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Rm 1,17

Commentaire: LE VOCABULAIRE DE LA JUSTIFICATION Au moment où nous abordons les textes si importants de Paul sur la “justification”, il est bon de préciser le sens des mots qu’il emploie et qu’il nous faudra bien exprimer en notre langage qui n’est plus le sien. La différence d’ailleurs n’est pas seulement entre le grec et le français ; Paul emprunte ici les mots de la Bible grecque des Septante, laquelle avait fixé dans une certaine mesure le langage religieux des Juifs de langue grecque. Notre vocabulaire de la justification et de la grâce a été fortement marqué par d’interminables controverses théologiques et par les polémiques entre Catholiques et Protestants du seizième au dix-huitième siècle. Nos ancêtres d’avant le Christ n’en étaient pas là. Le vocabulaire de la rédemption, du péché, de la justification, est parti de l’expérience de l’alliance entre une personne, ou un groupe, et une autre personne ou un autre groupe plus fort qui va devenir son protecteur. Le plus fort concède une alliance avec des devoirs réciproques. Il arrive que l’inférieur se rebelle, qu’il pèche contre son suzerain (2Rois 18.14 ; Ézékiel 17.15) et le trahisse. De son côté le suzerain peut apprécier la fidélité de son allié et le considérer comme juste. Nous avons là le vocabulaire habituel de toute alliance. Bien sûr, on ne doute pas de la miséricorde de Dieu, on sait qu’il pardonne, on sait qu’on a moins de mérites qu’on n’a commis de rébellions, mais on fait ce qu’on peut pour être fidèle et on ne doute pas que si l’on met en pratique les commandements de l’Alliance, on méritera un regard favorable de Dieu sur son peuple. Les prophètes feront progresser l’attente du jugement : alors Dieu justifiera les siens, c’est-à-dire qu’il les reconnaîtra comme justes et les épargnera. Une autre idée se fait jour : le peuple a besoin d’une conversion et c’est Dieu qui en prendra l’initiative (1Rois 18.37) : mais ce n’est pas le mot justification. Après l’Exil, dans la prière des Psaumes, nous voyons se développer le désir du croyant sincère d’accomplir de son mieux les préceptes de la Loi, sachant que celui qui les met en pratique vivra par eux (Lévitique 18.5). Sachant sa faiblesse, il ne cessera de demander à Dieu un cœur pur disposé à observer sa Loi. Mais si l’on dit que Dieu justifie, cela signifie toujours qu’il reconnaît la justice de quelqu’un et qu’il la proclame. C’est à peu près ainsi que s’exprimait la foi des croyants d’origine juive, ou convertis à la religion juive à qui Paul s’adressait. Or voici qu’il propose une réorientation radicale des mots et de l’attitude religieuse. Jusque là, la justification dépendait avant tout de l’homme et de sa fidélité à mettre en pratique les préceptes de la Loi. La justice était bien un ensemble de qualités réunies dans le cœur du croyant, mais on les appréciait d’abord comme une perfection morale et légale qui méritait la bienveillance de Dieu. La relation avec Dieu restait en bonne part juridique : la Loi établissait un code de droits et de devoirs, et même si la piété trouvait à s’y exprimer largement, la personne se faisait responsable de sa propre justification. Mais voici que Paul découvre la valeur universelle de la venue du Christ. Par lui, et grâce à la foi, Dieu remet en ordre la personne humaine. Le mot grec que Paul reprend avait deux significations que souvent les traductions ne peuvent bien distinguer : c’était à la fois justice et processus de justification (devenir juste, ou rendre juste, ou reconnaître comme juste). Maintenant ce sera une refonte de la personne au plus profond d’elle-même : la foi chrétienne ouvre l’esprit et le situe au cœur de la vérité. Si le mot justi-fier nous égare, il est facile de le remplacer par d’autres mots français qui ont une origine très proche : recti-fier, ré-habiliter, ré-ordonner, ré-ajuster, ré-former… Mais Paul n’oublie pas le sens premier : lorsque Dieu nous justifie, il réajuste nos comptes avec lui : il nous pardonne nos dettes Ce développement du mot justice s’accompagnera d’une évolution du mot achat ou rédemption (voir la note en Matthieu 20.28). Par ailleurs, le fait que la justice nouvelle soit une perfection intérieure, œuvre de Dieu, amène à resituer l’un par rapport à l’autre les mots saint et juste. Pour l’Ancien Testament, la sainteté est le propre de Dieu, ce qui exprime son mystère, ce qui le maintient à distance de tout ce qui n’est pas lui. Saint s’oppose à profane. On appelle saints, dans le livre de Daniel et dans les Psaumes, les êtres célestes qui sont proches de Dieu, nous dirions : les anges (Daniel 4.10 et 14 ; Psaume 89(88).6). Dans le domaine des terriens, le mot saint s’applique aux personnes et aux choses qui sont consacrées à Dieu, et qui pour autant obéissent à des lois différentes de celles qui sont propres aux profanes ; ainsi sont les prêtres, le Sanctuaire, les objets du culte. Même lorsque Dieu dit à tout le peuple : “Soyez saints parce que je suis saint”, le mot n’a pas le sens que nous lui donnerions aujourd’hui : il associe à l’idée de justice celle d’être un peuple différent des autres parce que consacré à Dieu. Dans l’Ancien Testament, lorsqu’on veut exprimer qu’une personne est parfaite aux yeux de Dieu et qu’elle lui est agréable, on utilise les mots juste ou pieux. Mais à partir du moment où la justice devient une refonte de la personne et lui ouvre l’accès à Dieu le plus direct qui soit, on comprend qu’elle devienne le début d’un processus de sanctification. En deux endroits nous trouvons associés les mots justice et sainteté, et dans un ordre différent (1Corinthiens 6.11 ; Apocalypse 22.11), ce qui montre que ce ne sont pas deux étapes successives, ou deux actions différentes de Dieu, sinon deux mots dont le sens se complète pour une personne familière du langage grec des Septante. Très habituellement, le mot saint garde chez Paul le sens de “consacré à Dieu”, et c’est ainsi que nous rencontrons souvent l’expression “les saints” pour désigner les chrétiens. Mais aussi Paul montre que ceux qui sont ainsi consacrés à Dieu doivent échapper aux modèles que leur offre le monde (Romains 12.2) et mener une vie sans tache et irréprochable selon les critères de Dieu : ils seront saints au sens où nous l’entendons aujourd’hui (1Corinthiens 1.8 ; Colossiens 1.22) ; cette sainteté chrétienne sera une imitation de la perfection divine (Matthieu 5.45).


Source: Bible des peuples