Lecture d'un commentaire (18879)


Gn 47,29

Commentaire: LE DERNIER SOUHAIT DE JACOB
En échange des dix-sept années que Jacob a consacrées à l'éducation de Joseph, il lui est accordé dix-sept années de séjour avec son fils préféré dans la paix et le bonheur. Les méchants connaissent les peines après les joies ; les pieux doivent souffrir d'abord, et ensuite ils sont heureux, car tout est bien qui finit bien, et Dieu permet aux pieux de passer les dernières années de leur vie dans la félicité (344).
Lorsque Jacob sentit sa fin approcher, il appela Joseph à son chevet et lui dit tout ce qu'il avait sur le cœur. Il fit appel à Joseph plutôt qu'à l'un de ses autres fils, parce qu'il était le seul à pouvoir exécuter ses volontés.
Jacob dit à Joseph: «Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, ne m'enterre pas en Égypte. C'est pour toi que je suis descendu en Égypte, et c'est pour toi que j'ai dit: Maintenant, je peux mourir. Fais-le pour moi comme un véritable service d'amour, et non pas parce que tu as peur, ou parce que la décence l'exige. Quand je serai couché avec mes pères, tu m'enterreras dans leur sépulture. Emporte-moi hors du pays de l'idolâtrie, et enterre-moi dans le pays où Dieu a fait résider son nom, et fais-moi reposer dans le lieu où quatre maris et quatre femmes doivent être enterrés, moi le dernier d'entre eux».
Jacob souhaitait ne pas être enterré en Égypte pour plusieurs raisons. Il savait que le sol de l'Égypte grouillerait de vermine et il lui répugnait de penser à son cadavre exposé à une telle impureté. Il craignait en outre que ses descendants ne disent: «Si l'Égypte n'était pas une terre sainte, notre père Jacob ne se serait jamais permis d'y être enterré», et qu'ils ne s'encouragent par cet argument à choisir l'Égypte comme lieu d'habitation permanent. De plus, si sa tombe s'y trouvait, les Égyptiens pourraient y avoir recours lorsque les dix plaies s'abattraient sur eux, et s'il était amené à prier Dieu pour eux, il défendrait la cause des ennemis du Seigneur. Si, au contraire, il n'intercédait pas pour eux, le nom de Dieu serait profané parmi les païens, qui diraient: «Jacob est un saint inutile». En outre, il était possible que Dieu le considère, lui, la «brebis dispersée» d'Israël, comme un sacrifice pour les Égyptiens, et qu'il lui remette son châtiment. La connaissance qu'il avait du peuple justifiait une autre crainte, celle de voir son tombeau devenir l'objet d'une vénération idolâtre, et le même châtiment est prévu par Dieu pour les idoles adorées comme pour les idolâtres qui les adorent.
Si Jacob avait de bonnes raisons de ne pas vouloir que son corps repose dans le sol égyptien, il en avait tout autant de vouloir qu'il repose en Terre Sainte. Au temps messianique, lorsque les morts ressusciteront, ceux qui sont enterrés en Palestine s'éveilleront sans tarder à une vie nouvelle, tandis que ceux qui sont enterrés ailleurs devront d'abord rouler de pays en pays à travers la terre creusée à cet effet, jusqu'à ce qu'ils atteignent la Terre Sainte, et c'est alors seulement que leur résurrection aura lieu. Mais en plus de cela, Jacob avait une raison particulière de vouloir que son corps soit enterré en Palestine. Dieu lui avait dit à Béthel: «Le pays sur lequel tu es couché, je le donnerai à toi et à ta postérité», et il fit donc tout son possible pour «coucher» en terre sainte, afin de s'assurer qu'elle lui appartiendrait ainsi qu'à ses descendants (345). Il demanda néanmoins à Joseph de répandre de la terre égyptienne sur son cadavre (346).
Jacob a exprimé ses dernières volontés à trois reprises. C'est la condition pour obtenir l'assurance du repos.
