Lecture d'un commentaire (18854)


Gn 37,3

Commentaire: LE FILS PRÉFÉRÉ
Jacob n'a pas été épargné par le sort qui échoit à tous les pieux. Chaque fois qu'ils espèrent jouir de la vie dans la tranquillité, Satan leur met des bâtons dans les roues. Il se présente devant Dieu et dit: «N'est-ce pas assez que le monde futur soit réservé aux pieux ? Quel droit ont-ils de jouir de ce monde-ci ?» Après les nombreuses épreuves et les conflits qui avaient assailli le chemin de Jacob, il pensait enfin trouver le repos, et voilà que la perte de Joseph lui infligeait la plus vive des souffrances. En vérité, peu nombreux et mauvais avaient été les jours des années de pèlerinage de Jacob, car le temps passé hors de la Terre sainte lui avait semblé sans joie. Seule la partie de sa vie passée dans le pays de ses pères, pendant laquelle il s'occupait de faire des prosélytes, selon l'exemple que lui avaient donné Abraham et Isaac, lui paraissait valoir la peine d'avoir vécu (1), et ce temps heureux fut de courte durée. Lorsque Joseph fut enlevé, huit ans s'étaient écoulés depuis son retour dans la maison paternelle (2).
Et pourtant, c'est uniquement pour Joseph que Jacob avait accepté de subir toutes les difficultés et l'adversité liées à son séjour dans la maison de Laban. En effet, c'est aux mérites de Joseph que Jacob doit la bénédiction d'avoir un carquois plein d'enfants ; de même, la division de la mer Rouge et du Jourdain pour les Israélites est la récompense de la piété de son fils. En effet, parmi les fils de Jacob, Joseph était celui qui ressemblait le plus à son père, et c'est à lui que Jacob transmit l'instruction et les connaissances qu'il avait reçues de ses maîtres Sem et Eber (3). Toute la vie du fils n'est qu'une répétition de celle du père. De même que la mère de Jacob resta longtemps sans enfant après son mariage, de même la mère de Joseph. De même que Rébecca a souffert en donnant naissance à Jacob, de même Rachel a souffert en donnant naissance à Joseph. De même que la mère de Jacob a donné naissance à deux fils, de même la mère de Joseph. Comme Jacob, Joseph est né circoncis. Comme le père était berger, le fils l'est aussi. Comme le père a servi pour l'amour d'une femme, le fils a servi sous l'autorité d'une femme. Comme le père, le fils s'est approprié le droit d'aînesse de son frère aîné. Le père était haï de son frère, et le fils était haï de ses frères. Le père était le fils préféré par rapport à son frère, de même que le fils par rapport à ses frères. Le père et le fils vivaient tous deux dans le pays de l'étranger. Le père devint le serviteur d'un maître, de même que le fils. Le maître que le père servait était béni de Dieu, de même que le maître que le fils servait. Le père et le fils ont tous deux été accompagnés par des anges, et tous deux ont épousé leur femme en dehors de la Terre sainte. Le père et le fils ont tous deux été bénis par la richesse. De grandes choses furent annoncées en songe au père et au fils. Le père se rendit en Égypte et mit fin à la famine, et le fils fit de même. De même que le père a exigé de ses fils la promesse de l'enterrer en Terre sainte, de même le fils. Le père mourut en Égypte, et le fils y mourut aussi. Le corps du père fut embaumé, celui du fils aussi. La dépouille du père fut transportée en Terre Sainte pour y être enterrée, et il en fut de même pour la dépouille du fils. Jacob, le père, assura la subsistance de son fils Joseph pendant dix-sept ans, de même que Joseph, le fils, assura la subsistance de son père Jacob pendant dix-sept ans (4).
Jusqu'à l'âge de dix-sept ans, Joseph fréquenta le Bet ha-Midrash (5), et il devint si instruit qu'il put transmettre à ses frères les Halakot qu'il avait entendues de son père, et c'est ainsi qu'il peut être considéré comme leur maître (6). Il ne s'arrêta pas à l'instruction formelle, il essaya aussi de leur donner de bons conseils, et il devint le favori des fils des servantes, qui l'embrassaient et l'étreignaient (7).
Malgré son érudition, Joseph a quelque chose d'enfantin. Il se peint les yeux, se coiffe avec soin et Mche d'un pas traînant. Ces travers de jeunesse n'étaient pas aussi déplorables que l'habitude qu'il avait de rapporter à son père de mauvaises nouvelles de ses frères. Il les accusait de traiter avec cruauté les bêtes dont ils avaient la charge - il disait qu'ils mangeaient de la chair arrachée à un animal vivant - et il leur reprochait de jeter les yeux sur les filles des Cananéens et de traiter avec mépris les fils des servantes Bilha et Zilpa, qu'ils appelaient des esclaves.
Pour ces accusations sans fondement, Joseph dut payer cher. Il fut lui-même vendu comme esclave, parce qu'il avait accusé ses frères d'avoir traité d'esclaves les fils des servantes, et la femme de Potiphar jeta les yeux sur Joseph, parce qu'il avait soupçonné ses frères d'avoir jeté les yeux sur les Cananéennes. Et s'il est vrai qu'ils ne se rendirent pas coupables de cruauté envers les animaux, cela ressort du fait qu'au moment même où ils envisageaient leur crime contre Joseph, ils observaient encore toutes les règles et prescriptions du rituel en égorgeant le chevreau avec le sang duquel ils souillèrent son manteau de plusieurs couleurs (8).


Source: Les légendes des Juifs - Louis Ginzberg