Lecture d'un commentaire (19171)


1R 19,20

Commentaire: ELISEE, LE DISCIPLE D'ELIE
Les voix des milliers de prophètes de son temps se sont tues lorsque Élie est passé de la terre au ciel. Avec lui disparut l'esprit prophétique de ceux qui, autrefois, n'avaient nullement été ses inférieurs. (1) Elisée fut le seul d'entre eux dont les pouvoirs prophétiques ne furent pas diminués. Au contraire, ils furent renforcés, en récompense de l'empressement qu'il mit à obéir à l'appel d'Elie, et à abandonner le champ qu'il labourait et tout ce qu'il possédait, en faveur de la communauté. Dès lors, il resta le compagnon infatigable d'Elie. Lorsque l'ange descendit du ciel pour prendre Elie sur la terre, il trouva les deux hommes tellement plongés dans une discussion savante qu'il ne put attirer leur attention, et il dut s'en retourner, sa mission n'ayant pas été accomplie. (2)
La promesse d'Élie d'accorder à son disciple une double portion de son esprit merveilleux se réalisa instantanément. Au cours de sa vie, Elisée accomplit seize miracles, alors que son maître n'en avait accompli que huit. Le premier d'entre eux, la traversée du Jourdain, était plus remarquable que le miracle correspondant accompli par Élie, car Élisée avait traversé le fleuve seul, alors qu'Élie avait été accompagné par Élisée. Deux saints ont toujours plus de pouvoir qu'un seul. (3)
Son deuxième miracle, la «guérison» des eaux de Jéricho, qui devinrent potables, lui causa du tort, car les gens qui avaient gagné leur vie en vendant de l'eau saine furent très en colère contre le prophète pour avoir gâché leur commerce. Elisée, dont les pouvoirs prophétiques lui permettaient de lire le passé et l'avenir de ces commerçants, savait qu'eux-mêmes, leurs ancêtres et leurs descendants n'avaient «même pas l'odeur du bien». C'est pourquoi il les maudit. Soudain, une forêt surgit et les ours qui l'infestaient dévorèrent les commerçants qui murmuraient. Les méchants ne méritaient pas le châtiment qu'ils reçurent, et Élisée dut subir une maladie très grave, en guise de correction pour avoir cédé à la colère. (4) Il ressemblait en cela à son maître Élie ; il s'était laissé dominer par la colère et le zèle. Dieu voulut que les deux grands prophètes fussent purifiés de cette faute. Ainsi, lorsque Elisée réprimanda le roi Jéhoram d'Israël, l'esprit de prophétie l'abandonna et il dut recourir à des moyens artificiels pour le réveiller en lui. (5)
Comme son maître, Elisée était toujours prêt à aider les pauvres et les nécessiteux, comme en témoignent sa sympathie pour la veuve d'un des fils des prophètes et l'aide efficace qu'il lui apporta. Son mari n'était autre qu'Abdias, qui, bien que prophète, avait été en même temps l'un des plus hauts fonctionnaires de la cour du roi pécheur Achab. Édomite de naissance, Abdias avait été inspiré par Dieu pour prononcer la prophétie contre Édom. Il incarnait en sa personne l'accusation contre Ésaü, qui avait vécu avec ses pieux parents sans suivre leur exemple, tandis qu'Abdias, au contraire, vivait en relations constantes avec l'inique roi Achab et son épouse Jézabel, plus inique encore, sans céder à l'influence néfaste qu'ils exerçaient. (6) Ce même Abdias non seulement utilisa sa propre fortune, mais alla jusqu'à emprunter de l'argent à intérêt au futur roi, afin d'avoir de quoi soutenir les prophètes qui se cachaient. A sa mort, le roi chercha à faire porter aux enfants la responsabilité de la dette du père. Désespérée, la pieuse épouse d'Abdias (7) se rendit au cimetière et s'écria: «Ô homme craignant Dieu !» Aussitôt, une voix céleste l'interrogea: «Il y a quatre hommes qui craignent Dieu: Abraham, Joseph, Job et Abdias. Auquel d'entre eux veux-tu parler ?» «A celui dont il est dit: «Il craignait beaucoup le Seigneur».
On la conduisit au tombeau du prophète Abdias, où elle raconta toute sa peine. Abdias lui dit de porter le peu d'huile qui lui restait au prophète Elisée et de lui demander d'intercéder pour lui auprès de Dieu, «car Dieu, dit-il, est mon débiteur, puisque j'ai fourni à cent prophètes, non seulement du pain et de l'eau, mais aussi de l'huile pour éclairer leur cachette, car l'Écriture ne dit-elle pas: «Celui qui a pitié des pauvres prête au Seigneur» ? La femme exécuta donc son ordre. Elle alla trouver Elisée, qui l'aida à faire en sorte que sa petite fiole d'huile remplisse vases sur vases sans nombre, et quand les vases s'épuisèrent, elle alla chercher des tessons, en disant: «Que la volonté qui a rempli les vases vides rende parfaits les vases brisés.» Il en fut ainsi. L'huile ne cessa de couler que lorsque la réserve de tessons et de vases s'épuisa. Dans sa piété, la femme voulait payer sa dîme, mais Elisée était d'avis que, puisque l'huile lui avait été accordée miraculeusement, elle pouvait la garder entièrement pour son propre usage. De plus, Elisée la rassura quant au pouvoir des princes royaux de lui faire du mal: «Le Dieu qui ferme les mâchoires des lions sur Daniel, et qui a fermé les mâchoires des chiens en Égypte, le même Dieu aveuglera les yeux des fils d'Achab et assourdira leurs oreilles, afin qu'ils ne puissent pas te faire de mal.» (8) Non seulement la pauvre veuve a été tirée de ses difficultés, mais ses descendants ont toujours été pris en charge. Le prix de l'huile augmenta, et elle rapporta tant qu'ils ne souffrirent jamais de la disette. (9)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg