Lecture d'un commentaire (18921)


Ex 2,15

Commentaire: LE VOL
Un ange de Dieu conduisit Moïse à un endroit éloigné de quarante jours de voyage de l'Égypte, si loin que toute crainte fut bannie de son esprit (77). En effet, son inquiétude n'avait jamais été pour sa propre personne, mais seulement à cause de l'avenir d'Israël. L'asservissement de son peuple avait toujours été pour lui une énigme non résolue. Pourquoi Israël, se demandait-il, devrait-il souffrir plus que toutes les autres nations ? Mais lorsque ses difficultés personnelles l'entraînèrent dans les jérémiades et les morsures de dos qui régnaient parmi les Israélites, il se demanda alors si ce peuple méritait d'être racheté (78). Les conditions religieuses parmi les enfants d'Israël étaient telles à cette époque qu'elles ne leur permettaient pas d'espérer l'aide de Dieu. Ils refusaient d'écouter Aaron et les cinq fils de Zérach, qui travaillaient parmi eux comme prophètes et les exhortaient à la crainte de Dieu. C'est à cause de leur impiété que la main pesante de Pharaon s'appesantit de plus en plus sur eux, jusqu'à ce que Dieu ait pitié d'eux et envoie Moïse pour les délivrer de l'esclavage de l'Egypte (79).
Lorsqu'il réussit à s'échapper des mains du bourreau, Moïse ne se doutait pas qu'un trône royal l'attendait. Il en fut pourtant ainsi. À cette époque, une guerre éclata entre l'Éthiopie et les nations de l'Orient qui lui étaient jusqu'alors soumises. Le roi Kikanos s'avança contre l'ennemi avec une grande armée. Il laissa derrière lui Balaam et les deux fils de Balaam, Jannès et Jambrès, pour garder sa capitale et s'occuper du peuple resté à la maison. L'absence du roi donna à Balaam l'occasion de gagner ses sujets à sa cause ; il monta sur le trône, et ses deux fils furent placés à la tête de l'armée comme généraux. Pour couper Kikanos de sa capitale, Balaam et ses fils investirent la ville, afin que personne ne puisse y entrer contre leur gré. Ils élevèrent les murailles sur deux côtés, creusèrent un réseau de canaux sur le troisième, dans lesquels ils firent couler les eaux du fleuve qui ceinturait tout le pays d'Éthiopie, et, sur le quatrième, ils rassemblèrent par leur magie un grand nombre de serpents et de scorpions. Ainsi, personne ne pouvait partir, et personne ne pouvait entrer.
Pendant ce temps, Kikanos réussit à soumettre les nations rebelles. Lorsqu'il revint à la tête de son armée victorieuse et qu'il aperçut de loin la haute muraille de la ville, lui et ses hommes dirent: «Les habitants de la ville, voyant que la guerre nous retenait longtemps à l'étranger, ont élevé les murailles et les ont fortifiées, afin que les rois de Canaan ne puissent y pénétrer.» En approchant des portes de la ville, qui étaient fermées, ils crièrent aux gardes de les ouvrir, mais, selon les instructions de Balaam, ils n'eurent pas le droit de passer. Une escarmouche s'ensuivit, au cours de laquelle Kikanos perdit cent trente hommes. Le lendemain, le combat se poursuivit, le roi et ses troupes étant postés sur la rive droite du fleuve. Ce jour-là, il perdit ses trente cavaliers qui, montés sur leurs montures, avaient tenté de traverser le fleuve à la nage. Le roi ordonne alors la construction de radeaux pour le transport de ses hommes. Lorsque les bateaux atteignirent les canaux, ils furent submergés et les eaux, tourbillonnant comme entraînées par des roues de moulin, emportèrent deux cents hommes, vingt par radeau. Le troisième jour, ils entreprirent d'attaquer la ville du côté où pullulaient les serpents et les scorpions, mais ils n'y parvinrent pas et les reptiles tuèrent cent soixante-dix hommes. Le roi renonça à attaquer la ville, mais il l'entoura pendant neuf ans, de sorte que personne ne pouvait ni en sortir ni y entrer.
Pendant le siège, Moïse se présenta au camp du roi, après avoir fui devant Pharaon, il trouva aussitôt grâce aux yeux de Kikanos et de toute son armée. Il exerçait un attrait sur tous ceux qui le voyaient, car il était mince comme un palmier, son visage brillait comme le soleil du matin, et sa force était égale à celle d'un lion. Le roi l'aimait tant qu'il le nomma commandant en chef de ses troupes.
Au bout de neuf ans, Kikanos fut atteint d'une maladie mortelle et mourut le septième jour de sa maladie. Ses serviteurs l'embaumèrent, l'enterrèrent en face de la porte de la ville, du côté du pays d'Égypte, et élevèrent sur son tombeau un édifice magnifique, fort et élevé, sur les murs duquel furent gravés tous les hauts faits et toutes les batailles du roi défunt.
Après la mort de Kikanos, ses hommes furent très affligés par la guerre. L'un d'eux dit à l'autre: «Conseille-nous, que ferons-nous en ce moment ? Voilà neuf ans que nous sommes restés dans le désert, loin de nos foyers. Si nous attaquons la ville, beaucoup d'entre nous mourront ; et si nous restons ici à l'assiéger, nous mourrons aussi. En effet, tous les princes d'Aram et les fils de l'Orient apprendront que notre roi est mort ; ils nous attaqueront à l'improviste et nous combattront jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul. Allons donc établir sur nous un roi, et nous resterons ici à assiéger la ville jusqu'à ce qu'elle se rende à nous.


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg