Lecture d'un commentaire (19024)
Nb 13,21
Commentaire: LES ESPIONS EN PALESTINE
Le vingt-septième jour de Siwan, Moïse envoya les espions de Kadès-Barnéa dans le désert de Paran, (510) et, suivant ses instructions, ils se rendirent d'abord au sud de la Palestine, la partie la plus pauvre de la Terre sainte. Moïse faisait comme les Mchands, qui montrent d'abord les Mchandises les plus mauvaises, puis les meilleures ; ainsi Moïse désirait que les espions vissent de meilleures parties du pays à mesure qu'ils s'y avanceraient. Lorsqu'ils arrivèrent à Hébron, ils purent juger de la bénédiction du pays qui leur avait été promis ; car, bien qu'Hébron fût la contrée la plus pauvre de toute la Palestine, elle était encore bien meilleure que Tsoan, la plus belle partie de l'Égypte. C'est pourquoi, lorsque les fils de Cham construisirent des villes dans plusieurs pays, c'est Hébron qu'ils érigèrent en premier, en raison de son excellence, et non Tsoan, qu'ils construisirent en Égypte sept ans plus tard.
Leur Mche à travers le pays fut en général facile, car Dieu l'avait voulu ainsi: dès que les espions entraient dans une ville, la peste la frappait, et les habitants, occupés à enterrer leurs morts, n'avaient ni le temps ni l'envie de s'occuper des étrangers (511). Bien qu'ils ne rencontrassent aucun mal de la part des habitants, la vue des trois géants, Ahiman, Sheshai et Talmaï, leur inspira de la terreur. Ils étaient si grands que le soleil ne leur arrivait qu'aux chevilles, et ils reçurent des noms correspondant à leur taille et à leur force. Le plus fort d'entre eux était Ahiman. En le voyant, on se croyait au pied d'une montagne sur le point de s'écrouler et on s'exclamait involontairement: «Qu'est-ce que c'est que cette chose qui m'arrive ? D'où le nom d'Ahiman. Le deuxième frère était fort comme le marbre, c'est pourquoi on l'appela Sheshai, «marbre». Les pas puissants du troisième frère soulevaient des parcelles de terre lorsqu'il Mchait, d'où son nom de Talmi, «parcelles». Les fils d'Anak n'étaient pas les seuls à être d'une telle force et d'une telle taille, ses filles aussi, que les espions eurent la chance de voir. Ceux-ci, en effet, arrivèrent à la ville habitée par Anak, qui s'appelait Kiriath-Arba, «ville des quatre», parce que le géant Anak et ses trois fils y habitaient, et ils en furent frappés d'une telle terreur qu'ils cherchèrent une cachette. Mais ce qu'ils avaient pris pour une grotte n'était que l'écorce d'une énorme grenade que la fille du géant avait jetée, comme ils le découvrirent plus tard, à leur grande horreur. En effet, cette fille, après avoir mangé le fruit, se souvint qu'elle ne devait pas fâcher son père en laissant traîner l'écorce ; elle la ramassa donc avec les douze hommes qu'elle contenait, comme on ramasse une coquille d'uf, et la jeta dans le jardin, sans s'apercevoir qu'elle avait jeté avec elle douze hommes mesurant chacun soixante coudées de hauteur. Lorsqu'ils sortirent de leur cachette, ils se dirent l'un à l'autre: «Voyez la force de ces femmes et jugez les hommes à leur aune !». (513)
Ils eurent bientôt l'occasion d'éprouver la force des hommes, car dès que les trois géants apprirent la présence des Israélites, ils les poursuivirent, mais les Israélites découvrirent à quel genre d'hommes ils avaient affaire avant même que les géants ne les eussent rattrapés. L'un des géants poussa un cri, et les espions tombèrent comme des morts, si bien que les Cananéens mirent longtemps à les ramener à la vie par le frottement et l'air frais. Les Cananéens leur dirent alors: «Pourquoi venez-vous ici ? Le monde entier n'appartient-il pas à votre Dieu, et ne l'a-t-il pas réparti selon sa volonté ? Vous êtes venus ici pour abattre les arbres sacrés ?» Les espions déclarèrent leur innocence, après quoi les Cananéens leur permirent de poursuivre leur chemin sans être inquiétés. En récompense de cette bonne action, la nation à laquelle appartenaient ces géants a été conservée jusqu'à ce jour. (514)
Ils n'auraient certainement pas échappé aux mains des géants si Moïse ne leur avait pas donné deux armes contre eux, son bâton et le secret du Nom divin. Ces deux armes leur apportaient le salut chaque fois qu'ils se sentaient en danger face aux géants. Car ceux-ci n'étaient autres que la semence des anges tombés à l'époque antédiluvienne. Issus de leur union avec les filles des hommes, mi-anges, mi-hommes, ces géants n'étaient qu'à moitié mortels. Ils vécurent très longtemps, puis la moitié de leur corps se dessécha. Menacés d'une éternelle continuation de cette condition, moitié vie, moitié mort, ils préféraient soit se plonger dans la mer, soit recourir à une herbe magique qu'ils savaient capable de mettre fin à leur existence (515). Ils étaient d'ailleurs d'une taille si énorme que les espions, écoutant un jour les géants discuter avec eux, les entendirent dire, en montrant les Israélites: «Il y a près des arbres des sauterelles qui ont l'apparence d'hommes,» car «ils étaient ainsi à leurs yeux.» (516)
Les espions, à l'exception de Josué et de Caleb, avaient résolu dès le début de mettre le peuple en garde contre la Palestine, et leur influence était si grande que Caleb craignait d'y céder. Il se rendit donc en toute hâte à Hébron, où reposent les trois patriarches, et, se tenant près de leurs tombes, il déclara: «Josué est à l'abri de l'influence pernicieuse des espions, car Moïse a prié Dieu pour lui. Faites maintenant, mes pères, des prières pour moi, afin que Dieu, dans sa miséricorde, me tienne à l'écart des conseils des espions». (517)
Il y avait toujours eu un conflit entre Caleb et ses camarades lors de leur traversée de la Palestine. En effet, alors qu'il insistait pour emporter les fruits du pays afin d'en montrer l'excellence au peuple, ils s'opposaient fermement à cette suggestion, désireux qu'ils étaient d'empêcher le peuple de se faire une idée de l'excellence du pays. Ils ne cédèrent que lorsque Caleb tira son épée en disant: «Si vous ne prenez pas les fruits, je vous tuerai ou vous me tuerez. Ils coupèrent alors une vigne, qui était si lourde que huit d'entre eux durent la porter, ce qui représentait pour chacun d'eux un fardeau de cent vingt séah. Le neuvième espion porta une grenade, et le dixième une figue, qu'ils apportèrent d'un lieu qui avait appartenu à Eshcol, l'un des amis d'Abraham ; mais Josué et Caleb ne portèrent rien du tout, parce qu'il n'était pas conforme à leur dignité de porter un fardeau. Cette vigne était d'une taille si gigantesque que le vin pressé de ses raisins suffisait pour toutes les libations sacrificielles d'Israël pendant la Mche de quarante ans. (519)
Au bout de quarante jours, ils revinrent vers Moïse et le peuple, après avoir traversé la Palestine d'un bout à l'autre. Par des moyens naturels, il n'aurait évidemment pas été possible de traverser tout le pays en si peu de temps, mais Dieu l'a rendu possible en «faisant bondir la terre pour eux», et ils ont parcouru une grande distance en peu de temps. Dieu savait qu'Israël aurait à errer dans le désert pendant quarante ans, un an pour chaque jour que les espions avaient passé en Palestine ; c'est pourquoi il hâta leur progression à travers le pays, afin qu'Israël n'ait pas à rester trop longtemps dans le désert. (520)
Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg