Lecture d'un commentaire (19075)


Dt 32,51

Commentaire: PRIÈRE DE MOSES POUR LA SUSPENSION DU JUGEMENT
Moïse a commencé sa longue mais infructueuse prière en disant: «Seigneur du monde ! Considère tout ce que j'ai dû supporter pour Israël jusqu'à ce qu'il devienne le peuple de Ta revendication et de Ta possession. J'ai souffert avec eux, ne dois-je pas participer à leur joie ? En m'interdisant d'entrer dans la terre promise, Tu fais mentir Ta Torah, qui dit: «En son jour, tu donneras à l'ouvrier son salaire». Où est donc mon salaire pour les quarante années pendant lesquelles j'ai travaillé pour l'amour de Tes enfants, et pour lesquelles j'ai souffert de nombreuses douleurs en Égypte, dans le désert, et lors de la remise de la Torah et des commandements ? J'ai souffert avec eux ; ne dois-je pas aussi contempler leur bonheur ? Mais Tu me dis que je ne dois pas traverser le Jourdain. Pendant tout le temps que nous avons passé dans le désert, je n'ai pas pu rester tranquillement à l'académie, à enseigner et à prononcer des jugements, et maintenant que je pourrais être capable de le faire, Tu me dis que je ne le peux pas. (876)
Il poursuit: «Que la miséricorde en Toi précède Ta justice, afin que ma prière soit exaucée, car je sais bien qu'il n'y a pas de miséricorde dans la justice. Tu m'as dit toi-même, lorsque je T'ai demandé comment Tu conduisais le monde, que Je ne devais rien à aucune créature et que ce que Je faisais pour elles était un don gratuit de Ma part. Tu m'as toi-même fait remarquer que c'est ton désir que les gens te prient pour annuler le châtiment qui leur a été infligé. Lorsqu'Israël a commis ce terrible péché, l'adoration du veau d'or, tu m'as dit: «Laisse-moi tranquille, afin que je les détruise et que j'efface leur nom de dessous les cieux». Je me suis alors dit: «Qui peut retenir Dieu pour qu'il dise: «Laisse-moi» ? Il est évident qu'il veut que je prie pour ses enfants. J'ai prié et j'ai été exaucé. La prière de l'individu pour la communauté a été exaucée, mais il n'en est pas de même de la prière de la communauté pour un seul individu ! Est-ce parce que j'ai appelé Israël «rebelles», mais je n'ai fait que suivre ton exemple, car toi aussi tu les as appelés «fils de la rébellion» ? (879)
Tu m'as appelé, ainsi que Léviathan, Ton serviteur ; j'ai adressé des prières à Toi, et Léviathan aussi, et c'est lui que Tu as exaucé, car Tu as conclu avec lui une alliance que Tu respectes, mais l'alliance que Tu as conclue avec moi, Tu l'as rompue, car Tu as dit: «Meurs sur la montagne où tu montes». Dans la Torah, tes paroles sont les suivantes: Si le serviteur dit clairement: J'aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas être libéré, alors son maître doit l'amèner devant les juges, et il le servira à perpétuité. Je T'implore maintenant d'entendre mon cri, mon Dieu, d'exaucer ma prière. Tu n'est pas dans la position d'un juge de chair et de sang qui, en exauçant une prière, doit considérer qu'il peut être contraint par son supérieur de revenir sur sa réponse. Tu peux faire ce que Tu veux, car où y a-t-il sur la terre ou dans le ciel quelqu'un d'assez puissant pour faire une action comme la Tienne en Égypte, ou qui puisse faire des actions aussi puissantes que celles que Tu as faites à la mer Rouge ? Je Te prie donc de me faire voir le pays que, malgré les calomnies des espions, j'ai loué, ainsi que Jérusalem et le temple. (882)
Lorsque, à la proposition que Tu m'as faite d'aller en Égypte et de délivrer Israël, j'ai répondu: «Je ne le peux pas, car j'ai fait vœu à Jéthro de ne jamais le quitter», Tu m'as libéré de ce vœu. Seigneur du monde ! De même qu'alors Tu m'as libéré de mon vœu en disant: «Va, retourne en Égypte», de même libères Toi maintenant de Ton vœu et permets moi d'entrer dans le pays d'Israël. Dieu répondit: «Tu as un maître pour t'absoudre de ton vœu, mais moi je n'ai pas de maître.» Moïse dit alors: «Ton jugement contre moi dit que je n'entrerai pas comme roi dans la terre promise, car à moi et à Aaron Tu as dit: «Vous ne ferez pas entrer cette assemblée dans le pays que Je leur donne». Permets-moi donc d'y entrer au moins comme simple citoyen». «C'est impossible, dit le Seigneur. Le roi n'y entrera pas dégradé au rang d'un simple citoyen.» «Alors, dit Moïse, si je ne peux même pas entrer dans le pays comme un simple citoyen, que j'entre au moins dans la terre promise par la grotte de Paneas, qui va de la rive est à la rive ouest du Jourdain.» Mais Dieu lui refusa également cette demande, en disant: «Tu ne passeras pas d'une rive à l'autre du Jourdain.» «Moïse supplia: «Si cette demande doit m'être refusée, accorde-moi au moins qu'après ma mort mes os soient transportés de l'autre côté du Jourdain.» Mais Dieu dit: «Non, même tes os ne passeront pas le Jourdain.» Seigneur du monde, s'écria Moïse, si les os de Joseph ont pu être transportés dans la terre promise, pourquoi pas les miens ? Dieu répondit: «Quiconque reconnaît sa patrie y sera enterré, mais quiconque ne reconnaît pas sa patrie n'y sera pas enterré. Joseph a fait allégeance à sa patrie en disant: «J'ai été enlevé du pays des Hébreux», et c'est pourquoi il mérite que ses ossements soient transportés en terre d'Israël. Mais toi, tu as entendu en silence les filles de Jéthro dire à leur père: «C'est un Égyptien qui nous a délivrées de la main des bergers», sans les corriger en disant: «Je suis Hébreu», et c'est pourquoi même tes ossements ne seront pas transportés en terre d'Israël. (885)
Moïse dit à Dieu: «Seigneur du monde ! C'est par le mot «voici» que j'ai commencé ta louange, en disant: «Voici, le ciel et le ciel des cieux appartiennent au Seigneur», et c'est par ce même mot, «voici», que tu as scellé ma mort, en disant: «Voici, tes jours approchent et tu dois mourir». Dieu répondit à cela: «L'homme méchant, dans son envie, ne voit que les profits, et non les dépenses de son prochain. Ne te souviens-tu pas que, lorsque J'ai voulu t'envoyer en Égypte, tu as décliné ma demande en disant: «Voici», car ils ne me croiront pas. C'est pourquoi J'ai dit: «Voici que tes jours approchent et que tu dois mourir». De même, poursuit Dieu, que tu as dit aux fils de Lévi, lorsqu'ils t'ont demandé pardon: «Assez, vous prenez trop sur vous, fils de Lévi», de même Je répondrai à ta demande de pardon: «Que cela te suffise ; ne Me parle plus de cette affaire».
Seigneur du monde, demanda encore Moïse, ne Te souviens-Tu pas du temps où Tu m'as dit: «Viens donc, et Je t'enverrai vers Pharaon, afin que tu fasses sortir d'Égypte mon peuple, les enfants d'Israël. Que Je les conduise dans leur pays, comme Je les ai conduits hors du pays de servitude. Mais à cela aussi, Dieu trouva une réponse: «Moïse, ne te souviens-tu pas du temps où tu me disais: 'Mon Seigneur, envoie, je T'en prie, par la main de celui que Tu veux envoyer': 'La mesure dont l'homme se sert lui sera donnée'. Je t'annonce la mort par la parole: « Regarde«, en disant: « Regarde, les jours approchent où tu dois mourir «, parce que je voulais te faire remarquer que tu ne meurs que parce que tu es un descendant d'Adam, sur les fils duquel j'avais prononcé la mort par la parole: « Regarde «, en disant aux anges: « Regardez, l'homme est devenu comme l'un de nous, il connait le bien et le mal; et maintenant, il est à craindre qu'il n'avance la main, et ne prenne aussi du fruit de l'arbre de vie et en mange, et vive éternellement.'« (888)
Moïse dit alors: «Seigneur du monde ! Tu as donné au premier homme un commandement qu'il était facile d'observer, et il a désobéi, méritant ainsi la mort ; moi, je n'ai transgressé aucun de tes commandements. Dieu: «Regarde, Abraham, qui a sanctifié mon nom dans le monde, est mort lui aussi.» Moïse: «Oui, mais d'Abraham est issu Ismaël, dont la descendance excite Ta colère.» Dieu: «Isaac aussi, qui a posé son cou sur l'autel pour m'être offert en sacrifice, est mort.» Moïse: «Mais d'Isaac est né d'Esaü, qui détruira le Temple et brûlera Ta maison.» Dieu: «De Jacob sont issues douze tribus qui ne M'ont pas irrité et qui sont mortes.» Moïse: «Mais il n'est pas monté au ciel, ses pieds n'ont pas foulé les nuages, Tu ne lui as pas parlé face à face, et il n'a pas reçu la Torah de Ta main.» Dieu: «'Que cela te suffise, ne Me parle plus de cette affaire', ne dis pas beaucoup de mots, car seul 'un insensé multiplie les mots'.» Moïse: «Seigneur du monde ! Les générations futures diront peut-être: «Si Dieu n'avait pas trouvé le mal en Moïse, il ne l'aurait pas retiré du monde». Dieu: «J'ai déjà écrit dans ma Torah: 'Depuis, il n'est pas apparu en Israël de prophète semblable à Moïse'«. Moïse: «Les générations futures diront peut-être que j'ai probablement agi conformément à Ta volonté dans ma jeunesse, alors que j'étais actif en tant que prophète, mais que dans ma vieillesse, lorsque mes activités prophétiques ont cessé, je n'ai plus fait Ta volonté.»
Moïse: «Seigneur du monde ! Laisse-moi, je te prie, entrer dans le pays, y vivre deux ou trois ans, puis mourir.» Dieu: «J'ai décidé que tu n'irais pas là-bas.» Moïse: «Si je ne peux y entrer de mon vivant, que je l'atteigne après ma mort.» Dieu: «Non, ni mort ni vif, tu n'entreras dans le pays.» Moïse: «Pourquoi cette colère contre moi ?» Dieu: «Parce que vous ne m'avez pas sanctifié au milieu des enfants d'Israël.» Moïse: «Avec toutes Tes créatures, Tu agis selon Ta qualité de miséricorde, en leur pardonnant leurs péchés, une fois, deux fois, trois fois, mais à moi, Tu ne pardonnes pas même un seul péché !» Dieu: «En dehors de ce péché que tu connais, tu as commis six autres péchés que Je ne t'ai pas reprochés jusqu'à présent. Tout d'abord, lorsque Je te suis apparu, tu as dit: «Mon Seigneur, envoie-le, je Te prie, par la main de celui que Tu veux envoyer», et tu as refusé d'obéir à mon ordre d'aller en Égypte. Deuxièmement, tu as dit: «Depuis que je suis allé vers Pharaon pour parler en Ton nom, il a maltraité ce peuple, et Tu n'as pas du tout délivré Ton peuple», m'accusant ainsi d'avoir fait du tort à Israël au lieu de l'aider. Troisièmement, tu as dit: «Si ces hommes meurent de la mort commune à tous les hommes, le Seigneur ne m'a pas envoyé», afin de faire douter Israël que tu sois vraiment mon ambassadeur. Quatrièmement, tu as dit: «Mais si le Seigneur fait une chose nouvelle», doutant que Dieu puisse le faire. Cinquièmement, tu as dit à Israël: «Écoutez, rebelles !» et tu as ainsi insulté mes enfants. Sixièmement, tu as dit: «Et voici que vous vous êtes levés à la place de vos pères, en multipliant les hommes pécheurs». Abraham, Isaac et Jacob, les pères d'Israël, étaient-ils des pécheurs pour que tu t'adresses ainsi à leurs enfants ? Moïse: «Je n'ai fait que suivre Ton exemple, car Toi aussi Tu as dit: «Les encensoirs de ces pécheurs». Dieu: «Mais je n'ai pas qualifié leurs pères de pécheurs.»