Dans la dernière période de la vie de Jacob, on peut voir combien il est vrai que « même un roi dépend de faveurs dans un pays étranger «. Jacob, l'homme pour les mérites duquel le monde entier a été créé, pour l'amour duquel Abraham a été délivré de la fournaise ardente, a dû demander des services à d'autres pendant qu'il était parmi des étrangers (347), et quand Joseph a promis d'exécuter ses ordres, il s'est incliné devant son propre fils, car c'est un proverbe vrai: «Inclinez-vous devant le renard en son temps», c'est-à-dire au temps de sa puissance (348).
Il ne se contenta pas d'une simple promesse de Joseph, qu'il ferait ce qu'il voulait ; il insista pour qu'il prêtât serment par le signe de l'alliance d'Abraham, en mettant une main sous sa cuisse, selon la cérémonie usitée chez les patriarches ! (349) Mais Joseph dit: «Tu me traites comme un esclave. Avec moi, tu n'as pas besoin d'exiger un serment. Ton ordre suffit. Jacob, cependant, le pressa, en disant: «Je crains que Pharaon ne t'ordonne de m'enterrer dans le sépulcre avec les rois d'Égypte. J'insiste pour que tu fasses un serment, et alors je serai tranquille.» Joseph céda (350), bien qu'il ne voulût pas se soumettre à la cérémonie dont Eliezer s'était servi pour confirmer le serment qu'il avait prêté à la demande de son maître Abraham. L'esclave agissait selon les règles de l'esclavage, l'homme libre selon les exigences de la liberté (351) ; de plus ce qui était convenable de la part d'un esclave aurait été inconvenant de la part d'un fils (352).
Lorsque Joseph jura d'enterrer son père en Palestine, il ajouta les mots suivants: «Comme tu m'ordonnes de faire, de même je prierai mes frères, sur mon lit de mort, d'accomplir ma dernière volonté et de transporter mon corps d'Égypte en Palestine» (353).
Jacob, remarquant la Shekinah au-dessus de la tête du lit, où elle repose toujours dans une chambre de malade, se prosterna sur la tête du lit, (354) disant: « Je te remercie, Seigneur mon Dieu, de ce que rien d'impur n'est sorti de mon lit, mais que mon lit a été parfait « (355) Il était particulièrement reconnaissant de la révélation que Dieu lui avait faite au sujet de son fils aîné Ruben, qu'il s'était repenti de son offense envers son père et l'avait expiée par la pénitence. Il fut ainsi assuré que tous ses fils étaient des hommes dignes d'être les géniteurs des douze tribus, et il fut béni d'un bonheur tel que ni Abraham ni Isaac n'en avaient connu, car l'un et l'autre avaient eu des fils indignes aussi bien que dignes (356).
Jusqu'à l'époque de Jacob, la mort avait toujours frappé les hommes soudainement et les avait emportés avant qu'ils ne soient avertis de leur fin imminente par la maladie. Un jour, Jacob s'adressa à Dieu en ces termes: «Seigneur du monde, un homme meurt subitement, sans être d'abord terrassé par la maladie, et il ne peut pas faire connaître à ses enfants ses volontés concernant tout ce qu'il laisse derrière lui. Mais si l'homme tombait d'abord malade et sentait que sa fin approche, il aurait le temps de mettre de l'ordre dans sa maison.» Dieu dit: «En vérité, ta demande est sensible, et tu seras le premier à profiter des nouvelles dispositions» ; et c'est ainsi que Jacob tomba malade peu de temps avant sa mort (357).
Sa maladie l'affligeait, car il avait beaucoup souffert au cours de sa vie. Il avait travaillé jour et nuit pendant qu'il était avec Laban, et ses conflits avec l'ange et avec Ésaü, bien qu'il en fût sorti vainqueur, l'avaient affaibli, et il n'était pas en état de supporter les épreuves de la maladie (358).


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg