Lecture d'un commentaire (2122)


Gn 1,1

Commentaire: La Bible s’ouvre sur un hymne au Dieu créateur. Le premier chapitre de la Genèse est une composition rythmique, avec ses répétitions et sa forme liturgique, qui sert de préface et d’ouverture à toute la Bible. Il nous faut un effort pour jeter sur cette première page un regard simple. Il y a eu trop de discussions depuis cent cinquante ans sur le thème “la création selon la Bible et selon la science”, problème très mal posé, encore plus mal résolu, et qui habituellement nous laisse mal à l’aise. Nous ne chercherons pas ici des données historiques ou scientifiques ; ceux qui ont rédigé ce chapitre avaient bien d’autres choses à nous dire, et Dieu avait le droit de contresigner leur travail même s’ils voyaient le ciel comme une voûte d’azur où quelqu’un a épinglé les étoiles. Ni l’auteur de ces pages ni ses lecteurs, il y a quelque vingt-cinq siècles, ne partageaient notre curiosité, ils nous parlent de leur expérience de Dieu et du sens que la foi donne à la vie humaine, à l’histoire et au monde. Il y a donc là une parole de Dieu, mais ne lisons pas non plus ce texte comme s’il y avait là toute la compréhension chrétienne de l’univers. Ce récit biblique est le plus important de ceux qui nous parlent de l’ordre établi dans le monde par le Créateur, mais il faut préciser deux points : — Cette préface de la Bible n’est pas la partie la plus ancienne, comme le croient certaines personnes qui voudraient l’attribuer à nos plus lointains ancêtres, elle a été écrite au 5ème siècle avant le Christ, après le retour d’Exil. — Cette page écrite avant le Christ ne peut pas nous donner toute la compréhension chrétienne de l’univers. Il y a bien plus à dire et la Bible le dit là où beaucoup ne chercheraient pas, c’est-à-dire dans le Nouveau Testament : voir Jean 1 et Éphésiens 1. Mais que voulait dire l’auteur ? Que Dieu a tout fait ? Bien sûr. Dieu, un seul, distinct de cet univers qu’il créait, et antérieur à cet univers. Mais ce que l’auteur voulait avant tout, c’était de montrer que Dieu est infiniment au-delà de cette création qui nous émerveille ou nous écrase, au-delà d’une nature si riche et si dominatrice que facilement nous nous laissons emporter par ses pulsions. Dieu dit. Voici comme une frontière mise entre Dieu et sa créature. Le monde n’est pas Dieu, il n’est pas un visage de Dieu, il n’est pas sorti de Dieu comme du sein d’un Infini qui laisserait échapper ses richesses sans les connaître ni les dominer. Le monde est en Dieu, de quelque façon, mais Dieu est extérieur au monde et ne dépend pas de lui. Il ne faudra pas l’oublier quand plus tard le Nouveau Testament parlera de communion avec Dieu : Cela ne peut être que si Dieu, personnellement, nous appelle. Dieu crée, cela veut dire d’abord que Dieu met un ordre. Premier jour, deuxième jour, troisième jour. Tout n’est pas sur le même plan. Un univers matériel où la vie ensuite apparaîtra, avec ses mille réalisations diversifiées et hiérarchisées. Premier jour, deuxième jour, septième jour. Dieu ordonne le monde et notre existence. Le soleil et la lune ne sont pas là seulement pour éclairer : ils déterminent le temps et le calendrier. Pas de vie humaine, pas de vie de famille sans fêtes, sans une discipline et régularité dans le lever et le coucher, le travail et les heures de repas. Les hébreux divisaient le monde en trois régions : le ciel, la terre et les eaux. Nous retrouvons cet ordre : jours 1 et 4, 2 et 5, 3 et 6. Tout arrive à son heure : les créatures les plus parfaites viennent après les créatures inférieures, l’homme en dernier lieu. Dieu vit que cela était bon. Rien n’est mal de tout ce que Dieu a créé, et pourtant l’auteur ne nie pas l’existence de forces du mal dans le monde : la mer et la nuit, pour les Israélites, étaient des forces mauvaises. Mais voilà que ces forces sont contenues : la mer a ses limites et, tous les jours, la nuit cède le pas à la lumière. Il faudra pourtant se poser la question : Qui a mis le mal dans le monde ? Voir Genèse 3 ; Sagesse 1.14 ; 11.20 ; Siracide 13.1 ; Jacques 1.17. C’est avec la création de l’homme que s’achève l’œuvre de Dieu. Le texte nous laisse trois affirmations décisives qui sont à la base de la conception chrétienne de l’homme, des certitudes qui, avec le temps, ont créé la modernité et se sont imposées bien au-delà du monde chrétien : — Il le créa à son image. C’est une des plus importantes déclarations de la Bible : l’homme n’est pas enfermé sans espoir dans le monde de ses fantasmes et de ses illusions, prisonnier de ses catégories et de ses structures ; il est créé pour la Vérité. Dieu peut lui dire l’essentiel dans un langage humain et à travers des expériences humaines : nous ne sommes pas condamnés à toujours douter. À l’image de Dieu, et bien sûr, faits pour lui donner une réponse. — Homme et femme il les créa. Et voici la dignité du couple. L’homme que Dieu crée, ce n’est pas l’homme seul ni la femme seule, mais le couple. Et chose étrange dans une culture aussi machiste, pas de différence de rang entre l’homme et la femme. Avec la Bible nous échappons aux images simplistes des théories matérialistes : la division des sexes ne serait que le produit d’un hasard dans les mutations des chromosomes, et tout aussi par hasard, l’amour serait le produit de la division des sexes. Au contraire nous affirmons que l’amour a été premier dans le plan de Dieu, et la longue évolution de la sexualité en a été la préparation. — Ayez autorité… Ce n’est pas pour que l’homme soit tyran, dominateur, mettant en danger jusqu’à l’existence humaine sur une planète poubelle. Mais Dieu lui livre l’univers entier. L’homme fera usage de tout, et de la vie elle-même, pour croître, mûrir et mener à terme l’aventure humaine jusqu’à son retour en Dieu. Multipliez-vous et remplissez la terre. Dieu leur donne sa bénédiction. On aurait tort de prendre prétexte de cette bénédiction pour prêcher une procréation irresponsable : (voir Sagesse 4.11 qui fait l’éloge des familles dont les enfants sont bien éduqués, utiles et bons devant Dieu) ; cependant la Bible montrera en mille occasions, qu’un peuple qui n’a plus d’enfants a perdu le chemin des bénédictions divines. Je vous donne toutes les herbes et tous les arbres qui portent des fruits. Par ces mots, l’auteur exprime l’idéal d’un univers non violent, où l’on ne tuerait même pas les animaux. Dieu ne veut pas la mort de ses créatures, bien que plus tard, il doive faire une concession ( Genèse 9.3) pour tenir compte de la condition réelle de l’homme pécheur. Dieu se reposa le septième jour. Le respect de ce septième jour, appelé en hébreu “sabbat”, c’est-à-dire “repos” est un des piliers de la pratique israélite et chrétienne. C’est un jour saint, c’est-à-dire totalement différent des autres, et qui nous fait saints et différents des autres. Grâce à lui les personnes échappent à l’esclavage du travail et sont disponibles pour une rencontre avec Dieu, avec les autres et avec elles-mêmes (voir Exode 20.8 et les promesses exprimées en Isaïe 56.4 ; 58.13).


Source: Bible des peuples