Lecture d'un commentaire (19211)


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Commentaire: LA FÊTE DES GRANDS
Le livre d'Esther est le dernier des écrits bibliques. La suite de l'histoire d'Israël et toutes ses souffrances ne nous sont connues que par la tradition orale. C'est pourquoi l'héroïne du dernier livre canonique a été nommée Esther, c'est-à-dire Vénus, l'étoile du matin, qui éclaire après que toutes les autres étoiles ont cessé de briller et alors que le soleil tarde encore à se lever. C'est ainsi que les actes de la reine Esther ont jeté un rayon de lumière sur l'histoire d'Israël au moment où elle était la plus sombre. (1)
Les Juifs, à l'époque d'Ahaseurus, étaient comme la colombe qui s'apprête à entrer dans son nid où gît un serpent enroulé. Mais elle ne peut se retirer, car un faucon se tient à l'écart pour fondre sur elle. A Suse, les Juifs étaient entre les griffes d'Haman, et dans d'autres pays, ils étaient à la merci de nombreux ennemis meurtriers de leur race, prêts à exécuter les ordres d'Haman pour les détruire, les tuer et les faire périr. (2)
Mais le sauvetage des Juifs de la main de leurs adversaires n'est qu'une partie de ce merveilleux chapitre de l'histoire d'Israël. Non moins importante est la position exaltée à laquelle ils sont parvenus dans le royaume d'Assuérus après la chute d'Haman, en particulier le pouvoir et la dignité auxquels Esther elle-même a accédé. C'est pourquoi le magnifique festin préparé par Assuérus pour ses sujets appartient à l'histoire d'Esther.
La splendeur de son festin est la mesure de la richesse et du pouvoir dont elle jouira plus tard. (3)
Assuérus n'était pas roi de Perse par droit de naissance. Il doit sa position à ses immenses richesses, avec lesquelles il a acheté la domination du monde entier. (4)
Il avait plusieurs raisons de donner un festin somptueux. La troisième année de son règne était la soixante-dixième depuis le début de la domination de Nabuchodonosor, et Assuérus pensait que le temps de l'accomplissement de la prophétie de Jérémie annonçant le retour d'Israël en Terre sainte était révolu. Le Temple était toujours en ruines et Assuérus était convaincu que le royaume juif ne serait plus jamais restauré. Il va sans dire que ce n'est pas Jérémie qui s'est trompé. Ce n'est pas avec l'avènement du roi Nabuchodonosor que commence le mandat du prophète, mais avec la destruction de Jérusalem. Les soixante-dix ans de désolation s'achevèrent donc exactement au moment où Darius, fils d'Assuérus, permit la reconstruction du Temple. (5)
Outre ce motif erroné de célébration, il y avait des raisons personnelles à Assuérus pour lesquelles il souhaitait exprimer sa joie. Peu de temps auparavant, il avait écrasé une rébellion contre lui, et cette victoire, il voulait la célébrer avec faste. (6) La première partie de la célébration fut confiée aux cent vingt-sept chefs des cent vingt-sept provinces de son empire. Son but était de gagner la dévotion de ceux d'entre eux avec lesquels il n'était pas en contact direct. Mais peut-on affirmer avec certitude qu'il s'agissait d'une bonne politique ? S'il ne s'éstait pas d'abord assuré de la loyauté de sa capitale, n'était-il pas dangereux d'avoir ces souverains près de lui en cas d'insurrection ?
Pendant six mois entiers, il célébra la fête pour les grands, les nobles et les hauts fonctionnaires qui, selon la constitution, devaient tous être des Mèdes sous le roi perse Assuérus, comme ils auraient dû être des Perses sous un roi mède. (7)
Tel était le programme de la fête: Le premier mois, Assuérus montrait ses trésors à ses invités ; le deuxième, les délégués des vassaux royaux du roi les voyaient ; le troisième, les présents étaient exposés ; le quatrième, les invités étaient conviés à admirer ses possessions littéraires, dont le rouleau sacré ; le cinquième, ses ornements d'or sertis de perles et de diamants étaient exposés ; et le sixième, il exposait les trésors qui lui avaient été donnés en tribut. (8) Toutes ces richesses appartenaient à la couronne, elles n'étaient pas sa propriété personnelle. Lorsque Nabuchodonosor sentit sa fin approcher, il résolut de couler ses immenses trésors dans l'Euphrate plutôt que de les laisser monter jusqu'à son fils Evil-Mérodac, tant son avarice était grande. Mais lorsque Cyrus autorisa les Juifs à construire le Temple, la récompense divine fut qu'il découvrit l'endroit du fleuve où les trésors avaient été engloutis et qu'il lui fut permis d'en prendre possession. Ce sont ces trésors qu'Assuérus utilisa pour glorifier sa fête. Ils étaient si prodigieux que, pendant les six mois de la fête, il ouvrait chaque jour six chambres aux trésors pour en montrer le contenu à ses invités. (9)
Lorsque Assuérus s'est vanté de ses richesses, ce qu'il n'avait pas le droit de faire puisque ses trésors provenaient du Temple, Dieu a dit: «En vérité, la créature de chair et de sang a-t-elle des biens propres ? Moi seul possède des trésors, car 'l'argent m'appartient et l'or est à moi'«. (10)
Parmi les trésors exposés se trouvaient les vases du Temple, qu'Assuérus avait profanés lors de ses beuveries. Lorsque les nobles Juifs invités à la capitale les virent, ils se mirent à pleurer et refusèrent de participer aux festivités. Le roi ordonna alors qu'une place à part soit assignée aux Juifs, afin d'épargner à leurs yeux ce douloureux spectacle. (11)
Ce n'est pas le seul incident qui éveilla en eux des souvenirs poignants, car Assuérus s'était revêtu des habits d'État qui appartenaient autrefois aux grands prêtres de Jérusalem, et cela aussi mit les Juifs mal à l'aise. (12) Le roi perse avait voulu monter sur le trône de Salomon, mais il n'y parvint pas, car la construction ingénieuse de ce trône était pour lui une énigme. Des artisans égyptiens tentèrent en vain de façonner un trône sur le modèle de celui de Salomon. Après deux ans de travail, ils parvinrent à en produire une pâle imitation, sur laquelle Assuérus s'assit lors de son splendide festin. (13)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg