Lecture d'un commentaire (9655)


Mt 27,7

Commentaire: Si l'on prétendait s'autoriser de cette difficulté pour contester l'autorité de l'Évangéliste, nous rappel lerions d'abord qu'on ne lit pas dans tous les exemplaires de l'Évangile, que ces paroles aient été dites «par le prophète Jérémie», mais simplement «par le prophète». Toutefois, je ne puis admettre cette solution, car un grand nombré d'exemplaires, et des plus anciens, portent le nom de Jérémie, et il n'y a aucune raison qui ait pu faire ajouter ce nom et altérer ainsi le texte. On explique parfaitement, au contraire, le retranchement de ce nom, en l'attribuant à une igno rance téméraire, que troublait, peut-être, le passage en question. Or, il a. pu arriver, que tandis que saint Mat thieu écrivait son Évangile, le nom de Jérémie se soit présenté à son esprit à la place de celui de Zacharie, comme il arrive souvent, erreur qu'il aurait certainement corrigée sur l'observation qui a dû lui en être faite de son vivant par les lecteurs de cet Évangile, s'il n'avait pensé que le nom d'un prophète ne s'était pas présenté à son esprit pour un autre au moment où il écrivait sous l'inspiration de l'Esprit saint, sans que Dieu l'eût ainsi voulu. Quel les sont les raisons de cette conduite? La première, c'est que Dieu montrait ainsi que tous les prophètes avaient parlé sous l'inspiration du même esprit, et que l'accord le plus admirable régnait entre eux; prodige bien plus étonnant que si tous les oracles prophétiques avaient été annoncés par un seul homme, et d'où il résulte que l'on doit considérer toutes les paroles que l'Esprit saint a prononcées par leur bouche, comme si chacune d'elles appartenait à tous, et toutes à chacun d'eux. Car, encore aujourd'hui, il peut arriver qu'une personne, qui veut citer les paroles de quelqu'un, les cite sous le nom d'un de ses amis intimes, et que s'apercevant aussitôt de sa méprise, elle se reprenne, en ajoutant toutefois: mais j'ai bien dit, parce qu'elle ne considère que la parfaite union qui existe entre les deux amis. Or, à bien plus forte raison, on doit raisonner ainsi des saints prophètes. Il y a encore une autre raison pour laquelle l'Esprit saint a permis, ou plutôt a voulu positivement que le nom de Jérémie fut conservé à la place de celui de Zacharie. On lit dans Jérémie ( Jr 33 ) qu'il acheta un champ au fils de son frère, et qu'il lui en donna argent, mais non pas même prix des trente pièces d'argent qui se trouve indiqué dans Za ( Jr 32,9 ). Or, il est évident que l'Évangéliste a voulu appliquer la prophétie des trente pièces d'argent à ce fait qui vient de s'accomplir dans la personne du Seigneur. Mais on peut voir aussi au sens spirituel une preuve que la prophétie de Jérémie, à l'occasion du champ qu'il achète, s'applique au même événement, dans le nom de Jérémie qui parle du champ acheté, mis à la place du nom de Zacharie qui précise les trente pièces d'argent. Le dessein de Dieu en cela, est que celui qui lit l'Évangile, et qui, en voyant cité Jé rémie, n'y trouve cependant rien des trente pièces d'argent, mais seulement ce qui concerne le champ qu'il achète, soit amené à comparer les deux prophètes, et à éclaircir le vrai sens de la prophétie en l'appliquant à ce qui s'est accompli dans la personne du Seigneur. Quant à ce que saint Matthieu ajoute à ces paroles «Suivant l'appréciation des enfants d'Israël, et ils les don nèrent pour le champ du potier comme le Seigneur l'a ordonné», on ne le trouve ni dans Jéré mie ni dans Zacharie. D'où nous devons conclure que c'est l'Évangéliste lui-même qui a fait cette addition dans un sens spirituel, parce qu'il connaissait, par une révélation divine, que cette prophétie s'appliquait au prix que Jésus-Christ a été vendu.


Source: Saint Augustin (Peronne-Vivès 1868)