Lecture d'un commentaire (13992)


Lc 16,22

Commentaire: La grandeur de ses souffrances lui arrachait ce grand cri: «Père Abraham», comme s'il lui disait: Je vous appelle mon père selon la nature, comme l'enfant prodigue qui a perdu tout son bien; bien que par ma faute j'ai perdu le droit de vous appeler mon père: «Ayez pitié de moi». C'est inutilement que vous exprimez ce repentir dans un lieu où la pénitence n'est plus possible; ce sont les souffrances qui vous arrachent cet acte de repentir, ce ne sont point les sentiments du coeur. Je ne sais d'ailleurs si un seul de ceux qui sont dans le royaume des cieux peut avoir pitié de celui qui est dans les enfers. Le Créateur a compassion de ses créatures. Il est le seul médecin qui puisse guérir efficacement leurs maladies, nul autre ne peut les en délivrer. «Envoyez Lazare». Infortuné, tu es dans l'erreur, Abraham ne peut envoyer personne, il ne peut que recevoir. «Afin qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau». Autrefois tu ne daignais pas même jeter les yeux sur Lazare, et maintenant tu réclames le secours de son doigt; tu devais au moins lorsque tu vivais lui rendre le service que tu demandes de lui; tu désires une goutte d'eau, toi qui autrefois voyais avec dégoût les mets les plus délicats. Voyez le jugement que la conscience du pécheur porte contre lui, il n'ose demander que Lazare trempe son doigt tout entier. Voilà donc le riche réduit à mendier le secours du pauvre, qui souffrait autrefois de la faim; les rôles sont changés, et chacun peut voir maintenant quel était le vrai riche, quel était le vrai pauvre. Dans les théâtres, quand vient le soir, et que les acteurs se retirent et quittent leur costume, ceux qu'on avait vus figurer sur la scène comme des généraux et des préteurs, se montrent à tous tels qu'ils sont dans toute leur misère. C'est ainsi que lorsque la mort arrive, et que le spectacle de la vie s'achève, tous les masques de la pauvreté et des richesses tombent, et c'est exclusivement d'après les oeuvres qu'on juge quels sont les vrais riches, quels sont les vrais pauvres, et ceux qui sont dignes de gloire ou d'opprobre.


Source: Saint Jean Chrysostome (Peronne-Vivès 1868)