Lecture d'un commentaire (2271)


Gn 22,11

Commentaire: Jusqu’ici, le récit parlait de Dieu, et voici qu’intervient l’Ange de Yahvé, lequel n’est autre que Yahvé, ou plus exactement la manifestation de Yahvé. Cette façon ambiguë de s’exprimer couvre bien des interrogations face au mystère de Dieu, d’autant plus intéressantes pour nous que toute recherche religieuse un peu profonde s’est heurtée à ce mystère. C’est Dieu qui demandait à Abraham le sacrifice de son fils. Mais Dieu est le nom qu’on donne à l’Être divin tant qu’il n’est pas entré de façon personnelle dans notre univers. Dans la Bible, la grande révélation à Moïse demande aux Israélites de s’adresser à lui en l’appelant Yahvé : c’est leur privilège que de connaître le nom de Dieu. L’auteur sait que le sacrifice d’Isaac se situe dans la ligne des sacrifices d’enfants chez les Cananéens et seulement l’ignorance d’Abraham lui a fait penser que c’était là le sacrifice parfait : il ne connaît donc à ce moment que le Dieu des religions. C’est seulement ensuite que Dieu se révèle et qu’apparaît le nom de Yahvé. C’est Yahvé qui interdit définitivement le sacrifice humain, une loi fondamentale pour Israël. Le récit cependant est d’une époque assez tardive, et le temps est passé où l’on mettait en scène Yahvé comme un personnage qui vient s’entretenir avec ses fidèles : on tient absolument à respecter son mystère. Aussi l’on emploie tout à tour les expressions : Yahvé, parce qu’il s’engage personnellement, et l’Ange de Yahvé, parce que la vision, comme la voix, ne sont que des manifestations du Seigneur invisible (car ange signifie envoyé, et il peut n’être qu’une manifestation de Dieu). Il faut noter le retournement du récit. Au départ Abraham veut offrir à Yahvé le sacrifice parfait, au terme, c’est Yahvé qui prend l’initiative, non seulement il fournit la victime mais encore il fait à Abraham la grande promesse sur laquelle il ne reviendra jamais. C’est le même jeu qu’on retrouvera dans la promesse à David ( 2Samuel 7.11), et plus tard dans la promesse à Pierre ( Matthieu 16.17), l’un et l’autre s’empressent pour la gloire de Dieu, mais Dieu leur retourne le cadeau et il révèle à l’un comme à l’autre le caractère unique de leur vocation. Le caractère scandaleux et paradoxal de ce sacrifice d’Isaac inaugure une autre ligne conductrice de la Bible. On la retrouvera avec David : la promesse de Dieu ne précède que de peu la faute et les tragédies qui seront le lot de sa dynastie jusqu’à ce qu’apparemment il ne reste rien de la promesse. On la reverra dans l’Évangile où Pierre, proclamé roc et soutien de l’Église, devient un Satan au paragraphe qui suit ( Matthieu 16.22). Il ne suffit pas de dire que les épreuves sont inscrites dans la vocation du peuple saint : la sagesse du Dieu qui parle est si étrange et inconcevable que les siens, porteurs de son action dans le monde, sont voués à donner le contre témoignage. Ils seront constamment en contradiction avec ce dont ils sont les porteurs et les témoins : qu’on n’espère pas trop une Église sainte et réformée.


Source: Bible des peuples