Lecture d'un commentaire (18770)


Gn 4,8

Commentaire: FRATRICIDE
Le meurtre d'Abel par Caïn n'a pas été un événement totalement inattendu pour ses parents. Eve avait vu en songe le sang d'Abel couler dans la bouche de Caïn, qui le buvait avec avidité, bien que son frère le suppliât de ne pas tout prendre. Lorsqu'elle raconta son rêve à Adam, celui-ci se lamenta: «Oh ! si cela ne présageait pas la mort d'Abel par la main de Caïn !». Il sépara les deux jeunes gens, leur assigna à chacun une demeure et leur enseigna un métier différent. Caïn devint cultivateur et Abel éleveur de moutons. Tout cela en vain. Malgré ces précautions, Caïn tua son frère (9).
Son hostilité à l'égard d'Abel avait plus d'une raison. Elle commença lorsque Dieu eut égard à l'offrande d'Abel et l'accepta en faisant descendre le feu céleste pour la consumer, tandis que l'offrande de Caïn fut rejetée (10). Ils apportèrent leurs sacrifices le quatorzième jour de Nisan, sur l'ordre de leur père, qui avait parlé ainsi à ses fils: «C'est le jour où, dans les temps à venir, Israël offrira des sacrifices: Vous aussi, en ce jour, offrez des sacrifices à votre Créateur, afin qu'il prenne plaisir à vous.» Le lieu d'offrande qu'ils choisirent était l'endroit où s'élevait plus tard l'autel du Temple de Jérusalem (11) Abel choisit le meilleur de ses troupeaux pour son sacrifice, mais Caïn mangea son repas en premier, et après avoir satisfait son appétit, il offrit à Dieu ce qui restait, quelques grains de lin. Comme si son offense n'avait pas été assez grande en offrant à Dieu le fruit du sol qui avait été maudit par Dieu (12) ! D'ailleurs, un châtiment lui fut infligé. Son visage devint noir comme de la fumée (13), mais son attitude ne changea pas, même lorsque Dieu lui parla ainsi: «Si tu t'amendes, ta faute te sera pardonnée ; sinon, tu seras livré au pouvoir du mauvais penchant. Il se tient à la porte de ton cœur, mais il dépend de toi que tu en sois maître ou qu'il soit maître de toi» (14).
Caïn s'estima lésé et une dispute s'ensuivit entre lui et Abel. «Je croyais, dit-il, que le monde avait été créé par la bonté (15), mais je vois que les bonnes actions ne portent pas de fruits. Dieu gouverne le monde avec un pouvoir arbitraire ; sinon, pourquoi a-t-il eu égard à ton offrande et non à la mienne ?» Abel s'opposa à lui ; il soutint que Dieu récompense les bonnes actions, sans avoir d'égards pour les personnes. Si son sacrifice avait été accepté gracieusement par Dieu, et non celui de Caïn, c'était parce que ses actions étaient bonnes, et celles de son frère mauvaises (16).
Mais ce n'est pas la seule cause de la haine de Caïn envers Abel. C'est en partie l'amour pour une femme qui est à l'origine du crime. Pour assurer la propagation de la race humaine, une fille, destinée à être son épouse, était née avec chacun des fils d'Adam. La sœur jumelle d'Abel était d'une beauté exquise, et Caïn la désirait (17) ; c'est pourquoi il ruminait sans cesse les moyens de se débarrasser de son frère.
L'occasion ne tarda pas à se présenter. Un jour, une brebis appartenant à Abel piétina un champ planté par Caïn. Ce dernier, furieux, s'écria: «De quel droit vis-tu sur ma terre et laisses-tu paître tes brebis là-bas ?». Abel rétorque: «De quel droit utilises-tu le produit de mes brebis pour te faire des vêtements avec leur laine ? Si tu veux enlever la laine de mes brebis dont tu es vêtu, et me payer la chair des brebis que tu as mangées, je quitterai ton pays comme tu le désires, et je m'envolerai dans les airs, si je le peux.» Caïn dit alors: «Et si je te tue, qui me réclamera ton sang ?» Abel répondit: «Dieu, qui nous a mis au monde, me vengera. Il exigera mon sang de ta main, si tu me tues. Dieu est le juge, qui punira les méchants de leurs mauvaises actions. Si tu me tues, Dieu connaîtra ton secret, et il te châtiera.
Ces paroles ne firent qu'accroître la colère de Caïn, qui se jeta sur son frère (18). Abel était plus fort que lui, et il aurait voulu en venir aux mains, mais au dernier moment il demanda grâce, et le doux Abel relâcha son emprise sur lui. A peine s'est-il senti libéré qu'il s'est retourné contre Abel et l'a tué. L'adage « Ne fais pas de bien au méchant, de peur que le mal ne tombe sur toi « est donc vrai (19).


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg