Lecture d'un commentaire (4735)


Sg 10,1

Commentaire: DIEU AU FÉMININ
Tout le présent discours sur les œuvres de la Sagesse reprend, sous une autre forme ´ce que nous lisions dans le grand poème de Proverbes 8.22-36. On en avait l’ébauche en Job 28 et on en retrouvera quelques restes en Baruch 3.9-4.4. À propos de Proverbes 8.22-36 nous avons noté l’insatisfaction des croyants devant l’image et les noms d’un Dieu autoritaire tout autant que solitaire : il fallait exprimer la présence divine dans le monde, dans le foisonnement de la vie et les féeries de la création. Sans doute faut-il aller plus loin dans la même ligne et parler du malaise créé à la longue par l’image masculine de Dieu. Car Dieu ne tolérait pas d’être représenté, mais tout ce qu’on avait écrit sur lui et toutes les interventions qu’on lui prêtait faisaient de lui un personnage masculin, habitué à commander et à punir, dont l’autorité était le modèle parfait du pouvoir absolu. Le Dieu mâle était la garantie d’une société patriarcale dans laquelle seul le père de famille était réellement à l’image de Dieu, la femme n’y ayant ajouté que le péché. Les prophètes avaient lutté contre les dieux cananéens, protecteurs des vices et des attentats contre la vie. Mais la tradition cananéenne qui voulait toujours des divinités par paires, chaque dieu face à sa déesse, était une façon de ne pas enfermer le mystère divin dans le moule masculin. Et parce que l’homme est créé à l’image du vrai Dieu, lequel transcende la division des sexes, il fallait retrouver aussi en lui la femme. Lorsque s’est développée cette littérature de sagesse, dans les trois derniers siècles avant le Christ, le culte de certaines déesses était omniprésent au Moyen Orient, tout spécialement Ishtar (l’Astarté de la Bible), et Isis. C’est à elles que s’adressaient les plus belles prières de ce temps. On comprend donc que dans les textes bibliques sur la Sagesse une pulsion impérieuse se soit exprimée : il fallait récupérer une dimension du vrai Dieu, non seulement sa capacité d’entrer en communion avec ses créatures, mais aussi sa féminité. Lorsque nous lisons ces poèmes, il nous est difficile de situer cette Sagesse divine dans une catégorie précise : Est-ce qu’elle désigne l’ordre cosmique établi par Dieu ? Est-elle une première créature de Dieu ? Est-elle une figure de la Loi ? Désigne-t-elle une personne divine en Dieu même (ce qui serait inadmissible pour la pensée juive) ? On trouvera aisément des mots et des versets qui permettent toutes les réponses. Les auteurs de Proverbes 8 et de Sagesse 6-10, sans doute, nagent entre ces possibilités. Chez Sirac (24.23) et Baruch (4.1) elle n’est que le livre de la Loi. En Proverbes 8.22 la Sagesse est cosmique et créée, mais tout spécialement dans Sagesse 10 on lui attribue toutes les actions qui dans la Bible étaient propres à Yahvé : elle relève Adam de sa faute, elle reconnaît le juste Abraham, elle délivre Jacob. Pour Noé, elle est bien dans son rôle car le péril en mer n’entrait pas dans les attributions de Yahvé sauf en Sagesse 14.3 et dans Psaume 107(106).22-30 : c’est un salut qu’on demandait aux déesses. Mais aussi la Sagesse sauve Israël de ses oppresseurs et lui fait passer la Mer Rouge, elle se charge de faire justice des rois qui ne font pas leur devoir… Ne faudrait-il pas dire que dans l’inconscient de l’auteur cette Sagesse était le masque féminin du Dieu unique ? L’usage du mot féminin a permis de souligner davantage tout ce qui, dans l’action divine, n’était pas autoritaire, institutionnel et violent : la sagesse enseigne ses fils, elle est source de vie (Proverbes 8.35), elle invite au banquet (Proverbes 9.4). Il ne faudra pas s’étonner si l’Église des apôtres reprend les qualificatifs de la Sagesse et les mots qui définissaient son action pour les appliquer à Jésus : voir la note en Jean*7.34. Ce n’est pas par hasard que la tradition orientale a gardé le mot Sophia (Sagesse) pour désigner le Fils, plutôt que le mot Verbe de Dieu. D’ailleurs, c’est ainsi qu’il est nommé en Luc 11.49.


Source: Bible des peuples