Lecture d'un commentaire (19228)


Est 5,1

Commentaire: ESTHER INTERCÈDE
Après avoir achevé sa prière, Esther se rendit auprès du roi, accompagnée de trois serviteurs, l'un marchant à sa droite, le second de l'autre côté, et le troisième portant sa traîne, lourde des pierres précieuses dont elle était constellée (144). (144) Son principal ornement était le Saint-Esprit qui avait été répandu sur elle. Mais à peine était-elle entrée dans la chambre où se trouvaient les idoles, que l'esprit saint la quitta et qu'elle poussa un grand cri de détresse: «Eli, Eli, lamah azabtani ! Dois-je être châtiée pour des actes que je fais contre mon gré, et seulement pour obéir à des impulsions d'une grande nécessité ? (145) Pourquoi mon sort serait-il différent de celui d'une Mère ? Lorsque Pharaon a seulement tenté d'approcher Sarah, les fléaux se sont abattus sur lui et sur sa maison, mais moi, je suis contrainte depuis des années de vivre avec ce païen, et Tu ne me délivres pas de sa main. Seigneur du monde ! N'ai-je pas respecté scrupuleusement les trois commandements que Tu as prescrits spécialement pour les femmes ?
Pour arriver jusqu'au roi, Esther dut traverser sept appartements, chacun mesurant dix aunes de long. Elle traversa sans encombre les trois premiers, trop éloignés pour que le roi puisse observer sa progression. Mais à peine eut-elle franchi le seuil de la quatrième chambre qu'Assuérus l'aperçut et s'exclama, fou de rage: «O pour les disparus, on ne retrouve pas leur semblable sur la terre ! J'ai prié Vashti de se présenter devant moi, mais elle a refusé, et je l'ai fait tuer pour cela. Cette Esther est venue ici sans invitation, comme une prostituée publique.»
Consternée et désespérée, Esther resta plantée au centre de la quatrième chambre. Après l'avoir laissée franchir les portes sous leur responsabilité, les gardes des quatre premières chambres avaient perdu leur autorité sur elle, et les gardes des trois autres chambres n'avaient pas encore eu de raison d'intervenir auprès d'elle. Cependant, les courtisans étaient si convaincus qu'Esther allait subir la peine de mort que les fils d'Haman étaient déjà occupés à se partager ses bijoux et à tirer au sort sa pourpre royale. Esther elle-même était parfaitement consciente du danger qui la guettait. Dans sa détresse, elle a imploré Dieu: «Eli, Eli, lamah azabtani», et lui adressa les paroles qui ont trouvé leur place dans le Psautier composé par le roi David (Ps 21). (146) Parce qu'elle mettait sa confiance en Dieu, il répondit à sa demande et lui envoya trois anges pour l'aider: l'un enveloppa son visage des « fils de la grâce «, le second éleva sa tête et le troisième tira le sceptre d'Assuérus jusqu'à ce qu'il la touche. (147) Le roi tourna la tête pour ne pas voir Esther, mais les anges le forcèrent à regarder de son côté et à être conquis par son charme séduisant. (148)
En raison de son long jeûne, Esther était si faible qu'elle ne pouvait pas tendre la main vers le sceptre du roi. L'archange Michel dut l'en approcher. Assuérus dit alors: «Je vois que tu dois avoir une requête très importante à proférer, sinon tu n'aurais pas risqué ta vie délibérément. (149) Je suis prêt à te l'accorder, jusqu'à la moitié du royaume. Il n'y a qu'une seule requête que je ne puisse accorder, c'est la restauration du Temple. J'ai prêté serment à Géshem l'Arabe, à Sanballat le Horonite et à Tobie l'Ammonite, de ne pas permettre qu'il soit rebâti, par crainte des Juifs, de peur qu'ils ne se soulèvent contre moi.» (150)
Pour l'instant, Esther s'abstient de formuler sa requête. Tout ce qu'elle demande, c'est que le roi et Haman viennent au banquet qu'elle se propose de donner. Elle avait de bonnes raisons de se comporter ainsi. Elle souhaitait désarmer les soupçons d'Haman quant à son origine juive et amener ses compatriotes juifs à placer leur espoir en Dieu et non en elle. En même temps, elle voulait susciter la jalousie du roi et des princes à l'égard d'Haman. Elle était tout à fait prête à sacrifier sa propre vie, si ses stratagèmes pouvaient aussi emporter celle d'Haman. (151) Lors du banquet, elle favorisa Haman de telle manière qu'Assuérus ne pouvait qu'être jaloux. Elle approcha sa chaise de celle d'Haman, et quand Assuérus lui tendit sa coupe de vin pour qu'elle en boive la première, elle la passa à son ministre.
Après le banquet, le roi réitèra sa question et affirma à nouveau qu'il exaucerait tous les souhaits d'Esther, quel qu'en soit le prix, à l'exception de la restauration du Temple. Esther, cependant, n'était pas encore prête ; elle préfèra attendre un jour de plus avant d'entrer en conflit avec Haman. Elle avait sous les yeux l'exemple de Moïse qui, lui aussi, avait eu besoin d'un jour de préparation avant d'aller affronter Amalek, l'ancêtre d'Haman. (152)
Trompé par l'attention et la distinction que lui accordait Esther, Haman se sentait à l'aise dans sa position, s'enorgueillissant non seulement de l'amour du roi, mais aussi du respect de la reine. Il se sentait l'être le plus privilégié de tout le vaste royaume gouverné par Assuérus (153).
Rempli d'une arrogante suffisance, il passa devant Mardochée, qui non seulement refusa de lui rendre les honneurs décrétés en son nom, mais, de plus, lui montra son genou sur lequel était inscrit l'acte de vente par lequel Haman était devenu l'esclave de Mardochée. (154) Doublement et triplement furieux, il résolut de faire du Juif un exemple. Mais il ne pouvait se contenter d'infliger la mort d'un simple coup de pied.
En arrivant chez lui, il fut déçu de ne pas trouver sa femme Zeresh, la fille du satrape perse Tattenai. Comme toujours lorsque Haman était à la cour, elle avait rejoint ses amants. Il la fit venir avec ses trois cent soixante-cinq conseillers, et c'est avec eux qu'il tint conseil sur le sort à réserver à Mardochée. (155) Montrant une représentation de sa chambre des trésors, qu'il portait sur sa poitrine, (156) il dit: «Et tout cela n'a aucune valeur à mes yeux quand je regarde Mardochée, le Juif. Ce que je mange et ce que je bois perd sa saveur, si je ne pense qu'à lui.» (157)
Parmi ses conseillers et ses fils, au nombre de deux cent huit, aucun n'était aussi intelligent que Zéresh, sa femme. Elle prit la parole: «Si l'homme dont tu parles est un Juif, tu ne pourras rien faire contre lui, si ce n'est par la sagacité. Si tu le jettes au feu, cela n'aura aucun effet sur lui, car Hanania, Mischaël et Azaria sont sortis indemnes de la fournaise ; Joseph a été libéré de prison ; Manassé a prié Dieu, qui l'a entendu et l'a sauvé de la fournaise ; le chasser dans le désert est inutile, car tu sais que le désert n'a fait aucun mal aux Israélites qui l'ont traversé ; lui crever les yeux ne sert à rien, car Samson aveugle a fait plus de mal que Samson qui voyait. Pendez-le donc, car aucun Juif n'a jamais échappé à la mort par pendaison». (158)
Haman fut satisfait des paroles de sa femme. Elle fit venir des artisans du bois et du fer, les premiers pour ériger la croix, les seconds pour fabriquer les clous. Leurs enfants dansaient dans l'allégresse, tandis que Zéresh jouait sur le cithéron, et Haman, dans sa joie, disait: «Je donnerai un salaire abondant aux ouvriers du bois, et j'inviterai à un banquet les ouvriers du fer.»
Lorsque la croix fut achevée, Haman la testa lui-même pour s'assurer qu'elle fonctionnait bien. Une voix céleste se fit entendre: «C'est bon pour Haman le méchant, et c'est bon pour le fils d'Hammedatha.» (159)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg