Lecture d'un commentaire (5010)


Dt 26,5

Commentaire: Le midrach de la Haggada lit se verset comme -Un araméen voulut perdre ton père-, faisant référence à Laban, l'oncle de Jacob. Un tel renversement répond à l'invitation de la Haggada précédent ce passage: -sors donc et tire enseignement de- et repose sur les deux modalités de la forme verbale oved: intransitive signifiant errant, sens retenu classiquement ou transitive signifiant causer la perte de, perdre. Selon l'une ou l'autre les termes Arami - araméen et avi - mon père peuvent être sujet ou objet. Ainsi peut-on lire soit mon père Jacob fut un araméen errant, soit l'araméen (Laban) voulait la perte de mon père. Dans le premier cas, araméen désigne le lieu de l'errance et il faudrait alors lire (comme dans la Septante) pérégrinant en Aram parce que Jacob y fut exilé avant de descendre en Egypte.
Mais on peut aussi justifier l'usage du dénominatif l'Araméen par l'origine de la famille de Jacob et le lieu d'égarement avec l'idolâtrie ancestrale (cf Gn 20,13).
Ce retournement de sens dans la Haggada veut insister sur ce que Laban a voulu faire subir à Jacob et qui est exposé en Gn 31. On constatera d'abord de fortes similitudes entre ce récit et le récit de la sortie d'Egypte. Laban, comme Pharaon tire profit dans un premier temps de l'efficacité des hébreu ou de Jacob, Laban retient Jacob comme Pharaon retient le peuple hébreu, le visage de Laban s'assombrit (Gn 31,5) comme Pharaon change - après avoir été protecteur pour Joseph il devient oppresseur. Mais la différence notable est que Jacob prend la fuite avant qu'il ne soit trop tard et qu'il n'y a pas de châtiment pour Laban. Dieu prévient Laban en songe (Gn 31,24) lui intimant de - se garder de lui parler du bien jusqu'au mal - à entendre sans doute comme un interdit d'exercer toute autorité judiciaire en imposant une sanction. Laban accepte mais sans renoncer à ses revendications. Sa ruse va être de proposer une alliance, dont l'enjeu est de déterminer la préséance de droit qui est en cause aux yeux de Laban: de quel côté penchent réellement Léa et Rachel ? Sont-elles toujours assujetties aux dieux de Labans ou sont-elles désormais fidèles au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ? Toute l'ambiguïté réside dans le vol des statuettes (Terafim) par Rachel, pour nous dit-on priver son père du pouvoir de les maudire: mais n'est-ce pas là, par ce geste, reconnaître à ces idoles un certain pouvoir ?
Ce long détour à travers les sources bibliques permet de mieux cerner les tenants et les aboutissants du midrach de la Haggada: Si Jacob a failli être perdu par Laban, c'est parce que, même rentré parmi les siens, quelque chose en lui peut continuer à l'égarer, à la rendre vulnérable, sujet à la régression idolâtre.


Source: La Haggada, Rivon Krygier