Lecture d'un commentaire (4413)


Rm 1,1

Commentaire: LA LETTRE AUX ROMAINS DANS l’ÉGLISE
Il est maintenant impossible de parler de la lettre aux Romains sans dire au moins un mot sur la place qu’elle a tenue et qu’elle continue de tenir dans les Églises protestantes. On sait que Luther a mûri la Réforme en commentant cette épître. Il n’avait pas tort d’y voir la condamnation d’une Église installée dans le monde, dans laquelle la foi s’était souvent dégradée en pratiques coupées de la foi qui sauve. La chrétienté du Moyen Âge était en effet un peuple, un peu comme l’avait été le peuple d’Israël. On était chrétien de naissance et on le resterait ; on était croyant, mais comme on l’est dans n’importe quelle culture, on pensait se sauver par les rites religieux et la pratique des bonnes actions qui nous méritent le ciel. C’était donc une grande chose que de rappeler que la foi est l’âme de toute conversion, et que cette conversion est la réponse à un appel gratuit de Dieu. Dans cette lettre il n’y avait que le Christ Sauveur, et c’était suffisant pour dévaluer tout le système religieux d’alors, écrasé par ses traditions et ses dévotions. Il y avait la foi, alors qu’on n’entendait guère prêcher que la morale, ou plutôt les catalogues de la morale. Il y avait la Parole de Dieu dirigée à tout homme, alors qu’on se contentait de faire confiance aux hommes d’Église. C’était donc une critique radicale de l’Église qui avait fini par se regarder elle-même plutôt que de se tourner vers Dieu, et dont tout le système politique, doctrinal ou répressif fermait l’horizon. Pourtant nous avons dit que cette lettre s’enracinait dans toute l’expérience de Paul comme Juif et comme Pharisien, puis comme apôtre appelé directement par le Christ. C’est à partir de là qu’il parlait de péché et de justification, d’appel, de salut par la foi. Et de leur côté, Luther et ses contemporains lisaient cette lettre à partir de leurs problèmes — il faudrait dire : de leurs angoisses. Ils étaient les représentants d’une chrétienté finissante, obsédée par la perspective du péché et de l’éternelle damnation, victime d’une philosophie (le nominalisme) dans laquelle les choses ne sont pas bonnes ou mauvaises en soi, mais le sont si Dieu les déclare telles. C’est ainsi que tout ce que Paul dit sur la prédestination du peuple juif est lu par eux comme un problème de prédestination personnelle au ciel ou à l’enfer. Paul parle de Dieu qui nous justifie — un mot qui avait alors un sens très peu précis — pour dire que Dieu rétablit en nous un ordre qui est le vrai ; eux comprennent que, si nous croyons, Dieu nous considérera justes bien que rien ne soit changé en nous. Les grandes perspectives d’une humanité travaillée par le péché et par la grâce, incapable de se libérer elle-même, vont se réduire à un problème personnel : suis-je réellement libre ou suis-je un jouet de la grâce ? Prenant au pied de la lettre le langage imagé de Paul, on va bâtir une doctrine du Péché Originel dans laquelle nous payons tous, et pour l’éternité, le péché d’un premier ancêtre. Plusieurs générations de protestants et de catholiques vont être marquées par ces controverses. Que l’on parle de salut par la foi seule, ou par la foi et les œuvres, ou par la foi, les œuvres et les sacrements, l’amour du Père qui sauve et du Christ Sauveur va passer au second plan derrière l’obsession du salut : comment puis-je m’en tirer dans ce cadre rigide où Dieu m’enferme ? Le Dieu juste, aux sentences inexorables, qui condamne si facilement à l’enfer, traumatisera l’Occident et préparera une révolte qui sera l’athéisme militant. Il n’est pas inutile aujourd’hui de le savoir. Quand on a longtemps fréquenté Paul, et d’abord dans la lettre aux Romains, on voit que pour lui le Père de Jésus est réellement père, et qu’il est passionnément aimé. On découvre chez lui mille détails qui trahissent son expérience d’une communion continuelle et d’une vie “dans” le Dieu Trinité, une expérience très proche de celle de saint Jean. Cela ne nous empêchera pas de retrouver dans cette lettre cela même que Luther, après Saint Augustin, y avait vu : une exposition géniale du mystère de l’humanité sauvée par le Christ. Peut-être est-ce un certain oubli de cette lettre et de cette doctrine qui a laissé trop souvent les catholiques s’enfermer dans leurs pratiques et leurs sacrements, et négliger la mission.


Source: Bible des peuples