Lecture d'un commentaire (19128)


2S 8,16

Commentaire: JOAB
Joab, le guerrier, contrastait en tous points avec Ahithophel. Il était le bras droit de David. On a dit que si Joab n'avait pas été là pour mener ses guerres, David n'aurait pas eu le loisir de se consacrer à l'étude de la Torah. Il était le modèle du vrai héros juif, distingué à la fois pour son érudition, sa piété et sa bonté. Sa maison était ouverte à tous les visiteurs et les campagnes qu'il entreprenait profitaient invariablement au peuple. On lui devait même le luxe, (75) et plus encore, il se préoccupait du bien-être des savants, lui-même étant président du Sanhédrin. (76)
Joab s'intéresse à l'analyse du caractère des hommes et de leurs opinions. Lorsqu'il entendit les paroles du roi David: «Comme un père a pitié de ses enfants, ainsi le Seigneur a pitié de ceux qui le craignent», il s'étonna que la comparaison soit faite avec l'amour d'un père pour un enfant, et non avec l'amour d'une mère, l'amour Mtrnel étant généralement considéré comme le plus fort et le plus généreux. Il décida de garder les yeux ouverts et d'observer si l'idée de David était confirmée par les faits. Au cours d'un de ses voyages, il entra par hasard dans la maison d'un pauvre vieillard qui avait douze enfants, que le père entretenait tous, quoique chichement, par le travail de ses mains. Joab lui proposa de lui acheter l'un des douze enfants ; il serait ainsi déchargé de l'entretien de l'un d'eux, et le prix de la vente pourrait être affecté à l'amélioration de l'entretien des autres. Le bon père rejeta brusquement cette proposition. Joab s'adressa alors à la mère et lui offrit cent deniers d'or pour l'un des enfants. Elle résista d'abord à la tentation, mais finit par céder. Lorsque le père revint le soir, il coupa le pain, comme il en avait l'habitude, en quatorze morceaux, pour lui, sa femme et ses douze enfants. En répartissant les parts, il oublia un enfant et insista pour qu'on lui dise ce qu'il était advenu de lui. La mère avoua ce qui s'était passé pendant son absence. Il ne mangea ni ne but, et le lendemain Mtn il se mit en route, fermement décidé à rendre l'argent à Joab et à le tuer s'il refusait de lui livrer l'enfant. Après de longues discussions, et après que le père l'eut menacé de mort, Joab remit l'enfant au vieillard en s'exclamant: «Oui, David avait raison de comparer l'amour de Dieu pour les hommes à l'amour d'un père pour son enfant. Ce pauvre homme, qui a douze enfants à charge, était prêt à se battre jusqu'à la mort pour l'un d'eux, que la mère, restée tranquillement à la maison, m'avait vendu à prix d'or.»
Parmi tous les exploits héroïques de Joab, le plus remarquable est la prise de la capitale amalécite. Depuis six mois, la fleur de l'armée israélite, au nombre de douze mille, sous la direction de Joab, assiégeait en vain la capitale des Amalécites. Les soldats firent valoir à leur général qu'il serait bon qu'ils retournent chez eux auprès de leurs femmes et de leurs enfants. Joab fit valoir que cela leur vaudrait non seulement le mépris et la moquerie, mais que cela les exposerait à de nouveaux dangers. Les païens seraient encouragés à s'unir contre les Israélites. Il proposa qu'on le jette dans la ville au moyen d'une fronde et qu'on attende quarante jours. Si, au bout de ce délai, ils voyaient du sang couler des portes de la forteresse, ce serait pour eux le signe qu'il était encore vivant.
Son plan fut exécuté. Joab prit avec lui mille pièces d'argent et son épée. Lorsqu'il fut lancé à l'aide de la fronde, il tomba dans la cour d'une veuve, dont la fille le releva. Peu de temps après, il reprit connaissance. Il se fit passer pour un Amalécite fait prisonnier par les Israélites et jeté dans la ville par ses ravisseurs, qui voulaient ainsi lui infliger la mort. Comme il était pourvu d'argent, qu'il distribuait abondamment à ses hôtes, il fut reçu avec bienveillance et reçut l'habit amalécite. Ainsi vêtu, il entreprit, au bout de dix jours, une tournée d'inspection de la ville, qu'il trouva d'une taille gigantesque.
Il se rendit d'abord chez un armurier pour qu'il répare son épée, brisée dans sa chute. Lorsque l'artisan examina l'arme de Joab, il recula - il n'avait jamais vu une épée pareille. Il en forgea une nouvelle, qui se brisa en deux presque aussitôt lorsque Joab la saisit fermement. Il en fut de même pour une deuxième épée, puis pour une troisième. Enfin, il parvint à en forger une qui fût acceptable. Joab demanda au forgeron qui il voulait tuer avec l'épée, et la réponse fut: «Joab, le général du roi d'Israël». Joab répondit: «C'est moi !» Et lorsque le forgeron, étonné, se retourna pour le regarder, Joab le passa au fil de l'épée avec tant d'habileté que la victime ne se rendit pas compte de ce qui se passait. Il abattit ensuite cinq cents guerriers amalécites qu'il rencontra sur son chemin, et aucun ne s'échappa pour le trahir. Le bruit courut qu'Asmodée, le roi des démons, se déchaînait sur les habitants de la ville et les tuait en grand nombre.
Après une nouvelle période de dix jours, qu'il passa dans la retraite avec ses hôtes, Joab s'élança une seconde fois et causa un tel carnage parmi les Amalécites que son arme meurtrière s'accrocha à sa main, et que sa main droite perdit tout pouvoir de mouvement indépendant ; elle ne pouvait plus se mouvoir que d'un seul bloc avec son bras. Il se hâta de se rendre à son gîte pour appliquer de l'eau chaude sur sa main et la libérer de l'épée. En chemin, la femme qui l'avait recueilli lorsqu'il était tombé dans la ville l'appela: «Tu manges et tu bois avec nous, et tu tues nos guerriers. Se voyant trahi, il ne put que tuer la femme. A peine son épée l'avait-elle touchée qu'elle se détacha de sa main, et sa main put se mouvoir librement, car la femme morte était enceinte, et le sang de l'enfant à naître détacha l'épée.
Après que Joab eut tué des milliers de personnes, les Israélites, au moment où ils commençaient à pleurer la mort de leur général, virent du sang couler de la ville, et ils s'écrièrent d'une seule voix: «Écoute, Israël, l'Éternel est notre Dieu, l'Éternel est unique.» Joab monta sur une haute tour et s'écria d'un ton de stentor: «Le Seigneur n'abandonnera pas son peuple. Animés d'un grand courage, les Israélites demandèrent l'autorisation d'attaquer la ville et de s'en emparer. En descendant de la tour, Joab s'aperçut que six versets d'un psaume étaient inscrits sur son pied, dont le premier se lisait comme suit: «L'Éternel te répond au jour de la détresse, le nom du Dieu de Jacob est ta défense. Plus tard, David ajouta trois versets et compléta le psaume. Les Israélites prirent alors la capitale amalécite, détruisirent les temples païens de la ville et tuèrent tous ses habitants, à l'exception du roi, qu'ils amenèrent devant David avec sa couronne d'or pur sur la tête. (77)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg