Lecture d'un commentaire (3141)


Lc 24,45

Commentaire:

Accomplissement des Écritures

Il est plus que probable que Luc a voulu faire de cette rencontre des “Pèlerins d’Emmaüs” avec Jésus ressuscité une première célébration eucharistique. Il y a là ce qu’on appelle traditionnellement les deux tables de l’Eucharistie, celle de la parole et celle du corps du Christ. Luc nous montre Jésus ressuscité donnant aux apôtres et à l’Église les bases d’une interprétation chrétienne des Écritures (24.27 et 46-47). Le dialogue de Jésus avec eux montre comment on passe d’une lecture matérielle de l’évangile à sa compréhension chrétienne, et cela grâce à l’Ancien Testament. C’est un point qu’il est bon de souligner car aujourd’hui, dans une ambiance rationaliste, on entend nier jusque dans l’Église qu’il y ait une interprétation chrétienne de l’Ancien Testament. Or c’est le contraire qui est vrai : on ne peut pas croire à l’Évangile si l’on n’a pas compris les Écritures comme l’annonce de ce qui attendait le Verbe incarné. Ici, dès le départ, les deux disciples donnent un résumé de l’évangile ; ils connaissent les faits et gestes de Jésus comme nous les lisons nous-mêmes aujourd’hui. Mais ils restent sous le coup de l’échec. Que fait Jésus pour les éclairer ? Il fait appel aux Écritures. Il va reprendre l’histoire biblique et ses mille témoignages pour montrer comment tous les pas d’une histoire habitée par Dieu ont connu une mort d’où Dieu a fait renaître la vie. Luc ne peut pas redire toute cette catéchèse de Jésus, il n’en garde que la conclusion. Le Messie devait souffrir et ressusciter. Il serait difficile de trouver un seul texte qui le dise explicitement. Mais toute l’histoire biblique est faite de morts et de résurrections. Le fameux poème du Serviteur qu’on lit en Isaïe 53 parle sans aucun doute, dans l’intention de l’auteur, de la minorité fidèle qui fera renaître Israël. Mais Dieu a voulu que, pour exprimer le destin de ce peuple fidèle, il parle d’un serviteur, de sa mort injuste et de sa résurrection, de pardon des péchés et d’une postérité de justes. Le prophète est mort et le livre reste, estampillé par Dieu : et il annonce le Christ, celui qui résume en sa personne la “descendance d’Abraham” et le destin du peuple élu. Jésus, maître en Écritures, n’épingle donc pas des phrases isolées qu’il tirerait de leur contexte pour se les appliquer : en cela il n’est pas fondamentaliste. S’il s’appuie sur des textes, c’est parce que ces textes expriment à leur manière ce qu’enseigne toute l’histoire. Il fallait que le Messie souffre, parce que tout s’était fait dans la souffrance et qu’à chaque génération l’on avait cru rester sur un échec. Au centre de l’interprétation de Jésus on retrouve le principe que lui-même avait posé en s’appelant le Fils de l’Homme. Le Fils de l’Homme, dans le livre de Daniel, c’était le peuple, et Jésus avait repris : le Fils de l’Homme, c’est moi. Jésus va donc sans crainte aux textes anciens qui ne parlent pas d’un Messie ni de la résurrection des morts. Se laissant guider par son inspiration, tout autant poétique que prophétique, Jésus tombe sur des paroles qu’on n’aurait pas pensé interpréter de cette façon, mais ce n’est pas du fondamentalisme, car le mot ou l’image qu’il a mise en relief (comme pour le serpent de bronze) répond à une intuition juste, fruit d’une longue familiarité avec l’histoire. Le chemin de Jésus peut sembler démodé et l’on pensera qu’il ne prouve rien. C’est vrai qu’on ne tirera pas des textes de l’Ancien Testament une preuve rationnelle de la résurrection. Mais ce n’est pas avec de telles preuves que Dieu nous ouvre à sa vérité : il s’adresse en nous à l’esprit, lequel est bien au-delà de la raison. Jésus a donc montré comment toutes les découvertes de la Bible sur le sens de la vie et de la souffrance, toute son expérience de Dieu, proche et caché, son expérience d’une histoire où rien ne naît sans qu’il y ait eu mort, rien ne s’écroule sans que Dieu ouvre des perspectives nouvelles… tout cela était une première révélation du Verbe de Dieu. Les disciples pouvaient le suivre ou refuser de le suivre, et c’est dans ce choix qu’était la foi. Comme le dit Jean 2.22, il leur fallait croire d’un même coup les paroles de Jésus et le sens du vieux testament : Jésus était au centre de l’Écriture. L’interprétation chrétienne de l’Écriture ne se limite donc pas à remettre les textes dans leur contexte pour ne rien dire de plus que ce que l’auteur sacré a voulu dire. Lorsque Jésus dit : “C’était dans l’Écriture”, il faut comprendre que la résurrection de Jésus donne à l’Écriture une dimension qui lui échappait auparavant. En étudiant la Bible on voit que tout au long des temps antérieurs à Jésus la tradition juive brodait sur les textes anciens à mesure que s’élargissait l’expérience du peuple de Dieu. Mais maintenant un fait nouveau, plus décisif que tous ceux qui l’avaient précédé obligeaient à une relecture des textes. En Matthieu 13.52, n’est-il pas question d’un maître de la Loi qui, ayant découvert le Royaume de Dieu, découvre des trésors nouveaux dans le texte ancien ? Dans les deux passages de Luc que nous avons cités, Jésus s’en tient à ce qui sera la base de la prédication apostolique, et c’est à ces premières leçons que Luc se réfère quand il nous dit que Jésus a instruit ses apôtres par l’Esprit Saint après la Résurrection ( Actes 1.2).


Source: Bible des peuples