Lecture d'un commentaire (21473)


Mt 15,3

Commentaire: « Vous annulez la Parole de Dieu par votre tradition » - Romano Guardini (Extr. Le Seigneur) cité dans Daniel Bourguet : l’Evangile médité par les Pères - Matthieu - ed. Olivetan

Proclamée dans sa substance au Sinaï, la Loi s’est amplifiée au cours des temps, en tenant compte des changements historiques survenus, des besoins sociaux.

Elle a fini par encadrer complètement la vie du peuple. Elle réglait les relations des hommes entre eux : celles de l'autorité et du peuple, celles des groupes entre eux, celles d'un membre de famille avec un autre, les familles entre elles, des citoyens avec les étrangers. Elle réglait les différents aspects de la vie publique : propriété, droit civil et criminel, etc.

Elle réglait [aussi] les rapports avec Dieu : service du temple, jours sacrés, fêtes et calendrier. Un grand développement était donné au devoir de purification. Ces prescriptions s'emparent de l'homme et en font la propriété de Dieu. Tout cela était réglé en détail, minutieusement. Une conception profonde des choses y est exprimée, une grande sagesse, une connaissance judicieuse de la psychologie humaine, tant individuelle que familiale et sociale.

Mais quand on songe que le salut dépendait de l'accomplissement de cette Loi, que quiconque s'en affranchissait était maudit et excommunié, on frémit en lisant la multitude des ordonnances.

Bien que les commandements de la Loi aient été difficiles à observer, on la développa toujours davantage. Une profession naquit pour la garder, celle des docteurs de la Loi. Ils la scrutaient, l'interprétaient, l’appliquaient.
Ils entourèrent chaque loi particulière de commentaires et de coutumes, qui prirent de leur côté le caractère de la Loi, si bien qu'au cours des temps, un réseau fut établi qui enserrait étroitement toute la vie.

Il faut ajouter à tout cela l'hypocrisie, dont Jésus parle avec tant de gravité.
À l'extérieur, il y avait un conformisme impeccable ; à l'intérieur, l'endurcissement du coeur.

Dehors, c’était la fidélité matérielle à la Loi ; au-dedans, le péché, mais le péché qu'on ne reconnait pas, qu'on ne regrette pas, pour lequel on ne désire pas de rédemption.

Jesus s'est heurté a cette mentalité qui lui reprochait continuellement, à lui, le libre Fils de Dieu, de pécher contre la Loi, de désobéir aux commandements, de briser les traditions, de profaner le temple, de trahir le peuple, d'empêcher l'accomplissement de la Promesse.

Partout, sa parole, qui apportait la liberté de Dieu, rencontrait des concepts pétrifiés. Partout, sa puissance d'aimer était arrêtée par une cuirasse qui ne laissait rien passer.

Lui qui parlait de l'abondance de son cœur, qui portait en lui toutes les profondeurs de la création et toutes les énergies du cœur de Dieu, il était épié par des spécialistes de la Loi, des gardiens et des espions, avec une ruse que soutenaient les intelligences les plus aiguës et les volontés les plus tenaces.

Une épouvantable perversion du divin eut lieu alors, qu'éclaire la phrase que les Pharisiens opposèrent au gouverneur romain Ponce Pilate, juge suprême, lorsqu'un sentiment naturel de justice lui fit déclarer qu'il ne trouvait aucune culpabilité dans l'accusé : « Nous avons une Loi, et d'après cette Loi, il doit mourir ! » (Jn 19,7).

La Loi imposée par Dieu a été si diaboliquement retournée que, d'après elle, le Fils de Dieu devait mourir !

Cette histoire de la Loi est une grande leçon.
Le sacré, issu de Dieu, est devenu un instrument de péché.
Dès que l'on croit à une révélation expresse, à une règle de conduite, venues du ciel, cette même possibilité s'éveille.

Il est bon pour le fidèle de le savoir, afin que pendant la seconde alliance, il soit préservé du sort de la première.

[La radicalité de l’amour - et la liberté qui l’accompagne - viendront toujours briser nos idoles, nos prétendus savoirs, nos fausses croyances, et la tentation intrinsèque à l’ego humain de vouloir se faire dieu à la place de Dieu.]


Source: Daniel Bourguet