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Mt 18,21

Commentaire: « Combien de fois pardonnerai-je à mon frère ? » - Antoine Bloom (extr. Prière vivante) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Tout comme les Hébreux furent appelés par Moise à fuir le pays d'Égypte, à le suivre dans la nuit noire, à traverser la Mer Rouge, chacun de nous est amené au désert où une nouvelle période commence.

Entre l'Égypte et le désert, entre l'esclavage et la liberté, s'étend comme une ligne de démarcation. C'est le moment de l'acte décisif, par lequel nous devenons des hommes nouveaux, établis dans une situation morale totalement nouvelle.

En termes de géographie, ce fut la Mer Rouge, mais dans la prière du Seigneur, c'est le « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons, nous aussi ». Ce « comme nous pardonnons » représente le moment même où nous prenons notre salut dans nos propres mains, car tout ce que Dieu fait dépend de ce que nous faisons; et cela est d'une extrême importance dans la vie quotidienne.

Si ces gens qui sortent d'Egypte emportent avec eux leurs peurs, leurs ressentiments, leurs haines, leurs doléances, ils demeureront esclaves dans la terre promise. Ce ne seront pas des hommes libres, pas même des hommes en train de bâtir leur liberté. Et c'est pourquoi, entre l'épreuve subie et la tentation de nos démons familiers, on trouve cette condition absolue à laquelle jamais Dieu n'accepte d’aménagement : il n'y aura pas deux poids, deux mesures, comme vous pardonnez vous serez pardonnés. Ce que vous ne pardonnez pas sera retenu contre vous.

Ce n'est pas que Dieu ne veuille pas pardonner, mais si nous refusons le pardon, nous mettons en échec le mystère de l'amour, nous le refusons, et il n'y a pas de place pour nous dans le Royaume. [Il n’y a pas de place en nous pour le Royaume.]

Nous ne pouvons aller plus loin si nous ne sommes pardonnés, et nous ne pouvons être pardonnés aussi longtemps que nous n'avons pas pardonné a tous ceux qui nous ont fait du tort. C'est parfaitement clair, net et précis, et nul ne peut s'imaginer être dans le Royaume de Dieu, lui appartenir, si demeure en son cœur le refus de pardonner. Pardonner à ses ennemis est la première caractéristique du chrétien, la plus élémentaire. Si nous y manquons, nous ne sommes pas chrétiens du tout, nous errons encore dans le désert brûlant du Sinaï.

Mais, pardonner est une chose extrêmement difficile. Accorder le pardon à un moment où l'on se sent le cœur plein de mansuétude ou dans un élan d'affectivité, est relativement aisé. Mais bien peu de gens savent comment faire pour ne pas le reprendre. En effet, ce que nous appelons pardon consiste souvent à mettre l'autre à l'épreuve, rien de plus. Et encore, les gens pardonnés sont-ils heureux lorsqu'il s'agit seulement d'une épreuve, et pas d'un renvoi.

Nous attendons avec impatience les témoignages de repentir, nous voulons être sûr que le pénitent n'est plus le même, mais cette situation peut durer toute une vie, et notre attitude est absolument contraire à tout ce qu'enseigne l'Évangile, et en vérité à tout ce qu'il nous commande.

Aussi la loi du pardon n'est-elle pas un mince ruisseau à la frontière entre l'esclavage et la liberté ; elle est large et profonde, c'est la Mer Rouge. Les Juifs ne la traversèrent pas grâce à leurs propres efforts, sur des bateaux faits de main d'homme. La Mer Rouge s'entrouvrit par la puissance de Dieu. Il fallut que Dieu les aide à la franchir. Mais pour être conduit par Dieu, on doit communier à cette qualité de Dieu qu'est la capacité de pardonner.


Source: Daniel Bourguet