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La Trinité 08 de la nature de dieu/Saint Augustin
CHAPITRE VI.
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La Trinité 08 de la nature de dieu/Saint Augustin
COMMENT L'HOMME QUI N'EST PAS ENCORE JUSTE CONNAIT LE JUSTE QU'IL AIME.
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La Trinité 08 de la nature de dieu/Saint Augustin
Revenons donc sur nos pas, et examinons pourquoi nous aimons l'Apôtre. Est-ce à cause de l'espèce humaine, qui nous est parfaitement connue, et parce que nous croyons qu'il a été homme? Non assurément: autrement nous ne pourrions plus l'aimer, puisqu'il n'est plus homme; car son âme a été séparée de son corps. Mais nous sommes persuadés que ce que nous aimons en lui vit encore: car nous aimons une âme juste. Et d'après quelle règle générale ou spéciale, sinon parce que nous savons ce que c'est qu'une âme et ce que c'est qu'un juste? Quant à la nature de l'âme, nous avons toute raison de dire que nous la connaissons, puisque nous en avons une. Ce n'est point sur le témoignage de nos yeux, car nous ne l'avons jamais vue, ni d'après une notion générale ou spéciale tirée de l'analogie ou de la comparaison, que nous avons cette foi, mais bien plutôt, comme je l'ai dit, parce que nous avons une âme, Et, en effet, y a-t-il rien qui soit aussi intimement senti et qui sente aussi bien sa propre existence, que le principe même par lequel tout le reste est senti, c'est-à-dire l'âme? Car c'est d'après notre propre expérience que nous reconnaissons les mouvements des corps, qui nous prouvent qu'il y a d'autres êtres vivants hors de nous; puisque vivant nous-mêmes, nous imprimons à notre corps les mouvements que nous remarquons chez les autres. En effet, quand un corps vivant se meurt, nos yeux n'ont aucun moyen de voir l'âme, qui est un objet invisible pour eux; mais nous sentons que cette matière est animée par un principe semblable à celui qui anime notre propre corps, c'est-à-dire havie de l'âme. Et ce n'est point ici quelque chose de propre à l'habileté humaine ou à la raison : car les bêtes aussi sentent la vie, non-seulement en elles-mêmes, mais chez leurs semblables et en nous. Ni elles non plus ne voient nos âmes, mais elles s'aperçoivent de la vie par les mouvements du corps, sur le champ, avec la plus grande facilité et comme par un instinct naturel. Nous con naissons donc toute âme d'après la nôtre, et d'après la nôtre encore, nous croyons à l'existence de celle que nous ne connaissons pas. Non-seulement nous nous apercevons de l'existence d'une âme, mais nous pouvons encore savoir ce qu'elle est par l'étude de la nôtre, puisque nous en avons une.
