Lecture d'un commentaire (5046)


Ex 12,39

Commentaire: Il est clair que les égyptiens ont pressé le peuple de partir, en raison de l'angoisse de la mort qui les saisit. Mais qu'en est-il des hébreux? Etaient-ils si pressés de partir? Ce n'est sans doute pas un hasard si ce passage établit un net contraste entre la résolution des égyptiens de renvoyer le peuple au plus vite et le fait que les israélites ne purent s'attarder, comme s'ils l'avaient tacitement souhaité. Voir le commentaire de Rachi sur Ex 6,1.
Pour Rachi, la vigueur de l'empoigne divine s'est exercée à l'endroit de Pharaon, mais aussi, secondairement, à l'égard des hébreux. Autrement dit, s'ils l'avaient pu, les hébreux auraient pris le temps (de faire leurs provisions, de faire monter la pâte...). Il semble difficile de ne pas déceler, dans l'insistance du texte biblique sur le fait que c'est "à l'empoigne" de Dieu que le peuple hébreu a été tiré d'Egypte, l'expression d'une certaine réprobation quant à l'immaturité du peuple face à l'appel de la délivrance. Tout se passe comme si sa frénésie supposée à faire son pain et à constituer des provisions trahissait une défiance sourde et irrépressible quant à son avenir hors du grenier à blé égyptien. Plus loin, à maintes reprises, le texte biblique révèle combien le peuple n'était pas encore sevré de l'Egypte (Ex 16,3 / Ex 14,11-12 / Nb 11,4-5).
Cette tentation récurrente de vouloir revenir à la matrice égyptienne en dit long sur la psychologie de l'aliénation. L'oppression est certes dure à vivre, mais la liberté peut quant à elle se révéler profondément anxiogène, car elle suppose un saut vers l'inconnu et entraîne souvent "une longue traversée du désert" qui comporte de nombreux périples contraignant à se dépasser. Dans le désert, les hébreux idéaliseront leur condition passée (voir Nb 11,4-5). C'est un réflexe régressif qui rejaillit des profondeurs - regressus ad uterum - face au stress de l'adversité. On reconstruit le passé jusqu'à s'inventer un âge d'or. De manière récurrente, la Tora insiste sur la promptitude avec laquelle la sortie d'Egypte devait être opérée, comme si l'urgence avait été une condition nécessaire et préalable pour conjurer les peurs et vaincre les atermoiements, tant du côté égyptien (les Egyptiens venant à regretter d'avoir consenti au départ des hébreux) que du côté hébreu (en raison des attaches à l'Egypte et des appréhensions de la route). C'est de cet empressement qu'il convient de faire mémoire lors de la fête de Pessah (voir Dt 16,3).


Source: La Haggada, Rivon Krygier