Lecture d'un commentaire (19148)


1R 11,5

Commentaire: SOLOMON MENDIANT
Banni de sa maison, privé de son royaume, Salomon errait dans des contrées lointaines, parmi des étrangers, mendiant son pain quotidien. Son humiliation ne s'arrêtait pas là: les gens le prennaient pour un fou, car il ne se lassait pas de leur répéter qu'il était Salomon, le grand et puissant roi de Juda. Naturellement, cette affirmation paraissait absurde au peuple. (86) Il atteignit cependant le plus bas niveau de désespoir lorsqu'il rencontra quelqu'un qui le reconnut. Les souvenirs et les associations qui s'éveillaient alors en lui rendaient sa misère actuelle presque insupportable.
Il arriva (87) qu'un jour, au cours de ses pérégrinations, il rencontra une vieille connaissance, un homme riche et réfléchi, qui donna un somptueux banquet en l'honneur de Salomon. Au cours du repas, son hôte ne cessa de parler à Salomon de la magnificence et de la splendeur qu'il avait vues autrefois de ses propres yeux à la cour du roi. Ces souvenirs émurent le roi jusqu'aux larmes, et il pleura si amèrement que, lorsqu'il se leva du banquet, il était rassasié, non pas de nourriture riche, mais de larmes salées. Le lendemain, Salomon rencontra à nouveau une connaissance d'autrefois, un pauvre homme cette fois, qui le pria néanmoins de lui faire l'honneur de rompre le pain sous son toit. Le pauvre homme ne put offrir à son hôte de marque qu'un maigre plat de verdure. Mais il essaya par tous les moyens d'apaiser le chagrin qui oppressait Salomon. Il lui dit: «Ô mon seigneur et roi, Dieu a juré à David qu'il ne laisserait jamais la dignité royale s'éloigner de sa maison, mais c'est la voie de Dieu de réprimander ceux qu'il aime s'ils pèchent. Sois assuré qu'il te rétablira en temps voulu dans ton royaume.» Ces paroles de son pauvre hôte furent plus gratifiantes pour le cœur meurtri de Salomon que le banquet que le riche lui avait préparé. C'est au contraste entre les consolations des deux hommes qu'il appliqua le verset des Proverbes: «Mieux vaut un repas d'herbes où se trouve l'amour, qu'un boeuf engrassé accompagné de haine.»
Pendant trois longues années, Salomon voyagea, mendiant de ville en ville et de pays en pays, expiant les trois (88) péchés de sa vie par lesquels il avait ignoré le commandement du Deutéronome enjoignant aux rois de ne pas multiplier les chevaux, les femmes, l'argent et l'or. A la fin de ce temps, Dieu eut pitié de lui à cause de son père David et à cause de la pieuse princesse Naama, fille du roi ammonite, destinée par Dieu à être l'aïeule du Messie. Le temps approchait où elle devait devenir l'épouse de Salomon (89) et régner comme reine à Jérusalem. Dieu conduisit donc le royal vagabond dans la capitale d'Ammon. (90) Salomon se mit au service du cuisinier de la maison royale, et il se montra si habile dans l'art culinaire que le roi d'Ammon l'éleva au rang de cuisinier en chef. C'est ainsi qu'il fut remarqué par la fille du roi, Naama, qui tomba amoureuse du cuisinier de son père. En vain, ses parents s'efforcèrent de la persuader de choisir un mari digne de son rang. Même la menace du roi de les faire exécuter, elle et son bien-aimé, ne réussit pas à détourner ses pensées de Salomon. Le roi ammonite fit emmener les amoureux dans un désert aride, dans l'espoir qu'ils y meurent de faim. Salomon et sa femme errèrent dans le désert jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une ville située au bord de la mer. Ils achetèrent un poisson pour conjurer la mort. Lorsque Naama prépara le poisson, elle trouva dans son ventre l'anneau magique appartenant à son mari, qu'il avait donné à Asmodée et qui, jeté à la mer par le démon, avait été avalé par un poisson. Salomon reconnut son anneau, le mit à son doigt et, en un clin d'œil, se transporta à Jérusalem. Asmodée, qui s'était fait passer pour le roi Salomon pendant trois ans, fut chassé et Salomon remonta lui-même sur le trône.
Plus tard, il cita le roi d'Ammon devant son tribunal et lui demanda des comptes sur la disparition du cuisinier et de la femme du cuisinier, l'accusant de les avoir tués. Le roi d'Ammon protesta qu'il ne les avait pas tués, mais seulement bannis. Salomon fit alors comparaître la reine et, à son grand étonnement et à sa joie encore plus grande, le roi d'Ammon reconnut sa fille. (91)
Salomon ne réussit à retrouver son trône qu'après avoir subi de nombreuses épreuves. Les habitants de Jérusalem le considéraient comme un fou, parce qu'il disait qu'il était Salomon. Au bout d'un certain temps, les membres du Sanhédrin remarquèrent son comportement particulier et firent une enquête. Ils découvrirent qu'il y avait longtemps que Benaja, l'homme de confiance du roi, n'avait pas été autorisé à entrer en présence de l'usurpateur. En outre, les femmes de Salomon et sa mère Bath-Schéba les informèrent que le comportement du roi avait changé du tout au tout: il n'était pas digne de la royauté et ne ressemblait en rien à l'ancienne manière de Salomon. Il était également très étrange que le roi ne laisse jamais voir son pied, de peur, bien sûr, de trahir son origine démoniaque. (92) Le Sanhédrin donna donc l'anneau magique du roi au mendiant errant qui se faisait appeler roi Salomon, et le fit comparaître devant le prétendant au trône. Dès qu'Asmodée aperçut le vrai roi protégé par son anneau magique, il s'envola précipitamment.
Salomon n'en sortit pas indemne. La vue d'Asmodée, dans toute sa laideur repoussante, l'avait tellement terrifié qu'il entoura désormais sa couche, la nuit, de tous les valeureux héros du peuple. (93)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg