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Ex 1,1

Commentaire: Ce deuxième volume du Pentateuque est intitulé Shemot, Noms, d’après ses premiers mots: Voici les noms. Fidèles à l’usage grec, les Septante lui ont donné le titre d’Exodòs (Exode, Sortie), d’un mot qui résumait l’essentiel de l’oeuvre. Berèshit (Entête, la Genèse) avait décrit la création du monde et rapporté l’histoire des patriarches, d’Adâm (Adam) et d’Abrahâm (Abraham) à Iosseph (Joseph). L’Exode fera le récit de la libération du peuple d’Israël tombé en esclavage en Misraîm (Egypte), de ses errances dans les déserts du Sinaï et de son pacte avec IHVH-Adonaï. Moshè (Moïse) en sera le personnage central: c’est lui qui libérera son peuple et sera son législateur inspiré. Ici encore, la théorie documentaire ne doit pas masquer la profonde unité de l’oeuvre, d’une oeuvre qui transmet dans chacune de ses parties une série ininterrompue d’images et de messages fulgurants. L’esclavage subi sous la férule d’un tyran, Moshè sauvé des eaux, la naissance d’une vocation de libérateur, l’appel de IHVH-Adonaï, la révélation du Nom ineffable, l’affrontement du tyran et de l’inspiré, les dix plaies de Misraîm, la mer du Jonc qui s’ouvre pour laisser passage aux fugitifs, sont autant d’épisodes frappants que poètes et mystiques, peintres et sculpteurs n’ont cessé d’illustrer. L’événement central est sans doute le don de la Tora au sommet du Sinaï; la proclamation des Dix Paroles (ch. 19 et 20 Ex 19,1-20,26 ). Les « tables du témoignage », louhot ha-‘édout (Ex 32,15), qui les contiennent, seront placées dans le coffre du pacte ou arche d’alliance, en signe de la présence toujours actuelle de IHVH-Adonaï et de sa parole au sein de son peuple. Le pacte devient ainsi le lieu permanent de leur rencontre.
L’Exode entend bien rapporter un fait historique: la délivrance des Hébreux esclaves en Misraîm et leur sortie de ce pays. Les documents égyptiens qui parlent de l’asservissement d’étrangers ou de la fuite d’esclaves dans le désert ne sont toutefois pas suffisants pour asseoir une certitude précise à ce sujet. Selon la tradition biblique, il se serait écoulé 480 ans entre la sortie de Misraîm et la construction du Temple de Shelomo (Salomon) (cf. 1R 6,1), ce qui situerait l’Exode entre 1450 et 1430. Mais la plupart des historiens identifient le pharaon qui asservit les Hébreux avec Ramsès II (1301-1234). Ils se divisent sur la question de savoir s’il faut situer l’exode sous son règne ou sous celui de son fils Ménephtah (1234-1225). Dans ce dernier cas, l’oppresseur des Hébreux aurait pu être, non pas Ramsès II, mais son père Séthi 1er (1317-1301).
Par ailleurs, la controverse demeure vive quant à l’itinéraire suivi par les fugitifs. La Bible énumère avec force détails les étapes de leur errance, sans toutefois que l’on puisse en retracer avec certitude le trajet. Les livres de l’Exode (ch. 12-19 Ex 12,1-19,25), des Nombres (Nb 13,20-22) et du Deutéronome (Dt 1,2) semblent faire partir les Hébreux de la mer du Jonc ou mer Rouge, en un point dont la localisation demeure problématique, pour leur faire traverser le désert de Shour en contournant Rephidîm, où il guerroyèrent contre les Amalécites (Ex 17,8-16), avant d’aboutir au Sinaï.
Le lieu exact où l’Exode situe le don de la Tora est lui aussi indéterminé. Il s’agissait d’une montagne non identifiée. Si les Hébreux n’ont pas conservé de tradition concernant sa situation exacte, c’est que cela importait moins à leurs yeux que ce qui s’y était passé et en avait résulté. Depuis le IVe siècle, une tradition orthodoxe désigne le Djebel Moussa ou mont Moïse. Les moines ont bâti un monastère au lieu-dit de la théophanie du buisson ardent et, au VIe siècle, l’empereur Justinien y a édifié une puissante forteresse afin de les protéger.
Après la théophanie du Sinaï, le peuple se remet en marche pour gagner la Terre promise. Chacune des étapes de ce long voyage soulève des problèmes dont la complexité est telle que leur localisation est la plupart du temps impossible.
La critique biblique repousse l’affirmation traditionnelle selon laquelle la législation consignée dans l’Exode et dans les livres suivants du Pentateuque aurait été l’oeuvre de Moshè écrivant sous la dictée de IHVH-Adonaï. Elle y voit une oeuvre composite, qui s’est progressivement constituée au cours des siècles à partir de sources multiples. Quelles que soient ses similitudes avec d’anciens codes, celui d’Hammourabi par exemple, cette législation possède ses caractères propres. Elle a un aspect toujours actuel par son humanisme, sa quête passionnée de justice et de paix, les perspectives apocalyptiques qu’elle assigne au terme de l’histoire humaine, et la vocation divine dont elle ouvre la vision à l’homme créé à la ressemblance du Créateur. Le message central de la Tora réside dans le monothéisme éthique que les Hébreux furent les premiers à propager. L’adoration d’un Dieu unique, juste, invisible, créateur des ciels et de la terre, impliquait le rejet, par les Benéi Israël, de toutes les idoles adorées par les nations, de toute forme de paganisme.
Le livre de l’Exode, ou des Noms, illustre ainsi le récit de la naissance d’une nation, Israël, fruit de l’amour de IHVH-Adonaï, de sa révélation et de sa puissance.


Source: Chouraqui