Lecture d'un commentaire (21481)


Mt 20,31

Commentaire: « Les deux aveugles crièrent… ils crièrent plus fort » - Roger Etchegaray (extr. Bulletin diocésain de Marseille) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

On ne sait plus crier. Braillements de la foule, faciles à déclencher pour peu que l'on soit un manipulateur habile. Mais isoler quelqu'un de cette foule, demandez-lui d'exprimer son émotion, la sienne, dépouillée des idées venues d'ailleurs, bref demandez-lui un cri qui soit son cri : il n'a plus rien à dire. Il n'est ni poète, ni chanteur, ni danseur, ni peintre et il serait fort étonné si vous lui appreniez que son grand-père, laboureur ardéchois ou haut-alpin, était probablement tout cela à la fois.

On ne sait plus crier. Vidé de poésie, privé du silence qui lui servait de caisse de résonance, le cri meurt. Notre société, avec ses routines et ses tabous, ne laisse plus au cœur le droit ni les moyens de se libérer. Les « voix intérieures» se taisent ou sont étouffées. On ne sait plus où trouver la fraîcheur, la saveur, le don sans calcul, l'élan sans recul, l'instinct, l'homme primitif qui dort au fond de chacun de nous et que personne ne cherche à réveiller même chez l’enfant.

L'homme des cavernes savait crier, parce qu'il savait créer : Lascaux est une immense clameur de l'Esprit. L’homme d'aujourd'hui ne crée pas, il copie. Et son cri, s'il existe, n'est que la fade imitation d'un autre cri, simple écho sans cesse reproduit, monotone et assourdi. Et parce que l'on ne sait plus crier, on ne supporte plus le cri des autres.

Le cri, c'est le don total d'un instant de soi-même, l'alliance intense autant que périssable de l'homme avec l’Esprit.

[C’est l’union du cri de détresse et du cri de confiance… la fusion du désespoir et du cri d’espérance.]

Que de cris dans le désert d’Isaie à Jean-Baptiste (Lc 3,4) !
Que de cris autour du Fils de David, de la Cananéenne (15,20) aux aveugles (Mt 9,27) !
Que de cris du Christ lui-même !
Pour appeler ceux qui ont soif (Jn 7,37), pour annoncer l'Époux (Mt 25,10), pour ressusciter lazare (Jn 11,43), pour offrir ses prières et supplications (He 5,7).
Et ce double cri sur la croix, ces deux notes d'arpège inséparables : le cri de détresse de Celui qui se croit abandonné (Mt 27,46) et le cri de confiance de Celui qui s'abandonne à son Père (Mt 27,50).

Et si nous laissions nous-mêmes monter au fond de notre coeur le cri de l'Esprit : « Abba, Père! » (Ga 4,6)
On ne sait plus crier. On ne sait plus prier.

[Et pourtant, c’est toujours le moment de crier quand Jésus passe, quand la confiance incarnée est là, à notre portée… pour nous ouvrir au Royaume.
Il nous appartient de saisir l’occasion… le bon moment pour s’arrêter et pour crier… afin de se tourner vers le Père, avec Jésus, pour demander, pour supplier, pour choisir un autre chemin et un autre destin… quand l’épreuve et la douleur se dressent au travers de la route.

Avec le Christ, un autre possible est déjà là… il s’ouvre parfois par un cri… cri de détresse et cri d’espérance… Osons crier du fond de notre coeur !]


Source: Daniel Bourguet