Lecture d'un commentaire (3116)


Lc 22,19

Commentaire: Un certain nombre de manuscrits anciens coupent le verset 19 après Ceci est mon corps, et omettent le verset 20 tout entier. Faut-il penser que les autres ont corrigé le texte de Luc et lui ont ajouté ce qui lui manquait pour être d’accord avec les autres évangiles ? Le plus probable est que ce sont les premiers qui ont corrigé Luc et ont supprimé 20 et la fin du 19, car les versets 17-18 parlaient déjà d’une coupe de vin distribuée et ils voyaient là une répétition. Cette mention d’une coupe distribuée avant le pain partagé suivi d’une deuxième coupe, consacrée celle-là, n’avait en réalité rien d’anormal puisque le rituel de la Pâque en comportait plusieurs. D’autres manuscrits, également déconcertés, ont supprimé le verset 20 (non la fin du 19) et ont fait passer le verset 19 avant les versets 17-18 pour rétablir l’ordre traditionnel : pain, vin. On ne peut exclure cependant la possibilité que la seconde coupe ait été absente du récit de Luc. Et c’est l’occasion pour regarder de plus près les différents récits de la dernière cène de Jésus. Ce dernier repas a été un repas d’adieu. Jésus voulait que les douze se réunissent autour de lui pour un repas de caractère plus solennel. Il y a célébré une première eucharistie liée à un lavement des pieds. Ce geste venait illustrer ce qui devrait toujours être au cœur de l’Église : la communion fraternelle et l’humilité des responsables. Quant à la cène, elle devait ensuite se perpétuer dans son Église. Jésus a parlé alors du passé et de l’avenir, laissant un message que Jean a développé dans les chapitres 14—17. Nous avons quatre récits de la première eucharistie : à Matthieu, Marc et Luc, il faut ajouter 1Corinthiens 11.23-26 qui est en fait le récit le plus ancien. Ces quatre récits ne sont sûrement pas des rapports précis de ce que Jésus avait dit et fait ce jour-là : tous les quatre ont fortement été revus à partir de la célébration liturgique que l’on célébrait dans l’Église primitive. Luc et Paul s’inspirent de l’eucharistie célébrée dans les communautés “grecques” : le rite avait sans doute été fixé dans la communauté helléniste de Jérusalem ( Actes 6) ou peut-être dans l’Église d’Antioche (voir Actes 11.19). Matthieu et Marc s’inspirent de l’eucharistie célébrée dans les communautés “juives”, un rite provenant de Jérusalem ou de Césarée. Luc et Paul ont les deux actes : corps et alliance ; Matthieu et Marc ont : corps et sang. Paul et Luc parlent d’eucharistie, ou action de grâces ; Matthieu et Marc ont eulogie, soit bénédiction. Paul et Luc ont les paroles de Jésus demandant que ce soit en souvenir de lui. Notons que chez Luc comme en 1Corinthiens 11.23, il s’agit de la coupe plutôt que du sang. Et seul le récit de Matthieu met côte à côte les deux mots boire et sang. Car le sang ne pouvait être consommé en aucun cas ( Lévitique 17), il pouvait seulement être répandu sur l’autel au cours du sacrifice. C’est pourquoi la coupe (ou : le calice) doit avoir été nommée par Jésus. Son sang est le sang versé pour sceller l’Alliance et qui, répandu pour vous, devient source de vie. Dans ces conditions, si nous gardons les versets 19-20 de Luc comme ils sont dans le texte plus usuel, son récit suit de près celui de Paul. Mais ce n’est pas une preuve suffisante pour l’accepter comme plus authentique. Il se pourrait fort bien que la première coupe soit celle du récit traditionnel. Luc aurait réparti entre la consécration du pain et celle de la coupe les paroles de Jésus qui accompagnèrent cette célébration, débordant largement la formule très résumée qu’en a gardée la liturgie. Avec la première coupe (qui serait de fait la seule), nous aurions la proclamation par Jésus de sa propre Pâque, c’est-à-dire de son passage par la mort et la résurrection ; avec la fraction du pain nous aurions l’institution de l’eucharistie. Il est certain que cette présentation de la dernière cène de Jésus choquera bien des catholiques pour qui l’essentiel est que soient prononcées les paroles : Ceci est mon Corps, ceci est mon sang, et qu’avec cela le pain et le vin soient devenus le corps et le sang du Christ. Mais il y a là une vision très étriquée des formules sacramentelles. L’eucharistie est une célébration de la dernière cène, non sa reproduction exacte, et la présence réelle du corps ressuscité du Christ, de son sang (Luc et Paul préfèrent parler de la coupe de l’alliance grâce au sang), n’est pas un coup de baguette magique lié à telle ou telle parole déterminée. La présence mystérieuse et réelle du corps et du sang de Jésus ressuscité est à la fois signifiée et réalisée par le rite global, tel que la tradition de l’Église l’a fixé dès les premières années.


Source: Bible des peuples