Lecture d'un commentaire (19051)


Nb 22,2

Commentaire: BALAK, ROI DE MOAB
»Dieu ne permet pas que rien ne reste sans récompense, pas même une parole respectable ne reste sans récompense. L'aînée des deux filles de Lot avait appelé son fils conçu dans la faute, Moab, «par le père», tandis que la cadette, par décence, avait appelé son fils Ammon, «fils de mon peuple», et elle fut récompensée pour son sens des convenances. En effet, lorsque Moïse voulut faire la guerre aux descendants de Lot, Dieu lui dit: «Mes plans diffèrent des tiens. Deux colombes jailliront de cette nation, la Moabite Ruth et l'Ammonite Naomi, et c'est pourquoi ces deux nations doivent être épargnées.»
Le traitement que Dieu impose à Israël de réserver à ces deux nations n'est cependant pas uniforme. En ce qui concerne Moab, Dieu dit: «Ne cause pas d'ennuis à Moab, et ne lui livrez pas bataille», ce qui signifie qu'Israël ne doit pas faire la guerre aux Moabites, mais qu'il peut les dépouiller ou les réduire en servitude. Quant aux fils d'Ammon, Dieu interdit à Israël de donner à ces descendants de la fille cadette de Lot le moindre signe d'hostilité ou de les alarmer de quelque manière que ce soit, de sorte qu'Israël ne se présenta même pas en ordre de bataille aux Ammonites. (712)
L'attitude hostile, mais non belliqueuse, d'Israël à l'égard de Moab inspirait à ce peuple et à ses rois une grande crainte, au point qu'ils semblaient être des étrangers dans leur propre pays, craignant de devoir se comporter comme les Égyptiens ; en effet, les Israélites étaient venus en Égypte en tant qu'étrangers, mais ils avaient fini par s'approprier le pays, de sorte que les Égyptiens avaient dû leur louer leurs maisons d'habitation. Leur crainte était d'autant plus grande qu'ils pensaient qu'Israël ne tiendrait pas compte de l'ordre de Dieu de ne pas faire la guerre aux descendants de Lot. Cette croyance était fondée sur le fait qu'Israël avait pris possession des royaumes de Sihon et d'Og, alors qu'ils avaient fait partie des possessions d'Ammon et de Moab. Heshbon, la capitale de Sihon, appartenait autrefois à Moab ; mais les Amorites, grâce à l'appui de Balaam et de son père Beor, avaient pris à Moab ces régions et d'autres encore. Les Amorrhéens avaient engagé ces deux sorciers pour maudire Moab, ce qui avait entraîné une défaite cuisante des Moabites dans la guerre contre Sihon. «Malheur à toi, Moab ! Tu es perdu, peuple de Kemosh !». C'est en ces termes et en d'autres semblables que Balaam et son père prononcèrent des paroles de mauvais augure contre Moab. Chémosch était une pierre noire en forme de femme, que les Moabites adoraient comme leur dieu. (715)
De même qu'une partie de Moab était passée aux mains de Sihon, une partie d'Ammon était tombée aux mains d'Og, et comme Israël s'était emparé de ces terres, les Moabites craignaient qu'il ne leur ravisse tout leur territoire. Dans une grande inquiétude, ils se rassemblèrent dans leurs retranchements, où ils se savaient à l'abri des attaques d'Israël. Leur crainte était en réalité sans fondement, car Israël n'a jamais songé à transgresser l'ordre de Dieu en faisant la guerre aux descendants de Lot. Ils pouvaient sans inconvénient conserver les anciennes provinces de Moab et d'Ammon, car ils ne les avaient pas prises à ces derniers, mais à Sihon et à Og, qui s'en étaient emparés (717).
A cette époque, le roi de Moab était Balak, ancien vassal de Sihon, connu à ce titre sous le nom de Zur. Après la mort de Sihon, il fut élu roi, bien qu'il ne fût pas digne d'un rang aussi élevé. La fortune lui donna la dignité royale, que son père n'avait jamais occupée. Le nom de Balak convenait à ce roi, car il entreprit de détruire le peuple d'Israël ; c'est pourquoi on l'appelait aussi fils de Tsippor, parce qu'il volait avec la rapidité d'un oiseau pour maudire Israël. Balak était un grand magicien, qui employait pour sa magie l'instrument suivant. Il construisit un oiseau dont les pattes, le tronc et la tête étaient en or, la bouche en argent et les ailes en bronze, et il lui donna la langue de l'oiseau Yadu'. Cet oiseau fut alors placé près d'une fenêtre où le soleil brillait le jour et la lune la nuit, et il resta là pendant sept jours, au cours desquels des holocaustes furent offerts devant lui et des cérémonies célébrées. À la fin de cette semaine, la langue de l'oiseau commençait à bouger et, si on la piquait avec une aiguille d'or, elle divulguait de grands secrets. C'est cet oiseau qui avait transmis à Balak toutes ses connaissances occultes. Mais un jour, une flamme qui s'éleva soudain brûla les ailes de cet oiseau, ce qui inquiéta vivement Balak, car il pensait que la proximité d'Israël avait détruit son instrument de sorcellerie. (720)
Les Moabites, constatant qu'Israël avait vaincu ses ennemis par des moyens surnaturels, dirent: «Leur chef a été élevé à Madian ; interrogeons donc les Madianites sur ses qualités.» Les anciens de Madian, consultés, répondirent: «Sa force réside dans sa bouche.» «Alors, dirent les Moabites, nous lui opposerons un homme dont la force réside également dans sa bouche», et ils décidèrent de faire appel au soutien de Balaam. L'union de Moab et de Madian confirme la vérité du proverbe: «La belette et le chat se sont réjouis de la chair du malheureux chien». Car il y avait toujours eu une inimitié irréconciliable entre Moab et Madian, mais ils s'unirent pour causer la ruine d'Israël, comme la Belette et le Chat s'étaient unis pour mettre fin à leur ennemi commun, le Chien. (721)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg