de la vouloir, et de la vouloir occupée de toi comme tu es sans relâche occupé d'elle !

C'est pourquoi peu importe en somme pour l'ouvrier l'heure à laquelle il entre dans son emploi : l'emploi est toujours vacant, l'emploi le réclame toujours.
En Dieu, personne, jamais, n'arrive en surnombre, puisque la place est infinie.
[Puisque son accueil, sa grâce et son amour sont éternels.]
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Lecteur: 3



Daniel Bourguet : « Quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » - Jean Valette (L’Evangile de Marc) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Matthieu fait présenter la requête relative aux places d'honneur par la mère de Jacques et de Jean. Il semble vouloir ainsi montrer comment Jésus discerne, derrière la demande de cette femme, la convoitise de ses fils.

La requête n'est pas présentée d'entrée de jeu, et la demande est empreinte d'une réserve et d'une timidité qui trahissent la conscience, chez la mère ou les fils, du caractère contestable de la demande.

Cette demande n'en constitue pas moins un acte de foi messianique impressionnant. Jacques et Jean ont foi, c'est certain, à l'imminence du Règne et à la dignité royale de celui qu'ils ont accepté de suivre. On ne peut juger leur requête qu'après avoir admiré la puissance et la ténacité de leur foi.

Cela dit, leur démarche laisse perplexe. On ne comprend pas comment ils ont osé la faire, juste après que Jésus ait annoncé sa mort !

«Vous ne savez pas ce que vous demandez », répond Jésus.
Toute prière devrait commencer par la méditation de cette parole.
Car c'est bien abusivement que l'homme s'imagine que la prière, parce qu'elle le conduit vers Dieu, le met à l'abri de lui-même. Il sait moins encore là qu'ailleurs de quel esprit il est animé. Et Paul le reconnaîtra : « Nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8,26). Aussi n'aura-t-il, dans ce domaine, aucun autre recours que le Saint-Esprit.

Dans sa réponse, Jésus veut certainement rappeler aux deux frères ce qu'ils ont sans doute oublié, à savoir qu'il n'y a de partage de la gloire qu'en fonction du partage de la croix. Il n'y a pas de gloire sans humiliation, [renoncement] et service.

Mais plus profondément encore, cette situation, celle du Maître lui-même, n'est pas la condition de la gloire seulement : elle est la gloire même. La gloire est dans l'humiliation, le
service.

«Quiconque veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu'il soit votre esclave » :
Commander n'est pas ce que l'on croit. Commander, c'est servir, et ce n'est qu'à ce prix que le pouvoir, réalité nécessaire, est légitime.

Le service n'est pas seulement conçu comme la seule voie vers la grandeur, mais comme la voie par laquelle le disciple parviendra à une grandeur et à une primauté qui seront autres que celle qu'ils cherchaient.

On remarquera que dans ces réflexions sur la grandeur, la primauté, le pouvoir, un mot manque, une notion, en tout cas : celle d'égalité.
Jésus sait qu'il y a des grands et des petits, des premiers et des derniers, des forts et des faibles. Il ne semble pas avoir eu son attention retenue par l'idée d'égalité.
Si la grandeur, la primauté, la force et leurs contraires sont des réalités, l'égalité n'en est pas une. On ne la voit nulle part. Elle n'est donc qu'un mot, une pure notion.

Jésus n'appelle donc pas à l'égalité, mais au service. Il appartient aux grands, aux forts, aux premiers, de devenir les serviteurs des petits, des faibles et des derniers. Et c'est bien là la véritable solution à accepter pour venir à bout de bien des malheurs de notre monde.
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Lecteur: 3



Daniel Bourguet : « Les deux aveugles crièrent… ils crièrent plus fort » - Roger Etchegaray (extr. Bulletin diocésain de Marseille) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

On ne sait plus crier. Braillements de la foule, faciles à déclencher pour peu que l'on soit un manipulateur habile. Mais isoler quelqu'un de cette foule, demandez-lui d'exprimer son émotion, la sienne, dépouillée des idées venues d'ailleurs, bref demandez-lui un cri qui soit son cri : il n'a plus rien à dire. Il n'est ni poète, ni chanteur, ni danseur, ni peintre et il serait fort étonné si vous lui appreniez que son grand-père, laboureur ardéchois ou haut-alpin, était probablement tout cela à la fois.

On ne sait plus crier. Vidé de poésie, privé du silence qui lui servait de caisse de résonance, le cri meurt. Notre société, avec ses routines et ses tabous, ne laisse plus au cœur le droit ni les moyens de se libérer. Les « voix intérieures» se taisent ou sont étouffées. On ne sait plus où trouver la fraîcheur, la saveur, le don sans calcul, l'élan sans recul, l'instinct, l'homme primitif qui dort au fond de chacun de nous et que personne ne cherche à réveiller même chez l’enfant.

L'homme des cavernes savait crier, parce qu'il savait créer : Lascaux est une immense clameur de l'Esprit. L’homme d'aujourd'hui ne crée pas, il copie. Et son cri, s'il existe, n'est que la fade imitation d'un autre cri, simple écho sans cesse reproduit, monotone et assourdi. Et parce que l'on ne sait plus crier, on ne supporte plus le cri des autres.

Le cri, c'est le don total d'un instant de soi-même, l'alliance intense autant que périssable de l'homme avec l’Esprit.

[C’est l’union du cri de détresse et du cri de confiance… la fusion du désespoir et du cri d’espérance.]

Que de cris dans le désert d’Isaie à Jean-Baptiste (Lc 3,4) !
Que de cris autour du Fils de David, de la Cananéenne (15,20) aux aveugles (Mt 9,27) !
Que de cris du Christ lui-même !
Pour appeler ceux qui ont soif (Jn 7,37), pour annoncer l'Époux (Mt 25,10), pour ressusciter lazare (Jn 11,43), pour offrir ses prières et supplications (He 5,7).
Et ce double cri sur la croix, ces deux notes d'arpège inséparables : le cri de détresse de Celui qui se croit abandonné (Mt 27,46) et le cri de confiance de Celui qui s'abandonne à son Père (Mt 27,50).

Et si nous laissions nous-mêmes monter au fond de notre coeur le cri de l'Esprit : « Abba, Père! » (Ga 4,6)
On ne sait plus crier. On ne sait plus prier.

[Et pourtant, c’est toujours le moment de crier quand Jésus passe, quand la confiance incarnée est là, à notre portée… pour nous ouvrir au Royaume.
Il nous appartient de saisir l’occasion… le bon moment pour s’arrêter et pour crier… afin de se tourner vers le Père, avec Jésus, pour demander, pour supplier, pour choisir un autre chemin et un autre destin… quand l’épreuve et la douleur se dressent au travers de la route.

Avec le Christ, un autre possible est déjà là… il s’ouvre parfois par un cri… cri de détresse et cri d’espérance… Osons crier du fond de notre coeur !]
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Lecteur: 5



Daniel Bourguet : « Que fera le maître à ces vignerons » - Helmut Gollwitzer (extr. La joie de Dieu) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Jésus raconte une histoire, celle de Dieu avec son peuple.
Il parle d’une vigne, et les auditeurs savent pertinemment de quoi il est question, car elle a toujours servi de terme de louange pour Israël (Is 5,1 ; Is 27,2).
Israël avait en effet conscience d'être le lieu de prédilection de Dieu pour en faire sa propriété. Elle était défrichée et plantée de ses mains et il en attendait les fruits.

Le Seigneur réclame aujourd'hui le produit de son domaine sur lequel il possède un droit irrécusable. Il ne l'exige pas hors saison, mais au moment convenable. Les auditeurs comprennent parfaitement.

Tous les prophètes, vénérés à présent comme des grands hommes de l'histoire, étaient une question de Dieu au sujet de sa vendange.
Certes, on savait bien qu'ils s'étaient heurtés à une fin de non-recevoir, à la moquerie, aux mauvais traitements, à la persécution et au refus obstiné. Dieu a ainsi révélé sa patience et son espérance, en envoyant toujours à nouveau des messagers. L'histoire d'Israël est toujours celle de l'extrême longanimité de Dieu.

Israël a fatigué Dieu par ses méfaits (Is 43,24). Le Dieu Tout-Puissant et Seul-Sage paraît perplexe devant cet endurcissement qui résiste à toutes les apparentes velléités d'amélioration et de conversion :
« Que puis-je faire ? » [se demande-t-il par la bouche du prophète Osée] (Os 6,4).

Il se saisit alors du dernier moyen : il s'envoie lui-même ; [il envoie son Esprit] dans la personne de son Fils Bien-Aimé [qui incarne ainsi sa Parole]. Il ne vient pas pour se venger, mais pour amener son peuple à la juste attitude vis-à-vis de Dieu. Peut-être auront-ils des égards ?

Jésus explique ainsi pourquoi, en contradiction apparente avec les prophéties de Jean, sa venue ne coïncide pas avec le jugement dernier. Sa mission, qui est encore sous le signe de la patience de Dieu, donne au peuple une ultime possibilité de repentance.

Chez les vignerons, par contre, cet envoi du Fils révèle leur véritable désir : « pour que l'héritage soit à nous » [disent-ils entre eux].
En rejetant le Christ, l’homme cherche à détrôner Dieu, pour devenir son propre maître. [C’est encore l’orgueil et l’ego qui parlent.]

L’envoi du Fils et son destin dévoilent l'inimitié profonde entre l'homme et Dieu.
Dieu doit mourir, afin que l'homme puisse enfin vivre selon ses propres désirs.
Ce dernier doit donc tuer Dieu, [c’est-à-dire faire taire l’Esprit en lui].

Chaque pas dans la désobéissance révèle son intention de supprimer Dieu, pour atteindre ce qu'il croit être la vraie vie, en usurpant l'héritage de Dieu, dont il cherche à prendre la place.

« Que fera donc le Maître de la vigne ? »
Interrogés par Jésus, les auditeurs doivent dire eux-mêmes si l'on peut encore envisager un autre jugement que celui de la condamnation et de la mort. L'impasse paraît être sans issue.

Pourtant Jésus n'a pas entièrement répondu à sa propre question : « Que fera le Maître de la vigne? », car la grâce n'est pas annoncée à l'homme qui pèche, mais à l'homme qui a déjà péché [qui en prend conscience et qui souhaite changer de chemin].

Cette grâce n'est pas l'émanation naturelle d'une infatigable miséricorde divine, mais se présente au contraire comme l'imprévisible, l'inattendue victoire de l'amour de Dieu sur sa colère, contre toute attente et toute raison.

Cachée derrière l'inexorable jugement, se dessine cette nouvelle et imprévisible possibilité de Dieu : une nouvelle et dernière invitation résultera de la mort du Fils Bien-Aimé en faveur de ses meurtriers.
De ce « trop tard » surgira un « encore » de la patience divine.

Dieu ne restera pas sans un peuple à lui, [un nouveau peuple] ; car la vigne sera donnée à d’autres.
A l'horizon lointain, on entrevoit le jour où […] [ce nouveau peuple annoncera le salut de Dieu à qui veut bien l’entendre].
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