Lecture d'un commentaire (18941)
Ex 13,19
Commentaire: LA LONGUE ROUTE
L'exode aurait été impossible si les ossements de Joseph étaient restés sur place. C'est pourquoi Moïse se mit en devoir de chercher leur lieu de repos, tandis que le peuple n'avait qu'une idée, celle de recueillir les trésors des Égyptiens (1). Mais il n'était pas facile de retrouver le corps de Joseph. Moïse savait qu'il avait été enterré dans le mausolée des rois égyptiens, mais il y avait tant d'autres corps qu'il était impossible de l'identifier. La mère de Moïse, Jochebed, lui vient en aide. Elle le conduit à l'endroit même où reposaient les ossements de Joseph. Dès qu'il s'en approcha, il sut qu'il s'agissait de ce qu'il cherchait, à l'odeur qu'ils exhalaient et qui se répandait autour d'eux (2). Mais les difficultés n'étaient pas terminées. La question se posait de savoir comment il allait pouvoir s'approprier les restes. Le cercueil de Joseph s'était enfoncé loin dans le sol, et il ne savait pas comment le sortir des profondeurs. Debout au bord de la tombe, il prononça ces mots: ""Joseph, le temps est venu où tu as dit: «Dieu te visitera, et tu transporteras mes os d'ici». À peine ce rappel était-il sorti de ses lèvres que le cercueil s'agita et remonta à la surface.
Et pourtant, les difficultés qui se dressaient sur le chemin de Moïse n'étaient pas entièrement levées. Les magiciens égyptiens avaient posté deux chiens d'or près du cercueil de Joseph, pour le surveiller, et ils aboyaient avec véhémence si quelqu'un s'aventurait près du cercueil. Le bruit qu'ils faisaient était si fort qu'on l'entendait dans tout le pays, d'un bout à l'autre, à une distance égale à un voyage de quarante jours. Lorsque Moïse s'approcha du cercueil, les chiens émirent leur cri d'alarme, mais il les fit taire aussitôt en disant: «Venez, peuple, et voyez le miracle ! Les vrais chiens vivants n'ont pas aboyé, et ces chiens contrefaits, produits par la magie, tentent de le faire (3) ! Ce qu'il disait des vrais chiens vivants et de leur refus d'aboyer se référait au fait que les chiens des Égyptiens n'avaient remué la langue contre aucun des enfants d'Israël, alors qu'ils avaient aboyé tout le temps que le peuple était occupé à enterrer les corps de ses premiers-nés frappés. En récompense, Dieu donna aux Israélites la loi de jeter aux chiens la chair qu'il leur est interdit de manger, car le Seigneur ne refuse à aucune de ses créatures la rétribution qui lui est due (4). En réalité, les chiens ont reçu une double récompense, car leurs excréments sont utilisés pour tanner les peaux à partir desquelles sont fabriqués les rouleaux de la Torah, ainsi que les mézouzot et les phylactères (5).
Le cercueil de Joseph en possession de Moïse, la Mche des Israélites put commencer. Les Égyptiens ne leur opposèrent aucun obstacle. Pharaon lui-même les accompagna, pour s'assurer qu'ils quittaient bien le pays, (6) et maintenant il en voulut tellement à ses conseillers qui lui avaient suggéré de na pas laisser partir les Israélites qu'il les tua. (7)
Pour plusieurs raisons, Dieu n'a pas permis aux Israélites de suivre la route directe vers la terre promise. Il voulait qu'ils aillent d'abord au Sinaï et qu'ils y reçoivent la loi ; en outre, le temps divinement fixé pour l'occupation du pays par les païens n'était pas encore arrivé. En outre, le long séjour dans le désert fut très profitable aux Israélites, tant sur le plan spirituel que sur le plan Mtriel. S'ils avaient atteint la Palestine directement après leur sortie d'Egypte, ils se seraient consacrés entièrement, chacun, à la culture de la parcelle de terre qui lui avait été attribuée, et il ne leur serait pas resté de temps pour l'étude de la Torah. Dans le désert, ils étaient libérés de la nécessité de subvenir à leurs besoins quotidiens, et ils ont consacré tous leurs efforts à l'acquisition de la loi. En effet, lorsque les Cananéens apprirent que les Israélites se dirigeaient vers la Palestine, ils brûlèrent les récoltes, abattirent les arbres, détruisirent les bâtiments et bouchèrent les sources d'eau, afin de rendre le pays inhabitable. Dieu prit alors la parole et dit: «Je n'ai pas promis à leurs pères de leur donner un pays dévasté, mais un pays plein de biens. Je les conduirai dans le désert pendant quarante ans, et pendant ce temps les Cananéens auront le temps de réparer les dégâts qu'ils ont faits.» De plus, les nombreux miracles accomplis en faveur des Israélites au cours de la traversée du désert avaient fait tomber la terreur sur les autres nations, de sorte que leurs curs fondirent et que l'esprit les quitta. Elles ne se risquèrent pas à attaquer les Israélites, et la conquête du pays n'en fut que plus facile. (9)
Cela n'épuise pas non plus la liste des raisons de préférer la route la plus longue à travers le désert. Abraham avait fait le serment solennel de vivre en paix avec les Philistins pendant un certain temps, et le terme n'était pas encore arrivé. En outre, on craignait que la vue du pays des Philistins ne réveille chez les Israélites de tristes souvenirs et ne les pousse à retourner rapidement en Égypte, qui avait été autrefois pour eux le théâtre d'une amère déception. Ils avaient passé cent quatre-vingts ans en Égypte, dans la paix et la prospérité, sans être le moins du monde importunés par le peuple. Puis vint Ganon, un descendant de Joseph, de la tribu d'Ephraïm, qui dit: «Le Seigneur m'est apparu, et il m'a ordonné de vous faire sortir d'Égypte.» Les Ephraïmites furent les seuls à écouter ses paroles. Fiers de leur lignée royale en tant que descendants directs de Joseph, et confiants dans leur valeur à la guerre, car ils étaient de grands héros, ils quittèrent le pays et se rendirent en Palestine. Ils n'emportaient que des armes, de l'or et de l'argent. Ils n'avaient pas pris de provisions, parce qu'ils comptaient acheter des vivres et des boissons en route, ou les prendre de force si les propriétaires ne voulaient pas s'en défaire pour de l'argent.
Après une journée de Mche, ils se trouvèrent dans les environs de Gath, à l'endroit où les bergers employés par les habitants de la ville se réunissaient avec les troupeaux. Les Éphraïmites leur demandèrent de leur vendre quelques brebis, qu'ils comptaient égorger pour satisfaire leur faim, mais les bergers refusèrent de traiter avec eux, en disant: «Les brebis sont-elles à nous, ou le bétail nous appartient-il, que nous pourrions nous en séparer pour de l'argent ?» Voyant qu'ils n'obtiendraient pas gain de cause par la gentillesse, les Ephraïmites eurent recours à la force. Les cris des bergers amenèrent les habitants de Gath à leur porter secours. Un violent affrontement, qui dura toute une journée, eut lieu entre les Israélites et les Philistins. Les habitants de Gath se rendirent compte qu'ils ne pourraient pas résister seuls aux Ephraïmites et ils appellèrent les habitants des autres villes philistines à se joindre à eux. Le lendemain, une armée de quarante mille hommes se tint prête à s'opposer aux Ephraïmites. Réduits en force par leur jeûne de trois jours, ils furent exterminés de fond en comble. Dix d'entre eux seulement échappèrent à la mort et retournèrent en Égypte pour annoncer à Éphraïm le désastre qui venait de frapper sa postérité, et il porta le deuil pendant plusieurs jours.
Cette tentative avortée des Ephraïmites de quitter l'Égypte fut la première occasion d'opprimer Israël. Par la suite, les Égyptiens usèrent de force et de vigilance pour les maintenir dans leur pays. Quant au désastre des Ephraïmites, c'était un châtiment bien mérité, car ils n'avaient pas tenu compte du vu de leur père Joseph, qui avait solennellement adjuré ses descendants, sur son lit de mort, de ne pas songer à quitter le pays jusqu'à ce que le rédempteur apparaisse. Leur mort fut suivie de déshonneur, car leurs corps restèrent sans sépulture pendant de nombreuses années sur le champ de bataille près de Gath, et le but de Dieu en ordonnant aux Israélites de choisir la route la plus longue de l'Égypte à Canaan, était de leur épargner la vue de ces cadavres déshonorés. Leur courage aurait pu les abandonner, et, dans la crainte de partager le sort de leurs frères, ils auraient pu se hâter de retourner au pays de l'esclavage. (11)
Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg