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He 1,5

Commentaire: INTERPRÉTATION CHRÉTIENNE DE L’ANCIEN TESTAMENT
Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont l’auteur utilise ici l’Écriture. Laissons de côté l’idée qui nous vient spontanément de chercher dans l’Ancien des preuves irréfutables. Nous aimerions y trouver des textes qui disent clairement ce que sera le Sauveur et comment on le reconnaîtra à sa façon d’agir. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait nos pères durant des siècles, cherchant à montrer que les prophètes tout spécialement avaient prédit tout ce qui devait arriver à Jésus, après quoi on s’étonnait de ce que ses contemporains ne l’aient pas reconnu. L’auteur de cette lettre ne raisonnait pas comme nous. Il est assez probable qu’il s’était formé à l’école d’Alexandrie. Dans cette ville du Delta du Nil, l’une des plus peuplées de l’empire Romain, les Juifs formaient une communauté extrêmement importante, et quelques grands intellectuels avaient débuté une “école” d’interprétation de la Bible. C’est dans cette communauté, d’ailleurs, que s’étaient trouvés les traducteurs capables de réaliser une version grecque de la Bible, celle qu’on a appelée la version des Septante. Et c’est là encore que le petit-fils de Jésus Ben Sirac fit sa traduction du livre que nous appelons le Siracide. Nous trouverons donc dans cette lettre plus d’un exemple de la façon d’argumenter et d’exploiter le texte biblique que l’auteur a reçu des maîtres juifs, tout comme Paul l’avait fait. Mais il faut noter également deux autres éléments de l’argumentation que nous lisons ici et qui peuvent nous égarer. D’une part, l’auteur utilise le texte de la version grecque, lequel diffère de l’original hébreu en de nombreux détails. Un exemple en est la citation du Psaume 104(103).4-7. On sait que le mot hébreu pour dire : “ange” n’est autre que le mot messager. L’hébreu disait : tu fais des esprits tes messagers, et le texte grec dit : tu envoies tes anges comme des esprits. La différence n’est pas très grande, mais elle aide la comparaison du Christ et des anges. De même en 1.9 le Psaume 45(44) qu’il cite disait : “c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné une onction…” ; mais le texte grec se lit normalement : “c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a donné une onction…”, et l’auteur en tire parti pour insinuer la divinité du Christ. Par ailleurs, lorsque l’auteur rencontre dans la Bible le mot Dieu, il l’applique bien à Dieu Père, mais lorsqu’il voit écrit Seigneur (ce qui était la façon de traduire le nom de Yahvé), il l’attribue systématiquement au Christ, suivant en cela la pratique des apôtres. On en a un exemple en 1.10. De même le Psaume 97(96) cité en 1.6 disait : Yahvé règne… que tous les anges l’adorent, mais en grec on lisait : Le Seigneur règne… et l’auteur comprend immédiatement : que les anges adorent le Fils, qui est le Seigneur. Un exemple particulièrement intéressant est l’usage qu’il fait du Psaume 8. Ce Psaume admire l’œuvre divine : comment se peut-il que Dieu ait accordé de tels privilèges à l’homme, si petit dans la création ? Comme en poésie hébraïque il convient de dire deux fois la même chose avec des mots différents, le Psaume parle de l’humain, puis du fils d’homme. Il dit à son propos : Tu l’as fait à peine inférieur à un dieu, tu l’as couronné de gloire. Mais le grec traduit, ce qui n’est pas tout à fait erroné : Tu l’as rabaissé un peu au-dessous des anges. En voilà assez pour que l’auteur interprète : le Fils de l’Homme, c’est le Christ. Il a été rabaissé dans sa passion, mais il est déjà couronné de gloire avant de dominer toute la création. C’est dire que l’auteur suit sa certitude de la place centrale du Christ dans l’œuvre de Dieu, et le Psaume à son tour lui fait voir que le Christ porte en lui tout le destin de la race humaine : c’est en lui que Dieu se montre admirable et soumet à l’Homme tout l’univers, et c’est pourquoi il lui fallait s’identifier en tout à ses frères afin de les relever, comme il le dira au chapitre suivant. Voilà donc comment procède le discours. L’auteur impose son interprétation, non pas tant par la force de la logique comme par le souffle de son inspiration qui lui amène l’un après l’autre tant de textes dont il s’est imprégné et qui vont construire un édifice magnifique. Quelqu’un a dit que c’est bien peu de vouloir prouver la vérité de la foi, qu’il serait parfois plus juste de mettre en relief la beauté de la vision chrétienne du monde, car elle est un signe décisif de son caractère divin. Les grecs avaient le culte de la beauté, les prophètes de la première Église, et bientôt ses penseurs et ses orateurs ont mis en valeur l’harmonie de la foi.


Source: Bible des peuples