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Mais comment savons-nous ce que c'est que le juste? Car nous avons dit que nous aimons l'Apôtre, uniquement parce que c'est une âme juste. Nous savons donc ce que c'est que d'être juste, aussi bien que nous savons ce que c'est qu'une âme. Or, comme nous l'avons dit, c'est d'après nous que nous savons ce que c'est qu'une âme, puisque nous en avons une; mais comment, sans être justes, savons-nous ce que c'est qu'un juste ? Et si personne ne sait ce que c'est qu'un juste, sans être juste, personne n'aimera ce juste sans l'être soi-même. En effet, on ne peut aimer celui qu'on croit juste, précisément parce qu'on le croit juste, quand on ne sait pas ce que c'est que d'être juste; et nous avons démontré plus haut que personne n'aime ce qu'il croit et ne voit pas, qu'en vertu de quelque notion générale ou particulière. Donc si le juste seul aime le juste, comment celui qui n'est pas juste désirera-t-il le devenir? Personne ne désire être ce qu'il n'aime pas. Mais pour devenir juste, celui qui ne l'est pas encore, voudra certainement le devenir ; et dès qu'il le veut, il aime le juste. Donc, même celui qui n'est pas encore juste, aime le juste. Or, celui qui ignore ce que c'est que le juste, ne peut pas aimer le juste. Donc celui même qui n'est pas encore juste, sait du moins ce que c'est que de l'être. Mais comment le sait-il? Est-ce par le témoignage de ses yeux? Y a-t-il un corps juste, comme il y a un corps blanc ou noir, (458) carré ou rond? Qui osera le dire ? Cependant les yeux ne voient que des corps. Et il n'y a de juste dans l'homme que l'âme; et quand on dit d'un homme qu'il est juste, c'est de son âme qu'on parle, et non de son corps. La justice est en effet une certaine beauté de l'âme, qui rend beaux les hommes, même la plupart de ceux dont le corps est tordu et difforme. Et comme les yeux ne voient pas l'âme, ils ne voient pas davantage sa beauté, comment donc celui qui n'est pas encore juste, connaît-il le juste, et l'aime-t-il pour le devenir lui-même? Y aurait-il, dans les mouvements du corps, certain indice qui ferait voir que tel ou tel homme est juste ? Mais s'il ignore absolument ce que c'est qu'un juste, comment devinera-t-il les signes qui trahissent l'âme juste? Il connaît donc le juste. Mais comment le connaissons-nous, même quand nous ne sommes pas justes? si nous puisons cette connaissance hors de nous, ce ne peut être que dans un corps. Or ce n'est point ici l'affaire d'un corps. Et quand je pose la question, je ne peux en trouver la réponse qu'en moi-même. Si je demande à un autre ce que c'est que le juste, il cherche également la réponse au dedans de lui, et quiconque peut donner une réponse vraie, ne la trouve pas ailleurs qu'en lui-même. Quand je veux parler de Carthage, je cherche en moi quelque chose à dire et j'y trouve une Carthage imaginaire; mais cette image, je l'ai perçue par le corps, c'est-à-dire par la sensation du corps, puisque j'ai été là corporellement, que j'ai vu la ville, que j'en ai éprouvé une impression qui m'est restée dans la mémoire, tellement que j'ai trouvé en moi le mot pour en parler, quand il m'a plu de le faire. Car cette forme imaginaire, fixée en ma mémoire, est le verbe même de Carthage, non pas en trois syllabes qu'on exprime quand on nomme Carthage, ou même le nom qui traverse sans bruit l'espace du temps mais ce que je vois dans mon âme, quand je prononce ces trois syllabes, ou même avant que je ne les prononce. Et si je veux parler d'Alexandrie, que je n'ai jamais vue, vite aussi une image se présente à mon esprit; ayant entendu beaucoup de personnes dire que c'est une grande ville et les ayant crues sur parole, je m'en suis fait une certaine idée, calquée, autant que possible, sur leurs récits, et c'est là le verbe que je trouve en moi avant de prononcer les cinq syllabes, si connues de tout le monde à peu près. Et pourtant si je pouvais tirer de mon âme cette image et la montrer à ceux qui connaissent Alexandrie, sans doute tous diraient : Ce n'est pas elle; ou s'ils disaient : C'est elle, j'en serais fort étonné; puis la considérant en moi-même, c'est-à-dire son image ou son portrait, je ne pourrais m'assurer que c'est elle, mais je m'en rapporterais à ceux qui l'ont vue.
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il n'en est pas ainsi, quand je cherche ce que c'est que le juste; je ne le trouve pas, je ne le vois pas de cette manière, quand j'en parie; on ne tombe pas ainsi d'accord sur ce que j'en puis dire, je n'approuve pas non plus tout ce que j'en entends dire, comme si j'avais vu de mes yeux ou perçu par quelqu'un de mes sens corporels quelque chose de ce genre, ou que j'en eusse entendu parler à d'autres qui l'avaient connu. En effet, quand je dis, et avec certitude de ce que j'avance : L'âme juste est celle qui, réglant sa vie et ses moeurs par la science et la raison, rend à chacun ce qui lui est dû; mon esprit ne se porte pas vers un objet absent, comme serait Carthage par exemple, ni il ne se forge pas une image arbitraire, qui peut être vraie ou fausse, comme serait celle d'Alexandrie; mais je vois quelque chose de présent, quelque chose qui est en moi, bien que ce ne soit pas moi, et beaucoup de ceux qui m'entendront seront-de mon avis. Et quiconque m'entend et m'approuve avec connaissance de cause, sciemment, en voit autant en lui-même, bien qu'il ne soit pas lui-même ce qu'il voit. Mais si c'est un juste qui parle, il voit et exprime ce qu'il est lui-même. Et où le voit-il, sinon en lui? En quoi il n'y a rien d'étonnant : car où le verrait-il, si ce n'était en lui-même? Le merveilleux est que l'âme voie en elle ce qu'elle n'a vu nulle part ailleurs, qu'elle voie ce qui est vrai, qu'elle voie la véritable âme juste, qu'elle soit une âme elle-même et ne soit pas l'âme juste qu'elle voit en elle. Y a-t-il donc une autre âme juste dans l'âme qui n'est pas encore juste? Sinon, quelle âme voit-elle donc, quand elle voit et dit ce que c'est que l'âme juste, qu'elle n'en a point vu ailleurs qu'en elle-même, quoiqu' elle-même ne soit pas âme juste? Ce qu'elle voit est-il donc une vérité intérieure, présente à l'âme qui peut la voir? Car tous ne le peuvent pas, et ceux qui le peuvent ne sont pas tous ce qu'ils voient, c'est-à-dire ne sont pas eux-mêmes des âmes justes, bien qu'ils puissent (459) voir et dire ce que c'est qu'une âme juste.
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Mais comment deviendront-ils justes, sinon en s'attachant au modèle qu'ils voient, pour le reproduire eux-mêmes et devenir des âmes justes: ne se contentant pas de voir et de dire que l'âme juste est celle qui réglant sa vie et ses moeurs par le science et la raison, rend à chacun ce qui lui est dû, mais réglant eux-mêmes leur vie et leurs moeurs sur la justice, en rendant à chacun ce qui lui est dû, de manière à ne devoir rien à personne, sinon de s'aimer mutuellement (Rm 13, 8 )? Et comment s'attache-t-on à ce modèle, sinon par l'amour? Pourquoi donc aimons-nous un homme que nous croyons juste et n'aimons-nous pas le type même par lequel nous voyons ce que c'est que l'âme juste, afin de devenir justes nous-mêmes ? Serait-ce que si nous n'aimions pas ce type, nous n'aimerions pas celui que nous aimons parce qu'il lui est conforme; et que tant que nous ne sommes pas justes, nous n'aimons pas assez ce type pour devenir justes nous-mêmes? L'homme que l'on croit juste est donc aimé d'après le type et la vérité que celui qui l'aime voit et retrouve en son propre fond; mais il n'est pas possible d'aimer ce type et cette vérité par un motif qui leur soit étranger. Hors d'eux, en effet, hors de leur connaissance, nous ne trouvons rien qui nous les fasse aimer par la foi et par analogie à quelque autre chose que nous connaissons. En effet, tout ce que nous verrons de semblable à ce type, c'est ce type même, et rien ne lui ressemble parce que, seul, il est tel qu'il est. Donc celui qui aime les hommes doit les aimer parce qu'ils sont justes, ou pour qu'ils le deviennent. Car il doit ainsi s'aimer lui-même de cette façon: ou parce qu'il est juste ou pour le devenir; alors seulement il pourra sans danger aimer son prochain comme lui-même. Celui qui s'aime autrement, s'aime injustement, puisqu'il s'aime pour devenir injuste, par conséquent pour être mauvais; et par là même il ne s'aime pas: car « celui qui aime l'iniquité, hait son âme (Ps 10, 6 ) ».
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