Moïse: «Seigneur du monde ! Combien de fois Israël a-t-il péché devant Toi, et quand j'ai imploré pour eux la miséricorde, Tu leur as pardonné, mais à moi Tu n'as pas voulu pardonner ! Pour moi, Tu pardonnes les péchés de soixante myriades, et Tu ne pardonnes pas mon péché ?» Dieu: «Le châtiment qui frappe la communauté est différent de celui qui frappe l'individu, car je ne suis pas aussi sévère à l'égard de la communauté qu'à l'égard de l'individu. Sache en outre que jusqu'à présent le destin était en ton pouvoir, mais qu'à présent le destin n'est plus en ton pouvoir» (889). Moïse: «Seigneur du monde ! Lève-toi du Trône de la justice et assieds-toi sur le Trône de la miséricorde, afin que, dans Ta miséricorde, Tu m'accordes la vie, pendant laquelle je pourrai expier mes péchés par les souffrances que Tu me feras endurer. Ne me livre pas à l'épée de l'ange de la mort. Si Tu exauces ma prière, je chanterai Tes louanges à tous les habitants de la terre ; je ne veux pas mourir, mais vivre et raconter les oeuvres du Seigneur. Dieu répondit: «'Voici la porte du Seigneur, les justes y entreront', c'est la porte dans laquelle les justes doivent entrer aussi bien que les autres créatures, car la mort a été décrétée pour l'homme depuis le commencement du monde.» (890)
Moïse, cependant, continua d'implorer Dieu en disant: «C'est avec justice et avec miséricorde que Tu as créé le monde et les hommes, que la miséricorde l'emporte maintenant sur la justice. Dans ma jeunesse, Tu as commencé par me montrer Ta puissance dans le buisson d'épines, et maintenant, dans ma vieillesse, je Te prie de ne pas me traiter comme un roi terrestre traite son serviteur. Quand un roi de chair et de sang a un serviteur, il l'aime tant qu'il est jeune et fort, mais il le rejette quand il est vieux. Mais Toi, «ne me rejette pas au temps de la vieillesse». Tu as montré Ta puissance lors de la révélation des dix commandements, et Ta main puissante lors des dix plaies que Tu as infligées à l'Égypte. Tu as créé toutes choses, et c'est dans Ta main qu'il est permis de tuer et de donner la vie ; nul ne peut accomplir ces œuvres, et il n'y aura pas de force semblable à la tienne dans le monde futur. Laisse-moi donc proclamer Ta majesté aux générations futures, et dis-leur que c'est par moi que Tu as fendu la mer Rouge et donné la Torah à Israël, que pendant quarante ans Tu as fait pleuvoir du ciel la manne pour Israël, et que l'eau a jailli de la source». Moïse pensait en effet que si sa vie était épargnée, il pourrait éternellement empêcher Israël de pécher et le maintenir pour toujours dans la foi au Dieu unique. Mais Dieu dit: «'Qu'il te suffise'. Si ta vie était épargnée, les hommes te confondraient, feraient de toi un dieu et se prosterneraient devant toi. «Seigneur du monde, répondit Moïse, tu m'as déjà mis à l'épreuve lorsque le veau d'or a été fabriqué et que je l'ai détruit. Pourquoi donc devrais-je mourir ?» Dieu: «De qui es-tu le fils ?» Moïse: «Le fils d'Amram. Dieu: «Et de qui était le fils d'Amram ?» Moïse: «Le fils d'Izhar.» Dieu: «Et de qui était-il le fils ?» Moïse: «Le fils de Kohath.» Dieu: «Et de qui était-il le fils ?» Moïse: «Le fils de Lévi.» Dieu: «Et de qui sont-ils tous descendus ?» Moïse: «D'Adam.» Dieu: «La vie de l'un d'entre eux a-t-elle été épargnée ?» Moïse: «Ils sont tous morts.» Dieu: «Et tu veux continuer à vivre ?» Moïse: «Seigneur du monde ! Adam a volé le fruit défendu et en a mangé, et c'est pour cela que Tu l'as puni de mort, mais est-ce que je T'ai jamais rien volé ? C'est Toi qui as écrit à mon sujet: «Mon serviteur Moïse, qui est fidèle dans toute Ma maison». Dieu: «Vaut-il mieux que Noé ?» Moïse: Oui, quand Tu as envoyé le déluge sur sa génération, il n'a pas imploré Ta miséricorde pour eux, mais je T'ai dit: «Maintenant, si Tu veux bien, pardonnes leur péché ; sinon, je Te prie, efface-moi, du livre que Tu as écrit».
Dieu: «Est-ce moi qui t'ai conseillé de tuer l'Égyptien ?» Moïse: «Tu as tué tous les premiers-nés d'Égypte, et je mourrai à cause d'un seul Égyptien que j'ai tué ?» Dieu: «Es-tu mon égal ? Je tue et je rends la vie, mais toi, peux-tu ressusciter les morts ?» (891)²


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg