Lecture d'un commentaire (19108)


Jg 11,1

Commentaire: JEPHTHAH
Le premier juge d'importance après Gédéon est Jephté. Lui non plus n'était pas le dirigeant juif idéal. Son père avait épousé une femme d'une autre tribu, fait inhabituel à une époque où une femme qui quittait sa tribu était tenue en mépris. (106) Jephté, le rejeton de cette union, dut supporter les conséquences de la conduite irrégulière de sa mère. Il subit tant de tracasseries qu'il fut contraint de quitter sa maison et de s'installer dans un quartier païen. (107)
Jephté refusa d'abord d'accepter le commandement que le peuple lui proposait lors d'une assemblée à Mitspa, car il n'avait pas oublié les torts qu'il avait subis. Mais il finit par céder et se mit à la tête du peuple dans la guerre contre Getal, roi des Ammonites. Au moment de son départ, il fit le vœu devant Dieu de lui sacrifier tout ce qui sortirait des portes de sa maison pour aller à sa rencontre lorsqu'il reviendrait victorieux de la guerre.
Dieu se mit en colère et dit: «Jephté a fait le voeu de m'offrir le premier objet qu'il rencontrera. Si c'est un chien qu'il rencontre le premier, me sacrifierait-on un chien ? Maintenant, le voeu de Jephté sera exécuté sur son premier-né, sur sa propre progéniture, et sa prière sera exécutée sur sa fille unique. Mais je délivrerai mon peuple, non à cause de Jephté, mais à cause des prières d'Israël.
La première à le rencontrer après le succès de sa campagne fut sa fille Sheilah. Submergé par l'angoisse, le père s'écria: «C'est à juste titre que l'on t'a donné le nom de Sheilah, celle que l'on réclame, pour que tu sois offerte en sacrifice. Qui mettra mon cœur dans la balance et mon âme dans le poids, pour que je me tienne debout et que je voie si ce qui m'est arrivé est une joie ou une douleur ? Mais parce que j'ai ouvert la bouche vers l'Éternel, et que j'ai fait un voeu, je ne puis le révoquer. Sheila prit la parole et dit: «Pourquoi t'affliger de ma mort, puisque le peuple a été délivré ? Ne te souviens-tu pas de ce qui s'est passé au temps de nos ancêtres, lorsque le père offrait son fils en holocauste, que le fils ne refusait pas, mais qu'il acceptait volontiers, et que l'offrant et l'offert étaient tous deux remplis de joie ? Fais donc ce que tu as dit. Mais avant de mourir, je te demanderai une faveur. Accorde-moi d'aller avec mes compagnons sur les montagnes, de séjourner sur les collines, de fouler les rochers pour y verser mes larmes et y déposer le chagrin de ma jeunesse perdue. Les arbres des champs pleureront pour moi, et les bêtes des champs se lamenteront pour moi. Je ne pleure ni ma mort, ni le renoncement à ma vie, mais je pleure car lorsque mon père a fait son vœu inconsidéré, il ne pensait pas à moi. Je crains donc de ne pas être un sacrifice acceptable, et que ma mort ne serve à rien.» Sheilah et ses compagnes allèrent exposer son cas aux sages du peuple, mais aucun d'entre eux ne put l'aider. Elle monta alors au mont Telag, où le Seigneur lui apparut de nuit, en lui disant: «J'ai fermé la bouche des sages de mon peuple en cette génération, et ils ne peuvent rien répondre à la fille de Jephté ; que mon vœu s'accomplisse et que rien de ce que j'ai pensé ne reste en suspens. Je sais qu'elle est plus sage que son père et que tous les sages, et maintenant son âme sera acceptée à sa demande, et sa mort sera toujours très précieuse devant ma face.» Sheilah commença à se lamenter sur son sort en ces termes: «Écoutez, montagnes, mes lamentations, et vous, collines, les larmes de mes yeux, et vous, rochers, témoignez des pleurs de mon âme. Mes paroles monteront au ciel, et mes larmes seront écrites au firmament. Je n'ai pas eu la joie des noces, et la couronne de mes fiançailles n'a pas été achevée. Je n'ai pas été parée d'ornements, je n'ai pas été parfumée de myrrhe et de parfums aroMtques. Je n'ai pas été ointe de l'huile préparée pour moi. Hélas, ô mère, c'est en vain que tu m'as mise au monde, la tombe devait être ma chambre nuptiale. L'huile que tu as préparée pour moi se répandra, et les vêtements blancs que ma mère a cousus pour moi, la mite les mangera ; la couronne de mariée que ma nourrice a enroulée pour moi se flétrira, et mes vêtements bleus et pourpres, les vers les détruiront, et mes compagnes se lamenteront sur moi tout au long de leur vie. Et maintenant, arbres, inclinez vos branches et pleurez sur ma jeunesse ; bêtes de la forêt, venez et piétinez ma virginité, car mes années sont coupées, et les jours de ma vie vieillissent dans les ténèbres». (108)
Ses lamentations ne servirent à rien, pas plus que les arguments qu'elle opposa à son père. C'est en vain qu'elle chercha à lui prouver, à partir de la Torah, que la loi ne parle que de sacrifices d'animaux et jamais de sacrifices humains. C'est en vain qu'elle cita l'exemple de Jacob, qui avait fait le vœu de donner à Dieu un dixième de tous les biens qu'il possédait, et qui n'a pourtant pas tenté plus tard de sacrifier l'un de ses fils. Jephté est inexorable. Tout ce qu'il veut, c'est un répit pendant lequel sa fille pourra rendre visite à divers érudits qui décideront s'il est lié par son vœu. Selon la Torah, son vœu n'est pas valable du tout. Il n'était même pas obligé de payer la valeur de sa fille en argent. Mais les érudits de l'époque avaient oublié cette Halakah et décidèrent qu'il devait respecter son vœu. L'oubli des érudits était de Dieu, ordonné comme une punition à Jephté pour avoir massacré des milliers d'Ephraïm.
Il y avait un homme vivant à l'époque qui, s'il avait été interrogé sur l'affaire, aurait été en mesure de prendre une décision. Il s'agissait du grand prêtre Phinéas. Mais il dit fièrement: «Quoi ! moi, grand prêtre, fils de grand prêtre, je dois m'humilier et aller voir un ignorant !». Jephté, lui, dit: «Quoi ! moi, le chef des tribus d'Israël, le premier prince du pays, je devrais m'humilier et aller vers un simple soldat !». Ainsi, seule la rivalité entre Jephté et Phinéas a causé la perte d'une jeune vie. Leur châtiment les rattrapera. Jephté meurt d'une mort atroce. Membre par membre, son corps est démembré. Quant au grand prêtre, l'esprit saint le quitta et il dut renoncer à sa dignité sacerdotale. (109)
De même que Jephté était chargé de repousser les Ammonites, son successeur Abdon s'occupa de protéger Israël contre les Moabites. Le roi de Moab envoya des messagers à Abdon, qui parlèrent ainsi: «Tu sais bien qu'Israël s'est emparé de villes qui m'appartenaient. Rends-les-moi.» Abdon répondit: «Ne savez-vous pas ce qu'ont fait les Ammonites ? La mesure des péchés de Moab, semble-t-il, sortit contre l'ennemi, tua quarante-cinq mille des leurs et mit le reste en déroute. (110)


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg